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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE DONNADIEU c. FRANCE (No 2)
(Requête no 19249/02)
ARRÊT
STRASBOURG
7 février 2006
DÉFINITIF
07/05/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions
définies à l’article 44 § 2 de la
Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Donnadieu c. France (no 2),
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième
section), siégeant en une chambre composée de :
MM. I. Cabral Barreto,
président,
J.-P. Costa,
K. Jungwiert,
V.
Butkevych,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A.
Mularoni,
E. Fura-Sandström, juges,
et de Mme
S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du
conseil le 17 janvier 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
- A l’origine de l’affaire se trouve une
requête (no 19249/02) dirigée contre la
République française et dont un ressortissant de cet
Etat, M. Jean Pierre Donnadieu (« le
requérant »), a saisi la Cour le 4 mai 2002 en
vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits
de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la
Convention »).
- Le requérant est représenté par
M. P. Bernardet, sociologue à La Fresnaye Sur Chédouet.
Le gouvernement français (« le Gouvernement »)
est représenté par son agent, Mme E. Belliard,
directrice des Affaires juridiques du ministère des Affaires
étrangères.
- Le 11 octobre 2004, le président de la deuxième
section a décidé de communiquer la requête au
Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article
29 § 3, il a décidé que seraient examinés
en même temps la recevabilité et le bien-fondé de
l’affaire.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
- Le requérant est né en 1945 et réside
à Lodève - France.
- Le requérant fut interné contre son gré
du 1er avril au 23 mai 1969 au service des aliénés
d’un hôpital dépendant du centre hospitalier
universitaire (CHU) de Montpellier.
- Le 6 juin 1994, estimant que son internement était
illégal, il saisit le tribunal administratif de Montpellier
d’un recours en annulation de la décision du 1er
avril 1969 d’admission au service des aliénés et
de la décision de l’y maintenir jusqu’au 23 mai
1969. Par un jugement rendu le 25 novembre 1998, le tribunal
rejeta cette requête, considérant qu’il ne
ressortait pas des documents produits par le requérant qu’il
aurait pu ne pas se trouver en hospitalisation libre.
- Le requérant interjeta appel le 4 février
1999. Le CHU communiqua des pièces respectivement en date des
1er septembre, 25 octobre et 16 décembre 1999.
Par un arrêt rendu le 27 juin 2002, la cour administrative
d’appel de Marseille annula le jugement attaqué aux
motifs, notamment, qu’il ressortait des pièces déposées
par le CHU en appel que le père du requérant avait
rempli et signé un imprimé tenant lieu de demande de
placement volontaire, et qu’il n’était pas établi
que le requérant aurait accepté de séjourner
librement dans cet établissement. Evoquant l’affaire au
fond, la cour fit droit à la demande du requérant,
considérant qu’il ne ressortait pas des pièces du
dossier que la demande de placement volontaire ait été
accompagnée du certificat médical exigé par le
code de la santé publique et que dès lors la décision
d’admission et, par voie de conséquence, la décision
maintenant l’intéressé dans l’établissement,
étaient entachées d’irrégularité.
Le CHU ne se pourvut pas en cassation.
- Entre-temps, le requérant assigna, le 30 juin
1995, le Trésor public et le CHU de Montpellier devant le
tribunal de grande instance de Paris, sollicitant trois millions de
francs au titre des préjudices subis du fait de son
internement. Par une décision avant dire droit du 6 janvier
1997, le tribunal ordonna le sursis à statuer sur
l’intégralité de cette demande jusqu’à
ce qu’une décision définitive ait été
rendue par la juridiction administrative sur sa requête en
annulation de la mesure d’internement. La procédure est
actuellement pendante devant le tribunal de grande instance de Paris.
- Parallèlement, le requérant tenta
d’obtenir du CHU de Montpellier la communication des pièces
de son dossier administratif et médical relatif à son
internement du 1er avril au 23 mai 1969, ainsi que de
divers documents connexes relatifs à son internement.
A. Première saisine de la commission d’accès
aux documents administratifs (CADA)
- Par un courrier du 28 février 1994, le
requérant demanda au directeur du CHU de lui faire parvenir
son dossier administratif, ainsi que d’autres documents, et de
communiquer son entier dossier médical à son médecin,
le Dr P.
- Estimant n’avoir pas reçu l’intégralité
de ces pièces, il saisit la CADA d’une demande d’avis
par une lettre parvenue le 12 avril 1994 et portant sur le refus de
communication des entiers dossiers médical et administratif,
de la délibération d’adoption du règlement
de l’établissement, des pages du registre no
209 et de la liste des destinataires de ces pièces.
- Le 28 avril 1994, la CADA déclara cette demande
d’avis sans objet, le directeur du CHU l’ayant informée
de ce que ses services venaient de donner satisfaction au requérant.
Cet avis fut adressé au requérant par un courrier du 2
mai 1994.
B. Deuxième saisine de la CADA
- Le 11 mai 1994, le Dr
P. attesta ne pas avoir reçu le dossier médical du
requérant.
Celui-ci saisit la CADA, par une lettre parvenue le 12 juillet 1995,
d’une demande d’avis relative à la communication
par le directeur du CHU des certificats médicaux établis
à la suite de son internement, de son dossier médical,
du traitement appliqué et du cahier de liaison entre les
infirmiers et la direction.
- Le 27 juillet 1995, la CADA déclara cette
demande d’avis sans objet au motif que le directeur du CHU
l’avait informée avoir transmis au Dr
P., le 18 juillet 1995, l’intégralité du dossier
médical. Cet avis fut adressé au requérant par
un courrier du 28 août 1995.
C. Troisième saisine de la CADA
- Le 11 décembre 1998, le Dr
P. demanda au CHU de lui transmettre les comptes rendus
d’hospitalisation.
- Considérant que son médecin n’avait
pas reçu l’intégralité de son dossier
médical, le requérant, par un courrier du 4 janvier
1999, demanda au directeur du CHU d’envoyer au Dr
P., en application de l’article 6bis de la loi du 17
juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des
relations entre l’administration et le public, la copie de
l’intégralité des pièces médicales
de son dossier.
- Le 15 janvier 1999, le CHU envoya au Dr
P. une mise au point de séjour, résumant
l’hospitalisation du requérant et faisant état
« d’un traitement médicamenteux et
sismothérapie », sans préciser davantage la
nature du traitement ni annexer le compte rendu des séances de
sismothérapie.
- N’ayant pas reçu de réponse à
son courrier du 4 janvier 1999, le requérant saisit la CADA,
par une lettre datée du 30 mars 1999, d’une demande
d’avis concernant le refus tacite du CHU de communiquer à
son médecin les pièces de son dossier médical
non encore transmises au Dr
P.
- Par un courrier du 6 avril 1999, la CADA informa le
requérant qu’aux termes de l’article 2 du décret
no 88-465 du 28 avril 1988 relatif à la procédure
d’accès aux documents administratifs, le silence gardé
par l’autorité compétente pendant plus de deux
mois à compter de la saisine de la CADA valait décision
de refus. Ce délai ayant expiré le 12 septembre
1995, il appartenait au requérant, depuis cette date, de
contester, s’il le jugeait utile, le refus de communication de
documents devant la juridiction administrative, la CADA ayant épuisé
sa compétence.
- Par un courrier du 12 mai 1999, le CHU transmit au Dr
P. seize documents supplémentaires du dossier médical
du requérant.
D. Quatrième saisine de la CADA
- Parallèlement, le requérant demanda au
CHU de lui communiquer des pièces déterminant les
aménagements des divers services de l’établissement
dans lequel il avait été interné. Après
un refus, le 25 octobre 1999, et une quatrième saisine de la
CADA, le 22 novembre 1999, le CHU transmit par un courrier du 7
décembre 1999 certains documents administratifs concernant les
modes d’admission dans le service où le requérant
avait été placé en 1969.
E. La procédure relative à l’annulation
du refus du CHU de communiquer l’intégralité de
son dossier au requérant
- Par une requête enregistrée le 19 avril
1999, le requérant demanda au tribunal administratif de
Montpellier d’annuler la décision implicite par laquelle
le CHU de Montpellier lui avait refusé la communication de
l’intégralité de son dossier médical et
administratif et d’enjoindre la communication de ce dossier au
médecin de son choix.
- Dans son mémoire ampliatif daté du 12
juin 1999, le requérant indiqua notamment quels documents de
son dossier médical avaient été produits à
son médecin par le CHU, par un courrier du 12 mai 1999, et
quels étaient ceux qui n’avaient donc pas encore été
fournis.
- Le 6 juillet 1999, le CHU déposa son mémoire
en défense, après avoir été mis en
demeure. S’agissant de la recevabilité de la demande, le
CHU rappela le caractère obligatoire de la saisine de la CADA
préalablement à l’introduction d’un recours
contentieux à l’encontre d’un refus de
communication, consacré par le décret du 28 avril 1988
précité. Le CHU exposa qu’aux termes de ce
décret, le requérant qui veut bénéficier
d’une prorogation des délais de recours contentieux doit
saisir la CADA dans les deux mois suivant la notification du refus
exprès ou la formation d’un refus implicite. Le CHU
soutint que, dès lors, la requête était
irrecevable, la CADA n’ayant été saisie, aux
termes mêmes de sa lettre du 28 août 1995, qu’en
juillet 1995, soit plus de deux mois après la décision
implicite de refus, acquise le 28 avril 1994. Le fait que la CADA ait
pris position alors qu’elle était saisie hors délai
ne pouvait en effet, selon le CHU, effacer l’irrecevabilité
du recours contentieux.
- Dans son mémoire en réplique daté
du 14 juillet 1999, le requérant demanda au tribunal de
désigner un médecin aux fins d’expertise, avec
mission de se rendre au CHU pour se faire remettre l’intégralité
de son dossier tant administratif que médical et d’en
dresser l’inventaire.
- Le requérant déposa son dernier mémoire
le 5 janvier 2000, qui fut communiqué à la partie
adverse le 19 janvier 2000.
- L’affaire fut appelée à l’audience
du 20 mars 2002.
- Par un jugement rendu le 4 avril 2002, le tribunal
rejeta la demande du requérant, considérant que, sans
qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la
requête, il ressortait des pièces du dossier que la
totalité des pièces détenues par le CHU et
relatives à l’internement du requérant du
1er avril au 23 mai 1969 avait été
transmise au requérant. Dès lors, et sans qu’il
soit besoin d’une expertise, les conclusions tendant à
l’annulation d’une prétendue décision
implicite de rejet dont l’existence n’était pas
établie devaient être rejetées et, en
conséquence, les conclusions tendant à faire ordonner
la communication des documents non produits étaient
irrecevables.
- Le requérant fit appel de ce jugement par une
requête enregistrée le 24 juin 2002.
F. La procédure en dommages et intérêts
pour communication tardive de certains documents concernant le
requérant
- Par un courrier du 14 avril 1999, le requérant
fit une demande préalable d’indemnisation au directeur
du CHU, sollicitant 200 000 francs français (FRF) en
réparation du préjudice moral et de l’entrave à
sa capacité de défense pour contester le bien-fondé
de son internement, causés par le retard de quatre ans et demi
dans la communication des éléments médicaux de
son dossier et par les allégations selon lui mensongères
faites par le CHU à la CADA. Il rappelait à l’appui
ses différentes demandes infructueuses auprès du CHU,
la première par un courrier du 28 février 1994, les
saisines de la CADA, et la communication à son médecin,
le 15 janvier 1999 seulement, d’une synthèse des
éléments psychiatriques de son dossier.
- N’ayant pas reçu de réponse, le
requérant saisit le tribunal administratif de Montpellier
d’une requête enregistrée le 24 décembre
1999, sollicitant la condamnation du CHU à lui verser
l’indemnité précitée.
- Dans son mémoire ampliatif, daté du 3
janvier 2001, il souligna notamment l’attitude fautive du CHU,
qui n’aurait communiqué que les pièces de son
dossier utiles aux deux parties dans le cadre de la procédure
relative à la régularité de la mesure
d’internement.
- Dans son mémoire en réponse, daté
du 11 avril 2002 et communiqué au requérant par
courrier daté du 18 avril, le CHU fit notamment valoir que
l’ensemble des éléments utiles à la
solution du litige l’opposant au requérant quant aux
conditions de son hospitalisation avait bien été
communiqué et que, ni le tribunal administratif, ni la cour
d’appel, n’avaient jugé utile de solliciter la
communication de pièces. Par ailleurs, l’instruction
concernant la demande d’annulation de la décision de
refus de communication avait été menée à
son terme, c’est-à-dire jusqu’à l’audience
de plaidoirie du 20 mars 2002, et il n’avait donc pas été
jugé à ce jour que le CHU aurait refusé, a
fortiori abusivement, de communiquer des pièces au
requérant.
- Dans son mémoire en réplique, daté
du 10 mai 2002, le requérant précisa notamment que
c’est seulement le 12 mai 1999 – soit six mois après
le jugement du 25 novembre 1998 –, et cela parce qu’il
avait saisi une troisième fois la CADA, le 30 mars 1999, que
le CHU avait transmis au Dr P.
les pièces démontrant l’absence de tout
consentement de sa part. La cour administrative d’appel de
Marseille avait donc pu, à la différence du tribunal
administratif de Montpellier, prendre connaissance de ces nouveaux
éléments qui révélaient, notamment, que
son père, et non sa mère, avait signé la demande
d’hospitalisation. Par ailleurs, l’appréciation du
préjudice causé par le retard de communication des
pièces relatives à son internement était, selon
le requérant, indépendante de l’issue de la
procédure relative à la régularité de la
mesure d’internement. Enfin, ce retard aurait constitué
une ingérence dans sa vie familiale et privée et une
atteinte à son droit de défense dans le cadre de la
procédure en annulation de la décision d’internement,
d’où une perte de chance à l’origine d’un
préjudice également source de réparation.
- Le tribunal administratif de Montpellier rejeta le
recours par un jugement du 10 juin 2003. Le requérant
interjeta appel par une requête enregistrée le 4 août
2003.
- Par un arrêt du 3 janvier 2005, notifié
le 1er février 2005, la cour administrative de
Marseille rejeta les deux recours introduits par le requérant,
après les avoir joints.
- Le requérant ne se pourvut pas en cassation.
B. LE DROIT INTERNE PERTINENT
- La loi no 78-753 du 17 juillet 1978 portant
diverses mesures d’amélioration des relations entre
l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre
administratif, social et fiscal (telle que modifiée par la loi
no 2000-321 du 12 avril 2000 ; JORF 13 avril
2000) contient notamment les dispositions suivantes :
Article 1
« Le droit de toute personne à
l’information est précisé et garanti par le
présent titre en ce qui concerne la liberté d’accès
aux documents administratifs.
(...) ».
Article 2
« Sous réserve des dispositions de
l’article 6, les autorités mentionnées à
l’article 1er sont tenues de communiquer les
documents administratifs qu’elles détiennent aux
personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues
par le présent titre.
(...) ».
Article 4
« L’accès aux documents
administratifs s’exerce :
a) Par consultation gratuite sur place, sauf
si la préservation du document ne le permet pas ;
b) Sous réserve que la reproduction ne
nuise pas à la conservation du document, par la délivrance
d’une copie facilement intelligible sur un support identique à
celui utilisé par l’administration ou sur papier, au
choix du demandeur dans la limite des possibilités techniques
de l’administration et aux frais de ce dernier, sans que ces
frais puissent excéder le coût de cette reproduction,
dans des conditions prévues par décret. »
Article 5
« Une commission dite « Commission
d’accès aux documents administratifs » est
chargée de veiller au respect de la liberté d’accès
aux documents administratifs et aux archives publiques, dans les
conditions prévues par le présent titre et par le titre
II de la loi no 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives.
Elle émet des avis lorsqu’elle est saisie par une
personne qui rencontre des difficultés pour obtenir la
communication d’un document administratif ou pour consulter des
documents d’archives publiques, à l’exception des
documents mentionnés au 3o de l’article 3 de la loi no
79-18 du 3 janvier 1979 précitée. La saisine de la
commission pour avis est un préalable obligatoire à
l’exercice d’un recours contentieux. (...) ».
Article 6 bis
(Abrogé par la loi du 12
avril 2000)
« Les personnes qui le demandent ont droit à
la communication, par les administrations mentionnées à
l’article 2, des documents de caractère nominatif les
concernant, sans que des motifs tirés du secret de la vie
privée, du secret médical ou du secret en matière
commerciale et industrielle, portant exclusivement sur des faits qui
leur sont personnels, puissent leur être opposés.
Toutefois, les informations à caractère
médical ne peuvent être communiquées à
l’intéressé que par l’intermédiaire
d’un médecin qu’il désigne à cet
effet. »
Article 7
« Le refus de communication est notifié
au demandeur sous forme de décision écrite motivée.
Lorsqu’il est saisi d’un recours contentieux
contre un refus de communication d’un document administratif,
le juge administratif doit statuer dans le délai de six mois à
compter de l’enregistrement de la requête. »
- L’article 2 du décret no
88-465 du 28 avril 1988 relatif à la procédure d’accès
aux documents administratifs se lit comme suit :
« Le silence gardé pendant plus d’un
mois par l’autorité compétente, saisie d’une
demande de communication de documents en application du titre 1er
de la loi no 78 753 du 17 juillet 1978, vaut
décision de refus.
En cas de refus exprès ou tacite, l’intéressé
dispose d’un délai de deux mois à compter de la
notification du refus ou de l’expiration du délai fixé
au premier alinéa du présent article pour saisir la
commission instituée à l’article 5 de la loi no
78-753 du 17 juillet 1978.
La saisine de la commission, dans les conditions prévues
au deuxième alinéa du présent article, est
obligatoire préalablement à tout recours contentieux.
La commission notifie, dans un délai d’un
mois à compter de sa saisine, son avis à l’autorité
compétente qui informe la commission, dans le mois qui suit la
réception de cet avis, de la suite qu’elle entend donner
à la demande.
Le silence gardé par l’autorité
compétente pendant plus de deux mois à compter de la
saisine de la commission par l’intéressé vaut
décision de refus.
Le délai de recours contentieux est prorogé
jusqu’à la notification à l’intéressé
de la réponse de l’autorité compétente. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
6 § 1 DE LA CONVENTION
- Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention,
le requérant se plaint de la durée des deux procédures
concernant la communication du dossier relatif à son
internement. L’article 6 § 1 de la Convention est ainsi
libellé dans sa partie pertinente :
« 1. Toute personne a droit à
ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et
dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant
et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des
contestations sur ses droits et obligations de caractère
civil, (...) »
Les parties s’entendent pour dire que l’article 6 de la
Convention est applicable en l’espèce.
- Le Gouvernement défendeur soutient toutefois
que la durée des procédures n’est pas
déraisonnable. Il fait valoir que les procédures
litigieuses se sont achevées par l’arrêt de la
cour administrative de Marseille du 3 janvier 2005. La première
procédure a donc duré cinq ans et six mois et la
seconde cinq ans et dix mois. Les procédures en cause
présentaient une certaine complexité car les faits à
l’origine de ces procédures remontent à la fin
des années 1960. Le contentieux relatif à la
communication de documents émis au cours de l’année
1969, soit plus de trente ans avant la saisine des juridictions
administratives, pouvait présenter des difficultés.
Ainsi, les juridictions administratives ont dû établir
si des documents dissimulés au requérant ont
effectivement existé. Or, la vérification d’éléments
de fait par le juge présente un caractère
particulièrement complexe dans une procédure écrite
et, a fortiori, lorsque les faits de l’espèce
présentent un caractère ancien. Les deux juridictions
ont souligné que le requérant a obtenu l’intégralité
de son dossier médical après de nombreuses demandes et,
au plus tard le 12 mai 1999, et qu’il n’a pas établi
que d’autres documents auraient dû lui être
communiqués. Par conséquent, les différents
recours introduits par le requérant peuvent être
considérés comme présentant un caractère
abusif. De plus, le requérant a déposé dans le
cadre de la procédure relative au refus de lui communiquer
l’intégralité de son dossier, outre sa requête
introductive d’instance, quatre mémoires, ce qui a
retardé inévitablement l’audiencement du dossier
du fait de la nécessité d’inclure ces mémoires
dans la réflexion du rapporteur et de communiquer à la
partie défenderesse lesdits mémoires. Quant à la
procédure relative au recours en indemnisation, elle a connu
un retard en raison de l’absence de production du mémoire
en défense du CHU, qui ne l’a produit, qu’une fois
mis en demeure.
- Le requérant ne partage pas ce point de vue. En
ce qui concerne la procédure relative à l’annulation
du refus du CHU de lui communiquer l’intégralité
de son dossier, le requérant expose tout d’abord qu’elle
a débuté en février 1994, avec la saisine de la
CADA, et remarque que l’instruction a duré trois ans
devant le tribunal administratif, soit bien plus longtemps que le
délai de six mois fixé par l’article 7 de la loi
du 17 juillet 1978. S’agissant de la durée de la
procédure administrative en dommages et intérêts
pour communication tardive de certaines pièces de son dossier,
le requérant considère qu’elle a été
initiée par son recours gracieux préalable du 14 avril
1999 (X c. France, arrêt du 31 mars 1992, série A
no 234 C, § 31), et constate que le tribunal
administratif, saisi le 22 décembre 1999, n’avait
toujours pas fixé de date de clôture ni statué au
moment de l’introduction de la requête devant la Cour.
Le requérant ajoute que ses griefs ne concernent pas
principalement le retard pris par le CHU à produire les
documents demandés, mais le retard mis par la juridiction
administrative à statuer. Il fait valoir que le juge
administratif n’a mené aucune instruction spécifique
quant à la question de savoir si des documents qui lui
auraient été dissimulés avaient effectivement
existé mais s’est contenté d’échanger
les mémoires des parties et de fixer l’audience. Selon
le requérant, les recours qu’il a introduits n’ont
pas été inutiles mais lui ont, au contraire, permis
d’obtenir un complément de dossier rapportant la preuve
que son père avait signé, à sa place, la demande
d’admission, ce qui amena par la suite la cour d’appel à
constater qu’il fut admis illégalement sous le régime
du placement volontaire et à annuler le jugement du tribunal
administratif de Montpellier qui, au vu des documents fournis
jusqu’alors, n’avait pas pu se convaincre de l’existence
d’une contrainte. La procédure d’accès aux
documents administratifs fut décisive pour l’issue du
contentieux relatif à la légalité de la décision
d’admission et, par voie de conséquence, sur
l’annulation de la décision de placement et le
contentieux de l’indemnisation. Ainsi, c’est en cours de
procédure que les documents complémentaires ont été
produits par le CHU, le 12 mai 1999. Quant à la première
procédure, il précise que son dernier mémoire
fut reçu le 5 janvier 2000 par le tribunal, qui ne statua que
le 4 avril 2002, soit deux ans et demi plus tard. S’agissant de
la seconde procédure, il relève que le CHU est une
personne publique et que le Gouvernement défendeur est
responsable de l’ensemble des services publics.
A. Sur la recevabilité
- La Cour constate que ce grief n’est pas
manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3
de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne
se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
- La Cour rappelle en premier lieu que l’article 6
est applicable à la procédure en annulation du refus de
communication par le CHU de documents administratifs et médicaux
concernant l’internement du requérant (voir Loiseau
c. France (déc.), no 46809/99, § 7,
18 novembre 2003). Elle rappelle ensuite que le caractère
raisonnable de la durée d’une procédure
s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu
égard aux critères consacrés par sa
jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire,
le comportement du requérant et celui des autorités
compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les
intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres,
Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43,
CEDH 2000-VII).
1. Détermination de la durée de la
procédure administrative en annulation du refus de
communication par le CHU de documents relatifs à l’internement
du requérant
- La Cour relève que seule la décision
prise par la CADA dans le cadre d’une troisième saisine
par le requérant, le 4 janvier 1999, qui lui avait été
notifiée le 6 avril 1999, a fait l’objet d’un
recours auprès du tribunal administratif le 19 avril 1999. La
saisine de la CADA ne revêt le caractère de recours
préalable obligatoire que dans le cadre de cette troisième
saisine (X. c. France, précité, § 31)
et seule la durée de trois mois qui y est relative doit donc
être prise en considération. Quant à la phase
juridictionnelle de cette procédure, elle s’est achevée
le 3 janvier 2005 par l’arrêt de la cour
administrative de Marseille.
La Cour observe que la première instance a connu une période
d’inactivité de deux ans et trois mois après la
réception du dernier mémoire du requérant et que
la durée globale de la procédure est de six ans pour un
recours préalable et deux degrés d’instance.
2. Détermination de la durée de la
procédure administrative en réparation du préjudice
subi du fait de la communication tardive des documents précités
- La Cour constate que cette procédure a débuté
le 14 avril 1999, date du recours préalable en indemnisation
auprès du CHU (X., précité, § 31) et
s’est achevée le 3 janvier 2005. Elle relève en
particulier que la première instance a duré trois ans
et six mois. La durée globale de la procédure est donc
de cinq ans et plus de huit mois pour une demande préalable et
deux degrés d’instance.
- La Cour a traité à maintes reprises
d’affaires soulevant des questions semblables aux deux
procédures visées en l’espèce et a
constaté la violation de l’article 6 § 1 de la
Convention. Après avoir examiné tous les éléments
qui lui ont été soumis, la Cour considère que le
Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument
convaincant pouvant mener à une conclusion différente
dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la
matière, la Cour estime qu’en l’espèce la
durée des procédures litigieuses est excessive et ne
répond pas à l’exigence du « délai
raisonnable ». Partant, il y a eu violation de l’article
6 § 1 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
13 DE LA CONVENTION (COMBINÉ À L’ARTICLE 6 §
1)
- Invoquant l’article 13 de la Convention, le
requérant allègue enfin qu’il ne dispose d’aucun
recours pour faire cesser les violations de l’article 6 §
1 ci-dessus alléguées. Se référant à
l’arrêt Kudła c. Pologne du 26 octobre
2000 ([GC], no 30210/96, CEDH 2000 XI), il
affirme que la seule voie de recours effective, au sens de l’article
13 de la Convention, est celle qui permet d’accélérer
la procédure, et qu’une telle voie de recours n’existe
pas en France. Dans une lettre postée le 25 février
2003, il fait valoir, en tout état de cause, l’absence
de recours effectif pour obtenir réparation du préjudice
issu de la durée de ces procédures.
- L’article 13 de la Convention est rédigé
comme suit :
« Toute personne dont les droits et libertés
reconnus dans la (...) Convention ont été violés,
a droit à l’octroi d’un recours effectif devant
une instance nationale, alors même que la violation aurait été
commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs
fonctions officielles. »
- Le Gouvernement n’a pas présenté
d’observations sur cette question.
A. Sur la recevabilité
- La Cour constate que ce grief n’est pas
manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3
de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne
se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
- La Cour relève que selon la jurisprudence de la
Cour, l’article 13 garantit un recours effectif devant une
instance nationale permettant de se plaindre d’une
méconnaissance de l’obligation, imposée par
l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai
raisonnable (Kudła, précité, § 156),
et que c’est à la date d’introduction de la
requête que l’« effectivité »
du recours, au sens de l’article 13, doit être appréciée,
à l’instar de l’existence de voies de recours
internes à épuiser au sens de l’article 35 §
1, ces deux dispositions présentant « d’étroites
affinités » (Kudla, précité, §
152 ; Lutz c. France (no 1), no
48215/99, § 20, 26 mars 2002). Or, à la date
d’introduction de la requête, le 4 mai 2002,
l’effectivité « en pratique » et
« en droit » du recours en responsabilité
de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service
public de la justice n’était pas avérée
(Lutz, précité, ibidem ; mutatis
mutandis Broca et Texier-Micault c France, nos
27928/02 et 31694/02, §§ 21-23, 21 octobre 2003).
Partant, il y a eu violation de l’article 13, combiné à
l’article 6 § 1 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA
CONVENTION
- Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a
eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit
interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer
qu’imparfaitement les conséquences de cette violation,
la Cour accorde à la partie lésée, s’il y
a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
- Le requérant réclame 15 000 euros
(EUR) au titre du préjudice matériel qu’il aurait
subi. Il fait valoir que la procédure tendant à
l’annulation des actes d’admission et de maintien a été
plus longue, plus complexe et surtout plus coûteuse car il a dû
se faire représenter par un avocat devant la cour
administrative d’appel de Marseille.
- Au titre du préjudice moral, le requérant
réclame 15 000 EUR au motif que le retard dans
l’accès aux pièces a différé
l’appropriation par lui de son passé. Il indique qu’en
démocratie, le justiciable est en droit d’attendre que
les juges eux-mêmes respectent les délais fixés
par le législateur. Le requérant réclame en
outre 12 000 EUR au titre du préjudice moral né
des lenteurs de la procédure indemnitaire et fait valoir que
cette somme est d’autant plus légitime que la cour
administrative d’appel de Marseille a établi l’existence
d’une faute dans le chef du CHU mais n’a pas reconnu
l’existence d’un préjudice dans son chef.
- Le Gouvernement fait valoir que le préjudice
matériel n’est pas établi dès lors que
l’engagement des frais de procédure est indépendant
de la célérité de la justice mais est lié
à la saisine par le requérant de la juridiction
administrative par de multiples requêtes. Il estime par
ailleurs que le préjudice moral lié à la
communication tardive des documents n’est pas établi et
que celui lié aux difficultés d’obtenir de la
justice des décisions reconnaissant l’existence d’une
faute de l’administration peut être évalué
à 3 000 EUR.
- La Cour n’aperçoit pas de lien de
causalité entre la violation constatée et le dommage
matériel allégué et rejette cette demande. En
revanche, elle juge que le prolongement des procédures
litigieuses au-delà du délai raisonnable a dû
causer, dans le chef du requérant, des désagréments
et une incertitude prolongée (mutatis mutandis,
Comingersoll S.A. c. Portugal, arrêt du 6 avril 2000,
Recueil des arrêts et décisions 2000 IV,
§§ 35-36) qui justifie l’octroi d’une
indemnité pour tort moral. Statuant en équité,
comme le veut l’article 41, elle alloue au requérant,
compte tenu des circonstances de la cause, la somme de 3 000 EUR
au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
- Le requérant demande également 2 200 EUR
pour les frais et dépens encourus devant la Cour.
- Le Gouvernement fait valoir qu’il n’est
pas possible de lui imputer la responsabilité du nombre de
requêtes déposées par le requérant devant
les juridictions internes et propose l’indemnisation des frais
et dépens engagés par le requérant devant la
Cour à concurrence de 500 EUR.
- La Cour rappelle que, dans la phase de la procédure
consécutive à la décision sur la recevabilité
de sa requête, un requérant ne peut en principe être
représenté devant elle que par un conseil habilité
à exercer dans l’une des Parties contractantes (article
36 §§ 3 et 4 du règlement). La Cour en a déduit
que, lorsque son représentant ne remplit pas cette condition
(comme en l’espèce), un requérant peut obtenir le
remboursement des frais de représentation engagés
antérieurement à la décision sur la recevabilité
mais pas de ceux engagés postérieurement (arrêt
Vermeersch c. France, no 39273/98, § 35).
- En l’espèce, la Cour ayant examiné
en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire,
le requérant est habilité à réclamer la
totalité de ses frais de représentation. Cela étant,
la Cour estime que le montant sollicité ne saurait être
considéré comme raisonnable, et décide d’allouer
au requérant la somme de 500 EUR à ce titre.
C. Intérêts moratoires
- La Cour juge approprié de baser le taux des
intérêts moratoires sur le taux d’intérêt
de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
- Déclare la requête recevable ;
- Dit qu’il y a eu violation de l’article
6 § 1 de la Convention ;
- Dit qu’il y a eu violation de l’article
13 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au
requérant, dans les trois mois à compter du jour où
l’arrêt sera devenu définitif conformément
à l’article 44 § 2 de la Convention,
3 000 EUR (trois mille euros) pour dommage moral et 500 EUR
(cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant
pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit
délai et jusqu’au versement, ces montants seront à
majorer d’un intérêt simple à un taux égal
à celui de la facilité de prêt marginal de la
Banque centrale européenne applicable pendant cette période,
augmenté de trois points de pourcentage ;
- Rejette la demande de satisfaction équitable
pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7
février 2006 en application de l’article 77 §§
2 et 3 du règlement.
S.
Dollé I. Cabral Barreto
Greffière Président