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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES (« ICI PARIS »)
c. FRANCE
(Requête no 12268/03)
ARRÊT
STRASBOURG
23 juillet 2009
DÉFINITIF
23/10/2009
Cet arrêt peut subir
des retouches de forme.
En l’affaire Hachette Filipacchi Associés c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième
section), siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen,
président,
Rait Maruste,
Jean-Paul
Costa,
Karel Jungwiert,
Renate
Jaeger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Zdravka
Kalaydjieva, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière
de section,
Après en avoir délibéré en chambre du
conseil le 30 juin 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
- A l’origine de l’affaire se trouve une
requête (no 12268/03) dirigée contre la
République française par une personne morale de droit
français ayant son siège social en France, la société
Hachette Filipacchi Associés (« la requérante »),
laquelle a saisi la Cour le 4 avril 2003 en vertu de l’article
34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales (« la Convention »).
- La requérante est représentée par
Me Bigot, avocat au barreau de Paris. Le gouvernement
français (« le Gouvernement ») est
représenté par son agent, Mme
E. Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère
des Affaires étrangères.
- La requérante alléguait une violation de
son droit à la liberté d’expression tel que
garanti par l’article 10 de la Convention.
- Le 20 mars 2007, la Cour a décidé de
communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet
l’article 29 § 3 de la Convention, il a en outre
été décidé que
la Chambre se prononcerait en même temps sur la
recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
- La requérante, « Hachette Filipacchi
Associés », est une société en nom
collectif de droit français, ayant son siège social à
Levallois-Perret, en France. Elle est éditrice du magazine
hebdomadaire Ici Paris.
1. La genèse de l’affaire
- Dans son édition no 2680 du 13
novembre 1996, la requérante publia en pages 14 et 15 un
article intitulé « Et s’il faisait un
« bide » à Las Vegas ? Johnny
l’angoisse ! », illustré de quatre
photographies du chanteur populaire Johnny Hallyday, l’une le
représentant sur scène et les autres, à
caractère publicitaire, vantant des produits pour lesquels il
avait autorisé l’usage de son nom et de son image
(chocolat, canapé, boissons, eau de toilette, poupée
mascotte, briquet, etc.).
Cet article, sur dix colonnes, faisait référence au
concert que l’intéressé devait donner le 24
novembre 1996 à Las Vegas, et mettait en exergue les phrases
suivantes :
« Blousons, canapés, tee-shirts,
parfums, bouteilles de vin et chocolat ... Il s’affiche sur
n’importe quoi pour sauver La Lorada [le nom de sa
villa provençale sur les hauteurs de Ramatuelle, dans le Var].
Sa vie n’a jamais été un long fleuve
tranquille, certes, mais aujourd’hui, c’est un véritable
coup de tonnerre qui s’abat sur Johnny Hallyday. A cinquante
trois ans, « Jojo » n’a à nouveau
plus un sou. Et pour cause. En trente-huit ans de carrière,
huit cents chansons, cent millions de disques vendus et quatre cents
tournées, le rocker n’a pas réussi à
économiser un seul centime. Tout est parti en voyages (de
noces et autres), en motos, en fêtes somptueuses, bref, en
folies et en fumée ! Alors, pour se renflouer, Johnny a
trouvé la solution : il vend son image et son nom. Suivez
le guide ...
A 53 ans, l’idole est obligé de brader son
image.
Même en chantant jusqu’à 110 ans, il
n’arriverait pas à payer ses dettes, disent ses amis. »
2. La phase contentieuse devant les juridictions
judiciaires
- Le 4 mars 1997, M. Smet, dit Johnny Hallyday, assigna
la société éditrice à comparaître
le 28 mai 1997, aux fins de la voir condamner au paiement de 6 500
000 francs de dommages-intérêts et à la
publication du jugement en page de couverture, sous astreinte. Il
releva tout d’abord qu’il n’avait pas autorisé
la publication des photographies et que sa notoriété ne
saurait entraver l’exclusivité des droits qu’il
détenait sur son image. Il prétendit ensuite qu’en
le présentant faussement au bord de la ruine et en faisant
état de ses goûts dispendieux (notamment l’achat
de sa maison La Lorada, et de son bateau baptisé Wild
Eagle II qui aurait coûté 10 millions de francs) et
de ses revers de fortune, l’article en cause violait le droit
au respect de sa vie privée prévu par l’article 9
du code civil ; en tout état de cause, il estima que la
simple révélation de ces éléments, même
si leur véracité était démontrée,
constituait une atteinte injustifiée à ce droit. Il
allégua enfin une atteinte à sa réputation dans
la mesure où, en précisant les gains procurés
par chacun des produits qu’il aurait commercialisés,
l’article minimisait délibérément
l’intérêt qu’il portait à ses fans.
- En défense, la requérante fit valoir que
l’article incriminé portait une appréciation
critique sur la multiplication des activités annexes
auxquelles se livrait le chanteur et rapprochait celle-ci des
acquisitions luxueuses qu’il avait effectuées. Elle
soutint que le chanteur entretenait l’image de l’inévitable
endetté et cita à cet égard ses propres mémoires
autobiographiques édités en trois volumes (le premier
en juillet 1996, le second en décembre 1996 et le troisième
en mai 1997) dans lesquels il s’étendait longuement sur
cette question. Elle estima que Johnny Hallyday ne pouvait invoquer
la protection de l’article 9 du code civil, dès lors
qu’il dévoilait des éléments de sa vie
privée. Elle prétendit que les photographies
illustraient sans excès le contenu de l’article et que
la dérive commerciale de l’activité du chanteur
était dénoncée dans l’intérêt
de celui-ci et sans volonté de dénigrement.
a) Devant le tribunal de grande instance
de Paris
- Le tribunal de grande instance de Paris rendit son
jugement le 2 juillet 1997, rejetant la quasi-totalité
des demandes du plaignant.
Sur l’atteinte au droit à l’image, le tribunal
considéra qu’en prêtant son image à des
supports publicitaires, le chanteur en avait implicitement autorisé
la reproduction, et qu’il n’était pas fondé
à se plaindre de la photographie prise alors qu’il se
trouvait sur scène. Il estima que seule la publication du
cliché le représentant assis sur un canapé
nécessitait son accord, mais que l’atteinte portée
à ses droits du fait de cette reproduction illicite n’avait
pu lui causer qu’un préjudice de principe qui pouvait
être réparé par l’allocation de 5 000
francs (environ 752 euros).
Sur l’atteinte à la vie privée et à la
réputation professionnelle, le tribunal estima d’abord
que l’article litigieux ne comportait aucune révélation
sur la vie privée de Johnny Hallyday, les allusions à
la propriété La Lorada ou au bateau que possède
le chanteur ne pouvant être considérés comme des
indiscrétions touchant à la sphère protégée
de l’article 9 du code civil dès lors que l’intéressé
n’avait jamais caché l’existence de ces éléments
de son patrimoine et les avait même évoqués dans
son autobiographie. Le tribunal ajouta qu’en relatant dans cet
ouvrage intitulé Johnny Hallyday Destroy la manière
dont il avait vécu en dépensant sans compter,
l’intéressé avait dévoilé
spontanément son caractère dépensier et les
difficultés qu’il avait rencontrées avec
l’administration fiscale. Il en déduisit qu’en
reprenant ces informations, le magazine Ici Paris ne s’était
pas immiscé de manière illicite dans un domaine protégé
que le chanteur souhaitait garder secret.
Soulignant ensuite que Johnny Hallyday était « un
personnage public qui, de par sa notoriété, est exposé
au jugement du public et des médias », le tribunal
affirma qu’il ne pouvait se plaindre des appréciations
défavorables qui sont portées sur lui, sauf si elles
reposent sur des faits inexacts et une volonté de nuire. Après
avoir constaté en l’espèce que le magazine
critiquait « la façon dont Johnny Hallyday
commercialise son image en faisant état des produits les plus
divers qui portent son nom (...) [et] que les objets reproduits dans
l’article sont effectivement vendus sous des supports
comportant l’image et le nom de la star », les
premiers juges estimèrent que « le fait de
rapprocher l’exploitation que Johnny Hallyday fait ainsi de sa
personnalité et les besoins financiers dont il n’a
jamais caché l’importance, n’excède pas le
droit de critique qu’Ici Paris est libre d’exercer
à partir de faits avérés ; que le
journaliste peut, sans commettre de faute, exprimer l’opinion
que lui inspire le fait de voir l’image d’un chanteur de
l’importance de Johnny Hallyday, servir de publicité à
des produits aussi éloignés de son activité que
le café ou le chocolat ; que si le ton de l’article
est désagréable pour l’intéressé,
il n’est pas pour autant significatif d’une volonté
de lui nuire ; que les propos critiqués n’excèdent
pas les limites de l’exercice normal de la liberté
d’expression et ne revêtent donc pas un caractère
fautif ».
b) Devant la cour d’appel de Paris
- Par un arrêt du 6 mars 1998, la cour d’appel
de Paris confirma le jugement déféré, sauf en ce
qui concerne la condamnation de la requérante pour la
publication de l’unique photographie litigieuse.
Elle constata d’abord que le chanteur ne démontrait
nullement que l’article incriminé lui avait causé
un quelconque dommage professionnel ou économique ; au
contraire, elle releva que « la revue [au demeurant]
indiquait le nom de quelques magasins dans lesquels les produits
vendus à l’effigie de l’artiste pouvaient être
achetés, ce qui était de nature à favoriser leur
diffusion ».
Elle nota ensuite que la totalité des photographies étaient,
à l’exception de celle le représentant sur scène
lors d’un concert, des clichés publicitaires, dont celui
relatif au canapé. Elle précisa sur ce point que « ces
photographies, mêmes si elles illustrent un texte critique sur
le choix opéré (...) de vendre son image sur des
produits très divers, n’ont pas été
détournées de leur objectif publicitaire, autorisé
par le susnommé, dès lors qu’elles traduisent en
images l’activité commerciale que Johnny Hallyday a
développée, le fait que la journaliste énonce,
sans inexactitude ni intention de nuire, que celui-ci s’affiche
sur n’importe quoi et brade son image, pour inélégante
qu’en soit la formulation, ne dépasse pas le droit
d’informer et de critiquer attaché à l’essence
et à la pratique du journalisme ».
La cour d’appel souligna que le plaignant avait, dans de
nombreuses publications et dans son autobiographie, reconnu qu’il
était propriétaire de la villa La Lorada et d’un
bateau baptisé Wild Eagle II, et qu’il avait
relaté dans son ouvrage, de façon répétée
et détaillée, la manière dont il avait vécu
en employant son argent sans compter, dévoilant spontanément
son caractère dépensier ainsi que les difficultés
rencontrées auprès de l’administration fiscale.
Elle en déduisit que « si chacun est seul habilité
à fixer les limites et les conditions de ce qui peut être
divulgué sur sa vie privée, le patrimoine ne relève
pas de la sphère étroite de la vie privée et, en
l’espèce, le magazine litigieux s’est borné
à reprendre des éléments connus du patrimoine et
du mode de vie financier de Johnny Hallyday, personnage public qui
entretient avec son public des relations tant artistiques que
commerciales, révélées par lui-même ».
c) Devant la première chambre
civile de la Cour de cassation
- Par un arrêt du 30 mai 2000, la Cour de
cassation cassa et annula en toutes ses dispositions l’arrêt
du 6 mars 1998, et renvoya la cause et les parties devant la cour
d’appel de Versailles. La haute juridiction, au visa de
l’article 9 alinéa premier du code civil, estima que
cette disposition avait été violée aux motifs
que « la publication des photographies ne respectait pas
la finalité visée dans l’autorisation donnée
par l’intéressé », et que « les
informations publiées portaient non seulement sur la situation
de fortune mais aussi sur le mode de vie et la personnalité de
M. Smet, sans que leur révélation antérieure par
l’intéressé soit de nature à en justifier
la publication ».
d) Devant la cour d’appel de renvoi
- Par un arrêt du 9 octobre 2002, la cour d’appel
de Versailles infirma partiellement le jugement du 2 juillet 1997 et,
statuant à nouveau, condamna la requérante au paiement
de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts
pour atteinte portée à l’image et au respect dû
à la vie privée du chanteur, de 3 000 euros à
titre des frais non compris dans les dépens et au paiement des
dépens exposés devant les juridictions du fond. Elle
débouta le plaignant des autres chefs de sa demande concernant
l’atteinte alléguée à sa réputation
professionnelle, faute pour lui de rapporter la preuve du préjudice
qu’il prétendait avoir subi. L’arrêt est
ainsi motivé :
« Sur l’atteinte au droit à
l’image
(...) Attendu que l’autorisation donnée par
M. Smet (...) d’utiliser son image avait une finalité
précise, à savoir un objectif publicitaire pour lequel
M. Smet avait reçu une contrepartie financière ;
Qu’en utilisant ces photographies à
d’autres fins, sans l’autorisation de l’intéressé,
et même s’il s’agissait d’illustrer un
article critiquant la façon dont Johnny Halliday « bradait
son image », la [requérante] a porté
atteinte au droit à l’image de l’intéressé ;
(...) ;
Sur l’atteinte au droit au respect dû à
sa vie privée
(...) Attendu que l’article litigieux énonce
essentiellement que Johnny Hallyday après 38 ans de carrière
« n’a pas réussi à économiser
un seul centime » car « tout est parti ... en
folies et en fumée » et que pour se renflouer il
vend son image et son nom ;
Attendu que les informations publiées (...)
portent non seulement sur la situation de fortune et le patrimoine de
Johnny Hallyday qui ne relèvent pas de la sphère
étroite de l’intimité de la vie privée
mais également sur le mode de vie et la personnalité de
l’intéressé dont l’inconséquence et
la prodigalité compromettraient sa situation financière ;
Que les informations données sur le mode de vie
de Johnny Hallyday et mettant en exergue son caractère
dépensier violent le respect dû à la vie privée
de Johnny Hallyday, sans que la [requérante] puisse utilement
se prévaloir du fait que l’intéressé
lui-même avait publié des informations sur son mode de
vie dans un livre autobiographique dès lors que seul Johnny
Hallyday était habilité à fixer les limites et
les conditions de ce qui pouvait être divulgué sur sa
vie privée ;
Qu’en l’absence d’autorisation donnée
par M. Smet, la publication est fautive ;
Sur la réparation du préjudice
Attendu que le préjudice subi (...) est
exclusivement moral ;
Que pour apprécier son importance il convient de
tenir compte des relations qu’entretient M. Smet avec les
médias auxquels il accepte, souvent, de confier des
informations sur sa vie personnelle, y compris sentimentale, et
auxquels il autorise la diffusion de son image ;
Qu’une somme de 20 000 € réparera
le préjudice subi (...) »
e) L’arrêt de rejet définitif
de la Cour de cassation
- Le 23 septembre 2004, la deuxième chambre
civile de la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par la
requérante. Elle constata que la cour d’appel de renvoi
avait statué « en conformité de l’arrêt
de cassation qui l’avait saisie », et en conclut que
le moyen soulevé, « qui appel[ait] la Cour à
revenir sur la doctrine affirmée par son précédent
arrêt, [était] irrecevable ».
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX
PERTINENTS
- Les éléments de droit et de pratique
internes et internationaux sont les suivants :
1. Code civil
- Introduit par la loi du 17 juillet 1970, l’article
9 du code civil dispose que :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée.
Les juges peuvent, sans préjudice de la
réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles
que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher
ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la
vie privée ; ces mesures peuvent, s’il y a urgence,
être ordonnées en référé. »
2. Jurisprudence interne
- En droit français, le droit à l’image
– qui comprend le droit de s’opposer à la fois à
la saisie et à la publication de son image – n’est
consacré par aucun texte du code civil, mais est issu de la
jurisprudence. Il apparaît pour la première fois dans
l’affaire Félix c. O’Connell, connue sous
le nom de « l’affaire Rachel », dans
laquelle le tribunal civil de la Seine, le 16 juin 1858, condamna la
publication d’un portait de l’artiste sur son lit de
mort.
La responsabilité pour faute, fondée sur l’article
1382 du code civil exigeant la preuve d’une faute ayant causé
un préjudice, fut longtemps considérée comme le
fondement légal de la protection accordée à
l’image, jusqu’à un arrêt du 13 janvier
1998, où la Cour de cassation rattacha sans équivoque
la protection du droit à l’image à l’article
9 du code civil (Cass. Civ. 1ère, 13 janvier 1998,
Bull. civ. I, no 14 ; voir également l’arrêt
de la cour d’appel de Paris du 25 octobre 1982, Dalloz 1983,
note Lindon, dans lequel il fut jugé que le droit au respect
de la vie privée, au sens de l’article 9 du code civil,
permet à toute personne, fût-elle artiste du spectacle,
de s’opposer à la diffusion, sans son autorisation
expresse, de son image, attribut de sa personnalité).
S’agissant du consentement de la personne concernée sur
son image, une jurisprudence constante de la Cour de cassation pose
le principe que, dans la mesure où toute personne a sur son
image un droit exclusif qui lui permet de s’opposer à sa
publication sans une autorisation expresse, préalable et
spéciale, il importe que le modèle ait consenti à
la prise de la photographie du moment pour un usage déterminé,
tout autre usage non spécialement autorisé étant
considéré comme fautif (Cass. Civ, 1ère,
20 juin 1966).
- En ce qui concerne la tolérance passée
ou la complaisance de l’intéressé, la Cour de
cassation a considéré que chacun était libre de
fixer les limites de ce qui peut être publié sur sa vie
intime, de déterminer les conditions dans lesquelles ces
publications peuvent intervenir, et la révélation
antérieure par l’intéressé d’informations
relatives à sa vie personnelle ne justifie pas une nouvelle
publication sans son autorisation (Cass. Civ., 2ème,
14 novembre 1975 ; voir l’arrêt du cas d’espèce
du 30 mai 2000 de la 1ère chambre civile
de la Cour de cassation, supra, paragraphe 11). En revanche,
les juges du fond ont considéré que l’attitude
antérieure de la personne concernée pouvait avoir une
incidence sur le montant de l’indemnisation allouée
(tribunal de grande instance de Paris, 3 décembre 1997,
J.C.P. 1998, II.), la Cour de cassation estimant dès lors que
ceux-ci exercent leur pouvoir souverain d’appréciation
dans l’évaluation des dommages-intérêts
(Cass. Civ. 2ème, 22 mai 1996, J.C.P. 1996, IV, no
1571).
- Quant à la publication d’information
d’ordre patrimonial, la Cour de cassation, dans trois arrêts,
a décidé que la publication de renseignements d’ordre
purement patrimonial, exclusifs de toute allusion à la
vie et à la personnalité d’une personne physique,
ne portait pas atteinte à l’intimité de sa vie
privée (Cass. Civ., 1ère, 20 novembre 1990,
Bull. Civ. no 257, Cass. Civ., 1ère, 28
mai 1991, Bull. Civ. no 173, Cass. Civ., 1ère,
20 octobre 1993, Bull. Civ. no 295). Elle admet qu’une
telle publication touchant aux biens, à la situation
financière, aux revenus ou aux dettes d’une personne
peut être justifiée par les circonstances de l’espèce
(Cass. Civ, 1ère, 20 octobre 1993, Bull. Civ
no 295 : publication d’un article sur
« les français les plus riches »). En
revanche, les informations relatives au mode de vie dépensier
de l’intéressé violent le respect dû au
droit à la vie privée (voir l’arrêt du cas
d’espèce du 30 mai 2000, supra, paragraphe 11).
3. Le droit international
- La Cour renvoie également à la
Résolution 1165 (1998) de l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe relative notamment au
droit au respect de la vie privée, exposée dans
l’affaire Prisma Presse c. France (déc.),
no 71612/01, 1er juillet 2003.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
10 DE LA CONVENTION
- La requérante soutient que sa condamnation pour
atteinte à la vie privée est constitutive d’une
violation de son droit à la liberté d’expression,
tel que garanti par l’article 10 de la Convention, ainsi
libellé :
« 1. Toute personne a droit à
la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté
d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer
des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir
ingérence d’autorités publiques et sans
considération de frontière. Le présent article
n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de
radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à
un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés
comportant des devoirs et des responsabilités peut être
soumis à certaines formalités, conditions, restrictions
ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures
nécessaires, dans une société démocratique,
à la sécurité nationale, à l’intégrité
territoriale ou à la sûreté publique, à la
défense de l’ordre et à la prévention du
crime, à la protection de la santé ou de la morale, à
la protection de la réputation ou des droits d’autrui,
pour empêcher la divulgation d’informations
confidentielles ou pour garantir l’autorité et
l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
- Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
- La Cour constate que la requête n’est pas
manifestement mal fondée au sens de l’article 35 §
3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne
se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèse des parties
a) Le Gouvernement
- Le Gouvernement estime qu’il n’y a pas eu
d’ingérence de l’Etat dans le droit à la
liberté d’expression du magazine Ici Paris. Il
souligne que l’action du chanteur ne tendait pas à
restreindre la liberté d’expression du journal, mais à
obtenir réparation d’une atteinte portée à
son bien. Relevant que la requérante a perçu des
revenus en exploitant des droits de la personnalité exploités
par le chanteur lui-même, il en résulte que
l’indemnisation du plaignant doit s’analyser sur le
terrain de relations économiques entre deux personnes privées,
et non sur celui d’une ingérence de la puissance
publique dans une liberté fondamentale.
- Subsidiairement, le Gouvernement considère que
l’ingérence dénoncée est conforme aux
prescriptions du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention.
- Il soutient, en premier lieu, que la prévisibilité
du droit interne ne faisait aucun doute. En sus du fait que le droit
à l’image a été évoqué dès
1858 (affaire Rachel, susmentionnée), le Gouvernement fait
observer que si c’est seulement par un arrêt du 13
janvier 1998 que la Cour de cassation a entièrement rattaché
le « droit à l’image » à
l’article 9 du code civil, ce dernier texte exerçait une
attraction incontestable sur le fondement de ce droit, et cite à
cet égard deux arrêts rendus par la Cour de cassation
(Cass., civ., 1ère, 13 avril 1988, Bull. no
98, et Cass. civ., 1ère, 12 juin 1990, Bull.
no 164) relatifs à la publication de
photographies par le magazine Jours de France de l’ancienne
impératrice d’Iran Farah Diba, et sur l’utilisation
sans autorisation de l’image d’un chanteur sur des
placards publicitaires.
S’agissant des autres éléments de la vie privée
du chanteur relatifs à son patrimoine, son mode de vie et son
caractère dépensier, que la requérante tente
d’extraire de la sphère privée en s’appuyant
sur le statut public de l’intéressé, le
Gouvernement relève qu’en droit français, le fait
qu’une personne ait, à un moment donné, livré
des éléments de sa vie privée, n’autorise
pas nécessairement une redivulgation de ces éléments
sans autorisation de la personne en cause (Cass. civ. 2ème,
6 janvier 1971 et 14 novembre 1975).
- En second lieu, sur la nécessité de
l’ingérence, le Gouvernement considère tout
d’abord que l’article litigieux n’a pas participé
à quelque débat d’intérêt général
que ce soit, et en déduit que la marge d’appréciation
des Etats doit être largement appréciée. Il
souligne que cette différence de traitement de la liberté
d’expression, selon qu’elle participe à un débat
d’intérêt général ou non, est opérée
par la Cour, et est d’ailleurs qualifiée de fondamentale
dans l’arrêt Von Hannover c. Allemagne (no
59320/00, §§ 63 et 64, CEDH 2004-VI). Il précise de
plus que la jurisprudence française a intégré
cette notion puisque si la Cour de cassation avait, dans un premier
temps, posé le principe absolu d’une personne sur son
image, elle admet aujourd’hui que le droit à l’image
soit mis en balance avec le droit du public à l’information
sur un sujet d’intérêt général
(Cass. civ., 2ème, 24 avril 2003, Bull. II, no
114).
Le Gouvernement relève ensuite que le fait qu’une partie
des images publiées avaient un caractère publicitaire
est dépourvu d’incidence dès lors que la
publication ne se situe pas dans un débat d’intérêt
général, seul critère pertinent au regard de
l’article 10 § 2. En outre, l’autorisation donnée
par une personne sur son image pour un objet précis ne peut
conduire à l’utilisation de cette image à
d’autres fins, au risque de permettre des pratiques
commerciales parasites et de conduire à une abdication des
droits de la personnalité. Pour ce qui est de la divulgation
antérieure par l’intéressé des éléments
de sa vie privée, le droit français a précisé
que la légitimité du droit de s’opposer à
la redivulgation de ces éléments est appréciée
par le juge, selon que la présentation qui en est faite est
exposée avec partialité et intention de nuire (Cass.
civ., 2ème, 6 janvier 1971), ou bien encore sans
manquer au respect dû à la vérité dans un
contexte historique.
Enfin, le Gouvernement insiste, sous l’angle de la
proportionnalité de l’ingérence en cause, sur le
caractère particulièrement modique de la somme que la
requérante, une société importante, a été
condamnée à verser, et note que la cour d’appel
de Paris dans l’appréciation du préjudice subi a
pris en compte les relations qu’entretient le chanteur avec les
médias.
b) La requérante
- La requérante conteste la position du
Gouvernement qui vise à exclure du bénéfice de
l’article 10 la presse dite de divertissement, au prétexte
qu’elle ne serait pas philanthropique, et rappelle que toutes
les formes d’expression et de presse sont protégées,
conformément à l’exigence de pluralisme dans une
société démocratique. Elle souligne qu’on
ne saurait dénier à Ici Paris le caractère
même d’organe de presse dans la mesure où la
commission paritaire des publications et agences de presse,
dépendante des services du premier ministre, lui a
régulièrement attribué un certificat
d’inscription sur les registres de la commission aux fins de
pouvoir bénéficier de tarifs postaux préférentiels
et d’allègements fiscaux, au motif que le magazine
avait, selon l’article D. 18 du code des postes, « un
caractère d’intérêt général
quant à la diffusion de la pensée : instruction,
éducation, information, récréation du public ».
Elle considère donc que sa condamnation à raison d’un
article à vocation informative est une ingérence.
- Sur la qualité et la prévisibilité
du droit interne, la requérante soutient que sa condamnation
n’était pas fondée sur un texte de loi ayant la
qualité requise pour justifier valablement une limitation de
sa liberté d’information.
D’une part, elle souligne que le droit à l’image
est né d’une construction prétorienne peu claire,
issue d’un arrêt du 13 janvier 1998 postérieur à
la publication de l’article incriminé, au terme duquel
la Cour de cassation a rattaché ce droit à l’article
9 du code civil, et que les photographies ne relèvent pas de
la vie privée du chanteur mais de sa vie professionnelle. Elle
estime que l’article 9 dudit code ne peut servir, en tout état
de cause, de fondement à la reconnaissance d’un droit
absolu permettant à une personne d’empêcher en
toute circonstance la publication de son image, et fait observer que
le droit à l’image a été crée
contra legem, puisque le législateur, dans la loi de
1970 ayant institué l’article 9 précité,
avait également envisagé la protection de l’image
par l’article 226-1 du code pénal qui protège la
représentation des personnes dans des cas particuliers.
D’autre part, la requérante considère que les
informations relatives à la nature dépensière du
chanteur, qu’il n’hésite pas à afficher
dans son autobiographie, étaient indissociables du statut
public du chanteur, de son succès commercial et de sa
personnalité publique. Partant, elles ne relèvent pas
de la vie privée, et en estimant le contraire, les juges ont
procédé à une interprétation trop
extensive de la règle de droit.
- Sur la proportionnalité de la sanction, la
requérante dénonce d’abord une atteinte excessive
à sa liberté de critique – relative à la
communication commerciale du chanteur et les conditions dans
lesquelles il exploitait son nom et son image – et considère
que la complaisance avérée de l’intéressé
sur sa vie personnelle exclut que la condamnation puisse être
considérée comme nécessaire dans une société
démocratique, le magazine ne faisant que reprendre des
éléments divulgués par Johnny Halliday lui-même
dans son autobiographie. Elle soutient que le Gouvernement, en
prétendant qu’une personne peut refuser toute
redivulgation d’un fait qu’elle a rendu public, méconnaît
la jurisprudence interne récente et souligne, en produisant
plusieurs décisions de justice, que tant les juridictions du
fond (cour d’appel de Toulouse, 3ème, 1ère
section, 10 décembre 2002, Barthez c. Hachette
Filipacchi Associés ; tribunal de grande instance de
Paris, 17ème, 18 janvier 2006, Samson
et Palmade c. Hachette Filipacchi Associés, 5 avril 2006,
Bern c. SA Groupe Express-Expansion ; tribunal de grande
instance de Nanterre, 1ère, 1er
septembre 2004, De Fougerolles c. Hachette filipacchi Associés)
que la Cour de cassation (Cass. civ, 1ère, 3 avril
2002, Bull. I no 110, Grimaldi c. Le point)
admettent la reprise de propos tenus par une personne publiquement,
dès lors notamment que les faits relevant de la vie privée
ont un caractère public, notoire ou anodin.
La requérante est d’avis ensuite que la prohibition
générale et absolue en droit interne de la reproduction
de l’image d’une personne, ne ménageant aucune
mise en balance des intérêts, n’est pas conforme
au principe de proportionnalité.
Rejetant la conception de la liberté d’expression
défendue par le Gouvernement, elle souligne que l’article
en cause ne procède d’aucune curiosité malsaine
visant à transgresser une sphère intime destinée
à rester secrète, mais délivre une information
sur les pratiques commerciales et de communication d’une
vedette de la chanson, qui contribue à un débat
d’intérêt général relatif à
la vie culturelle et à l’actualité de la musique
en particulier. On ne saurait donc exclure de la notion d’intérêt
général un pan entier de l’information relevant
notamment du domaine des loisirs et méritant autant protection
que les sujets d’information plus graves, sous peine d’élaborer
arbitrairement des catégories de presse fondées sur une
appréciation purement qualitative.
Enfin, la requérante dénonce le caractère
exorbitant et dissuasif de la sanction prononcée au regard du
contexte de l’affaire.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur l’existence d’une
ingérence
- La Cour ne peut suivre l’argument du
Gouvernement selon lequel le présent litige se situerait sur
un plan strictement privé, qui s’inscrirait dans le
cadre de relations économiques entretenues entre deux
personnes privées, échappant ainsi à tout
contrôle direct ou indirect de l’Etat.
- Elle relève en effet que les juridictions
françaises, saisies initialement par le chanteur Johnny
Hallyday, ont condamné la requérante, éditrice
du journal en cause, au paiement de 20 000 EUR de
dommages-intérêts pour atteinte portée à
l’image et au respect dû à la vie privée de
l’intéressé. Ce constat suffit à la Cour
pour considérer qu’il est manifeste que la requérante
a subi une « ingérence d’autorités
publiques » dans l’exercice de son droit garanti par
l’article 10 § 1 de la Convention (Radio France et
autres c. France, no 53984/00, § 28, CEDH
2004 II, et Markt intern Verlag GmbH et Klaus Beermann
c. Allemagne, 20 novembre 1989, § 27, série
A no 165).
b) Sur la justification de l’ingérence
- Pareille ingérence enfreint la Convention si
elle ne remplit pas les exigences du paragraphe 2 de l’article
10. Il y a donc lieu de déterminer si elle était
« prévue par la loi », inspirée
par un ou des buts légitimes au regard dudit paragraphe et
« nécessaire, dans une société
démocratique », pour les atteindre.
i. « Prévue par la loi »
- La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, le droit
interne applicable, y inclus la jurisprudence, doit être
formulé avec suffisamment de précision pour permettre
au justiciable, en s’entourant, au besoin, de conseils
éclairés, de prévoir, à un degré
raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences
pouvant résulter d’un acte déterminé
(voir, parmi tant d’autres, Hachette
Filipacchi Associés c. France,
no
71111/01, § 31, CEDH 2007 ...).
- S’agissant de sa condamnation pour atteinte au
droit à l’image, la Cour rappelle qu’elle a déjà
jugé que l’article 9 du code civil, interprété
avec souplesse, a permis de développer le concept du « droit
à l’image », issu de celui plus large du
« droit au respect de la vie privée »,
par le biais d’une construction jurisprudentielle aujourd’hui
bien établie, et de s’adapter aux nombreuses situations
de fait qui peuvent se présenter ainsi qu’à
l’évolution des mœurs, des mentalités et
des techniques en ce domaine depuis l’adoption de la loi du 17
juillet 1970 (voir, sur ce point précisément, Prisma
Presse c. France précitée).
- Certes, la requérante fait valoir que le droit
à l’image n’a été entièrement
rattaché à l’article 9 dudit code que dans un
arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 1998, postérieur
à la publication de l’article litigieux, ce dont
convient d’ailleurs le Gouvernement.
Toutefois, la Cour note que la substance du droit à l’image,
apparue dès 1858 dans l’affaire « Rachel »
sur le fondement de la responsabilité civile, existait bien
avant l’introduction de la loi du 17 juillet 1970 et,
que la haute juridiction française avait déjà
jugé, que toute personne, au visa de l’article 9 du code
précité (voir, supra, les deux arrêts de
la Cour de cassation rendus le 13 avril 1988 et le 12 juin 1990 cités
par le Gouvernement au paragraphe 25), pouvait s’opposer à
la diffusion sans son autorisation de son image. Il existait donc des
précédents jurisprudentiels pertinents que la
requérante, professionnelle avisée de l’édition
de la presse, ne pouvait ignorer.
- Quant à la condamnation de l’intéressée
pour avoir diffusé des renseignements tenant au patrimoine du
chanteur et à son mode de vie dépensier, la Cour
constate, au vu des informations dont elle dispose, que ces éléments
font partie, en droit français, de la vie privée de
toute personne et sont protégés comme tels (voir,
supra, paragraphe 18).
- En conséquence, la Cour estime que la
condamnation pour atteinte à la vie privée du chanteur
Johnny Hallyday était « prévue par la loi »,
au sens du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention.
ii. « But légitime »
- Aux yeux de la Cour, l’ingérence visait
un but légitime – à savoir la protection « des
droits d’autrui », en l’occurrence le droit au
respect de la vie privée du plaignant – ce qui n’est
d’ailleurs pas contesté.
iii. « Nécessaire dans une société
démocratique »
- Il reste donc à examiner si l’ingérence
était « nécessaire dans une société
démocratique », c’est-à-dire
proportionnée au but légitime poursuivi. A cet égard,
la Cour se réfère aux principes généraux
qui se dégagent de sa jurisprudence en la matière
(voir, parmi de nombreux précédents, Goodwin c.
Royaume-Uni, 27 mars 1996, § 40, Recueil 1996-II).
- Elle rappelle que si l’article 10 § 2 de la
Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à
la liberté d’expression dans le domaine, en particulier,
du discours politique (Brasilier c. France,
no 71343/01, §§
39-41, 11 avril 2006) et, de façon plus large, dans des
domaines portant sur des questions d’intérêt
public ou général, il en est différemment des
publications de la presse dite « à sensation »
ou « de la presse du cœur », laquelle a
habituellement pour objet de satisfaire la curiosité d’un
certain public sur les détails de la vie strictement privée
d’une personne (voir en particulier Von Hannover,
précité, § 65, et Société
Prisma Presse c. France (déc.), nos 66910/01
et 71612/01, 1er juillet 2003). Quelle que soit la
notoriété de la personne visée, lesdites
publications ne peuvent généralement passer pour
contribuer à un débat d’intérêt
public pour la société dans son ensemble, avec pour
conséquence que la liberté d’expression appelle
dans ces conditions une interprétation moins large (voir
Société Prisma Presse, précitée ;
voir également, Leempoel & S.A. ED. Ciné Revue
c. Belgique, no 64772/01, § 77,
9 novembre 2006).
- Dans le cas d’espèce, la Cour est amenée
à trancher le conflit de droits fondamentaux existant en
l’espèce entre, d’une part, le droit de la
requérante à la liberté d’expression (qui
englobe celui du public à être informé) et,
d’autre part, le droit au respect de la vie privée du
chanteur. Il s’agit là de droits fondamentaux qui
méritent a priori un égal respect, ce qui amène
la Cour à examiner l’ensemble de la situation et à
vérifier si les autorités internes ont ménagé
un juste équilibre entre ces deux droits et libertés
protégés par la Convention (voir en particulier Von
Hannover, précité, § 57, et N.N. et T.A.
c. Belgique, no 65097/01, § 43, 13 mai
2008).
- La Cour ne méconnait pas la qualité
d’organe de presse libre de la requérante – ce qui
n’est d’ailleurs pas contesté par le Gouvernement
– ni l’intérêt, que peut avoir, pour une
partie du lectorat, le type de publication en cause.
- Elle considère néanmoins que, bien que
la requérante tente de rattacher le sujet traité à
une question d’intérêt général –
la vie culturelle française – l’article litigieux
et les photos l’accompagnant, qui se concentrent sur les
difficultés financières supposées du chanteur et
sur la façon dont il exploitait son nom et son image, ne
peuvent être considérés comme ayant participé
ou contribué à un « débat d’intérêt
général » pour la collectivité, au
sens donné par la jurisprudence de la Cour. Dans ces
conditions, la marge d’appréciation de l’Etat
défendeur est plus large.
- Tout d’abord, la Cour relève que les
juridictions nationales – la Cour de cassation, dans son arrêt
du 30 mai 2000, et la cour d’appel de Versailles statuant en
tant que juridiction de renvoi, le 9 octobre 2002 – ont
considéré que la requérante avait porté
atteinte au droit à l’image du plaignant au motif que la
publication, sans son accord, des photographies publicitaires le
représentant, ne respectait pas la finalité pour
laquelle il avait donné son autorisation à la
reproduction de son image.
- Elle rappelle à cet égard qu’en
principe, la protection du droit à l’image contre les
abus de la part de tiers fait partie intégrante des droits
protégés par l’article 8 de la Convention
(voir Von Hannover, précité, § 57, K. c.
Lettonie, (déc.), no 71225/01, 21 octobre 2004
et, plus récemment, Gourguenidze c. Géorgie, no
71678/01, § 55 et s., 17 octobre 2006), et que si la
liberté d’expression s’étend également
à la publication de photographies, il s’agit là
d’un domaine où la protection de la réputation et
de la vie privée d’autrui revêt une importance
particulière (Von Hannover, précité, §
59).
- La Cour conçoit dès lors que, de manière
générale, le détournement ou l’utilisation
abusive d’une photographie, pour laquelle une personne avait
autorisé sa reproduction dans un but précis, puisse
être considéré comme un motif pertinent pour
restreindre le droit à la liberté d’expression.
Ce constat ne suffit toutefois pas à justifier à lui
seul la condamnation de la requérante.
- Aux yeux de la Cour, il convient d’attacher une
importance particulière à la nature des clichés
publiés, qui étaient de caractère exclusivement
publicitaire. Elle relève que la présente requête
se distingue des affaires qu’elle a précédemment
examinées dans lesquelles les photographies litigieuses
procédaient de manœuvres frauduleuses ou clandestines
(voir, en ce qui concerne des photographies prises au téléobjectif
à l’insu des victimes, Von Hannover, précité,
§ 68, et Société Prisma Presse, précitée),
ou bien révélaient des détails de la vie privée
des personnes en s’immisçant dans leur intimité
(voir, s’agissant de la publication de photos sur une prétendue
relation adultère, Campmany et Lopez
Galiacho Perona c. Espagne (déc.),
no 54224/00,
CEDH 2000 XII).
- La Cour considère surtout que ces clichés
n’étaient ni dénaturés, ni détournés
de leur finalité commerciale, puisqu’ils illustraient,
de manière certes critique, l’information du journal
selon lequel le chanteur, pour satisfaire ses besoins financiers,
vendait son image au profit de produits de consommation divers et
variés – produits dont les lieux de vente étaient
au demeurant indiqués par le magazine lui-même, comme
l’a relevé la cour d’appel de Paris dans son arrêt
du 6 mars 1998 (paragraphe 10 ci-dessus).
- La Cour relève ensuite que la requérante
a été condamnée pour avoir porté atteinte
au respect dû à la vie privée du chanteur, motif
pris de ce que les informations publiées portaient sur son
mode de vie dépensier et sur sa personnalité, sans que
leur révélation antérieure par l’intéressé
soit de nature à en justifier la publication.
- Si les informations portant sur la personnalité
d’un individu peuvent constituer, au regard du droit au respect
de la vie privée, un motif pertinent pour les juridictions
permettant de restreindre le droit à la liberté
d’expression (voir, en ce sens, Leempoel & S.A. ED. Ciné
Revue c. Belgique, précité, § 77), un tel
motif, n’apparait pas en l’espèce suffisant, pour
justifier la condamnation de la requérante.
- La Cour note d’abord que les éléments
d’information concernant la manière dont l’intéressé
gérait et dépensait généreusement son
argent, ne relevaient pas du cercle intime de la vie privée
protégée par l’article 8 de la Convention.
- La Cour constate ensuite que la révélation
antérieure par l’intéressé lui-même
des informations litigieuses est un élément essentiel
de l’analyse de l’immixtion reprochée à la
société de presse dans certains aspects de la vie
privée du chanteur. En effet, les informations, une fois
portées à la connaissance du public par l’intéressé
lui-même, cessent d’être secrètes et
deviennent librement disponibles.
Selon la Cour, les révélations du chanteur, une fois
rendues publiques, affaiblissent le degré de protection à
laquelle ce dernier pouvait prétendre au titre de sa vie
privée, s’agissant désormais de faits notoires et
d’actualité.
Or, la divulgation de ces informations n’a été
prise en compte par la cour d’appel de Versailles que lors de
l’évaluation de la réparation allouée, et
n’a eu aucune incidence sur l’appréciation même
de la faute reprochée à la requérante.
- De l’avis de la Cour, c’est pourtant là
un critère déterminant dans l’appréciation
de l’équilibre à ménager entre le droit de
la requérante à la liberté d’expression et
celui du chanteur au respect de sa vie privée. Dans la mesure
où la requérante a repris, sans les déformer,
une partie des informations librement divulguées et rendues
publiques par le chanteur, notamment dans son autobiographie, sur ses
biens et sur la façon dont il employait son argent, la Cour
est d’avis que celui-ci ne conservait plus une « espérance
légitime » de voir sa vie privée
effectivement protégée (Von Hannover, précité,
§ 51 ; voir également, mutatis mutandis,
Halford c. Royaume-Uni, arrêt du 25 juin 1997,
Recueil 1997-III, § 45 ).
- Bien que la tonalité générale de
l’article incriminé puisse paraître négative
à l’égard du chanteur, la Cour constate également
que l’article litigieux ne renfermait aucune expression
offensante ou volonté de nuire envers Johnny Hallyday (voir, a
contrario, Shabanov et Tren c. Russie, no 5433/02,
§ 41, 14 décembre 2006, et Tammer,
précité, §§ 65-67). Il en résulte
que la requérante, ayant eu recours à la dose
« d’exagération » et de
« provocation » qui est permise dans le cadre
de l’exercice de la liberté journalistique dans une
société démocratique (Prager et Oberschlick
c. Autriche, 26 avril 1995, § 38), n’a pas
dépassé les limites qui y sont attachées.
- En conclusion, même si les motifs invoqués
par les juridictions internes peuvent apparaître pertinents,
ils ne suffisent pas à démontrer que l’ingérence
dénoncée dans le droit de la requérante était
« nécessaire dans une société
démocratique ». La Cour n’estime pas
indispensable, dans ces conditions, d’examiner la nature et le
quantum de la condamnation infligée pour mesurer la
proportionnalité de l’ingérence. Compte tenu de
tous ces éléments, et en dépit de la marge
d’appréciation élevée laissée à
l’Etat en la matière, la Cour estime que le juste
équilibre entre les intérêts concurrents en jeu
n’a pas été ménagé en l’espèce.
- Partant, il y a eu violation de l’article 10 de
la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA
CONVENTION
- Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a
eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit
interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer
qu’imparfaitement les conséquences de cette violation,
la Cour accorde à la partie lésée, s’il y
a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
- La requérante réclame 26 000 euros (EUR)
au titre du préjudice matériel qu’elle aurait
subi, correspondant à la somme des dommages-intérêts
alloués et des indemnités dues au titre des frais
irrépétibles.
- Le Gouvernement estime que la somme de 26 000
EUR, qui correspond au montant de la condamnation de la requérante
par les juridictions françaises, vise uniquement à
réparer les préjudices subis par M. Smet et ne
saurait se confondre avec l’indemnisation qui peut être
allouée au titre de la satisfaction équitable. Il
considère qu’eu égard aux profits ayant été
dégagés par la vente de l’article litigieux, le
seul constat de la violation constituerait une satisfaction équitable
adaptée.
- La Cour considère qu’il
existe un lien de causalité entre le paiement des
dommages-intérêts et des frais irrépétibles
et la violation de l’article
10 qu’elle
vient de relever, de sorte que la requérante doit recouvrer
cette somme. Il y a lieu donc d’octroyer
le montant demandé à ce titre.
B. Frais et dépens
- La requérante demande également
26 475,13 EUR pour les frais et dépens engagés
devant les juridictions internes et 7 534,80 EUR pour ceux
engagés devant la Cour, soit un total de 34 009,93 EUR.
Elle fournit un « tableau récapitulatif de tous les
frais établis dans l’affaire », assortie de
quinze pièces justificatives (notes et factures d’honoraires,
provision sur frais et honoraires, honoraires de consultation, copies
de chèques et avis de virement bancaire).
- Le Gouvernement considère que la requérante
n’a invoqué l’article 10 de la Convention que
devant la cour d’appel de renvoi et lors de son deuxième
pourvoi devant la Cour de cassation. Il en déduit qu’il
y a lieu de prendre uniquement en compte les frais engagés à
l’occasion des procédures engagées devant ces
deux dernières juridictions. En outre, il fait valoir que tant
la somme de 10 500 EUR pour assurer la défense de la
requérante à l’occasion du second pourvoi que
celle de 7 534,80 EUR pour la procédure devant la Cour
lui apparaissent excessives d’autant plus que les factures
produites sont imprécises en ce que ne sont pas mentionnées
les procédures auxquelles elles se rapportent. Il propose dès
lors de lui fournir une somme totale de 4 000 euros.
- Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant
ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que
dans la mesure où se trouvent établis leur réalité,
leur nécessité et le caractère raisonnable de
leur taux. En outre, lorsque la Cour constate une violation de la
Convention, elle n’accorde au requérant le paiement des
frais et dépens qu’il a exposés devant les
juridictions nationales que dans la mesure où ils ont été
engagés pour prévenir ou faire corriger par celles-ci
ladite violation.
- La Cour estime que tel a bien été le cas
en l’espèce, la requérante ayant dû se
défendre devant les juridictions internes. Elle constate
qu’elle produit les factures et notes d’honoraires
pertinents, ainsi qu’un tableau récapitulatif complet
des sommes engagées. Compte tenu des documents en sa
possession et des critères susmentionnés, la Cour
estime raisonnable la somme de 10 000 EUR, tous frais confondus, et
l’accorde à la requérante.
C. Intérêts moratoires
- La Cour juge approprié de calquer le taux des
intérêts moratoires sur le taux d’intérêt
de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
- Déclare la requête recevable ;
- Dit qu’il y a eu violation de l’article
10 de la Convention ;
- Dit
a) que l’Etat défendeur
doit verser à la requérante, dans les trois mois à
compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif
conformément à l’article 44 § 2
de la Convention, 26 000 EUR (vingt-six mille euros) pour
dommage matériel et 10 000 EUR (dix mille euros) pour
frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû
par la requérante à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de
l’expiration dudit délai et jusqu’au versement,
ces montants seront à majorer d’un intérêt
simple à un taux égal à celui de la facilité
de prêt marginal de la Banque centrale européenne
applicable pendant cette période, augmenté de trois
points de pourcentage ;
- Rejette, à l’unanimité, la
demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit
le 23 juillet 2009, en application de l’article 77 §§
2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président