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    European Court of Human Rights


    You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> Houtman v Belgium - 22945/07 (French Text) [2009] ECHR 2281 (17 March 2009)
    URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2009/2281.html
    Cite as: 54 EHRR 22, (2012) 54 EHRR 22, [2009] ECHR 2281

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    DEUXIÈME SECTION





    AFFAIRE HOUTMAN ET MEEUS c. BELGIQUE


    (Requête no 22945/07)









    ARRÊT




    STRASBOURG


    17 mars 2009



    DÉFINITIF


    17/06/2009


    Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

    En l’affaire Houtman et Meeus c. Belgique,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

    Ireneu Cabral Barreto, président,
    Françoise Tulkens,
    Vladimiro Zagrebelsky,
    Danutė Jočienė,
    Dragoljub Popović,
    András Sajó,
    Nona Tsotsoria, juges,
    et de Sally Dollé, greffière de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 février 2009,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

  1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 22945/07) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont deux ressortissants de cet Etat, Mme Godelieve Houtman et M. Thomas Meeus (« les requérants »), ont saisi la Cour le 26 mai 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
  2. Les requérants sont représentés par Mes H. Vandenberghe et B. Vandenberghe, avocats à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Daniel Flore, Directeur général au Service public fédéral de la Justice.
  3. Les requérants alléguaient une violation de l’article 5 § 5 de la Convention.
  4. Le 30 avril 2008, le vice-président de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la Chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

  6. Les requérants sont mariés et résident à Heverlee.
  7. Le 12 mai 1993, les requérants se rendirent aux urgences de l’hôpital universitaire Gasthuisberg à Louvain où le docteur Cl. administra à la requérante, qui se trouvait dans un état de surexcitation grave car elle soupçonnait son mari d’adultère, des antipsychotiques et des calmants. Après avoir reçu ce traitement, la requérante tenta de fuir mais fut rattrapée par le docteur Cl. et deux infirmiers qui l’avaient poursuivie en ambulance.
  8. Le 13 mai 1993, la requérante fut transférée à l’hôpital psychiatrique universitaire St. Jozef à Kortenberg où elle fut placée dans un service « fermé ». Le chef du service psychiatrique présuma que la requérante se soumettait librement à ce traitement. Toutefois, au moment de l’enregistrement, la requérante indiqua qu’elle s’opposait à son internement. Elle prit contact le jour même avec son médecin traitant, le Docteur Co., et lui demanda de la faire sortir de l’hôpital.
  9. Le 15 mai 1993, des amis et des voisins de la requérante, ainsi que la sœur de celle-ci, contactèrent la gendarmerie en prétendant que la requérante avait été placée par son mari contre son gré pour pouvoir continuer sa relation avec une autre femme.
  10. Le 17 mai 1993, la requérante fut transférée vers la section « ouverte ». Les gendarmes se présentèrent à l’hôpital et informèrent la requérante qu’elle pouvait partir. Face au refus du Docteur P., le procureur du Roi arriva sur place et ordonna à la requérante d’attendre l’arrivée du professeur V.D.V., le médecin légiste. La requérante quitta l’hôpital vers 17h30.
  11. Le 18 mai 1993, la requérante se présenta volontairement chez le professeur V.D.V. pour un examen. Celui-ci considéra que la requérante ne souffrait pas d’une maladie mentale grave mettant en péril sa santé et sa sécurité ou étant une menace pour la vie ou l’intégrité d’autrui, de sorte qu’une mesure de protection n’était pas nécessaire, conformément à la loi du 26 juin 1990 relative à la protection de la personne des malades mentaux.
  12. Le 19 mai 1993, la requérante déposa plainte à l’encontre de son mari. Elle y précisait qu’elle s’était rendue volontairement à l’hôpital du Gasthuisberg, dès lors qu’elle était disposée à suivre une thérapie relationnelle pour sauver son mariage, qu’elle avait pris place dans un taxi pour rentrer à la maison, qu’elle était sortie de ce taxi à la demande de son mari, mais qu’on l’avait forcée à prendre place dans une ambulance et l’avait conduite à Kortenberg où elle avait été internée contre son gré.
  13. Le procès-verbal d’audition du requérant, du 9 juin 1993, mentionna ce qui suit :
  14. « Ce mercredi soir, nous nous sommes rendus chez le Docteur Co. Mon épouse était tout à fait d’accord avec cela. Aussi bien le Docteur Co. que moi-même savions cependant qu’elle ne marquerait jamais son accord sur un internement. (...) Le Docteur Co. m’avait déjà fait savoir téléphoniquement ce midi-là qu’il convenait de la faire interner.

    Je ne sais plus de qui provenait l’idée de motiver [la requérante] pour une visite au département des « Urgences » en parlant de « thérapie relationnelle ». Il est possible que ce fût mon idée. Le Docteur Co. et moi-même ne voyions vraiment aucune autre possibilité de faire en sorte que [la requérante] se présente à l’hôpital. Sur ce point, il y avait donc une certaine entente entre nous.

    (...)

    Aux « Urgences », nous avons tous les deux séparément eu un entretien avec le Docteur Cl. Celui-ci m’informa que mon épouse devait être internée et il me demanda quelle institution je préférais. Je lui ai demandé s’il n’y avait pas d’autre alternative, afin d’éviter un internement à l’hôpital. Il m’a parlé d’une procédure devant le juge de paix, mais il m’a indiqué que cela pourrait être pénible pour elle et qu’il n’était pas non plus indiqué de la laisser « libre » pendant le délai légal de 10 jours. Il m’a demandé si j’étais d’accord avec son internement et je lui ai demandé de d’abord contacter sa sœur C. Enfin, je me suis fait emporter par son avis : il estimait qu’un internement était indiqué, voire nécessaire. Je ne m’y suis donc pas opposé.

    (...)

    Le même soir, on m’a informé que mon épouse serait transférée le lendemain à l’hôpital de Kortenberg. J’avais indiqué cet hôpital comme mon institution de préférence. On m’avait donné le choix entre Kortenberg et Lovenjoel.

    Jeudi 13 mai, le Docteur L. m’a parlé d’un internement de deux ou trois semaines. Je ne pouvais qu’y acquiescer. J’avais confiance en les médecins.

    On m’a informé qu’elle serait enfermée dans un département fermé. J’ai demandé si c’était vraiment nécessaire. Je ne me suis pas posé trop de questions ; je ne suis pas au courant de la procédure qui est prévue en cas d’internement forcé. J’étais plutôt soulagé que mon épouse était enfin entre les mains de la médecine, après ces jours difficiles. Je trouvais aussi qu’elle avait besoin de l’aide professionnelle. Je répète que je n’ai pas demandé l’internement. L’initiative à cet effet ne venait pas de moi. »

  15. Les requérants déposèrent plainte contre X pour privation de liberté illicite mais, par une ordonnance du 10 décembre 1993, la chambre du conseil de Louvain la classa sans suite.
  16. Dans son rapport du 21 juin 1993, le Docteur V., le neuropsychiatre et psychothérapeute requis par le juge d’instruction, affirma ce qui suit :
  17. « Au moment des faits, Mme Houtman se trouvait dans un état de maladie mentale grave qui la rendait incapable de contrôler ses actes.

    Les internements au département psychiatrique de Gasthuisberg à Leuven et, ensuite, à Kortenberg, ont été faits sur une base forcée.

    Il existait une nécessité médicale réelle pour ce faire, aussi bien pour la protection de [la requérante] elle-même que pour celle des tiers, en l’espèce ses enfants.

    Probablement, la procédure habituelle de la loi du 26 juin 1990 relative à la protection de la personne des malades mentaux n’a pas été suivie, parce que les médecins traitants présumaient que, moyennant un traitement immédiat des médicaments et un environnement structurant, la pathologie sévère diminuerait fortement vers des circonstances qui rendraient un traitement sur une base volontaire plus facile. Il y avait donc des raisons médicales graves pour prendre des mesures visant à protéger Mme Houtman, ainsi que ses enfants, et de traiter Mme Houtman. Aucune faute n’a été commise ; d’une personne ou d’un médecin normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances, on pourrait s’attendre à la même réaction. »

  18. Le 1er juillet 1993, les requérants introduisirent devant le tribunal de première instance de Louvain une action en responsabilité contre les médecins impliqués et les institutions psychiatriques concernées. Ils demandaient l’indemnisation du préjudice subi du fait de l’internement forcé.
  19. Le 30 janvier 1998, le tribunal de première instance de Louvain jugea que la demande des requérants ne pouvait être fondée sur le non-respect de la loi du 26 juin 1990 relative à la protection de la personne des malades mentaux, ni sur une autre disposition légale quelconque, vu l’ordonnance de la chambre du conseil du 10 décembre 1993. Estimant qu’une relation contractuelle était née entre les requérants et les défendeurs, le tribunal indiqua que les requérants devaient dès lors fonder leur action sur une faute purement civile, au sens des articles 1382-1383 et/ou sur une faute contractuelle commise par un des défendeurs ayant provoqué le dommage. Concernant le consentement nécessaire pour entrer dans la relation contractuelle, le tribunal considéra que les défendeurs étaient obligés de se tourner vers l’époux de la requérante. Celui-ci ne s’était pas opposé à l’internement et avait ainsi acquiescé à la mesure prise.
  20. En outre, le tribunal considéra que le diagnostic de tous les médecins impliqués n’était pas erroné et qu’il n’y avait donc pas eu privation de liberté illicite. Il estima que l’hôpital n’avait pas commis de faute en acceptant l’internement comme un fait accompli dès lors que personne n’était au courant de la résistance de la requérante la veille et que celle-ci n’avait pas répété qu’elle n’était pas d’accord avec l’internement.
  21. Quant au lien de causalité et au dommage, le tribunal estima que certaines fautes légères de communication, commises dans une situation de crise, ne pouvaient pas être la cause du dommage allégué par les requérants. Il y avait bien eu une courte situation de psychose nécessitant un internement, lequel était ressenti par la requérante comme une privation de liberté. Même dans l’hypothèse où l’internement aurait été fautif, force est de constater que la période de repos à Kortenberg avait été nécessaire, à tout le moins qu’elle avait aidé à remédier à l’état de « surexcitation » puisqu’à partir du 17 mai 1993, la requérante agissait de nouveau normalement.
  22. Le 14 novembre 2005, la cour d’appel de Bruxelles jugea que c’était à tort que les premiers juges avaient considéré que les requérants devaient fonder leur action sur une faute purement civile au sens des articles 1382-1383 du code civil. Elle constata que si la requérante soupçonnait son mari d’avoir des relations extra-conjugales et de vouloir la faire interner, elle présentait d’autres symptômes très anormaux : elle avait des craintes quant à des microphones dans la maison, au fait que son téléphone était écouté, à la présence de la compagne de son mari qui aurait tenté de l’étourdir en soufflant des gaz toxiques par la ligne téléphonique ; elle aurait également mentionné la possibilité de suicide.
  23. La cour d’appel estima que la loi du 26 juin 1990 avait été violée car la procédure prévue par celle-ci n’avait pas été suivie et que la privation de liberté était par conséquent contraire à l’article 5 de la Convention. Même si les médecins considéraient que l’internement serait de courte durée, la procédure légale aurait dû être suivie scrupuleusement. Elle considéra que le non-respect de la loi par les médecins de l’établissement psychiatrique constituait une faute au sens de l’article 1382 du code civil, mais refusa d’accorder une indemnité aux requérants au motif qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre la faute et le dommage subi. Elle souligna qu’il fallait déduire que la requérante avait été soumise à une mesure de protection avec privation de liberté.
  24. Plus précisément, la cour d’appel indiqua que l’internement pour observation était opportun et justifié par l’état de la malade et que le médecin compétent avait confirmé qu’il y avait à cet égard « des raisons médicales très sérieuses », ce qui signifiait que, si le procureur du Roi avait été mis au courant de la situation, il aurait raisonnablement ordonné l’internement immédiat de la requérante, ce qui aurait lancé la procédure devant le juge de paix. Selon la cour d’appel, les requérants n’avaient pas réussi à démontrer que le dommage allégué avait été provoqué de quelque façon que ce soit par la négation de la procédure légale entre les 12 et 17 mai 1993. Il n’était pas non plus été démontré que le non-accomplissement des formalités avait empêché le traitement de la requérante de manière sereine. L’internement de la requérante n’était pas le résultat d’une faute mais d’un « état de santé » ; les conséquences négatives de cet internement et l’incapacité de travailler, qui avait suivi sa maladie psychique, ne constituaient pas un dommage qui devrait être indemnisé et n’étaient pas à attribuer à la faute constatée des médecins de l’institution psychiatrique.
  25. Enfin, la cour d’appel conclut que le requérant et les enfants ne prouvaient pas davantage qu’ils auraient subi un dommage qui serait en relation causale avec la seule faute retenue concernant le non-respect de la procédure légale. Ils avaient subi un dommage suite aux troubles graves de leur femme ou mère, mais ce dommage ne résulte pas d’une violation illicite de leurs droits.
  26. Le 1er décembre 2006, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des requérants, qui soutenaient avoir droit, compte tenu de l’illégalité de la mesure d’internement de la requérante, à une indemnisation pour leur dommage moral. La Cour de cassation jugea que, pour autant que les requérants prétendaient qu’une détention illégale cause toujours un dommage moral à la victime et à sa famille, le moyen manquait en droit. Elle affirma que, sur la base de leurs constatations, les juges d’appel avaient légalement pu décider que le dommage n’avait pas de lien de causalité avec la faute constatée par ceux-ci.
  27. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

  28. Les dispositions pertinentes de la loi relative à la protection de la personne des malades mentaux du 26 juin 1990, se lisent ainsi :
  29. Article 1

    « 1. Sauf les mesures de protection prévues par la présente loi, le diagnostic et le traitement des troubles psychiatriques ne peuvent donner lieu à aucune restriction de la liberté individuelle (...).

    2. Les mesures protectionnelles visées dans la présente loi sont ordonnées par le juge de paix (...). »

    Article 2

    « Les mesures de protection ne peuvent être prises, à défaut de tout autre traitement approprié, à l’égard d’un malade mental, que si son état le requiert, soit qu’il mette gravement en péril sa santé et sa sécurité, soit qu’il constitue une menace grave pour la vie ou l’intégrité d’autrui (...) »

    Article 9

    « 1. En cas d’urgence, le procureur du Roi du lieu où le malade se trouve, peut décider que celui-ci sera mis en observation dans le service psychiatrique qu’il désigne.

    2. Le procureur du Roi se saisit soit d’office, à la suite de l’avis écrit d’un médecin désigné par lui, soit à la demande écrite d’une personne intéressée, demande qui sera accompagnée du rapport visé à l’article 5.

    (...)

    5. Dans les vingt-quatre heures de sa décision, le procureur du Roi en avise le juge de paix de la résidence ou, à défaut, du domicile du malade ou, à défaut encore, le juge de paix du lieu où le malade se trouve et lui adresse la requête écrite visée à l’article 5 ».

  30. L’article 5 § 2 de la loi prévoit, sous peine d’irrecevabilité, qu’à toute requête en vue d’une mise en observation, il sera joint un rapport médical circonstancié, décrivant, à la suite d’un examen datant de quinze jours au plus, l’état de santé de la personne dont la mise en observation est demandée ainsi que les symptômes de la maladie, et constatant que les conditions justifiant l’internement sont réunies.
  31. EN DROIT

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 5 DE LA CONVENTION

  32. Les requérants se plaignent de ne pas avoir eu de réparation au plan interne du préjudice subi par la privation de liberté de la requérante, dont l’illégalité aurait pourtant été reconnue par la cour d’appel de Bruxelles. Ils invoquent l’article 5 § 5 de la Convention, ainsi libellé :
  33. « Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

    A.  Sur la recevabilité

    1.  Qualité de victime du requérant

  34. En premier lieu, le Gouvernement soutient que l’époux de la requérante ne paraît pas avoir la qualité de victime, ne fût-ce qu’indirecte, car il l’a conduite à l’hôpital, il a marqué son accord sur l’internement et il ne s’est pas opposé au transfert de celle-ci à Kortenberg. Il est donc à tout le moins partiellement responsable de la situation et ne peut à ce titre se prétendre victime de la violation alléguée.
  35. Les requérants rétorquent que le second d’entre eux a subi un tort moral à cause de la privation de liberté illicite de son épouse et qu’il n’a signé aucun document autorisant l’internement pour observation de celle-ci.
  36. La Cour rappelle que, pour se prévaloir de l’article 34 de la Convention, un requérant doit remplir deux conditions : il doit entrer dans l’une des catégories de demandeurs mentionnés dans cette disposition de la Convention, et doit pouvoir se prétendre victime d’une violation de la Convention. Quant à la notion de « victime », selon la jurisprudence constante de la Cour, elle doit être interprétée de façon autonome et indépendante de notions internes telles que celles concernant l’intérêt ou la qualité pour agir. Par ailleurs, pour qu’un requérant puisse se prétendre victime d’une violation de la Convention, il doit exister un lien suffisamment direct entre le requérant et le préjudice qu’il estime avoir subi du fait de la violation alléguée (Gorraiz Lizzarraga et autres c. Espagne, no 62543/00, § 35, CEDH 2004-III).
  37. La Cour note qu’en l’espèce, si le requérant ne s’est pas opposé à l’internement de son épouse, il n’a fait que subir les événements. Il ressort clairement du procès-verbal de son audition du 9 juin 1993 que celui-ci n’a fait que suivre les recommandations des médecins, qui avaient préconisé l’internement de la requérante, et que l’initiative ne venait pas de lui. Ainsi, lorsqu’il a demandé au Docteur Cl. s’il n’y avait pas d’autre alternative à l’internement, ce dernier lui aurait répondu que la procédure devant le juge de paix pourrait être pénible pour elle et qu’il n’était pas non plus indiqué de la laisser libre pendant le délai légal de dix jours. Lorsque le Docteur L. lui avait parlé d’un internement de deux ou trois semaines, il a déclaré qu’il ne pouvait qu’acquiescer car il avait confiance en les médecins. Lorsqu’on l’a informé qu’elle serait placée dans un département fermé, il aurait demandé si cela était vraiment nécessaire. La Cour relève en outre que les deux requérants ont par la suite conjointement porté plainte contre X pour privation de liberté illicite et introduit une demande d’indemnisation devant le tribunal de première instance de Louvain.
  38. Dans ces conditions, la Cour considère que le requérant peut être considéré comme « victime » au sens de l’article 34 de la Convention.
  39. 2.  Non-épuisement des voies de recours internes

  40. En deuxième lieu, le Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes, faute d’avoir introduit une procédure de nature à mettre en cause la responsabilité de l’Etat, que ce soit en sa qualité de pouvoir législatif, administratif ou judiciaire, dans le cadre du recours institué par la loi du 26 juin 1990 ou d’une action extra-contractuelle sur le fondement de l’article 1382 du code civil.
  41. Les requérants rétorquent que toute action contre l’Etat belge serait vouée à l’échec.
  42. La Cour rappelle que l’obligation d’épuiser les voies de recours internes se limite à celle de faire un usage normal de recours vraisemblablement efficaces, suffisants et accessibles (Buscarini et autres c. Saint Marin [GC] no 24645/94, CEDH 1999-1, et Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII). En outre, le recours doit être capable de porter directement remède à la situation litigieuse (Qufaj Co. Sh.p.k. c. Albanie (déc.), no 54268/00, CEDH 2003 XI).
  43. La Cour relève que les requérants ont introduit une action en responsabilité contre les médecins des institutions psychiatriques et des médecins de celles-ci impliqués dans l’internement forcé de la requérante. Les tribunaux saisis ont estimé que les requérants n’avaient pas droit à dédommagement. De plus, si le tribunal de première instance a jugé que les requérants auraient dû fonder leur action sur une faute purement civile, au sens des articles 1382-1383 du code civil, la cour d’appel a critiqué dans son arrêt ces motifs.
  44. Etant donné que les requérants ont utilisé un remède dont ils disposaient et qu’ils n’ont pas obtenu gain de cause, on ne saurait leur reprocher de ne pas avoir utilisé des voies de droit qui eussent visé pour l’essentiel le même but et, au demeurant, n’auraient pas offert de meilleures chances de succès (voir notamment, mutatis mutandis, A. c. France, 23 novembre 1993, série A no 277-B, § 32 ; De Moor c. Belgique, 23 juin 1994, série A no 292-A, et Pezone c. Italie, n42098/98, § 46, 18 décembre 2003).
  45. Il convient donc de rejeter l’exception de non-épuisement.
  46. 3.  Incompatibilité ratione personae

  47. En troisième lieu, le Gouvernement soutient que l’Etat a veillé par l’instauration d’un cadre législatif, administratif et judiciaire adéquat et l’application qui a été faite en l’espèce, à l’effectivité concrète des droits de la requérante, jusque et y compris dans les relations interindividuelles. Il y a lieu de constater que la procédure légale a été mise en route à partir du moment où le ministère public a été averti de la situation, le 17 mai 1993. Dès que la gendarmerie a été contactée, le parquet a dépêché un substitut sur place qui a fait venir un médecin et la requérante a été libérée le jour même. Le Gouvernement souligne que la présente affaire doit être distinguée de l’affaire Storck c. Allemagne (no 61603/00, ECHR 2005-V), dans laquelle l’Etat n’avait exercé aucun contrôle de la régularité de l’internement de la requérante dans la clinique pendant une durée de vingt mois environ. Les juridictions belges, saisies de la mise en cause de la responsabilité des médecins et de l’hôpital, ont constaté que les dispositions procédurales n’avaient pas été respectées, mais n’ont pas trouvé de preuve de lien de causalité entre ces manquements et le dommage, de sorte qu’il ne pouvait être fait application de l’article 1382 du code civil.
  48. La Cour considère que les arguments avancés par le Gouvernement sont étroitement liés à la substance du grief relatif à l’article 5 § 5. Elle joint donc cette partie de l’objection au fond.
  49. 4.  Conclusion

  50. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que la requête ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
  51. B.  Sur le fond

  52. Le Gouvernement soutient qu’il existait en droit interne un recours permettant la mise en cause de la responsabilité des médecins concernés mais ce sont les conditions de cette mise en cause qui ne se trouvaient pas réunies en l’espèce. Se prévalant de l’arrêt Wassink c. Pays-Bas (27 septembre 1990, série A no 185-A, § 38), il souligne qu’il n’y a pas lieu à réparation sans un tort matériel ou moral à réparer.
  53. Les requérants allèguent qu’il y a eu privation de liberté arbitraire sans aucun contrôle judiciaire. Le procureur du Roi n’a même pas jugé nécessaire de demander la mise en observation de la requérante après avoir obtenu l’avis du Docteur V.D.V.
  54. La Cour rappelle que le paragraphe 5 de l’article 5 se trouve respecté dès lors que l’on peut demander réparation du chef d’une privation de liberté opérée dans des conditions contraires aux paragraphes 1 à 4 (Wassink c. Pays-Bas précité et Tsirlis et Kouloumpas c. Grèce, 29 mai 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-III, § 5). Le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 suppose donc qu’une violation de l’un de ces autres paragraphes ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention.
  55. La Cour estime d’emblée opportun de souligner certains faits marquants de l’espèce. Considérant avoir été privée illégalement de sa liberté, la requérante et son époux ont introduit une action en responsabilité contre les médecins impliqués dans son internement et les hôpitaux psychiatriques concernés. En effet, la requérante avait été placée pour quelques jours à l’initiative des médecins qui l’ont examiné sans que la procédure devant le juge de la paix, prévue par la loi du 26 juin 1990, soit engagée. La requérante a été libérée suite à l’intervention du parquet, qui a été déclenchée par sa sœur et certains de ses amis. Le tribunal de première instance, que les requérants ont saisi d’une action en responsabilité, a reconnu la méconnaissance de la procédure interne, mais a refusé d’accorder une indemnisation faute de lien de causalité entre cette méconnaissance et le dommage allégué. La cour d’appel a confirmé cette conclusion en relevant que l’internement de la requérante n’était pas le résultat d’une « faute » mais d’un « état de santé » et que les requérants n’avaient pas réussi à démontrer que le dommage allégué avait été provoqué par la méconnaissance de la loi.
  56. Il convient ainsi de distinguer la présente affaire de l’affaire Wassink mentionnée par le Gouvernement : contrairement à cette dernière où était en cause une simple méconnaissance d’une disposition technique de la loi pertinente – l’absence du greffier lors d’une audience –, en l’espèce il y a eu inobservation des dispositions fondamentales de la loi du 26 juin 1990, notamment des articles 1 et 9 de celle-ci. La cour d’appel l’a d’ailleurs reconnu en des termes explicites dans son arrêt, en soulignant que, même si les médecins considéraient que l’internement serait de courte durée, la procédure légale aurait dû être suivie scrupuleusement. La conclusion de la cour d’appel, selon laquelle l’internement pour observation de la requérante était opportun et justifié par l’état de la malade, vient à justifier a posteriori une décision prise au mépris de la procédure légale et qui a conduit à un internement qui risquait de durer : le 13 mai, le Docteur L. avait mentionné au second requérant que l’internement pourrait durer deux à trois semaines. Le constat du Docteur V., requis par le procureur, selon lequel au moment des faits la requérante se trouvait dans un état de maladie grave la rendant incapable de contrôler ses actes aurait dû rendre les médecins concernés plus prudents quant à la complexité et la durée du traitement que pourrait nécessiter l’état de la requérante.
  57. La conclusion de la cour d’appel quant à la violation de la procédure légale s’analyse alors en une reconnaissance que la requérante a subi une privation de liberté contraire à l’article 5 § 1 de la Convention, ce qui selon la jurisprudence de la Cour crée un droit direct à réparation (Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, série A no 145-B, § 67). En refusant d’indemniser les requérants, les juridictions nationales n’ont pas interprété et appliqué le droit interne dans l’esprit de l’article 5 § 1 (voir, mutatis mutandis, Storck c. Allemagne précité, § 122).
  58. La Cour rejette l’objection du Gouvernement et conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention.
  59. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

  60. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  61. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

  62. La requérante et le requérant demandent respectivement 10 000 euros (EUR) et 2 500 EUR en raison du dommage moral subi.
  63. Le Gouvernement prétend que le dommage allégué par la requérante doit être examiné en tenant compte du fait que la mesure prise à son encontre se justifiait médicalement ; il est dès lors excessif et serait – si la Cour décidait qu’il était établi – adéquatement compensé par un constat de violation. Quant au requérant, il n’a subi aucun dommage, d’autant plus qu’il ne s’est nullement opposé à l’internement de son épouse et n’a accompli aucune démarche pour tenter d’y mettre fin.
  64. La Cour réitère que la requérante a été internée de manière forcée sans base légale et que les juridictions nationales ont fait le même constat. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour accorde à la seule requérante 3 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt. Quant au requérant, elle estime que le constat de violation constitue une satisfaction équitable suffisante.
  65. B.  Frais et dépens

  66. Pour frais et dépens afférents à la procédure devant les juridictions nationales les requérants réclament 12 115,08 EUR, dont 87,75 EUR pour la plainte contre X. Pour ceux relatifs à la procédure devant la Cour, ils demandent 6 000 EUR.
  67. A titre principal, le Gouvernement souligne que les requérants poursuivent la condamnation de l’Etat devant la Cour alors que celui-ci n’a jamais été mis en cause, ne fut-ce qu’en substance, devant les juridictions nationales. Il s’ensuit que les frais exposés pour mener les procédures en droit interne contre les médecins et hôpitaux ne pourraient être pris en considération pour évaluer l’éventuelle satisfaction équitable à accorder aux requérants. A titre subsidiaire, l’ensemble des frais a été pris en charge par une compagnie d’assurances.
  68. La Cour rappelle que l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, § 66).
  69. La Cour note que les requérants ont déposé à la Cour plusieurs factures relatives à des actes accomplis par leurs conseils pour la défense de leurs intérêts devant les autorités belges. La Cour ne doute pas que ces actes visaient essentiellement à réparer la violation de la Convention alléguée devant la Cour. Elle prend acte, en outre, de la déclaration du Gouvernement selon laquelle ces frais ont été pris en charge par une compagnie d’assurances. Toutefois, elle relève que les requérants ne fournissent aucune facture quant à la procédure devant la Cour.
  70. Statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour juge raisonnable d’allouer un montant de 6 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour l’ensemble des frais exposés en Belgique et à Strasbourg.
  71. C.  Intérêts moratoires

  72. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  73. PAR CES MOTIFS, LA COUR

  74. Joint au fond, à l’unanimité, l’exception préliminaire du Gouvernement relative à l’incompatibilité ratione personae et la rejette;

  75. Déclare la requête recevable à l’unanimité, quant à la requérante et, par six voix contre une, quant au requérant ;

  76. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention ;

  77. 4. Dit, à l’unanimité, que le constat de violation constitue une satisfaction équitable quant au préjudice subi par le requérant ;


  78. Dit , à l’unanimité,
  79. a)  que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

    i.  3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral;

    ii.  6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;


  80. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
  81. Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 mars 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Sally Dollé Ireneu Cabral Barreto
    Greffière Président

    Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion en partie dissidente du juge M. Sajó.

    OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJÓ

    (Traduction)

    J’ai le regret de devoir exprimer mon désaccord en ce qui concerne la qualité de victime de M. Meeus. Les violations des droits de l’homme constituent des actes particulièrement graves, raison pour laquelle l’on exerce une protection particulière dans ce domaine. Il ne faut donc pas banaliser les droits de l’homme. C’est pourquoi un requérant doit montrer qu’il est la victime directe des actes/omissions dont il allègue qu’ils sont constitutifs d’une violation de la Convention (Vatan c. Russie, no 47978/99, § 48, 7 octobre 2004). M. Meeus, le mari de la personne illégalement détenue, s’est prétendu victime d’une violation de l’article 5 § 5 de la Convention. Par ailleurs, un constat de violation de cette disposition présuppose qu’il y ait eu une privation illégale de liberté. Or la liberté de M. Meeus n’a jamais été en jeu et celui-ci n’a pas montré qu’il existait un lien suffisamment direct entre l’internement et son allégation imprécise selon laquelle il avait qualité de victime. En outre, comme le Gouvernement le démontre de façon convaincante, M. Meeus a accepté l’initiative des médecins. On peut comprendre qu’il ait suivi l’avis médical, mais la violation a résulté de l’absence de contrôle juridictionnel et non des actes professionnels du médecin. Le fait de ne pas avoir sollicité de contrôle juridictionnel (ce qui a en l’espèce conduit au constat de violation de la Convention) n’était pas du ressort de la médecine.




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