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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MIU v. ROMANIA - 7088/03 - HEJUD (French text) [2012] ECHR 1883 (06 November 2012)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2012/1883.html
Cite as: [2012] ECHR 1883

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE MIU c. ROUMANIE

     

    (Requête no 7088/03)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    6 novembre 2012

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Miu c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Josep Casadevall, président,
              Egbert Myjer,
              Alvina Gyulumyan,
              Ján Šikuta,
              Luis López Guerra,
              Nona Tsotsoria,
              Kristina Pardalos, juges,
    et de Santiago Quesada, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 octobre 2012,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 7088/03) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Margareta Miu (« la requérante »), a saisi la Cour le 27 décembre 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu puis Mme Irina Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

  3. .  La requérante allègue une violation de son droit d’accès à un tribunal, en raison du fait que les juridictions nationales n’ont pas examiné au fond ses demandes de restitution d’un immeuble nationalisé.

  4. .  Le 4 février 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

  5. .  A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du Règlement de la Cour), le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 26 § 4 de la Convention et article 29 § 1 du règlement).
  6. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  7. .  La requérante est née en 1954 et réside à Bucarest.

  8. .  En 1950, plusieurs immeubles situés à Bucarest et appartenant à M.E., dont un immeuble situé au no 52 du boulevard Averescu (« l’immeuble »), furent nationalisés.
  9. 1.  Première action en revendication de l’immeuble contre l’Etat


  10. .  Par un jugement définitif du 22 avril 1993, le tribunal de première instance de Bucarest jugea que la nationalisation de l’immeuble avait été illégale. Il ordonna à l’entreprise d’Etat qui gérait l’immeuble et à la société commerciale qui l’occupait de le restituer à B.A., l’héritier de M.E.

  11. .  Sur demande du procureur général, qui forma un recours en annulation, la Cour suprême de justice annula par un arrêt du 28 avril 1995 le jugement susmentionné. Elle souligna que l’application des lois de nationalisation ne pouvait pas être contrôlée par les juridictions et estima que le tribunal de première instance de Bucarest avait outrepassé ses attributions en empiétant sur celles du pouvoir législatif.

  12. .  La Cour suprême de justice conclut que, de toute manière, de nouvelles lois devraient prévoir des mesures de réparation pour les biens que l’Etat s’était appropriés.
  13. 2.  Deuxième action en revendication de l’immeuble contre la société commerciale qui l’occupait


  14. .  A une date non précisée, B.A. forma une nouvelle action en revendication contre la société commerciale qui occupait l’immeuble.

  15. .  Après le décès de B.A., la requérante, son héritière, poursuivit cette action.

  16. .  Par un arrêt définitif du 22 juin 1998, la cour d’appel de Bucarest rejeta l’action en revendication, en estimant que la demande de restitution devait faire l’objet d’un examen devant les autorités administratives selon la procédure prévue par la loi no 112/1995. La cour d’appel souligna que la loi susmentionnée donnait à la requérante la possibilité de contester devant les juridictions internes la décision des autorités administratives rendue en application de cette loi, lui assurant ainsi l’accès à un tribunal.
  17. 3.  Action fondée sur les dispositions de la loi no 112 du 23 novembre 1995


  18. .  A une date non précisée, se prévalant des dispositions de la loi no 112 du 23 novembre 1995 concernant la situation juridique de certains biens immeubles à usage d’habitation, (« la loi no 112/1995 ») qui précisait que les anciens propriétaires pouvaient obtenir, sous certaines conditions, la restitution de leurs biens ou une indemnité à titre de réparation, B.A. demanda aux autorités administratives locales la restitution de l’immeuble. Après le décès de B.A., la requérante poursuivit cette action également.

  19. .  Par une décision du 2 février 1998, la mairie de Bucarest fit droit à la demande de restitution. Sur contestation de la société commerciale qui occupait l’immeuble, le tribunal de première instance de Bucarest, par un jugement du 11 juillet 2001, annula la décision du 2 février 1998 sans rentrer dans le fond de l’affaire au motif que les autorités administratives avaient à tort ordonné la restitution. Constatant que l’immeuble était affecté à un usage commercial, il jugea que les dispositions de la loi no 112/1995 ne lui étaient pas applicables.

  20. .  Sur appel et pourvoi en recours introduits par la requérante, ce jugement fut confirmé par deux arrêts du tribunal départemental de Bucarest et de la cour d’appel de Bucarest des 19 novembre 2001 et 20 septembre 2002.
  21. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT


  22. .  Les dispositions pertinentes du code de procédure civile et de la loi no 112/1995 sont décrites dans l’affaire Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, §§ 32-33 et 36-42, CEDH 1999-VII).
  23. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION QUANT AU DEFAUT D’ACCES À UN TRIBUNAL


  24. .  La requérante dénonce une violation de son droit d’accès à un tribunal au motif que les juridictions nationales n’ont pas examiné sur le fond ses demandes de restitution. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
  25. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    A.  Sur la recevabilité


  26. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  27. B.  Sur le fond


  28. .  Le Gouvernement conteste les allégations de la requérante. S’appuyant sur la théorie de la marge d’appréciation des Etats, il ne nie pas l’existence d’une ingérence dans le droit d’accès de la requérante à un tribunal, mais estime que pareille ingérence poursuivait un but légitime, plus précisément la bonne administration de la justice, et qu’elle était proportionnée. Le Gouvernement argue également que la requérante a mal choisi les voies procédurales mises à sa disposition par la législation en vigueur ou bien qu’elle a omis d’en utiliser d’autres comme, par exemple, celles établies par la loi no 10 du 8 février 2001 sur le régime juridique des biens immeubles pris abusivement par l’Etat (« la loi no 10/2001 »), sans apporter de précisions quant à cette procédure.

  29. .  La requérante maintient que le refus des tribunaux internes de se prononcer sur le fond de ses actions a porté atteinte à son droit d’accès à un tribunal.

  30. .  S’agissant de l’argument tiré de la possibilité qu’avait la requérante pour entamer la procédure prévue par la loi no 10/2001, la Cour note que le Gouvernement n’excipe pas du non-épuisement des voies de recours internes et que son argument porte sur l’analyse globale du fond de l’affaire. La Cour rappelle qu’une question similaire s’était posée dans l’affaire Maria Atanasiu et autres c. Roumanie (nos 30767/05 et 33800/06, 12 octobre 2010). Dans cette affaire elle a jugé qu’avant l’arrêt du 19 mars 2007 de l’Assemblée plénière de la Haute Cour de cassation et de justice, les personnes intéressées étaient dans l’impossibilité de réclamer devant les tribunaux internes, sur la base des dispositions de la loi no 10/2001, la restitution des immeubles nationalisés (Maria Atanasiu et autres, précité, § 121).

  31. .  Il s’ensuit que le 27 décembre 2002, date à laquelle la requérante a introduit sa requête, la procédure prévue par la loi no 10/2001 ne constituait pas un recours efficace susceptible de lui permettre de récupérer son immeuble. Dès lors, l’argument du Gouvernement doit être écarté.

  32. .  La Cour rappelle que l’article 6 § 1 garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation portant sur ses droits et obligations de caractère civil, mais que ce droit n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareilles limitations ne se concilient avec l’article 6 § 1 de la Convention que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Yagtzilar et autres c. Grèce, no 41727/98, §§ 22-23, CEDH 2001-XII et Lungoci c. Roumanie, no 62710/00, §§ 34-36, 26 janvier 2006).

  33. .  En outre, le fait pour l’intéressé d’avoir pu emprunter des voies de droit internes ne suffit pas toujours pour que soient satisfaites les exigences de l’article 6 § 1 : encore faut-il constater que le degré d’accès procuré par la législation nationale suffisait pour assurer aux intéressés le « droit à un tribunal », eu égard au principe de la prééminence du droit dans une société démocratique (Yagtzilar, précité, § 26 et Lungoci, précité, § 43). Il en va ainsi notamment lorsque, par exemple, l’intéressé n’a pu accéder à un tribunal que pour entendre déclarer son action irrecevable par le jeu de la loi (ibidem).

  34. .  En l’espèce, la Cour note qu’il n’est pas contesté que la requérante avait le droit de demander la restitution de l’immeuble et que les tribunaux internes n’ont pas statué au fond sur cette demande. De ce fait, elle a subi une ingérence dans son droit d’accès à un tribunal. Il convient donc d’analyser si cette ingérence poursuivait un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

  35. .  La Cour peut se rallier à l’opinion du Gouvernement selon laquelle l’ingérence subie par la requérante poursuivait un but légitime, à savoir la bonne administration de la justice (voir mutatis mutandis, Lungoci, précité, § 37). Reste à déterminer si pareille ingérence était proportionnée pour les motifs ci-après.

  36. .  La Cour note que la requérante a vu son action en revendication rejetée par les juridictions internes sans examen du fond de l’affaire et qu’elle a été ainsi privée de toute possibilité claire et concrète de voir les tribunaux statuer sur sa demande de restitution de l’immeuble.

  37. .  Ainsi, par un arrêt du 22 juin 1998, la cour d’appel de Bucarest a rejeté l’action en revendication au motif que la demande de restitution devait faire l’objet d’un examen par les autorités administratives selon les dispositions de la loi no 112/1995. Or, après que la requérante eut parcouru les étapes administratives prévues par la loi susmentionnée, les mêmes juridictions ont jugé par un arrêt du 20 septembre 2002 que l’immeuble en question n’entrait pas dans le champ d’application de ladite loi.

  38. .  Il en résulte que la requérante n’a eu accès à un tribunal que pour voir déclarer ses actions irrecevables par le jeu des dispositions légales.

  39. .  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’absence d’accès de la requérante à un tribunal.
  40. II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES


  41. .  Toujours sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante dénonce une violation de son droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, en raison de la durée globale de toutes les procédures par lesquelles elle a tenté d’obtenir la restitution de l’immeuble.

  42. .  La Cour note que la requérante ou ses auteurs ont engagé, en vue de récupérer l’immeuble, trois procédures distinctes. A supposer que le délai de six mois a été respecté pour les deux dernières, la durée de chacune n’apparaît pas excessive par rapport aux critères consacrés par la Cour dans sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII, et Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, § 121, CEDH 2006-V).
  43. 34.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.


  44. .  Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, la requérante allègue que l’annulation de la décision administrative de restitution de l’immeuble et le rejet des actions en revendication ont porté atteinte à son droit au respect de ses biens.

  45. .  En l’espèce, la Cour estime qu’à défaut de décision définitive administrative ou judiciaire ordonnant la restitution du bien, la requérante ne saurait se prétendre titulaire d’un droit de propriété sur un « bien actuel » au sens de l’article 1 du Protocole no 1. En ce qui concerne l’existence d’une éventuelle « espérance légitime » de se voir restituer ce bien, la Cour souligne que le jugement du 22 avril 1993 ordonnant la restitution a été annulé le 28 avril 1995. Par conséquent, la Cour considère que le jugement du 22 avril 1993 ne saurait passer pour une base juridique suffisante de nature à fonder une « espérance légitime », pour la requérante, de se voir restituer le bien ayant appartenu à ses auteurs (Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 52, CEDH 2004-IX; Lupaş et autres c. Roumanie, nos 1434/02, 35370/02 et 1385/03, § 92, CEDH 2006-XV (extraits)).

  46. .  Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
  47. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    38.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage matériel


  48. .  Pour réparer le préjudice matériel qu’elle aurait subi, la requérante réclame la restitution de l’immeuble ainsi que les sommes de 360 000 euros (EUR) au titre du manque à gagner et de 30 000 dollars américains (USD) à raison de diverses taxes et autres frais liés à l’immeuble.

  49. .  Le Gouvernement s’oppose à ces prétentions ; il fait valoir que la présente affaire a uniquement été communiquée sous l’angle de l’article 6 et qu’aucun grief tiré du Protocole no 1 n’a été soulevé au stade de la communication.

  50. .  La Cour note qu’en l’espèce la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside dans le fait que la requérante n’a pas bénéficié du droit d’accès à un tribunal pour revendiquer un bien immobilier, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Par conséquent, elle rejette la présente demande.

  51. .  Néanmoins, la Cour rappelle sa jurisprudence bien établie selon laquelle, en cas de violation de l’article 6 de la Convention, il faut placer les requérants, le plus possible, dans une situation équivalant à celle dans laquelle ils se trouveraient s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de cette disposition (Piersack c. Belgique (article 50), 26 octobre 1984, série A no 85, § 12).

  52. .  Il convient de constater en l’espèce que l’article 322 § 9 du code de procédure civile roumain permet la révision d’un procès sur le plan interne si la Cour a constaté la violation des droits d’un requérant. De plus, la Cour estime que lorsqu’elle conclut que le droit d’accès à un tribunal a été violé, le redressement le plus approprié est, en principe, de rejuger ou de rouvrir la procédure en temps utile et dans le respect des exigences de l’article 6 de la Convention (voir mutatis mutandis, Lungoci, précité, § 56).
  53. B.  Dommage moral


  54. .  La requérante réclame également la somme de 300 000 EUR au titre du préjudice moral que son auteur, B.A., et elle-même auraient subi en raison des souffrances et du stress causés par les décisions des juridictions internes.

  55. .  Le Gouvernement conteste l’existence du préjudice moral subi par la requérante, car elle n’aurait présenté aucun document justificatif, et il estime au demeurant qu’un constat éventuel de violation pourrait constituer, par lui-même, une réparation satisfaisante de ce préjudice.

  56. .  La Cour estime que la requérante a subi un préjudice moral certain, lequel n’est pas suffisamment compensé par le constat de violation opéré (Lungoci, précité, § 54). Dans ces circonstances, eu égard à l’ensemble des éléments se trouvant en sa possession et, statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour alloue à la requérante la somme de 3 000 EUR au titre du préjudice moral.

  57. .  Quant au préjudice moral prétendument subi par B.A., la Cour note que ce dernier est décédé avant l’introduction de la présente requête, que la requérante a introduite en son propre nom. Par conséquent, la Cour rejette la demande de satisfaction équitable en ce qui concerne B.A.
  58. C.  Frais et dépens


  59. .  La requérante demande également, pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour, les sommes suivantes :
  60. -  65 000 EUR et 10 000 USD pour honoraires d’avocat ;

    -  735 064 lei roumains anciens (ROL) pour diverses taxes payées à la chambre de commerce ;

    -  10 000 USD pour divers frais encourus entre 1999 et 2006 (taxes judiciaires, photocopies, rédaction de documents).

    Elle présente des justificatifs pour une partie de ces sommes.


  61. .  Par une lettre du 11 octobre 2012, la requérante demande une somme supplémentaire de 45 000 EUR pour honoraires d’avocat, sans toutefois présenter de justificatifs.

  62. .  Le Gouvernement s’oppose au paiement de ces sommes qu’il estime excessives et spéculatives. De plus, il soutient que la requérante n’a pas étayé ses demandes car elle n’a pas présenté tous les contrats d’assistance judiciaire accompagnés des reçus respectifs.

  63. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).

  64. .  En l’espèce la Cour note que les sommes demandées par la requérante sont excessives par rapport à l’objet et à la nature du dossier. Compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 2 000 EUR tous frais confondus et l’accorde à la requérante.
  65. D.  Intérêts moratoires


  66. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  67. PAR CES MOTIFS, LA COUR

    1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant au grief tiré de l’absence d’accès à un tribunal et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit, par six voix contre une,

    a)  que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros) pour dommage moral et 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 novembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Santiago Quesada                                                                Josep Casadevall
            Greffier                                                                               Président

     

    Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge López Guerra.

    J.C.M.
    S.Q.


    OPINION DISSIDENTE DU JUGE LÓPEZ GUERRA

    (Traduction)

    Je ne souscris pas à la conclusion de la chambre selon laquelle il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Il ressort des faits de la cause que la cour d’appel de Bucarest a rejeté l’action en revendication d’un immeuble formée par la requérante au motif que celle-ci n’avait pas épuisé les voies de recours administratives disponibles, contrairement aux exigences de la loi en vigueur. Dès lors, le rejet par la cour d’appel n’a méconnu aucun droit garanti par la Convention, la Cour ayant toujours dit depuis l’arrêt Golder (Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, série A no 18) que le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et qu’il peut être réglementé par l’Etat qui jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation, pour autant que les limitations introduites ne restreignent pas l’accès ouvert à un justiciable d’une manière ou à un point tel que son droit d’accès à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même (Zvolský et Zvolská c. République tchèque, no 46129/99, § 47, CEDH 2002-IX).

    Se prévalant des dispositions de la loi no 112/1995, la requérante demanda la restitution de l’immeuble aux autorités administratives locales, lesquelles firent droit à sa demande. Toutefois, cette décision fut contestée devant les tribunaux et annulée à trois degrés de juridiction (tribunal de première instance de Bucarest, tribunal départemental de Bucarest et cour d’appel de Bucarest) au motif que la loi no 112/1995 sur laquelle la requérante avait fondé sa demande n’était pas applicable en l’espèce.

    Je ne vois pas en quoi ces trois décisions de justice emportent violation de l’article 6 § 1, en ce qu’elles auraient privé la requérante de son droit d’accès à un tribunal. Au contraire, les tribunaux y ont bien abordé les demandes de la requérante en interprétant la loi en vigueur et en se prononçant en faveur de la partie adverse, déboutant ainsi l’intéressée. En outre, à aucun moment il n’a été suggéré que ces décisions étaient arbitraires ou dénuées de base légale.

    Par ailleurs, l’arrêt de la Cour n’indique pas quelle autre réponse les juridictions roumaines auraient pu donner à la requérante. En fait, celles-ci avaient pour seule possibilité d’agir comme elles l’ont fait, c’est-à-dire, premièrement, de rejeter la demande de la requérante pour inobservation d’une exigence de forme, à savoir l’épuisement des voies de recours administratives (arrêt de la cour d’appel du 22 juin 1998) et, deuxièmement, de contester l’applicabilité de la loi en vigueur à la demande de la requérante (jugements des 11 juillet 2001, 19 novembre 2001 et 20 septembre 2002).

     


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