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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> EKOGLASNOST v. BULGARIA - 30386/05 - HEJUD (French text) [2012] ECHR 1886 (06 November 2012)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2012/1886.html
Cite as: [2012] ECHR 1886

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    QUATRIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE EKOGLASNOST c. BULGARIE

     

    (Requête no 30386/05)

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    6 novembre 2012

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Ekoglasnost c. Bulgarie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

              Lech Garlicki, président,
              David Thór Björgvinsson,
              Päivi Hirvelä,
              George Nicolaou,
              Ledi Bianku,
              Vincent A. De Gaetano, juges,
              Pavlina Panova, juge ad hoc,
    et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 octobre 2012,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 30386/05) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un parti politique bulgare Ekoglasnost (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 août 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant est représenté par Me V.Y. Benchev, avocat à Veliko Turnovo. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, V. Hristova et M. Kotzeva, du ministère de la Justice.

  3. .  Mme Zdravka Kalaydjieva, juge élue au titre de Bulgarie, s’est déportée de l’examen de l’affaire (article 28 du règlement de la Cour). Le 28 janvier 2010, le Gouvernement a désigné Mme Pavlina Panova, en qualité de juge ad hoc, pour siéger à sa place (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement de la Cour tels qu’en vigueur à l’époque).

  4. .  Le requérant alléguait en particulier que l’introduction tardive de trois nouvelles conditions légales pour se présenter aux élections parlementaires de 2005 a porté atteinte à son droit d’éligibilité, composante passive des droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1.

  5. .  Le 14 septembre 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.
  6. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    A.  L’histoire du Club politique Ekoglasnost et ses participations aux élections parlementaires


  7. .  Le requérant, le Club politique Ekoglasnost (« Ekoglasnost »), est un parti politique bulgare, fondé en 1990 et ayant son siège à Sofia.

  8. .  Le parti participa à toutes les élections parlementaires tenues entre 1990 et 2001. A trois de ces élections, ses résultats lui avaient permis d’envoyer des députés à l’Assemblée nationale.

  9. .  D’après les informations contenues dans le rapport du comité ad hoc de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et dans le rapport final de la mission d’observation de l’Organisation pour la sécurité et coopération en Europe, disponibles sur les sites www.assembly.coe.int et www.osce.org, la Commission électorale centrale enregistra soixante-cinq formations politiques pour les élections parlementaires bulgares de 2001. Parmi celles-ci, quinze partis et coalitions se retirèrent des élections avant le jour du scrutin et quatorze autres formations politiques ne présentèrent aucune liste de candidats. Ainsi, trente-six partis et coalitions participèrent effectivement aux élections du 17 juin 2001.

  10. .  A l’issue de ces élections, quatre formations politiques dépassèrent le seuil électoral de 4% des voix et envoyèrent des députés au Parlement. Quatre autres partis et coalitions obtinrent entre 0,98% et 3,63% des voix. Les vingt-huit autres partis et coalitions, dont Ekoglasnost, obtinrent moins de 0,75 % des voix.
  11. B.  Le refus de la Commission électorale centrale d’enregistrer Ekoglasnost comme participant aux élections parlementaires de 2005


  12. .  Peu avant l’expiration du mandat du parlement sortant, par un décret paru au Journal officiel le 15 avril 2005, le président de la République bulgare fixa au 25 juin 2005 la date des élections parlementaires à venir.

  13. .  Le 9 mai 2005, Ekoglasnost demanda à la Commission électorale centrale (« la CEC ») de l’enregistrer comme participant aux élections parlementaires. Le leader d’Ekoglasnost présenta à la CEC les copies des décisions de justice relatives aux statuts du parti, le certificat d’inscription de celui-ci au registre des partis politiques, ainsi que les spécimens de sa signature et du sceau officiel du parti.

  14. .  Après avoir examiné le dossier présenté par Ekoglasnost, la CEC constata qu’il y manquait un certain nombre de documents, à savoir un document attestant le versement du cautionnement électoral de 20 000 levs bulgares (BGN), un certificat de la Cour des comptes attestant que le parti lui avait présenté ses rapports financiers annuels pour les trois années précédentes et une liste d’au moins 5 000 électeurs ayant attesté par leur signature leur soutien à la participation du parti aux élections parlementaires. La CEC donna au parti requérant un délai supplémentaire de trois jours pour fournir ces documents. Ekoglasnost ne présenta pas les documents requis.

  15. .  Par une décision du 12 mai 2005, la CEC refusa d’enregistrer Ekoglasnost comme participant aux élections parlementaires en raison de l’absence des trois documents susmentionnés. Le parti interjeta appel de cette décision devant la Cour administrative suprême. Ekoglasnost estimait que les dispositions de la loi électorale qui instauraient les trois exigences en cause étaient contraires à la Constitution. En particulier, le cautionnement de 20 000 BGN était beaucoup trop élevé et une disposition similaire de la loi électorale avait été déclarée contraire à la Constitution par la Cour constitutionnelle quelques années auparavant. La deuxième condition, à savoir la présentation des trois derniers rapports financiers annuels à la Cour des comptes, avait été introduite seulement en avril 2005. Quant à la présentation d’une liste de 5 000 électeurs soutenant le parti, cette exigence risquait d’exposer les membres et les électeurs potentiels du parti à la pression des représentants des partis politiques au pouvoir.

  16. .  Par un arrêt du 19 mai 2005, la Cour administrative suprême rejeta le recours du parti requérant. La haute juridiction administrative constata que les dispositions de la loi électorale contestées par Ekoglasnost, à savoir les articles 49a et 50, alinéa 3, points 6 et 7, n’avaient pas été déclarées contraires à la Constitution par la Cour constitutionnelle. Dès lors, les partis politiques devaient remplir les conditions énoncées par celles-ci afin de pouvoir se présenter aux élections parlementaires, ce qui n’était pas le cas du parti Ekoglasnost. Cet arrêt était définitif.

  17. .  La décision de la CEC et l’arrêt de la Cour administrative suprême empêchèrent Ekoglasnost de participer aux élections parlementaires.
  18. C.  Les élections parlementaires du 25 juin 2005


  19. .  D’après les informations disponibles sur le site internet de la CEC, http://pi2005.cik.bg, vingt-deux formations politiques furent enregistrées pour participer aux élections parlementaires du 25 juin 2005. Dix partis et coalitions, dont Ekogalsnost, se virent refuser le droit de participer aux élections au motif qu’une ou plusieurs des trois conditions de présentation aux élections adoptées en avril 2005 (voir paragraphes 27, 30 et 31 ci-dessous) n’étaient pas remplies.

  20. .  Après le décompte des résultats, sept partis et coalitions dépassaient le seuil électoral de 4% des voix et envoyèrent des députés à l’Assemblée nationale. Douze formations politiques obtinrent moins d’un pour cent des voix. Quatre partis parmi ces douze formations totalisèrent moins de cinq mille voix chacun.
  21. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    1.  La législation électorale et ses amendements

    a)  Les conditions pour la présentation aux élections entre 2001 et 2005


  22. .  A l’époque des faits pertinents, les élections parlementaires étaient régies par la loi de 2001 sur l’élection des députés à l’Assemblée nationale (« la loi électorale »). Les députés étaient élus selon le système proportionnel où les électeurs votaient pour les listes de candidats proposées par les formations politiques ou pour des candidats indépendants. Les partis politiques qui désiraient participer aux élections parlementaires devaient être enregistrés par la CEC, qui vérifiait l’accomplissement des conditions énoncées par la même loi. Les partis politiques devaient soumettre leurs demandes d’enregistrement, accompagnées des documents requis, au plus tard 46 jours avant la date du scrutin fixée par le président de la République (article 50, alinéas 1 et 2 de la loi).

  23. .  Dans sa rédaction initiale, en vigueur jusqu’en avril 2005, la loi électorale exigeait uniquement la présentation des documents relatifs aux statuts du parti candidat aux élections (la décision de justice relative à son enregistrement, le certificat du registre des partis politiques) et des spécimens de la signature du représentant du parti et du sceau officiel de celui-ci.

  24. .  Le refus de la CEC d’enregistrer un parti pour la participation aux élections était susceptible de recours devant la Cour administrative suprême (article 50, alinéa 9 de la même loi), qui se prononçait par un arrêt définitif.
  25. b)  Les amendements de la législation électorale


  26. .  Le 23 avril 2003, un groupe de députés à l’Assemblée nationale présenta le projet d’une nouvelle loi sur les partis politiques qui visait à remplacer l’ancienne loi de 2001. Le projet de loi proposait, entre autres, de renforcer le contrôle public sur le financement et la comptabilité des partis politiques. L’article 34 du projet prévoyait l’obligation pour la Cour des comptes de délivrer un certificat à tout parti politique qui lui avait présenté ses rapports financiers pour les trois dernières années. Les paragraphes 2, 3 et 4 des dispositions finales du projet prévoyaient un amendement aux trois lois électorales concernant - respectivement - l’élection des députés, l’élection du président de la République et les élections locales : les partis politiques souhaitant présenter des candidats à ces trois types d’élections, devaient désormais accompagner leur demande d’enregistrement pour les élections du certificat délivré par la Cour des comptes.

  27. .  La commission parlementaire permanente sur la société civile examina ce projet de loi au cours de plusieurs réunions avec la participation de représentants de diverses formations politiques, y compris des partis non représentés au parlement. La commission parlementaire décida, à l’unanimité, de soumettre le projet de loi en question à la formation plénière du Parlement.

  28. .  Le 5 février 2004, le parlement bulgare tint un premier débat, en séance plénière et accessible au public, sur le projet de nouvelle loi sur les partis politiques. Par cent vingt voix contre quatre, le projet de loi fut approuvé dans son principe.

  29. .  Le 18 décembre 2004, à l’issue d’un deuxième débat parlementaire public, le projet de loi fut approuvé disposition par disposition.

  30. .  Par un décret du 27 décembre 2004, le président de la République exerça son droit de veto sur ladite loi. Il contesta notamment la disposition transitoire dispensant les partis politiques représentés au Parlement de l’obligation de demander à être enregistrés de nouveau par les tribunaux internes.

  31. .  A l’issue de deux nouveaux débats parlementaires, les 19 janvier et 23 mars 2005, la loi sur les partis politiques fut définitivement adoptée par l’Assemblée nationale.

  32. .  La loi sur les partis politiques fut publiée au Journal officiel le 1er avril 2005 et entra en vigueur le même jour. Le paragraphe 6 de ses dispositions transitoires et finales portait modification de l’article 50, alinéa 3 de loi électorale : désormais chaque parti désirant participer aux élections législatives devait accompagner sa demande d’enregistrement à la Commission électorale centrale d’un certificat, délivré par la Cour des comptes, attestant la présentation de ses rapports financiers pour les trois années précédentes (article 50, alinéa 3, point 7 de la loi électorale).

  33. .  Entre temps, le 1er février 2005, un autre groupe de députés introduisit à l’Assemblée nationale un projet de loi portant modification de la loi électorale. Il y était proposé, entre autres, d’introduire deux nouvelles conditions pour la présentation des partis politiques aux élections législatives : i) le paiement d’un cautionnement électoral remboursable de 40 000 levs bulgares (ci-après BGN) et ii) la présentation d’une liste de 5 000 adhérents du parti.

  34. .  Le 15 mars 2005, la commission parlementaire permanente sur les questions juridiques décida de soumettre ledit projet de loi à l’Assemblée nationale. Le 23 mars 2005 et les 6 et 7 avril 2005, le Parlement tint deux débats publics sur ledit projet. La loi portant amendement de la loi électorale fut définitivement adoptée le 7 avril 2005. Elle fut publiée au Journal officiel le 12 avril 2005 et entra en vigueur le même jour.

  35. .  Ainsi fut créé un nouvel article 49a de la loi électorale, qui obligeait les partis candidats à l’élection parlementaire à payer un cautionnement électoral s’élevant à 20 000 BGN (environ 10 225 euros), qu’ils pouvaient se voir restituer après le scrutin s’ils obtenaient plus d’un pour cent des voix.

  36. .  Une autre exigence nouvelle était introduite à l’article 50, alinéa 3 de la loi électorale : les partis politiques se voyaient dorénavant tenus de présenter à la CEC une liste de 5 000 électeurs soutenant par leur signature la participation du parti aux élections législatives (article 50, alinéa 3, point 6 de la loi).
  37. 2.  Le financement et la comptabilité des partis politiques


  38. .  Le financement et la comptabilité des partis politiques sont régis par la loi sur les partis politiques. Jusqu’en avril 2005 était en vigueur l’ancienne loi de 2001. Le 1er avril 2005, elle fut remplacée par une nouvelle loi (voir paragraphes 21-27 ci-dessus).

  39. .  En vertu de l’article 13 de l’ancienne loi, repris par l’article 21 de la nouvelle loi, les partis politiques finançaient leurs activités par des fonds propres et par la subvention de l’État.

  40. .  L’article 14 de l’ancienne loi énumérait les sources de fonds propres des partis : cotisations des membres ; exploitation des biens immeubles appartenant au parti ; activités d’édition ou exploitation des droits d’auteur et autres droits de propriété intellectuelle ; donations et legs de personnes physiques ; donations de personnes morales. L’article 23 de la nouvelle loi y rajouta les intérêts perçus sur les comptes bancaires du parti, les différentes activités de collecte de fonds et les crédits bancaires obtenus, ces derniers ne pouvant dépasser deux tiers des revenus annuels du parti déclarés à la Cour des comptes.

  41. .  La subvention de l’Etat était accordée aux partis politiques représentés au Parlement et aux partis politiques sans députés au Parlement qui avaient obtenu au moins un pour cent des voix aux dernières élections législatives (articles 15 et 16 de l’ancienne loi et articles 25 et 26 de la nouvelle loi).

  42. .  L’article 26 de l’ancienne loi de 2001, dont la disposition a été reprise par l’article 34 de la nouvelle loi, obligeait chaque parti à présenter son rapport financier pour l’année précédente à la Cour des comptes au mois de mars de l’année en cours. Le non-accomplissement de cette obligation entraînait la perte de la subvention étatique annuelle (article 28 de l’ancienne loi et article 36 de la nouvelle loi).
  43. 3.  L’exception d’inconstitutionnalité


  44. .  Le droit bulgare ne confère pas aux particuliers et aux personnes morales la possibilité de s’adresser directement à la Cour constitutionnelle pour contester la constitutionnalité d’une loi ou pour faire valoir leurs droits fondamentaux. Néanmoins, l’article 10 de la loi 1997 sur la Cour administrative suprême, en vigueur à l’époque des faits de l’espèce, permettait à la Cour administrative suprême de suspendre la procédure pendante devant elle et de saisir la Cour constitutionnelle si elle constatait qu’une disposition législative était potentiellement contraire à la Constitution.
  45. III.  LES TRAVAUX ET RAPPORTS PERTINENTS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE POUR LA DEMOCRATIE PAR LE DROIT


  46. .  A ses 51e et 52e session des 5 et 6 juillet et 18 et 19 octobre 2002, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (dite Commission de Venise) a adopté ses lignes directrices en matière électorale et un rapport explicatif précisant celles-ci. Les deux documents susmentionnés constituent ensemble le Code de bonne conduite en matière électorale de la Commission de Venise, qui a été approuvé en 2003 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux en Europe.

  47. .  Les parties pertinentes dudit code se lisent ainsi :
  48. Lignes directrices

    « 2.  Niveaux normatifs et stabilité du droit électoral

    a.  A l’exception des règles techniques et de détail - qui peuvent avoir un caractère réglementaire -, les règles du droit électoral doivent avoir au moins rang législatif.

    b.  Les éléments fondamentaux du droit électoral, et en particulier le système électoral proprement dit, la composition des commissions électorales et le découpage des circonscriptions ne devraient pas pouvoir être modifiés moins d’un an avant une élection, ou devraient être traités au niveau constitutionnel ou à un niveau supérieur à celui de la loi ordinaire. » ;

    Rapport explicatif

    « 2.  Niveaux normatifs et stabilité du droit électoral

    63.  La stabilité du droit est un élément important de la crédibilité du processus électoral, qui est elle-même essentielle à la consolidation de la démocratie. En effet, si les règles changent souvent, l’électeur peut être désorienté et ne pas les comprendre, notamment si elles présentent un caractère complexe ; il peut surtout considérer, à tort ou à raison, que le droit électoral est un instrument que ceux qui exercent le pouvoir manipulent en leur faveur, et que le vote de l’électeur n’est dès lors pas l’élément qui décide du résultat du scrutin.

    64.  La nécessité de garantir la stabilité ne concerne pas, en pratique, tant les principes fondamentaux, dont la mise en cause formelle est difficilement envisageable, que certaines règles plus précises du droit électoral, en particulier le système électoral proprement dit, la composition des commissions électorales et le découpage des circonscriptions. Ces trois éléments apparaissent souvent - à tort ou à raison - comme déterminants pour le résultat du scrutin, et il convient d’éviter, non seulement les manipulations en faveur du parti au pouvoir, mais aussi les apparences mêmes de manipulations.

    65.  Ce qui est à éviter, ce n’est pas tant la modification du mode de scrutin, car celui-ci peut toujours être amélioré ; c’est sa révision répétée ou intervenant peu avant le scrutin (moins d’un an). Même en l’absence de volonté de manipulation, celle-ci apparaîtra alors comme liée à des intérêts partisans conjoncturels.

    66.  Un des moyens d’éviter les manipulations est de définir dans la Constitution ou dans un texte supérieur à la loi ordinaire les éléments les plus sensibles (système électoral proprement dit, composition des commissions électorales, circonscriptions ou règles sur le découpage des circonscriptions). Une autre solution, moins rigide, consiste à prévoir dans la Constitution que, en cas de changement de la loi électorale, l’ancien système reste applicable à la prochaine élection - du moins si elle a lieu dans l’année à venir -, et que le nouveau n’interviendra que pour les scrutins ultérieurs.

    67.  Pour le reste, le droit électoral devrait avoir en principe rang législatif. Les normes d’exécution, notamment les règles techniques et de détail, peuvent néanmoins être de nature réglementaire. ».


  49. .  En janvier 2011, l’Assemblée nationale bulgare adopta le code électoral qui remplaça la législation électorale précédente, y compris la loi de 2001 sur l’élection des députés. Le législateur maintint l’exigence pour les partis candidats aux élections de présenter un certificat de la Cour des comptes, réduisit le montant du cautionnement électoral à 10 000 BGN et fixa le nombre des signatures d’électeurs soutenant la présentation du pari aux élections à 7 000 (articles 79, alinéa 1 et 82, alinéa 3, points 7 et 8 du code électoral).

  50. .  A sa 87e session plénière des 17 et 18 juin 2011, la Commission de Venise adopta un avis sur le nouveau code électoral bulgare. La partie pertinente de cet avis se lit comme suit :
  51. « 33.  Lors des dernières élections législatives [de 2009], 15 000 et 20 000 signatures de soutien, ainsi qu’une caution de 50 000 BGN et 100 000 BGN étaient respectivement exigées pour les candidatures déposées par les partis et les coalitions de partis. Le Code prévoit désormais que les partis et les coalitions de partis doivent, pour leur candidature aux élections présidentielles, législatives et européennes, verser une caution de 10 000 BGN et réunir 7 000 signatures de soutien lors de leur demande. Les candidats indépendants devaient quant à eux, au titre de la précédente législation, verser une caution de 15 000 BGN et joindre à leur demande d’inscription une liste d’au moins 10 000 signatures d’électeurs résidant de manière permanente dans la circonscription concernée. Ils sont à présent tenus, en vertu du nouveau code, de réunir le même nombre de signatures de soutien que les partis ou les coalitions de partis pour présenter leur candidature aux élections législatives, présidentielles et européennes, ainsi que de verser une caution dont le montant est plus modeste que pour les partis ou coalitions de partis lors des élections législatives et municipales, mais reste identique pour les scrutins présidentiels. Les modifications apportées au code sont les bienvenues et établissent un juste équilibre entre l’objectif légitime de dissuader les candidatures fantaisistes et l’obligation de ne pas entraver l’accès aux élections des partis politiques ou candidats indépendants légitimes. ».

    EN DROIT

    I.  SUR L’INTRODUCTION DES TROIS NOUVELLES CONDITIONS DE CANDIDATURE DES PARTIS AUX ÉLECTIONS PARLEMENTAIRES DE 2005


  52. .  Ekoglasnost se plaint que l’introduction de trois nouvelles conditions pour la présentation de candidats par des partis politiques aux élections législatives du 25 juin 2005, peu de temps avant le scrutin, l’a empêché de participer à ces élections, et invoque à cet égard l’article 3 du Protocole no 1, libellé comme suit :
  53. « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. ».

    A.  Sur la recevabilité


  54. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  55. B.  Sur le fond

    1.  Arguments des parties

    a)  La partie requérante


  56. .  La partie requérante expose qu’en tant que parti politique, Ekoglasnost a participé à toutes les élections législatives depuis 1990 et envoyé à trois reprises des députés au Parlement.

  57. .  En avril 2005, l’Assemblée nationale a adopté divers amendements à la loi électorale, qui ont mis en place trois nouvelles conditions que les partis politiques devaient remplir afin de se présenter aux prochaines élections législatives : ils devaient verser un cautionnement électoral de 20 000 BGN, présenter un certificat de la Cour des comptes attestant qu’ils avaient rempli leur obligation de présentation des rapports financiers pour les trois années précédentes et soumettre une liste de 5 000 signatures d’électeurs soutenant la présentation du parti aux élections.

  58. .  La partie requérante soutient que la somme de 20 000 BGN était exorbitante et que cette nouvelle condition pour la présentation aux élections pénalisait les petits partis non représentés au Parlement et qui comme Ekoglasnost ne percevaient pas de subvention de l’État. De surcroît, la date des élections avait été fixée au 25 juin 2005, ce qui laissait très peu de temps au parti pour trouver une telle somme d’argent.

  59. .  Il lui était également impossible de soumettre une liste de 5 000 électeurs soutenant sa présentation aux élections parce qu’il existait un risque qu’une telle liste fût remise aux grands partis au pouvoir. Ainsi les sympathisants d’Ekoglasnost pouvaient subir des mesures de représailles de la part de ses concurrents politiques : limogeages, obstacles administratifs divers à leurs activités économiques, retrait de prestations sociales, etc.

  60. .  L’exigence de présenter un certificat de la Cour des comptes sur la régularité des trois derniers rapports financiers annuels enfreignait quant à elle le principe de la non-rétroactivité des lois. S’il était vrai que la loi sur les partis politiques obligeait depuis 2001 les partis à présenter leurs rapports financiers à la Cour des comptes, la non-observation de cette règle entraînait simplement la perte de la subvention d’État. Or, les petits partis non représentés au Parlement et qui avaient réalisé un score électoral inférieur à un pour cent des voix aux dernières élections législatives ne percevaient pas de subvention d’État. Ceux-ci n’avaient donc pas présenté leurs rapports annuels à la Cour des comptes et ne pouvaient pas remplir la nouvelle condition posée par l’amendement à la loi électorale d’avril 2005.

  61. .  Estimant que les trois nouvelles conditions de présentation aux élections étaient contraires à la Constitution, Ekoglasnost a demandé à être enregistré par la CEC sans avoir à les remplir. L’organe électoral central a rejeté cette demande et le recours qu’Ekoglasnost a formé devant la Cour administrative suprême a également été rejeté. Ainsi, le parti a été injustement empêché de participer aux élections parlementaires.
  62. b)  Le Gouvernement


  63. .  Le Gouvernement expose que le droit du parti politique Ekoglasnost de se présenter aux élections n’a pas été violé et il invite la Cour à rejeter ce grief.

  64. .  Il observe que la décision de la CEC de refuser l’enregistrement du parti pour les élections législatives et l’arrêt de la Cour suprême administrative qui l’a confirmée étaient conformes à la législation interne et bien motivés. Tant l’organe électoral central que la haute juridiction administrative ont constaté que le parti Ekoglasnost avait omis de remplir trois des conditions requises pour se présenter aux élections, à savoir le versement d’un cautionnement électoral, la présentation d’un certificat de la Cour des comptes sur la régularité de la comptabilité du parti et une liste de 5 000 électeurs soutenant la candidature du parti. Ces exigences étaient prévues par les dispositions de la loi électorale et n’étaient pas contraires à la Constitution du pays.

  65. .  Le Gouvernement estime que l’introduction des trois conditions en cause par le législateur national visait à assurer la participation aux élections parlementaires à des candidats et formations politiques bien établis, responsables et sérieux, ainsi qu’à limiter les dépenses déraisonnables de fonds publics liées à l’organisation du scrutin. Le Gouvernement soutient que ce sont des buts légitimes au sens de la Convention et de ses Protocoles.

  66. .  Le Gouvernement estime que les trois conditions ne sauraient être considérées comme des obstacles insurmontables pour un parti politique bien établi comme Ekoglasnost. Il réfute la thèse de la partie requérante selon laquelle la somme de 20 000 BGN exigée à titre de cautionnement électoral serait exorbitante et rappelle que le cautionnement est restitué aux partis ayant obtenu au moins un pour cent des suffrages. Il fait remarquer que la pratique d’exiger le versement d’un cautionnement des partis participant aux élections est largement répandue dans les pays démocratiques et que les organes de la Convention ont admis dans leur jurisprudence qu’il s’agissait d’une mesure nécessaire visant à dissuader les candidatures futiles. Le Gouvernement observe par ailleurs qu’il était loisible à Ekoglasnost d’obtenir un crédit bancaire pour payer ladite somme, ce que le parti n’a pas fait.

  67. .  La présentation d’une liste d’électeurs soutenant la participation du parti aux élections parlementaires n’était pas non plus une exigence inhabituelle pour les régimes démocratiques et, dans sa jurisprudence, l’ancienne Commission des droits de l’homme avait estimé qu’il s’agissait d’une mesure compatible avec l’article 3 du Protocole no 1.

  68. .  Pour ce qui est du certificat délivré par la Cour des comptes, le Gouvernement fait remarquer que la législation interne obligeait les formations politiques à présenter chaque année leurs rapports financiers à cette institution. Ekoglasnost n’aurait eu aucun problème pour obtenir le certificat en cause s’il avait présenté à temps ses trois derniers rapports financiers à la Cour des comptes.

  69. .  Le Gouvernement estime enfin que la partie requérante n’a pas été désavantagée par l’adoption tardive des mesures en cause : les amendements à la législation électorale avaient été adoptés en avril 2005 et les élections étaient fixées au 25 juin 2005, ce qui laissait suffisamment de temps à Ekoglasnost pour se conformer à toutes les conditions pour son enregistrement par la CEC.
  70. 2.  Appréciation de la Cour


  71. .  La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’article 3 du Protocole no 1 ne se limite pas à imposer aux États la simple obligation d’organiser des élections pour le corps législatif mais implique également des droits subjectifs, dont le droit de vote et celui de se porter candidat à des élections (Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, §§ 46-51, série A no 113).

  72. .  Les droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1 ne sont pas absolus. Il y a place pour des « limitations implicites », et les États contractants disposent d’une large marge d’appréciation en la matière (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 52 ; Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 33, CEDH 2002-II).

  73. .  Il appartient cependant à la Cour de statuer en dernier ressort sur l’observation des exigences de l’article 3 du Protocole no 1 ; il lui faut s’assurer que les conditions auxquelles sont subordonnés le droit de vote ou le droit de se porter candidat à des élections ne réduisent pas les droits dont il s’agit au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité, qu’elles poursuivent un but légitime et que les moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 52).

  74. .  Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe que la CEC a refusé d’enregistrer Ekoglasnost comme participant aux élections législatives appelées à se tenir le 25 juin 2005 parce que le parti n’avait pas satisfait à trois nouvelles conditions introduites dans la législation électorale en avril 2005, à savoir la présentation d’une liste de 5 000 signatures, la présentation d’un certificat de la Cour des comptes et le versement d’un cautionnement électoral de 20 000 BGN (voir paragraphes 12 et 13 ci-dessus). Cette décision a été confirmée par la Cour administrative suprême (voir paragraphe 14 ci-dessus). La Cour estime que cette situation s’analyse bel et bien en une atteinte du droit électoral passif de la partie requérante, garanti par l’article 3 du Protocole no 1.

  75. .  Au vu des circonstances de l’espèce, la Cour est d’avis que la question principale qui se pose devant elle en la présente affaire est de savoir si le refus d’enregistrer Ekoglasnost en tant que candidat aux élections parlementaires bulgares de 2005, qui reposait sur le constat de la non-observation de trois nouvelles exigences pour la présentation des partis politiques aux élections, introduites peu de temps avant la date du scrutin, était compatible avec les exigences posées par sa jurisprudence en la matière (voir paragraphes 57-59 ci-dessus).

  76. .  La Cour observe en premier lieu que les trois nouvelles conditions en cause étaient prévues par la législation interne, à savoir la loi électorale, qu’elles visaient tous les partis souhaitant participer aux élections législatives et qu’elles n’ont pas été déclarées contraires à la Constitution de l’État défendeur. La Cour estime qu’il s’agissait de règles claires et prévisibles. La partie requérante pouvait donc raisonnablement prévoir que le non-respect de ces trois nouvelles conditions de sa part entraînerait le refus de l’organe électoral central de l’enregistrer en tant que participant aux élections législatives.

  77. .  La Cour estime qu’aucune des trois conditions mises en cause par la partie requérante ne semble poser en soi un problème sous l’angle de l’article 3 du Protocole no 1. Elle rappelle à cet effet qu’imposer aux participants aux élections législatives l’obligation de présenter un certain nombre de signatures de soutien de la candidature d’un parti ou d’un candidat individuel n’est pas incompatible avec la Convention même si le nombre de signatures à recueillir est relativement élevé (Asensio Serqueda c. Espagne, no 23151/94, décision de la Commission européenne des droits de l’homme du 9 mai 1994, Décisions et rapports (DR) 77-B, p. 122 ; X c. Autriche, no 7008/75, décision de la Commission du 12 juillet 1976, DR 6, p. 122). Dans son arrêt Soukhovetski c. Ukraine, no 13716/02, § 73, CEDH 2006-VI, la Cour a admis que l’obligation de payer un cautionnement électoral d’un montant raisonnable qui ne constitue pas un obstacle administratif ou financier insurmontable pour le candidat aux élections législatives n’est pas constitutive d’une violation du droit électoral passif. Pour ce qui est de la troisième mesure concernée, à savoir l’obligation d’obtenir un certificat de la Cour des comptes attestant que le parti a présenté dans les délais requis ses trois derniers rapports financiers annuels, la Cour estime que l’État défendeur n’a pas dépassé la large marge d’appréciation que lui confère l’article 3 du Protocole no 1. Il s’agissait d’une solution contribuant à assurer la transparence du financement des partis politiques.

  78. .  La Cour estime que les trois mesures introduites par le législateur bulgare avaient pour finalité d’assurer la participation aux élections législatives de formations politiques viables, suffisamment représentatives dans la société et respectant les règles de transparence du financement des partis politiques, ainsi que de limiter les dépenses liées à l’organisation du scrutin. Elle observe, par ailleurs, que dans son avis sur le code électoral bulgare de 2011, la Commission de Venise a estimé que tant le cautionnement électoral que l’exigence de recueillir un certain nombre de signatures soutenant la présentation des partis aux élections parlementaires visaient l’objectif légitime de dissuader les candidatures fantaisistes (voir paragraphe 41 ci-dessus). A la lumière de ces éléments, la Cour conclut que l’introduction des trois nouvelles conditions de présentation aux élections poursuivait bel et bien des buts légitimes.

  79. .  Se tournant vers la question de la nécessité des mesures litigieuses, la Cour observe en premier lieu qu’Ekoglasnost conteste l’introduction tardive et le caractère rétroactif de l’exigence de présenter un certificat de la Cour des comptes sur la régularité de ses rapports financiers pour les trois dernières années (voir paragraphe 48 ci-dessus). La Cour constate cependant que l’obligation pour tout parti politique de présenter à la Cour des comptes ses rapports financiers annuels existait depuis 2001 (voir paragraphe 36 ci-dessus). Toutefois jusqu’en avril 2005, sa non-observation n’entraînait pas l’impossibilité pour le parti de participer aux élections suivantes, mais uniquement la perte de la subvention de l’État (voir paragraphes 27 et 36 ci-dessus). Dans ses observations, Ekogalsnost explique ne pas avoir présenté ses rapports financiers annuels par le fait que de toute manière le parti ne recevait pas de subvention en raison de ses faibles résultats aux élections législatives de 2001 (voir paragraphe 48 ci-dessus). La Cour est d’avis que la partie requérante ne saurait valablement se prévaloir de cet argument pour se soustraire à l’obligation légale de présenter ses rapports financiers à la Cour des comptes. En effet, cette mesure visait à assurer la transparence du financement des partis politiques, ce qui revêt une importance particulière pour le bon fonctionnement de tout système démocratique.

  80. .  L’obligation légale faite à tout parti souhaitant présenter des candidats d’obtenir un certificat de la Cour des comptes sur la régularité de ses rapports financiers est entrée en vigueur le 1er avril 2005. La Cour observe cependant que le projet de nouvelle loi sur les partis politiques, qui prévoyait cette mesure, avait été déposé au Parlement en avril 2003 et que l’Assemblée nationale bulgare a tenu des débats publics sur celui-ci tout au long de l’année 2004 (voir paragraphes 21, 23 et 24 ci-dessus). Quant au veto présidentiel qui a retardé l’adoption de cette loi, il ne s’opposait pas à cette mesure particulière (voir paragraphe 25 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour considère que l’adoption de cette mesure était prévisible et que les dirigeants d’Ekoglasnost auraient pu anticiper son introduction bien avant le mois d’avril 2005 et prendre les mesures nécessaires afin de régulariser la situation du parti auprès de la Cour des comptes. Il apparaît qu’aucune démarche dans ce sens n’a été entreprise par les organes dirigeants du parti. Il convient dès lors de rejeter l’argument tiré de l’introduction tardive de cette exigence dans la législation électorale.

  81. .  Ekoglasnost allègue également ne pas avoir pu s’acquitter du cautionnement électoral ni recueillir les 5 000 signatures exigées à cause du trop court laps de temps disponible à cet effet, ces deux exigences ayant été introduites très peu de temps avant les élections législatives du 25 juin 2005. La Cour rappelle que l’introduction de ces deux exigences ne semble pas poser en soi un problème sous l’angle de l’article 3 du Protocole no 1 (voir paragraphe 63 ci-dessus). Elle constate en revanche que le projet de loi prévoyant ces nouvelles mesures avait été introduit au parlement seulement le 1er février 2005, et que les débats publics y afférents de l’Assemblée nationale avaient eu lieu entre le 23 mars et le 7 avril 2005 (voir paragraphe 28 et 29 ci-dessus). En outre, à l’issue de ces débats, les deux nouvelles conditions proposées ont été considérablement modifiées : le montant du cautionnement fut réduit de moitié et les 5 000 signatures pouvaient en définitive émaner non pas uniquement d’adhérents du parti, mais de tout autre électeur (voir paragraphes 28, 30 et 31 ci-dessus). Ainsi, les dirigeants Ekoglasnost n’ont pu connaître les modalités exactes de ces deux nouvelles conditions qu’à la date de leur adoption finale par le Parlement, à savoir le 7 avril 2005. Compte tenu du fait que la date des élections était fixée au 25 juin 2005 et de la règle obligeant les partis politiques à présenter leurs dossiers de candidats au plus tard 46 jours avant celle-ci, Ekoglasnost disposait d’à peine un mois pour recueillir les 5 000 signatures d’électeurs et verser le cautionnement électoral de 20 000 BGN. Le parti n’a pas réussi à remplir ces deux nouvelles conditions et a été empêché de se présenter aux élections.

  82. .  La Cour rappelle que la stabilité de la législation électorale revêt une importance particulière pour le respect des droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1. En effet, si un État modifie trop souvent les règles électorales fondamentales ou s’il les modifie à la veille d’un scrutin, il risque de saper le respect du public pour les garanties censées assurer des élections libres ou sa confiance dans leur existence (Parti travailliste géorgien c. Géorgie no 9103/04, § 88, CEDH 2008). La Cour se doit d’examiner avec un soin particulier toute mesure adoptée dans le domaine de la législation électorale qui semble opérer, seule ou à titre principal, au détriment de l’opposition, surtout si de par sa nature la mesure compromet les chances mêmes des partis d’opposition de parvenir un jour au pouvoir. L’adoption d’une telle mesure peu de temps avant le scrutin, à un moment où la part des voix revenant au parti au pouvoir est en déclin, peut servir d’indication de son caractère disproportionné (voir Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 179, CEDH 2010 (extraits)).

  83. .  Dans son Code de bonne conduite en matière électorale, la Commission de Venise a souligné l’importance de la stabilité du droit électoral. Elle a notamment estimé que le changement des règles fondamentales du système électoral moins d’un an avant les élections pouvait être perçu, même en l’absence de volonté de manipulation, comme lié à des intérêts partisans conjoncturels (voir paragraphe 39 ci-dessus). La Commission de Venise a énuméré de manière non exhaustive trois types de règles électorales fondamentales : le mode de scrutin, la composition des commissions électorales et le découpage des circonscriptions (ibidem). La Cour considère, pour sa part, que les conditions de participation aux élections imposées aux formations politiques font également partie des règles électorales fondamentales. Dans les systèmes électoraux qui imposent un certain nombre de conditions spécifiques aux formations politiques pour qu’elles puissent participer au scrutin, l’introduction de nouvelles exigences peu de temps avant la date des élections peut amener, dans des cas extrêmes, à la disqualification d’office de partis et coalitions d’opposition, bénéficiant d’un soutien populaire important, et ainsi profiter aux formations politiques au pouvoir. Il va de soi qu’une telle pratique est incompatible avec l’ordre démocratique et qu’elle sape la confiance des citoyens dans les pouvoirs publics de leur pays. La Cour estime dès lors que les conditions de présentation des formations politiques aux élections doivent bénéficier de la même stabilité temporelle que les autres éléments fondamentaux du système électoral.

  84. .  Dans le cas d’espèce, le délai d’un an préconisé par la Commission de Venise pour l’introduction de modifications substantielles à la législation électorale n’a pas été respecté : l’amendement litigieux est intervenu deux mois avant la date des élections et un mois avant l’échéance du délai pour la présentation des candidatures des partis à la Commission électorale centrale. La Cour ne perd pas de vue le fait que ce court délai n’a pas empêché douze autres petites formations politiques de remplir les nouvelles conditions et de participer aux élections législatives du 25 juin 2005 (voir paragraphes 16 et 17 ci-dessus). Elle estime toutefois que le laps de temps fort bref laissé à ces partis pour recueillir les cinq mille signatures exigées et pour payer le cautionnement électoral de 20 000 BGN - soit un peu plus de 10 000 euros - leur a certainement posé des difficultés non négligeables. Il est à noter, d’ailleurs, que dix autres partis et coalitions, dont Ekoglasnost, n’ont pas été admis à participer aux élections parce qu’ils ne remplissaient pas une ou plusieurs des nouvelles conditions de présentation introduites en avril 2005 (voir paragraphe 16 ci-dessus).

  85. .  La Cour reconnaît que le législateur bulgare, en introduisant le cautionnement électoral et l’exigence de présenter 5 000 signatures d’électeurs soutenant la candidature du parti, visait à résoudre le problème sérieux posé par la participation aux élections de nombreuses formations sans véritable légitimité politique et électorale. Force est de constater que cette tendance dans la vie politique bulgare existait bien avant les élections parlementaires de 2005. A titre d’exemple, aux élections parlementaires bulgares de juin 2001, vingt-neuf des soixante-cinq formations politiques formellement enregistrées comme candidates n’ont pas effectivement participé au scrutin (voir paragraphe 8 ci-dessus). La Cour est d’avis qu’un projet de loi prévoyant ces mêmes mesures aurait pu être introduit, débattu, adopté et publié, par exemple, au cours des années 2002 et 2003, voire même au cours du premier semestre de 2004. Cela aurait permis de mettre en place, en temps utile, une solution adaptée au problème des « partis politiques fantômes » tout en respectant le principe de la stabilité des règles fondamentales de la législation électorale.

  86. .  La Cour considère, dès lors, qu’en introduisant tardivement dans la législation interne le cautionnement électoral et l’exigence de présenter 5 000 signatures soutenant la présentation du parti aux élections, les autorités bulgares ont manqué à établir un juste équilibre entre les intérêts légitimes de la société dans son ensemble et le droit du parti requérant de participer aux élections législatives. Il y a donc eu violation de l’article 3 du Protocole no 1.
  87. II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

    73.  Invoquant l’article 3 du Protocole no 1, le parti requérant estime que le refus de l’enregistrer en tant que candidat aux élections s’analyse en une atteinte injustifiée au droit des électeurs d’élire leurs représentants au Parlement, et que l’exigence de présenter une liste d’électeurs soutenant le parti porte atteinte au secret du scrutin.

    74.  La Cour a examiné ces griefs. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    75.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »


  88. .  Le requérant n’a pas présenté de demande de satisfaction équitable conformément aux exigences de l’article 38 § 1 du règlement de la Cour. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
  89. PAR CES MOTIFS, LA COUR

    1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 du Protocole no 1, relatif à l’introduction de trois nouvelles conditions pour la présentation des partis politiques aux élections législatives, et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 3 du Protocole no 1.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 novembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

         Fatoş Aracı                                                                         Lech Garlicki
    Greffière adjointe                                                                       Président

    Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge P. Panova.

    L.G.
    F.A.


    OPINION DISSIDENTE DE LA JUGE PANOVA

    (Traduction)

    Je souhaite ici exprimer mon désaccord avec la position de la majorité selon laquelle, dans le cas d’espèce, le facteur « temps » a été décisif concernant l’impossibilité pour le parti requérant Ekoglasnost de remplir les conditions de la loi électorale amendée et le refus consécutif de l’admettre à participer aux élections législatives de 2005.

    Pour accorder une importance décisive au facteur temporel, il faudrait que celui-ci ait constitué la seule raison pour laquelle le requérant n’a pas pu remplir les conditions de participation aux élections. Or j’estime que tel n’a pas été le cas en l’espèce. Les amendements de la législation interne qui font l’objet de la présente affaire sont entrés en vigueur le 12 avril 2005, soit deux mois et dix jours avant la date prévue des élections. Le projet de loi portant modification de la loi électorale a été présenté à l’Assemblée nationale en février 2005 et a été soumis à plusieurs débats publics. Deux des conditions contestées par le parti requérant, prévues dans le projet, étaient initialement beaucoup plus lourdes qu’après l’adoption finale de la loi : la caution électorale que chaque parti candidat devait payer avait à l’origine été fixée à 40 000 BGN et les 5 000 signatures de soutien du parti devaient provenir uniquement de membres du parti, leur liste devant être accompagnée des demandes respectives d’adhésion de ces personnes au parti. Dans la version définitive de ce texte, à laquelle les partis politiques devaient se conformer, ces deux conditions ont été sensiblement allégées : la caution électorale a été fixée à 20 000 BGN et les signatures en question pouvaient provenir non seulement des membres du parti concerné, mais de tous ses sympathisants. Je considère dès lors que ces deux conditions n’ont pas pris au dépourvu les partis politiques qui souhaitaient se présenter aux élections et que leur adoption dans la législation interne deux mois et dix jours avant la date du scrutin ne saurait poser de problème particulier à un parti politique résolu à y participer.

    Dans la requête qu’il a adressée à la Cour, le parti politique Ekoglasnost alléguait que l’introduction des trois nouvelles conditions à remplir pour pouvoir se présenter aux élections était illégale dans la mesure où elle visait à isoler les petites formations de la vie politique du pays. Ekoglasnost ne soutenait pas expressément dans sa requête que c’était à cause du court laps de temps qu’il n’avait pas pu remplir ces nouvelles conditions. De surcroît, il n’a soumis aucune preuve démontrant qu’il avait initié la collecte des signatures requises, qu’il avait essayé de trouver au moins une partie de l’argent pour payer la caution électorale ou qu’il avait demandé à la Cour des comptes de lui délivrer le certificat nécessaire. Face à cette totale passivité du parti requérant, on ne saurait considérer que c’était le court laps de temps entre l’introduction des trois nouvelles conditions et le jour du scrutin qui était à l’origine du refus des autorités électorales d’enregistrer Ekoglasnost comme candidat aux élections législatives.

    Il convient de noter par ailleurs que douze des vingt-deux partis et coalitions enregistrés pour participer aux élections parlementaires de 2005 ont obtenu moins d’un pour cent des voix et que quatre de ces mêmes partis et coalitions ont recueilli les voix de moins de 5 000 électeurs. C’étaient autant de petites formations politiques qui avaient pourtant rempli les conditions légales pour participer aux élections. Cela démontre que le but de l’amendement contesté de la législation interne n’était ni d’empêcher les petits partis politiques de participer aux élections ni de porter atteinte au pluralisme politique dans le pays.

    Je constate que le parti requérant n’a même pas essayé de remplir les conditions légales pour être admis à participer aux élections législatives. Dès lors, il ne saurait cacher sa passivité en alléguant qu’il a été victime d’une atteinte injustifiée à son droit de participer au scrutin. Tout en acceptant le constat de la majorité selon lequel les amendements de la législation électorale bulgare d’avril 2005 étaient prévisibles et poursuivaient un but légitime, je suis d’avis que les faits de l’espèce imposent la conclusion que ces amendements étaient proportionnés au but légitime poursuivi et qu’il n’y a donc pas eu violation de l’article 3 du Protocole no 1.


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