BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
European Court of Human Rights |
||
You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> OZMEN v. TURKEY - 28110/08 - HEJUD (French text) [2012] ECHR 2000 (04 December 2012) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2012/2000.html Cite as: [2012] ECHR 2000 |
[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]
DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ÖZMEN c. TURQUIE
(Requête no 28110/08)
ARRÊT
STRASBOURG
4 décembre 2012
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Özmen c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière
adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 novembre 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Le divorce prononcé par les juridictions australiennes
B. La procédure en divorce et attribution d’autorité parentale devant les juridictions turques
C. Les mesures tendant au retour de la fille du requérant en Australie
Le soir même, à 18 h 45, des policiers dressèrent un procès-verbal indiquant qu’ils s’étaient postés à diverses dates et diverses heures à l’adresse de la fugitive mais que celle-ci n’avait pas été vue entrant ou sortant de chez elle et qu’il en allait de même pour son lieu de travail.
II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT
« Si un jugement relatif au retour de l’enfant a été rendu, il ne peut en outre être statué sur l’autorité parentale. Toutefois, en cas de prononcé d’un jugement rejetant la demande de retour de l’enfant, il peut être statué sur l’autorité parentale. »
Aux termes de l’article 13 de cette loi, le prononcé d’un jugement sur l’autorité parentale après l’introduction d’une demande de retour de l’enfant, ne saurait constituer un motif de rejet de la demande de retour de l’enfant. L’article 14 de cette loi dispose en outre que lorsqu’une action en attribution d’autorité parentale a été introduite alors qu’une procédure en retour d’enfant était pendante, la procédure relative à l’autorité parentale devait être suspendue.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
L’article 8 de la Convention dispose notamment ce qui suit :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Sur la recevabilité
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
90. Le requérant soutient notamment que les autorités internes n’ont pas mené les recherches adéquates pour retrouver sa fille. Il leur reproche ainsi d’avoir limité les recherches aux seules adresses que lui-même leur avait communiquées, de n’avoir pas adopté de mesures de surveillance permanente, d’avoir limité leurs recherches quant à l’existence - au nom de son ex-épouse - d’abonnements à l’électricité, au gaz ou à l’eau à la seule région d’Ankara, d’avoir recherché si sa fille était scolarisée uniquement en 2008 et de ne pas avoir renouvelé ces recherches depuis, de ne pas avoir placé sous écoute téléphonique les proches de son ex-femme, d’avoir limité les recherches quant à ses données bancaires à une seule banque et d’avoir laissé son ex-femme repartir librement du bureau du procureur où elle se serait présentée.
2. Appréciation de la Cour
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
107. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 12 500 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
C. Intérêts moratoires
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la Requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
3. Dit,
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres turques, au taux applicable à la date du règlement :
i) 12 500 EUR (douze mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour dommage moral ;
ii) 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 décembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise
Elens-Passos Guido Raimondi
Greffière adjointe Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée concordante des juges H. Keller et A. Sajó.
G.R.A
F.E.P.
OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE KELLER,
À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE SAJÓ
1. En ce qui concerne l’article 8, nous souhaitons préciser la portée de notre vote en faveur d’un constat de violation du droit au respect de la vie familiale, et ce sur quatre points : la nature de la violation, les conséquences de l’arrêt sur le plan national, la durée de la procédure devant les autorités nationales et la durée de la procédure devant la Cour.
La nature de la violation
2. En l’espèce, la Cour ne précise pas quelle est la nature de la violation de l’article 8. L’arrêt semble plutôt se borner à rechercher si les juridictions nationales se sont livrées, dans un délai raisonnable, à un examen adéquat des implications concrètes du retour de l’enfant. A juste titre, la Cour n’est pas satisfaite de la procédure nationale, car le 6e tribunal de la famille d’Ankara a manifestement méconnu les obligations découlant de l’article 16 de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants en attribuant l’autorité parentale à la mère (paragraphes 18 et 100 de l’arrêt) au mépris du droit à la vie familiale du requérant. C’est pour cette raison que nous nous sommes prononcés en faveur d’un constat de violation de l’article 8 de la Convention.
3. Cependant, la Cour n’aurait pas dû s’arrêter là. Le père affirme explicitement que la santé psychologique et physique de sa fille est menacée (paragraphe 78 de l’arrêt). Or la Cour n’a pas répondu sur ce point. Il nous semble au moins vraisemblable qu’une enfant qui vit depuis sept ans dans la clandestinité ne bénéficie pas des conditions nécessaires à son développement. Il ressort du dossier que l’enfant a été scolarisée du 15 décembre 2007 au 15 janvier 2008 et une deuxième fois en mars 2009 (paragraphes 46 et 59 de l’arrêt). Pour le reste, et à la date de l’arrêt de la Cour, la fille du requérant demeure introuvable. Il nous paraît clair qu’une telle situation met en péril l’éducation et le bien-être psychologique de l’enfant. A notre avis, le fait que les autorités nationales se soient montrées incapables pendant des années de se conformer à leur propre décision, ce qui a eu de graves conséquences pour l’enfant, mérite un examen approfondi.
4. En ce qui concerne la longueur de la procédure sur le plan national et la violation de l’article 8 de la Convention pour cette raison, voir les paragraphes 9 et 10 ci-dessous.
Les conséquences de l’arrêt
5. L’arrêt passe sous silence les conséquences de la violation de l’article 8 de la Convention pour les autorités nationales.
6. En ce qui concerne le retour de l’enfant, l’article 12 de la Convention de La Haye envisage deux situations : « Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’Etat contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat » ; toutefois, poursuit le texte, « [l]’autorité judiciaire ou administrative, même saisie après l’expiration de la période d’un an prévue à l’alinéa précédent, doit aussi ordonner le retour de l’enfant, à moins qu’il ne soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu ».
7. Etant donné que la fille du requérant vit depuis déjà sept ans en Turquie, l’arrêt de la Cour ne peut pas être interprété comme signifiant qu’elle devra automatiquement être ramenée en Australie une fois qu’elle aura été trouvée. Bien évidemment, un tel retour aurait un nouvel effet traumatisant sur l’enfant. Nous aurions préféré que la Cour se prononce sur cet aspect (voir par exemple Shaw c. Hongrie, no 6457/09, § 75, 26 juillet 2011). Quand l’enfant aura été retrouvée par les autorités nationales, il faudra à nouveau évaluer son intérêt supérieur, en tenant compte tout particulièrement de la durée de son séjour en Turquie.
8. Dans ce contexte, le fait que le père résiderait actuellement en Turquie (paragraphe 5 de l’arrêt) n’est pas négligeable. Néanmoins, il nous semble important que la Cour soit claire sur ce point dans les futures affaires d’enlèvement d’enfant qui durent plus d’une année, afin d’éviter tout risque de malentendu avec les autorités nationales qui doivent tirer les conséquences d’un constat de violation de l’article 8 de la Convention.
La durée de la procédure devant les autorités nationales
9. La Cour critique la longueur de la procédure devant les autorités nationales (paragraphe 99 de l’arrêt). Il est vrai qu’une période de deux ans s’est écoulée avant l’adoption de la décision définitive du retour de l’enfant en Australie. Il faut toutefois souligner que les autorités nationales n’étaient pas unanimes et ont adopté des décisions controversées : la juridiction de première instance a refusé le retour de l’enfant en se fondant sur l’article 13 de la Convention de La Haye, tandis que la Cour de cassation a ordonné le retour de l’enfant. La Cour exige un examen détaillé dans le cadre duquel l’intérêt supérieur de l’enfant soit examiné au fond. Une telle procédure prend du temps, surtout si les deux parents doivent être entendus et tous les recours internes épuisés. Entre le 24 mai 2006 et le 10 décembre 2007, c’est-à-dire sur une période d’un an et sept mois, quatre décisions ont été adoptées par les autorités nationales. Nous convenons que les autorités nationales n’ont pas fait preuve d’une rapidité particulière et nous sommes convaincus que l’on pourrait accélérer les procédures pour les affaires d’enlèvement d’enfant.
La durée de la procédure devant la Cour
10. Cependant, il a fallu à la Cour elle-même plus de quatre ans pour rendre un arrêt dans l’affaire[1]. En l’espèce, ce retard n’a pas joué un rôle décisif sur le sort de l’enfant, qui était sous la surveillance des autorités nationales. Mais il va de soi qu’un tel laps de temps[2] peut avoir un effet contre-productif[3] et qu’il nécessite une position autocritique de la part de la Cour. D’un point de vue matériel, un tel délai est souvent problématique car le temps joue un rôle primordial dans ce type d’affaires. Après une période de plusieurs années sur le plan européen, les jeux sont faits, définitivement et irrémédiablement. L’enfant enlevé reste où il est indépendamment de l’arrêt de la Cour.
11. Nous regrettons que la Cour ne soit pas capable de trancher ce type d’affaires plus vite et estimons nécessaire de trouver une solution à cette situation intenable qui résulte entre autres du manque d’harmonisation entre les divers instruments internationaux applicables. Compte tenu des différents buts et responsabilités des divers instruments internationaux, il n’existe pas assez d’indications qui expliqueraient comment combiner les considérations découlant de l’obligation suprême de protéger les intérêts de l’enfant avec les autres facteurs pertinents.
[1]. Ce n’est pas la seule affaire d’enlèvement d’enfant, dans la jurisprudence plus récente de la Cour, qui ait duré plusieurs années. Voir, par exemple, Serghides c. Pologne, no 31515/04, 2 novembre 2010 (six ans et trois mois), Küçük c. Turquie et Suisse, no 33362/04, 17 mai 2011 (six ans et huit mois), Engin Bozkurt c. Turquie, no 40404/06 (déc.), 17 avril 2012 (cinq ans et sept mois), Strömblad c. Suède, no 3684/07, 5 avril 2012 (cinq ans et trois mois). Il existe également des exemples contraires dans lesquels la Cour a pu statuer dans un délai de moins d’un an, mais il s’agit pour la plupart de décisions. Voir, par exemple, Göçmen c. Turquie, no 46083/09, 6 juillet 2010 (déc.) (onze mois), Tarkhova c. Ukraine, no 8984/11 (déc.), 6 septembre 2011 (durée de sept mois).
[2]. Dans l’affaire Neulinger et Shuruk c. Suisse ([GC], no 41615/07, § 57, CEDH 2010), la procédure devant la chambre a duré un an et quatre mois et celle devant la Grande Chambre un an et six mois, ce qui a été abondamment critiqué par la doctrine : voir Hottelier Michel, Mock Hanspeter, Puéchavy Michel, La Suisse devant la Cour européenne des droits de l'homme, 2e édition, Schulthess : Zürich 2011, p. 202 ; Silberman Linda et Lipton Martin, « Case Comments and Perspectives: A Brief Comment on Neulinger and Shuruk v. Switzerland (2010), European Court of Human Rights », The Judges' Newsletter on International Child Protection, Vol. XVIII, 2012, pp. 18 et seq. ; « Interaction Between Recent Case-law of the European Court of Human Rights and the Hague Convention of 25 October 1980 on the Civil Aspects of International Child Abduction », déclaration de Hans van Loon, Secrétaire général de la Conférence de La Haye de droit international privé lors de la 41e réunion du Comité des conseillers juridiques sur le droit international public, Strasbourg, 17 mars 2011, en ligne sur http://www.hcch.net/upload/coe2011.pdf, consulté le 8 novembre 2012.
[3]. Même quelques cours suprêmes se sont prononcées défavorablement à cet égard : voir Richard John Bridge personally and as curator ad litem for his daughter Ella Bridge as appointed by decree dated 9th July 2012 v. Attorney General and Department for Social Welfare Standards, Cour constitutionnelle de Malte, appel civil no 52/2012/1, arrêt du 24 aout 2012, § 31 ; in re E (Children) [2011] UK Supreme Court 27, § 26 ; dans le cadre d’une procédure de révision, le Tribunal fédéral suisse a interprété l’arrêt européen de manière restrictive : voir arrêt du Tribunal fédéral du 26 mai 2011 (ATF 137 III 332).