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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> FLUERAS v. ROMANIA - 17520/04 - Chamber Judgment (French text) [2013] ECHR 303 (09 April 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/303.html
Cite as: [2013] ECHR 303

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE FLUERAŞ c. ROUMANIE

     

    (Requête no 17520/04)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    9 avril 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Flueraş c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Josep Casadevall, président,
              Alvina Gyulumyan,
              Ján Šikuta,
              Luis López Guerra,
              Kristina Pardalos,
              Johannes Silvis,
              Valeriu Griţco, juges,
    et de Santiago Quesada, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 mars 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 17520/04) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Cosmin Dragu Flueraş (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 février 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Me G. Mateuţ, avocat à Arad. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, M. R.-H. Radu et Mme I. Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

  3. .  Le requérant alléguait la violation de son droit à un procès équitable en ce que, après avoir été acquitté respectivement en première instance et en appel, il avait été condamné au pénal par un arrêt du 18 décembre 2003 de la cour d’appel de Timişoara, sans une nouvelle administration directe des preuves et sans qu’il soit entendu en personne.

  4. .  Le 3 juillet 2008, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

  5. .  Le 9 mars 2011, constatant à partir des observations écrites des parties que la procédure pénale engagée contre le requérant avait été rouverte
    entre-temps, la Cour a invité les parties à présenter des renseignements sur cette procédure et leurs observations complémentaires. Le Gouvernement et le requérant ont déposé leurs observations complémentaires respectivement le 6 mai 2011 et le 27 mai 2011. Le Gouvernement a transmis ses commentaires sur les observations complémentaires du requérant le 5 juillet 2011.

  6. .  A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du Règlement de la Cour), le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
  7. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  8. .  Le requérant est né en 1973 et réside à Arad.

  9. .  Par un réquisitoire du parquet du 23 janvier 2001, le requérant et N.S. furent renvoyés en jugement du chef de trafic organisé de substances toxiques, sur le fondement de l’article 312 § 2 du code pénal. Ils étaient accusés d’avoir recruté, formé et financé M.M. et M.H. pour qu’elles rapportent de la cocaïne du Brésil, via Moscou, entre novembre 1996 et janvier 1997. Le réquisitoire était fondé sur les dépositions de M.M. et M.H., qui avaient témoigné de la participation du requérant, et en particulier du fait qu’il avait convaincu M.M. de faire partie de l’opération. Par ailleurs, M.M. et M.H. avaient déjà été condamnées par un tribunal de Moscou en janvier 1998 à des peines de prison du chef de contrebande et trafic de cocaïne après la découverte par les autorités russes d’environ un kilogramme de cocaïne dans leurs bagages. Plusieurs membres de la famille de M.M. déclarèrent qu’après l’arrestation de celle-ci en Russie, le requérant leur avait dit l’avoir convaincue de participer à l’opération, et que les parents du requérant leur avaient demandé de ne pas dénoncer leur fils et N.S. à la police.

  10. .  Le tribunal de première instance d’Arad procéda à l’audition des inculpés et des témoins. Le témoin M.H. retira sa déposition, indiquant qu’elle avait rencontré une seule fois le requérant lorsqu’il l’avait accompagnée à la gare pour prendre le bus pour Budapest, d’où M.M. et elle devaient partir pour Rio de Janeiro. Elle souligna que le requérant n’avait jamais participé à l’organisation de l’opération, laquelle avait été prise en mains uniquement par N.S. Malgré son refus initial de déposer, M.M. fit plusieurs déclarations contradictoires quant à la participation du requérant aux événements.

  11. .  Lors de l’audience publique du 10 février 2003, le tribunal souleva, en application de l’article 334 du code de procédure pénale (« CPP »), la question de la requalification juridique des faits compte tenu de l’entrée en vigueur, le 3 août 2000, de la loi no 143 du 26 juillet 2000 relative à la lutte contre le trafic et la consommation illicite de drogues (ci-après « la loi no 143/2000 »). Cette nouvelle loi abrogeait l’article 312 du code pénal en ce qui concernait les drogues. Le tribunal estimait que les faits incriminés s’apparentaient à une tentative d’infraction, réprimée par l’article 3 § 2 (le fait d’introduire ou de sortir du pays ainsi que d’importer ou d’exporter de manière illégale des drogues dures) combiné avec l’article 10 (la planification, la direction ou le financement des faits décrits dans plusieurs articles de la loi, dont l’article 3 précité) de la loi no 143/2000. Le tribunal fit valoir que cette dernière loi était plus favorable aux inculpés, compte tenu du montant des peines prévues, et que la requalification des faits était autorisée par l’article 13 du code pénal régissant l’application de la loi pénale plus douce aux intéressés.

  12. .  L’avocat du requérant acquiesça à la nouvelle qualification des faits et le requérant s’en remit au tribunal quant à cet aspect. Le parquet demanda la condamnation des inculpés pour l’infraction commise réprimée par les articles précités et non pour tentative d’infraction.

  13. .  Par un jugement du même jour, le tribunal de première instance d’Arad estima peu crédibles les dépositions contradictoires faites devant lui et acquitta le requérant du chef de l’infraction réprimée par l’article 312 § 2 du code pénal. En revanche, il condamna N.S. à huit ans de prison ferme pour tentative d’organisation d’introduction dans le pays de drogues dures, en application de l’article 10 combiné avec l’article 3 § 2 de la loi no 143/2000.

  14. .  Le parquet et N.S. interjetèrent appel auprès du tribunal départemental d’Arad. Le parquet demanda la condamnation des inculpés pour infraction consommée à la loi no 143/2000.

  15. .  Les débats eurent lieu le 10 septembre 2003. L’avocat du requérant demanda que l’appel soit rejeté et que le jugement rendu en première instance soit confirmé. Il déposa des conclusions écrites qui ne contenaient pas de commentaires explicites sur la requalification éventuelle des faits. Le requérant plaida à nouveau son innocence.

  16. .  Par un arrêt du 17 septembre 2003, le tribunal départemental d’Arad requalifia les faits reprochés au requérant en tentative d’infraction à la loi no 143/2000, et maintint son acquittement. Il confirma la condamnation de N.S.

  17. .  Le parquet et N.S. formèrent un recours. Le parquet demanda à nouveau la condamnation des inculpés pour infraction consommée à la loi no 143/2000.

  18. .  Les débats eurent lieu le 17 décembre 2003 devant la cour d’appel de Timişoara. L’avocat du requérant demanda que le recours soit rejeté et déposa des conclusions écrites qui ne contenaient pas de commentaires explicites sur la requalification éventuelle des faits. Le requérant eut l’occasion de s’exprimer en dernier et clama à nouveau son innocence.

  19. .  Par un arrêt du 18 décembre 2003, la cour d’appel accueillit le recours du parquet, annula le jugement du tribunal de première instance d’Arad et rejugea l’affaire sur le fond. Elle condamna le requérant et N.S. pour l’infraction prévue à l’article 10 combiné avec l’article 3 § 2 de la loi no 143/2000 à respectivement quinze et dix-sept ans de prison ferme et à l’interdiction de l’exercice de certains droits. La cour d’appel estima que la participation du requérant à la planification de l’opération était prouvée par les dépositions de M.H. devant le parquet et par celles de M.M. devant le parquet et le tribunal de première instance, dépositions corroborées par les déclarations des membres de la famille de M.M.

  20. .  Le 7 janvier 2004, un mandat d’arrêt fut émis au nom du requérant, mais il ne fut pas mis à exécution étant donné que le requérant avait quitté la Roumanie le 18 décembre 2003.

  21. .  En 2008, sur le fondement du nouvel article 386 e) du CPP, le requérant forma une contestation (contestaţie în anulare) contre l’arrêt du 18 décembre 2003. Il estimait que les dispositions de l’article 38516 du CPP avaient été méconnues étant donné que la juridiction de recours l’avait condamné sans qu’il soit entendu en personne et sans qu’aucune preuve ne soit administrée devant lui.

  22. .  Par un arrêt du 27 juin 2008, la cour d’appel de Timişoara accueillit la contestation du requérant, annula l’arrêt du 18 décembre 2003 et ordonna le réexamen du recours. Pour ce faire, la cour d’appel nota que le requérant n’avait pas été entendu en personne, comme l’exigeait le nouvel article 38516 du CPP, ainsi que par la jurisprudence Constantinescu c. Roumanie (no 28871/95, CEDH 2000-VIII) de la Cour.

  23. .  Lors du réexamen du recours, le requérant demanda à plusieurs reprises la citation de son coïnculpé, N.S., mais la cour d’appel lui opposa un refus, indiquant que la procédure avait été rouverte uniquement à son égard.

  24. .  Lors de l’audience du 26 janvier 2009, le requérant invoqua l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 38515 § 2 d) du CPP qu’il estima contraire à la Constitution, à l’article 2 § 1 du Protocole no 7 à la Convention et à l’article 14 § 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en ce qu’il permettait à la juridiction de recours de prononcer pour la première fois la condamnation d’une personne sur la base des preuves administrées uniquement devant les tribunaux inférieurs. Il invoqua à l’appui l’arrêt de la Cour adopté dans la requête Spînu c. Roumanie (no 32030/02, 29 avril 2008).
  25. La cour d’appel transmit l’exception soulevée à la Cour constitutionnelle, accompagnée de son point de vue. Elle estimait que l’article mentionné par le requérant était conforme à la Constitution en ce qu’il permettait à la juridiction de recours de réinterpréter les preuves administrées par les tribunaux inférieurs dans le but de découvrir la vérité.

    Par une décision du 19 mai 2009, la Cour constitutionnelle rejeta l’exception soulevée, estimant qu’il est loisible à l’intéressé de proposer la production de preuves utiles et pertinentes pour l’affaire au stade du recours et que le tribunal rend sa décision de condamnation après l’appréciation des preuves ainsi administrées.


  26. .  Lors de l’audience du 6 octobre 2009, le requérant invoqua également l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 392 § 1 du CPP régissant la contestation (contestaţie în anulare) qui dit que le tribunal, après avoir accueilli une telle voie de recours, procède soit tout de suite soit après avoir reporté l’audience, au réexamen de l’affaire. Le requérant estimait que cette disposition empêchait le tribunal de citer à comparaître toutes les parties à la procédure, et en particulier son coïnculpé, et cela en méconnaissance du principe du contradictoire et donc de son droit à un procès équitable au sens de l’arrêt adopté par la Cour dans la requête Spînu précitée. La cour d’appel refusa de saisir la Cour constitutionnelle de l’exception invoquée, considérant qu’elle ne concernait pas l’objet de la procédure.

  27. .  Lors de l’audience du 22 mars 2010, le requérant demanda que les pièces des dossiers dans les procédures à la fin desquelles M.M. et M.H. avaient été condamnées par les tribunaux russes, y compris les drogues confisquées par les autorités russes, soient versées au dossier. Il requit en outre que la procédure de reconnaissance officielle des décisions définitives de condamnation soit entamée. La cour d’appel estima que ces preuves n’étaient pas utiles pour l’affaire, étant donné le simple statut de témoins de M.M. et de M.H. dans l’affaire, et rejeta dès lors les demandes du requérant.

  28. .  L’affaire fut reportée à plusieurs reprises sur demande des avocats du requérant qui étaient dans l’impossibilité de se présenter devant la cour d’appel ou en raison de l’absence du requérant aux audiences.

  29. .  Une nouvelle demande de saisine de la Cour constitutionnelle d’une exception d’inconstitutionnalité, ainsi que deux demandes de dépaysement du requérant furent en outre rejetées.

  30. .  Le 31 janvier 2011, le requérant comparut devant la cour d’appel qui l’entendit en audience publique. Aucun témoin ne fut entendu par la cour d’appel.

  31. .  Par un arrêt du même jour, la cour d’appel de Timişoara condamna le requérant du chef de l’infraction prévue à l’article 10 combiné avec l’article 3 § 2 de la loi no 143/2000 à quinze ans de prison ferme et à l’interdiction de l’exercice de certains droits. La cour d’appel estima que la participation du requérant à la planification, à la direction et au financement de l’opération était prouvée par les dépositions de M.H. devant le parquet et par celles de M.M. devant le parquet et le tribunal de première instance, dépositions corroborées par les déclarations des membres de la famille de M.M..
  32. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    A.  Le code de procédure pénale (« CPP ») en vigueur à l’époque des faits

    30.  Les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

    Article 341

    « Avant de clore les débats, le président de la formation de jugement doit donner la parole en dernier à l’inculpé présent.

    Pendant que l’inculpé a la parole en dernier, il ne peut pas être interrogé. Si l’inculpé fait état de nouveaux faits ou circonstances, essentiels pour le jugement de l’affaire, le tribunal ordonne la reprise de l’enquête judiciaire. »

    Article 38514

    « La juridiction statuant sur un pourvoi en recours examine l’arrêt attaqué en se fondant sur les pièces du dossier et sur tout autre écrit nouveau présenté devant elle.

    La juridiction de recours doit répondre à tous les moyens de recours invoqués par le procureur et les parties. »

    Article 38515

    « Lorsqu’il statue sur le pourvoi en recours, le tribunal peut (...)

    2.  faire droit au pourvoi, infirmer la décision attaquée et (...)

    a)  confirmer le jugement rendu en premier ressort, lorsque l’appel a été illégalement admis (...)

    c)  (...) lorsqu’il s’agit de la Cour suprême de justice [devenue la Haute Cour de cassation et de justice], renvoyer l’affaire pour jugement au tribunal dont la décision a été cassée, si l’administration de preuves s’impose (...)

    d)  retenir l’affaire pour la juger à nouveau (...) »

    Article 38516

    « Lorsque le tribunal ayant statué sur le pourvoi en recours retient l’affaire pour la juger à nouveau conformément à l’article 385-15 par. 2 d), il se prononce également sur les questions relatives à l’administration des preuves et fixe une date pour les débats (...) »

    Article 38519

    « Lorsqu’un premier jugement a été infirmé, le deuxième procès se déroule conformément aux dispositions des chapitres I (Le procès - Dispositions générales) et II (Le procès en première instance) du titre II, qui s’appliquent mutatis mutandis. »

    B.  Les modifications du code de procédure pénale entrées en vigueur en septembre 2006


  33. .  Les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :
  34. Article 38514

    « 1.  Lorsque le tribunal statue sur le pourvoi en recours, il doit interroger l’inculpé présent (...), lorsque ce dernier n’a pas été entendu par les juridictions ayant statué sur le fond et en appel ou encore lorsque ces juridictions n’ont pas prononcé antérieurement une décision de condamnation. »

    Article 38516

    « Lorsque le tribunal qui a statué sur le pourvoi en recours retient l’affaire pour la juger à nouveau conformément à l’article 385-15 par. 2 d), il se prononce également, par une décision, sur les questions relatives à l’administration des preuves et fixe une date pour les débats. Lors des débats, le tribunal doit entendre l’inculpé présent, conformément aux dispositions prévues dans la Partie spéciale, Titre II, Chapitre II, lorsque ce dernier n’a pas été entendu par les juridictions ayant statué sur le fond et en appel ou encore lorsque ces juridictions n’ont pas prononcé antérieurement une décision de condamnation. »

    Article 386 e)

    « Une contestation peut être formée contre les décisions pénales définitives dans les cas suivants : (...)

    e) si, lors de l’examen ou du réexamen de l’affaire au stade du recours, l’inculpé qui était présent, n’a pas été entendu et que son audition était impérative conformément aux articles 38514 § 11 ou 38616 §1. »

    Article 4081

    « 1.  Les décisions définitives prononcées dans des affaires à l’égard desquelles la Cour européenne des droits de l’homme a constaté une violation des droits et libertés fondamentaux peuvent faire l’objet d’une révision si les conséquences graves de cette violation perdurent et ne peuvent être supprimées que par la révision de la décision en cause.

    2.  La révision peut être demandée par :

    a)  la personne dont le droit a été méconnu ;

    b)  l’époux ou les parents proches du condamné, même après le décès de ce dernier ;

    c)  le procureur.

    3.  La demande de révision est déposée auprès de la Haute Cour de cassation et de justice, qui statue en formation de neuf juges.

    4.  Le délai de présentation de la demande de révision est d’un mois à partir de la date de la décision définitive de la Cour européenne des droits de l’homme.

    (...)

    8.  Lorsque le tribunal constate que la demande est fondée, il :

    a)  annule en partie la décision, en ce qu’elle affectait le droit méconnu, et statue sur le fond de l’affaire selon les dispositions du chapitre III, section II, en remédiant aux conséquences de la violation ;

    b)  annule la décision et, si de nouvelles mesures d’instruction sont nécessaires, ordonne le réexamen de l’affaire par le tribunal dont la décision se trouve à l’origine de la violation, selon les dispositions du chapitre III, section II (...) »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


  35. .  Le requérant allègue qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable en l’espèce, ayant été condamné par la juridiction de recours aussi bien en 2003 qu’en 2011, sans être entendu et sans administration directe des preuves alors qu’il avait été acquitté par les tribunaux inférieurs sur le fondement des mêmes éléments. Le requérant se plaint également que ses droits de la défense ont été méconnus, au motif qu’il n’a pas pu interroger les témoins à charge et à décharge devant la cour d’appel de Timişoara, qui a fondé ses décisions de 2003 et 2011 sur des dépositions faites devant le parquet en son absence et celle de son avocat. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.
  36. La Cour estime que les allégations du requérant doivent être examinées sous l’angle du seul article 6 § 1 de la Convention (voir aussi Sigurþór Arnarsson c. Islande, no 44671/98, § 29 in fine, 15 juillet 2003, Găitănaru c. Roumanie, no 26082/05, § 19, 26 juin 2012). La partie pertinente de l’article 6 § 1 est ainsi libellée :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

    A.  Sur la recevabilité


  37. . Dans ses observations écrites transmises à la Cour le 29 octobre 2008, le Gouvernement soutient que le requérant a perdu la qualité de victime en ce qui concerne son grief initial en raison de la réouverture de la procédure pénale en juin 2008. Dès lors, tout événement ultérieur ne relèverait pas du champ de la présente procédure.

  38. .  Dans ces mêmes observations, il ajoute qu’en tout état de cause, le grief du requérant devait être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes étant donné que la procédure pénale contre le requérant était pendante à l’époque, après sa réouverture.

  39. .  Dans ses observations écrites complémentaires transmises sur invitation de la Cour le 6 mai 2011, le Gouvernement souligne que le requérant ne peut pas se prétendre victime de la nouvelle procédure qui a pris fin avec l’arrêt de la cour d’appel de Timişoara du 31 janvier 2011, procédure qui lui a permis de bénéficier d’un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention.

  40. .  La Cour rappelle qu’elle a été amenée récemment à se prononcer sur une exception tirée de la perte de la qualité de victime similaire dans l’affaire Sakhnovski c. Russie ([GC], no 21272/03, §§ 40 et suiv., 2 novembre 2010). Dans cette affaire, elle a considéré que cette exception était étroitement liée au fond des griefs présentés par le requérant sur le terrain de l’article 6 de la Convention puisque l’appréciation de la qualité de victime tient dans une large mesure à la qualification juridique de la deuxième procédure comme procédure distincte ou bien comme partie de la même action pénale. Aussi la Cour a-t-elle préféré joindre au fond l’exception préliminaire du Gouvernement relative à la perte de la qualité de victime. Elle estime que la même approche s’impose également dans la présente requête.

  41. .  Pour ce qui est de l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes, eu égard à la réouverture de la procédure, et de celle tirée de l’absence de la qualité de victime par rapport à l’arrêt du 31 janvier 2011 de la cour d’appel de Timişoara, la Cour note que la manière dont le Gouvernement formule ces exceptions dans la présente affaire, les rend étroitement liées à la première exception, raison pour laquelle la Cour juge qu’elles doivent également être jointes au fond de la requête.

  42. .  La Cour constate en outre que le grief du requérant n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  43. B.  Sur le fond

    1.  Thèses des parties

    a)  Le Gouvernement

    39.  Dans ses observations écrites du 29 octobre 2008, le Gouvernement soutient principalement que l’annulation de l’arrêt de condamnation du 18 décembre 2003 en raison de l’absence d’un procès équitable et la tenue même d’un nouveau procès constituent en elles-mêmes une « reconnaissance expresse » de la violation alléguée par le requérant et un « redressement suffisant » pour la violation dénoncée dans le cadre de la requête initiale. A l’appui de cette thèse, il souligne que la présente affaire diffère de l’affaire Constantinescu, précitée, dans laquelle les tribunaux n’avaient reconnu ni expressément ni en substance la violation alléguée par le requérant. Il met en exergue en outre que le requérant n’a demandé aucun dédommagement pour un éventuel dommage matériel ou moral subi, qu’il n’a pas été condamné au paiement des frais et dépens judiciaires et, surtout, qu’il n’a jamais été incarcéré puisque le mandat d’arrêt émis à son nom n’a pas pu être mis à exécution. Dans ces mêmes observations, il ajoute qu’en tout état de cause, le grief du requérant devrait être rejeté pour non­épuisement des voies de recours internes étant donné que la procédure pénale contre le requérant était pendante à l’époque, après sa réouverture. Sur le fond, le Gouvernement souligne que le requérant a bénéficié d’un procès équitable dans la procédure qui a pris fin avec l’arrêt de la cour d’appel de Timişoara du 18 décembre 2003.


  44. .  Quant à la seconde procédure, dans ces observations complémentaires transmises sur invitation de la Cour les 6 mai et 5 juillet 2011, le Gouvernement considère que ces nouveaux éléments n’ont aucun lien avec la présente affaire et que le requérant n’a soulevé, jusqu’alors, aucun grief quant à cette nouvelle procédure. Il invoque en outre une exception ratione personae, estimant que le requérant ne saurait se prétendre victime d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant à la procédure qui a pris fin avec l’arrêt de la cour d’appel de Timişoara du 31 janvier 2011, compte tenu de ce qu’il a été présent aux débats, qu’il a été interrogé par la juridiction de recours et de ce qu’il n’a demandé ni l’audition des parties au procès pénal ni la réadministration des preuves.

  45. .  Sur le fond du grief, le Gouvernement fait valoir que, dans la présente affaire, à la différence de l’affaire Constantinescu précitée, le requérant a été entendu en personne par le parquet, par la juridiction statuant en premier ressort et, après la réouverture de la procédure, par la cour d’appel de Timişoara, en dernier ressort. Par ailleurs, il a eu la possibilité de proposer des moyens de preuve et de combattre les éléments de preuve à charge proposés par le parquet et de présenter ses conclusions orales et écrites. Le Gouvernement souligne que le requérant a omis de demander formellement l’audition de N.S., se bornant à demander uniquement sa comparution en tant que partie à la procédure ou l’audition des autres témoins.

  46. .  Le Gouvernement rappelle également que, selon la jurisprudence de la Cour, c’est en principe aux juridictions nationales qu’il appartient d’apprécier les éléments rassemblés par elles et la pertinence de ceux dont les accusés souhaitent la production (Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne, 6 décembre 1988, § 68, série A no 146). A cet égard, il estime que la cour d’appel de Timişoara a seulement procédé à une appréciation différente des déclarations des témoins par rapport à celle faite par les tribunaux inférieurs, matière qui relève au premier chef du droit interne et de la compétence des juridictions internes. A cet égard, le Gouvernement mentionne qu’il n’existe en droit roumain aucune disposition légale qui établisse un ordre de préférence entre les déclarations successives faites pendant l’instruction et devant les tribunaux, dans l’hypothèse où celles-ci seraient contradictoires. Selon lui, la cour d’appel de Timişoara a fondé sa décision sur des preuves légalement recueillies qui démontrent de manière convaincante la culpabilité du requérant.

  47. .  Dans ces conditions, le Gouvernement conclut que la condamnation du requérant a été prononcée par des juridictions respectant les garanties d’indépendance, d’impartialité et de publicité dans le cadre d’un procès équitable répondant aux exigences de l’égalité des armes garanties par l’article 6 § 1 de la Convention.
  48. b)  Le requérant


  49. .  S’agissant des exceptions soulevées par le Gouvernement dans ses observations écrites du 29 octobre 2008, le requérant estime qu’elles doivent être rejetées puisque la législation régissant la contestation (contestaţie în anulare), voie de recours extraordinaire, accueillie par la juridiction de recours, et l’examen du recours qui s’ensuivait, ne permettaient pas à cette juridiction l’administration directe des preuves au sens de la jurisprudence de la Cour en la matière, à l’exception de l’audition de l’inculpé et le versement de documents au dossier. Cette même obligation n’a d’ailleurs été introduite qu’en septembre 2006, après la modification du code de procédure pénale. Dans ces conditions, il souligne que l’annulation de l’arrêt du 18 décembre 2003 n’efface pas la violation alléguée de la Convention pour l’avenir. Le requérant souligne également qu’il avait épuisé les voies de recours ordinaires disponibles en droit interne au moment de l’introduction de la requête devant la Cour.
  50. Sur le fond du grief, le requérant allègue que sa condamnation par l’arrêt du 18 décembre 2003 de la cour d’appel de Timişoara en l’absence d’audition des témoins sur les dépositions desquels la juridiction de recours avait fondé son verdict et sans qu’il soit entendu en personne s’analyse en une méconnaissance du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention. Il estime qu’il appartenait à cette juridiction de prendre des mesures positives en vue de son audition et de celle des témoins. Il cite en outre les conclusions de la Cour dans les arrêts Constantinescu et Spînu précités.


  51. .  Dans ses observations complémentaires du 27 mai 2011, le requérant estime que l’arrêt de la cour d’appel de Timişoara du 31 janvier 2011 n’a permis de remédier à aucune violation alléguée dans sa requête initiale. A cet égard, le requérant entend souligner en particulier que son audition par la juridiction de recours a été purement formelle et que celle-ci a rejeté sa demande de citation de N.S., citation à laquelle elle était tenue conformément à la loi pénale. Il critique également le refus de la cour d’appel d’accueillir ses demandes visant, en premier lieu, la transmission des pièces des dossiers dans les procédures où M.M. et M.H. avaient été condamnées par les tribunaux russes, y compris les drogues confisquées par les autorités russes et, en deuxième lieu, la reconnaissance officielle des décisions définitives de condamnation (paragraphe 25 ci-dessus).
  52. 2.  Appréciation de la Cour

    a)  Sur la qualité de victime suite à la réouverture de la procédure et l’épuisement des voies de recours internes


  53. .  La Cour rappelle d’emblée que le système européen de protection des droits de l’homme se fonde sur le principe de subsidiarité. Les États doivent avoir la possibilité de redresser des violations passées avant
    qu’elle-même n’examine le grief. Toutefois, « le principe de subsidiarité ne signifie pas qu’il faille renoncer à tout contrôle sur le résultat obtenu du fait de l’utilisation de la voie de recours interne » (
    Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 2) [GC], no 65102/01, § 81, 29 mars 2006). En outre, il ne faut pas donner au principe de subsidiarité une interprétation qui permette aux États de se soustraire à la juridiction de la Cour.

  54. .  En fait, un accusé ne saurait revendiquer la qualité de victime d’une violation de l’article 6 § 1 avant sa condamnation (avec quelques exceptions concernant, entre autres, l’exigence du délai raisonnable ou l’accès à un tribunal). La réouverture peut apparaître comme faisant « retourner » le requérant à la situation où il se trouvait avant de devenir victime, donc comme rétablissant le statu quo ante. Toutefois, de l’avis de la Cour, l’acquisition ou la perte de la qualité de victime ne sont pas forcément régies par les mêmes règles (Sakhnovski, précité, § 78).

  55. .  La Cour estime que la réouverture de la procédure ne peut en soi automatiquement passer pour un redressement suffisant de nature à ôter au requérant la qualité de victime. Pour déterminer si le requérant conserve ou non cette qualité, la Cour envisage la procédure dans son ensemble, y compris celle qui a suivi la réouverture. Cette approche permet de ménager un équilibre entre le principe de subsidiarité et l’effectivité du mécanisme de la Convention. D’une part, l’État peut rouvrir et réexaminer des affaires pénales pour redresser des violations passées de l’article 6 de la Convention. D’autre part, la nouvelle procédure doit être conduite avec célérité et dans le respect des garanties de l’article 6 de la Convention. Grâce à cette approche, la procédure après la réouverture ne saurait se soustraire au contrôle de la Cour et l’effectivité du droit de recours individuel est ainsi préservée (Sakhnovski, précité, § 83).

  56. .  En résumé, la Cour estime que la simple réouverture de la procédure dans le cadre d’une contestation ne constitue pas un redressement approprié et suffisant pour le requérant. Celui-ci peut donc toujours se prétendre victime au sens de l’article 34 de la Convention. En conséquence, la Cour rejette les exceptions préliminaires soulevées par le Gouvernement par rapport à la qualité de victime du requérant.

  57. .  La Cour souligne également qu’après avoir été informée de la réouverture de la procédure, elle a invité les parties à présenter des renseignements à cet égard ainsi que des observations complémentaires. Dans ces observations envoyées le 27 mai 2011, le requérant alléguait que l’arrêt de la cour d’appel de Timişoara du 31 janvier 2011 n’avait permis de remédier à aucune violation alléguée dans sa requête initiale (paragraphe 45 ci-dessus). Le Gouvernement, sur invitation de la Cour, a soumis ses commentaires en réponse (paragraphes 40-43 ci-dessus). Eu égard à l’ensemble de la procédure menée devant elle, la Cour estime que le Gouvernement ne s’est pas trouvé désavantagé par rapport au requérant et qu’il a pu exposer son point de vue sur l’affaire dans son ensemble (voir, mutatis mutandis, Sakhnovski, précité, § 87-88). Dans ces conditions, elle considère qu’il convient de rejeter l’argument du Gouvernement consistant à dire que la nouvelle procédure n’a aucun lien avec la présente affaire et que le requérant n’a soulevé aucun grief quant à cette nouvelle procédure.

  58. .  Par ailleurs, la Cour note que l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes, telle que formulée par le Gouvernement, doit également être rejetée, étant donné que la cour d’appel de Timişoara a adopté un nouvel arrêt dans la procédure, la condamnation du requérant étant maintenant définitive. La Cour note que le Gouvernement n’a pas soutenu que le requérant aurait manqué d’épuiser les voies de recours internes avant sa saisine initiale, en 2004.

  59. .  La Cour doit maintenant déterminer si la procédure qui s’est déroulée après la réouverture se conciliait avec les exigences d’équité au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
  60. b)  Sur le point de savoir si le requérant a bénéficié d’un procès équitable


  61. .  La Cour rappelle que les modalités d’application de l’article 6 de la Convention aux procédures d’appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s’agit ; il convient de tenir compte de l’ensemble de la procédure interne et du rôle dévolu à la juridiction d’appel dans l’ordre juridique national. Lorsqu’une audience publique a eu lieu en première instance, l’absence de débats publics en appel peut se justifier par les particularités de la procédure en question, eu égard à la nature du système d’appel interne, à l’étendue des pouvoirs de la juridiction d’appel, à la manière dont les intérêts du requérant ont réellement été exposés et protégés devant elle, et notamment à la nature des questions qu’elle avait à trancher (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996-I).

  62. .  En outre, la Cour a déclaré que lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité du procès, décider de ces questions sans appréciation directe des témoignages présentés en personne par l’accusé qui soutient qu’il n’a pas commis l’acte tenu pour une infraction pénale (Ekbatani c. Suède, arrêt du 26 mai 1988, série A no 134, § 32 et Constantinescu précité, § 55).

  63. .  La Cour rappelle également que la recevabilité des preuves relève au premier chef des règles du droit interne, que c’est en principe aux juridictions nationales qu’il revient d’apprécier les éléments recueillis par elles, et que la mission confiée à la Cour par la Convention consiste à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I). Ainsi, s’« il incombe en principe au juge national de décider de la nécessité ou opportunité de citer un témoin (...), des circonstances exceptionnelles pourraient conduire la Cour à conclure à l’incompatibilité avec l’article 6 de la non-audition d’une personne comme témoin » (Bricmont c. Belgique, 7 juillet 1989, § 89, série A no 158).

  64. .  Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe tout d’abord qu’après la réouverture de la procédure en 2008, le requérant a été entendu par la cour d’appel de Timişoara. Elle estime que l’argument du requérant consistant à dire que son audition a été purement formelle (paragraphe 45 ci-dessus) n’est pas suffisamment étayé. En revanche, il n’est pas contesté que le requérant a été condamné par la cour d’appel sans que les témoins fussent de nouveau entendus (paragraphe 42 ci-dessus). Dès lors, afin de déterminer s’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention, il échet d’examiner le rôle de la cour d’appel de Timişoara et la nature des questions dont elle avait à connaître.

  65. .  La Cour observe qu’en l’espèce l’étendue des pouvoirs de la juridiction de recours est définie dans les articles 38515 et 38516 du CPP. Conformément à l’article 38515, la cour d’appel, en tant qu’instance de recours, n’était pas tenue de rendre un nouveau jugement sur le fond, mais elle en avait la possibilité. Le 31 janvier 2011, la cour d’appel a accueilli le pourvoi en recours du parquet, a cassé le jugement du tribunal de première instance du 10 février 2003 et l’arrêt du 17 septembre 2003 du tribunal départemental, et a rendu un nouvel arrêt sur le fond. Selon les dispositions légales précitées, il en résulte que la procédure devant la juridiction de recours était une procédure complète qui suivait les mêmes règles qu’une procédure au fond, la cour d’appel étant amenée à connaître tant des faits de la cause que du droit. La juridiction de recours pouvait décider, soit de confirmer l’acquittement du requérant, soit de le déclarer coupable, après s’être livrée à une appréciation complète de la question de la culpabilité ou de l’innocence de l’intéressé, en administrant le cas échéant de nouveaux moyens de preuve. En outre, les aspects que la cour d’appel a dû analyser afin de se prononcer sur la culpabilité du requérant avaient un caractère essentiellement factuel. Il s’agissait d’apprécier si le requérant avait participé à la planification du trafic de drogues (voir aussi, mutatis mutandis, Dănilă c. Roumanie, no 53897/00, § 39, 8 mars 2007, Găitănaru, précité, § 30).

  66. .  En l’espèce, la Cour note que l’acquittement initial du requérant par les tribunaux d’Arad avait eu lieu après l’audition de plusieurs témoins. Ces tribunaux avaient considéré que les témoignages figurant au dossier n’étaient pas suffisants pour établir la culpabilité du requérant. Pour y substituer une condamnation, les juges de recours ne disposaient d’aucune donnée nouvelle et se sont fondés exclusivement sur les pièces du dossier, principalement sur les témoignages faits devant le parquet et en première instance. C’est donc sur la seule base des dépositions écrites recueillies par le parquet et des notes d’audience du tribunal de première instance relatant les déclarations des témoins que la cour d’appel de Timişoara a analysé les témoignages et conclu à leur caractère sincère et suffisant pour fonder un verdict de culpabilité.

  67. .  Pour l’essentiel, la cour d’appel a fondé la condamnation du requérant sur une nouvelle interprétation de témoignages dont elle n’a pas entendu les auteurs. Elle a ainsi pris le contre-pied des jugements des tribunaux inférieurs, qui avaient relaxé le requérant sur la base, notamment, des dépositions de ces témoins faites lors des audiences tenues devant eux. S’il appartient à la juridiction de recours d’apprécier les diverses données recueillies, de même que la pertinence de celles dont le requérant souhaitait la production, il n’en demeure pas moins que le requérant a été reconnu coupable sur la base des témoignages mêmes qui avaient suffisamment fait douter les premiers juges du bien-fondé de l’accusation contre le requérant pour motiver son acquittement en première instance et en appel. Dans ces conditions, l’omission de la cour d’appel de Timişoara d’entendre ces témoins avant de le déclarer coupable a sensiblement réduit les droits de la défense (Destrehem c. France, no 56651/00, § 45, 18 mai 2004, et Găitănaru, précité § 32).

  68. .  Enfin, pour autant que le Gouvernement souligne le fait que le requérant n’a pas demandé à la cour d’appel l’audition des témoins, la Cour estime que la juridiction de recours était tenue de prendre d’office des mesures positives à cette fin, même si le requérant ne l’avait pas sollicitée expressément en ce sens (voir, mutatis mutandis, Botten, précité, § 53, et Dănilă, précité, § 41).

  69. .  Dès lors, la Cour estime que la condamnation du requérant prononcée en l’absence d’une audition des témoins, alors qu’il avait été acquitté par les deux juridictions inférieures, est contraire aux exigences d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

  70. .  La Cour estime en conséquence que ces éléments suffisent pour dire qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
  71. II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES


  72. .  Invoquant l’article 6 § 2 de la Convention, le requérant reproche à la cour d’appel de Timişoara d’avoir méconnu la présomption d’innocence, au motif qu’elle a choisi de faire sienne la position du parquet en ignorant les moyens qui attestaient son innocence et que la charge de prouver la culpabilité appartenait à l’accusation. Il estime en outre que la décision de la cour d’appel était fondée sur une présomption de culpabilité emportant violation de la disposition en question. En outre, invoquant l’article 7 de la Convention, le requérant allègue qu’il a été condamné à tort par l’application de la loi no 143/2000, loi qui a été adoptée après la commission des faits reprochés, et qui prévoyait des éléments matériels différents en matière de trafic des drogues.

  73. .  Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention. La Cour conclut donc que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
  74. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  75. .  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  76. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    66.  Au titre du dommage matériel, le requérant demande 106 200 lei roumains (RON), soit environ 25 000 euros (EUR) représentant les revenus salariaux auxquels il aurait eu droit en l’absence de l’ouverture des poursuites pénales à son encontre et de sa condamnation. Il affirme également avoir subi un préjudice moral considérable en raison des conséquences négatives sur sa vie familiale, sociale et professionnelle, préjudice pour la réparation duquel il demande 50 000 EUR.


  77. .  Pour ce qui est du dommage matériel, le Gouvernement soutient qu’il n’y a pas de lien de causalité entre la violation et le préjudice allégué. Il estime que, à l’instar de l’affaire Dănilă (précitée, § 69), la Cour ne saurait spéculer sur ce qu’eût été l’issue d’un procès équitable. En outre, le Gouvernement estime que le montant sollicité par le requérant est excessif et qu’il a été calculé de manière spéculative, n’étant pas étayé par des documents pertinents. Enfin, le Gouvernement considère que la réouverture du procès pénal en vertu de l’article 4081 du CPP représente un moyen approprié de redresser l’éventuelle violation constatée. Il cite également les articles 504-505 du CPP qui régissent les modalités de réparation des cas de détention illégale.

  78. .  En ce qui concerne le dommage moral invoqué, le Gouvernement soutient qu’il n’y a pas de lien de causalité clair avec la violation alléguée. Il souligne également que le montant sollicité est excessif par rapport à la jurisprudence de la Cour en la matière. A titre subsidiaire, le Gouvernement estime que le constat d’une violation vaudrait en soi une réparation satisfaisante du préjudice moral allégué par le requérant.

  79. .  La Cour relève que le seul fondement à retenir, pour l’octroi d’une satisfaction équitable, réside en l’espèce dans le fait que le requérant n’a pas bénéficié d’un procès équitable devant la cour d’appel de Timişoara. La Cour ne saurait certes spéculer sur ce qu’eût été l’issue du procès dans le cas contraire, mais n’estime pas déraisonnable de penser que l’intéressé a subi une perte de chance réelle dans ledit procès (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 80, CEDH 1999-II).

  80. .  Dès lors, statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour alloue au requérant la somme de 3 000 EUR au titre du préjudice moral.

  81. .  En outre, la Cour rappelle que lorsqu’un particulier, comme en l’espèce, a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003 et Tahir Duran c. Turquie, no 40997/98, § 23, 29 janvier 2004). A cet égard, elle note que l’article 4081 du CPP roumain permet la révision d’un procès sur le plan interne lorsque la Cour a constaté la violation des droits et libertés fondamentaux d’un requérant (voir, aussi, Mircea c. Roumanie, no 41250/02, § 98, 29 mars 2007, Găitănaru précité, § 44).
  82. B.  Frais et dépens


  83. .  Le requérant demande également 62 400 RON, soit environ 15 000 EUR pour les honoraires d’avocat engagés, et 1 453 RON, soit 350 EUR, pour les frais de correspondance devant la Cour.

  84. .  S’agissant des honoraires d’avocat, le Gouvernement souligne que les quittances produites par le requérant ne couvrent qu’une partie de la somme sollicitée par lui à ce titre. Il fait valoir en outre que le requérant n’a pas envoyé des contrats d’assistance judiciaire. Par ailleurs, il ressortirait des documents envoyés que les honoraires ont été réglés par des tierces personnes. Enfin, il fait valoir que les sommes avancées sont excessives par rapport à d’autres affaires similaires dans lesquelles la Cour n’a accordé qu’une partie des frais et dépens demandés par les requérants, les considérant comme excessifs.

  85. .  En ce qui concerne les frais de correspondance, le Gouvernement souligne qu’il ressort des documents produits qu’ils ont été réglés par des tierces personnes et que le requérant n’a pas démontré l’effet patrimonial subi à raison de ces versements. Aucun lien n’a été établi non plus entre ces versements et la présente requête. Enfin, le Gouvernement souligne que, malgré le fait qu’il a été représenté par un avocat dès le début de la procédure devant la Cour, en février 2004, plusieurs lettres ont dû être envoyées afin que la requête remplisse les conditions de l’article 47 du règlement de la Cour, et qu’elle soit inscrite à son rôle, en juillet 2006.

  86. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour note qu’une partie des sommes correspondant aux honoraires d’avocat et aux frais de correspondance ont été versés par R. Flueraş et F. Flueraş et que les quittances justifiant les honoraires d’avocat ne concernent que 59 900 RON, soit environ 14 400 EUR. En outre, elles ne font pas ressortir si les versements concernent la procédure interne ou la procédure devant la Cour. Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 10 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.
  87. C.  Intérêts moratoires

    76.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Joint au fond les exceptions préliminaires du Gouvernement concernant la qualité de victime du requérant et l’épuisement des voies de recours internes relatives à l’article 6 § 1 de la Convention et les rejette ;

     

    2.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

    i) 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 avril 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Santiago Quesada                                                                Josep Casadevall
            Greffier                                                                               Président


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