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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ENVER KAPLAN v. TURKEY - 40343/08 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 592 (25 June 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/592.html
Cite as: [2013] ECHR 592

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE ENVER KAPLAN c. TURQUIE

     

    (Requête no 40343/08)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    25 juin 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Enver Kaplan c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Danutė Jočienė,
              Peer Lorenzen,
              András Sajó,
              Işıl Karakaş,
              Nebojša Vučinić,
              Helen Keller, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 juin 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 40343/08) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Enver Kaplan (« le requérant »), a saisi la Cour le 11 août 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

  3. .  Le requérant se plaint en particulier de la durée de sa détention provisoire et celle de la procédure pénale engagée à son encontre.

  4. .  Le 11 mai 2009, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
  5. EN FAIT

    LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Le requérant est né en 1970 et réside à Osmaniye.

  7. .  Le 10 octobre 1999, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue dans le cadre d’opérations menées contre le Hizbullah, une organisation illégale armée.

  8. .  Le 14 octobre 1999, le requérant fut traduit devant la cour de sûreté de l’Etat d’Adana, laquelle ordonna la mise en détention provisoire de l’intéressé.

  9. .  Par un acte d’accusation du 22 octobre 1999, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat (« le procureur de la République ») d’Adana inculpa le requérant pour appartenance à une organisation illégale armée.

  10. .  Le 3 juillet 2000, le procureur de la République engagea une nouvelle procédure pénale à l’encontre du requérant pour appartenance à une organisation illégale armée.

  11. .  A une date non précisée, les procédures pénales diligentées à l’encontre du requérant furent réunies.

  12. .  Le requérant fut jugé par la cour de sûreté de l’État d’Adana jusqu’à ce que la loi no 5190, adoptée le 16 juin 2004, supprime les cours de sûreté de l’État du système judiciaire turc. A la suite de l’abolition des cours en question, le dossier du requérant fut transmis à la cour d’assises spéciale d’Adana (« la cour d’assises »).

  13. .  Par un jugement du 18 octobre 2004, la cour d’assises condamna le requérant à la réclusion criminelle à perpétuité.

  14. .  Par un arrêt du 22 juin 2005, la Cour de cassation infirma ce jugement.

  15. .  Par un jugement du 10 octobre 2007, la cour d’assises condamna le requérant à nouveau à la réclusion criminelle à perpétuité pour tentative de renversement, par la force, de l’ordre constitutionnel.

  16. .  Par un arrêt rendu le 30 avril 2009, la Cour de cassation confirma ce jugement.
  17. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION


  18. .  Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire et dénonce une violation de l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :
  19. « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »


  20. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

  21. .  En l’espèce, la Cour relève que la détention provisoire du requérant a pris fin le 10 octobre 2007 par le jugement de la cour d’assises spéciale d’Adana, soit plus de six mois avant l’introduction de la présente Requête. Il s’ensuit que ce grief est tardif et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
  22. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION


  23. .  Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable ».

  24. .  Le Gouvernement conteste cette thèse.
  25. A.  Sur la recevabilité


  26. .  La Cour fait observer qu’un nouveau recours en indemnisation a été instauré en Turquie à la suite de l’application de la procédure d’arrêt pilote dans l’affaire Ümmühan Kaplan c. Turquie (no 24240/07, 20 mars 2012). Elle rappelle que, dans sa décision Turgut et autres c. Turquie (no 4860/09, 26 mars 2013), elle a déclaré irrecevable une nouvelle Requête, faute pour les requérants d’avoir épuisé les voies de recours interne, en l’occurrence le nouveau recours. Pour ce faire, elle a considéré notamment que ce nouveau recours était, a priori, accessible et susceptible d’offrir des perspectives raisonnables de redressement pour les griefs relatifs à la durée de la procédure.

  27. .  La Cour rappelle également que dans son arrêt pilote Ümmühan Kaplan (précité, § 77) elle a précisé notamment qu’elle pourra poursuivre, par la voie de la procédure normale, l’examen des Requêtes de ce type déjà communiquées au Gouvernement. Elle note en outre que le Gouvernement n’a pas soulevé en l’espèce une exception portant sur ce nouveau recours.

  28. .  A la lumière de ce qui précède, la Cour décide de poursuivre l’examen de la présente Requête. Toutefois, elle rappelle que cette conclusion ne préjuge en rien l’examen d’une telle exception qui serait éventuellement soulevée par le Gouvernement dans le cadre d’autres Requêtes communiquées.

  29. .  Constatant que le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle le déclare recevable.
  30. B.  Sur le fond


  31. .  La Cour constate que la période à considérer a débuté le 10 octobre 1999 par l’arrestation du requérant et s’est terminée le 30 avril 2009 par l’arrêt de la Cour de cassation. Elle a donc duré neuf ans, six mois et vingt jours devant les juridictions pénales.

  32.   La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).

  33.   La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Daneshpayeh c. Turquie, no 21086/04, 16 juillet 2009).

  34.   Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce, la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « droit d’être jugé dans un délai raisonnable ».

  35.   Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
  36. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    30.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  37. .  Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu’il aurait subi.

  38. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

  39. .  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 5 000 EUR au titre du préjudice moral.
  40. B.  Intérêts moratoires


  41. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  42. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant au grief tiré de la durée de la procédure pénale et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 juin 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                 Guido Raimondi
            Greffier                                                                              Présidente

     


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