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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BESLIU v. THE REPUBLIC OF MOLDOVA - 28178/10 - Committee Judgment (French Text) [2013] ECHR 663 (09 July 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/663.html
Cite as: [2013] ECHR 663

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE BEȘLIU c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

     

    (Requête no 28178/10)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    9 juillet 2013

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Beșliu c. République de Moldova,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :

              Luis López Guerra, président,
              Nona Tsotsoria,
              Valeriu Griţco, juges,
    et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 juin 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 28178/10) dirigée contre la République de Moldova et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Svetlana Beșliu (« la requérante »), a saisi la Cour le 3 mai 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  La requérante a été représentée par Me V. Gășițoi, avocate à Chișinău. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. L. Apostol, du ministère de la Justice.

  3. .  La requérante allègue que ses droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention ont été méconnus à la suite de l’annulation d’un jugement définitif rendu en sa faveur.

  4. .  Le 1er juin 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
  5. 5.  Le Gouvernement s’oppose à l’examen de la Requête par un Comité. Après avoir examiné l’objection du Gouvernement, la Cour la rejette.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  La requérante est née en 1976 et réside à Chișinău.

  7. .  Le 7 février 2007, le parquet engagea des poursuites à l’encontre de la requérante pour appropriation illégitime (samavolnicie). Le 25 avril 2008, le procureur du parquet de Centru émit une ordonnance de non-lieu, au motif que les faits incriminés à la requérante étaient de nature civile. Cette ordonnance fut approuvée par le procureur supérieur. La partie civile contesta le non-lieu du parquet devant le juge d’instruction. Le 26 juin 2009, le juge d’instruction du tribunal de première instance de Centru confirma la solution du parquet et rejeta la plainte de la partie civile. Ce jugement n’était susceptible d’aucun recours ordinaire.

  8. .  Le 17 août 2009, la partie civile forma, devant la Cour suprême de justice (CSJ), un recours en annulation contre le jugement du 26 juin 2009. Le 26 janvier 2010, la CSJ cassa le jugement attaqué pour cause d’illégalité et renvoya l’affaire devant le juge d’instruction du tribunal de première instance de Centru, qui rouvrit la procédure. Le 10 juin 2011, le parquet arrêta de nouveau, par un non-lieu, la procédure pénale contre la requérante.
  9. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT


  10. .  Concernant la révision des décisions pénales irrévocables, le droit interne pertinent est résumé en partie dans l’affaire Bujniţa c. Moldova, (no 36492/02, § 14, 16 janvier 2007). L’article 453 du Code de procédure pénale prévoyait en outre, que la partie civile était en droit de former un recours en annulation contre des décisions irrévocables en cas de leur illégalité.

  11. .  Quant au nouveau recours interne introduit par la loi no 87, les dispositions pertinentes sont résumées dans l’affaire Manascurta c. République de Moldova ((déc.), no 31856/07, §§ 11 et 12, 14 février 2012).
  12. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION EN RAISON DE LA RÉOUVERTURE DU PROCÈS


  13. .  La requérante soutient que la remise en cause du jugement définitif rendu en sa faveur a porté atteinte au principe de la sécurité des rapports juridiques. Elle allègue de ce fait une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
  14. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale (...) »

    A.  Sur la recevabilité


  15. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  16. B.  Sur le fond


  17. .  La requérante se plaint de l’admission par les tribunaux internes de la demande en révision de la partie civile et de l’annulation du jugement définitif rendu en sa faveur.

  18. .  Le Gouvernement conteste cette thèse.

  19. .  La Cour rappelle que le respect du droit à un procès équitable et du principe de la sécurité des rapports juridiques requiert qu’aucune partie ne soit habilitée à solliciter la supervision d’une décision définitive et irrévocable à la seule fin d’obtenir un réexamen de l’affaire et une nouvelle décision à son sujet. En particulier, la supervision ne doit pas devenir un appel déguisé et le simple fait qu’il puisse exister deux points de vue sur le sujet n’est pas un motif suffisant pour rejuger une affaire. Il ne peut être dérogé à ce principe que lorsque des motifs substantiels et impérieux l’exigent (Riabykh c. Russie, no 52854/99, § 52, CEDH 2003-IX ; Roşca c. République de Moldova, no 6267/02, § 25, 22 mars 2005).

  20. .  La Cour rappelle également que les décisions de rouvrir un procès doivent être conformes aux dispositions internes pertinentes et que l’usage abusif d’une telle procédure peut être contraire à la Convention. Le principe de la sécurité des rapports juridiques et la prééminence du droit exigent que la Cour soit vigilante dans ce domaine (Eugenia et Doina Duca c. République de Moldova, no 75/07, § 33, 3 mars 2009). La tâche de la Cour est de déterminer si la procédure de révision a été appliquée d’une manière compatible avec l’article 6 de la Convention, permettant ainsi d’assurer le respect du principe de la sécurité des rapports juridiques. Cela étant, la Cour doit garder à l’esprit que c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999 I).

  21. .  Dans la présente affaire, la Cour remarque que la requérante disposait d’un jugement irrévocable rendu en sa faveur en date du 26 juin 2009 qui a été annulé à la suite de l’admission du recours en annulation de la partie civile. La Cour observe que le motif ayant justifié l’annulation du jugement du 26 juin 2009 a été son prétendue illégalité. Toutefois, aucune explication n’a été fournie par les magistrats de la CSJ, qui se sont contentés à réévaluer les constats faits par le juge de première instance. Dans ces circonstances, la Cour considère que la procédure de révision en cause a été en effet un « appel déguisé », dont le but était d’obtenir un nouvel examen de l’affaire, plutôt qu’une véritable procédure de révision telle que prévue par les dispositions pertinentes du code de procédure pénale.

  22. .  La Cour relève qu’elle a traité des affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir mutatis mutandis Popov c. République de Moldova (no 2), no 19960/04, §§ 52-58, 6 décembre 2005 ; Roşca c. Moldova, no 6267/02, § 27-29, 22 mars 2005 ; Bujniţa, précité, §§ 23-24).

  23. .  A la lumière des circonstances de l’espèce et des arguments avancés par les parties, la Cour ne voit aucune raison d’arriver à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la procédure de révision a été utilisée par la Cour suprême de justice d’une manière incompatible avec le principe de la sécurité des rapports juridiques.

  24. .  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’annulation du jugement définitif du 26 juin 2009.
  25. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION, EN RAISON DE LA DURÉE EXCESSIVE DE LA PROCÉDURE


  26. .  La requérante dénonce la durée excessive de la procédure pénale menée à son encontre, qui avait commencée le 7 février 2007, pour finir le 10 juin 2011, c’est-à-dire presque quatre ans et demi plus tard.

  27. .  Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes.

  28. .  La Cour constate que le droit moldave dispose, depuis le 1er juillet 2011, d’une voie de recours contre la durée excessive d’un procès. La Cour relève qu’elle s’est déjà prononcée sur ce nouveau remède et elle a jugé qu’il était effectif (voir Balan c. République de Moldova (déc.), n44746/08, 24 janvier 2012 ; Manascurta c. République de Moldova (déc.), no 31856/07, 14 février 2012). Or, la requérante n’a pas fait usage de cette nouvelle voie de recours mise à sa disposition par le droit interne.

  29. .  Il s’ensuit que ses griefs tirés de la durée excessive du procès pénal doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, pour non-épuisement des voies de recours internes.
  30. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    25.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  31. .  La requérante réclame 4 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi.

  32. .  Le Gouvernement s’oppose à cette demande. Il considère que la demande de la requérante et excessive et immotivée et invite la Cour à la rejeter.

  33. .  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 2 000 EUR au titre du préjudice moral.
  34. B.  Frais et dépens


  35. .  La requérante demande également 1 712,50 EUR pour les frais et dépens de représentation engagés devant les juridictions internes et la Cour et 75 EUR pour les frais postaux.

  36. .  Le Gouvernement trouve excessifs et injustifiés les frais réclamés.

  37. .  Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme réclamée et l’accorde à la requérante en entier.
  38. C.  Intérêts moratoires


  39. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  40. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 relatif à l’annulation du jugement du 26 juin 2009 et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

    i)  2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  1 787,50 EUR (mille sept cent quatre-vingt-sept euros cinquante centimes), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

      Marialena Tsirli                                                                 Luis López Guerra
    Greffière adjointe                                                                       Président

     


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