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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> URFI CETINKAYA v. TURKEY - 19866/04 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 718 (23 July 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/718.html
Cite as: [2013] ECHR 718

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE ÜRFİ ÇETİNKAYA c. TURQUIE

     

    (Requête no 19866/04)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    23 juillet 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Ürfi Çetinkaya c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Danutė Jočienė,
              Peer Lorenzen,
              András Sajó,
              Işıl Karakaş,
              Nebojša Vučinić,
              Helen Keller, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 juin 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 19866/04) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ürfi Çetinkaya (« le requérant ») né le 6 janvier 1949 et résident à Kocaeli, a saisi la Cour le 17 mai 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Me H. Mercan, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

  3. .  Le 29 avril 2010, la Requête a été déclarée partiellement irrecevable et les griefs tirés des articles 3, 5 § 3, 6 § 2 et 13 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.
  4. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    A.  Les procédures pénales diligentées contre le requérant devant la cour d’assises d’Istanbul

    1.  La procédure no 2004/43


  5. .  En mars 2003, la brigade des stupéfiants d’Istanbul reçut d’un indicateur, X1, l’information selon laquelle le requérant, qui avait déjà été mis en cause puis incarcéré dans des affaires du même type, était, depuis sa remise en liberté pour raisons médicales, à la tête d’un réseau de trafic international d’héroïne. Selon l’indicateur, les opérations étaient gérées par T.D., le beau-frère du requérant, pour le compte de ce dernier. Quant aux aspects internationaux du trafic, ils auraient été supervisés par M.H.K., toujours pour le compte du requérant.

  6. .  Le 28 juillet 2003, le même indicateur fournit à la police le numéro de la ligne téléphonique utilisée, selon lui, par le requérant pour passer ses instructions.

  7. .  Le parquet d’Istanbul décida d’ouvrir une enquête judiciaire pour trafic de stupéfiants en bande organisée afin de vérifier les déclarations de l’indicateur X1.

  8. .  Sur décisions judiciaires, les téléphones de plusieurs individus furent placés sur écoute et une surveillance technique fut mise en place.

  9. .  Dans le cadre de l’enquête, le 5 novembre 2003, la brigade des stupéfiants saisit plus d’une demi-tonne d’héroïne qu’elle avait découverte emballée par paquets d’un kilo dans une camionnette à Istanbul.

  10. .  Le même jour, elle procéda à un grand nombre d’interpellations, dont celle du requérant, soupçonné d’être le chef du réseau, ainsi qu’à des perquisitions. Celles-ci permirent de saisir entre autres deux kilos d’héroïne au domicile de l’un des suspects.

  11. .  Le lendemain, le 6 novembre, des quantités importantes de substances chimiques (morphine-base, pâte d’opium, carbonate de sodium) et du matériel servant dans la fabrication de l’héroïne furent saisis dans une ferme aménagée en laboratoire à Rize.

  12. .  Le 9 novembre 2003, le requérant fut entendu par un juge puis placé en détention provisoire.

  13. .  A une date non précisée, la copie de la déposition d’un suspect arrêté dans le cadre d’une autre procédure fut versée au dossier. Celui-ci y déclarait que c’était auprès de l’organisation du requérant qu’il s’était procuré les 128 kilos d’héroïne en possession desquels il avait été interpellé.

  14. .  Le 22 janvier 2004, le requérant fut mis en accusation par le parquet. L’affaire fut enregistrée sous le numéro 2004/43.

  15. .  A la suite d’une ordonnance de la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul du 9 janvier 2004, deux indicateurs, dont X1, furent entendus en qualité de témoins anonymes par la police et leurs dépositions furent transmises à la cour d’assises. La teneur exacte de ces dépositions ne fut pas portée à la connaissance du requérant ou de son avocat.

  16. .  Le 19 avril 2007, le requérant fut condamné à vingt-quatre ans de prison pour trafic d’héroïne en bande organisée. La 10ème chambre de la cour d’assises d’Istanbul, à laquelle l’affaire avait été attribuée après la suppression des cours de sûreté de l’Etat, s’appuya notamment sur le témoignage de l’indicateur X1. A l’issue de chacune des audiences tenues jusqu’à cette date, elle avait ordonné le maintien en détention de l’intéressé en se fondant notamment sur la nature et la gravité de l’infraction reproché et sur la persistance d’indices graves de culpabilité.

  17. .  Le 27 mars 2008, la solution retenue par la juridiction pénale de première instance fut infirmée par la Cour de cassation. Considérant que le témoignage de l’indicateur X1 ne pouvait servir de fondement à la condamnation du requérant, la haute juridiction indiqua que la culpabilité ou l’innocence de ce dernier devait être examinée à la lumière des autres éléments de preuve.
  18. 2.  La procédure no 2004/162


  19. .  Entre-temps, le 20 mars 2004, dans le cadre d’une autre enquête menée par la police d’Istanbul, un indicateur avait affirmé aux policiers que le requérant continuait à gérer ses affaires depuis la prison. Grâce aux informations fournies, les policiers avaient fait une saisie de 4 410 kilos de morphine-base dans un hangar situé à Istanbul.

  20. .  Le requérant avait également été mis en accusation dans le cadre de cette affaire. Le dossier avait été enregistré sous le numéro 2004/162.

  21. .  Le 19 avril 2007, la cour d’assises en charge de l’affaire acquitta le requérant et plusieurs de ses coaccusés et en condamna plusieurs autres.

  22. .  Le 3 avril 2008, la Cour de cassation censura l’arrêt s’agissant notamment de l’acquittement du requérant.
  23. 3.  La jonction des affaires


  24. .  Le 2 février 2010, la 10ème chambre de la cour d’assises d’Istanbul procéda à la jonction des deux affaires. Par ailleurs, elle décida d’entendre les indicateurs lors d’une audience prévue le 6 mai 2010 afin de permettre aux avocats de la défense d’adresser leurs questions aux accusateurs de leur client. Elle demanda à la police de présenter les indicateurs à cette date et de prendre, conformément à la loi sur la protection des témoins, toutes les mesures nécessaires à la préservation de leur anonymat et de leur sécurité.

  25. .  Le 6 mai 2010, les juges ordonnèrent une expertise sonore des enregistrements téléphoniques comportant une analyse des voix et leur comparaison avec celles des accusés.

  26. .  N’ayant pu être immédiatement retrouvés, les indicateurs furent interrogés lors d’audiences ultérieures.

  27. .  A de très nombreuses reprises, les avocats du requérant présentèrent des demandes de remise en liberté de leur client, soutenant que l’état de santé de celui-ci n’était pas compatible avec la détention.

  28. .  A l’issue de toutes les audiences tenues après les arrêts de cassation, la cour d’assises ordonna le maintien en détention du requérant notamment en raison de la persistance de forts soupçons de culpabilité ainsi qu’en raison de la nature et de la gravité de l’infraction, rejetant ainsi les demandes de remise en liberté. Lors de l’audience du 25 janvier 2011, elle précisa en outre que des mesures de contrôle judiciaire ne permettraient pas d’obtenir le même résultat que la détention provisoire.

  29. .  L’affaire est toujours pendante à ce jour devant la 10ème chambre de la cour d’assises d’Istanbul.
  30. B.  La saisie du 5 décembre 2003


  31. .  Le 5 décembre 2003, une nouvelle saisie fut réalisée à Rize dans le cadre d’une opération conjointe de la gendarmerie de Rize et des services de police d’Istanbul. Elle concernait 2,5 tonnes d’anhydride acétique et 3 tonnes de carbonate de sodium, deux substances utilisées dans la synthèse de l’héroïne.

  32. .  Le même jour, le commandement général de la gendarmerie publia un communiqué de presse (no 2003/64). Il y était indiqué qu’un site de production d’héroïne avait été découvert dans un village de Rize dans le cadre des activités de lutte contre le trafic de stupéfiants, que les substances saisies pouvaient permettre la fabrication d’une tonne d’héroïne, que cinq individus avaient été arrêtés et que deux d’entre eux avaient été placés en détention par le tribunal.

  33. .  Selon le communiqué, les autorités estimaient que l’affaire avait un lien avec la saisie réalisée le 6 novembre 2003 et avec « le trafiquant international de drogue Urfi Çetinkaya ». Elles précisaient que l’instruction était en cours.

  34. .  Le parquet d’Istanbul ouvrit une instruction contre plusieurs individus, dont le requérant.

  35. .  Le dossier ne contient pas d’indication quant aux suites de l’instruction.
  36. C.  La procédure pénale devant la cour d’assises d’Adana


  37. .  Auparavant, le 17 mai 2000, le requérant avait été mis en accusation devant la cour de sûreté de l’Etat d’Adana à l’issue d’une enquête au cours de laquelle plus de 21 tonnes de produits stupéfiants avaient été saisies.

  38. .  Après la suppression des cours de sûreté de l’Etat, l’affaire fut attribuée à la cour d’assises d’Adana.

  39. .  Le 26 février 2007, cette juridiction condamna le requérant à une peine de quinze ans d’emprisonnement.

  40. .  Le 25 octobre 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant et la condamnation devint définitive

  41. .  Dans une ordonnance du 4 décembre 2008, la cour d’assises d’Adana décida de déduire de la peine infligée toutes les périodes de détention déjà subies par le requérant dans le cadre de diverses procédures. L’expiration de la peine fut ainsi fixée au 2 janvier 2016. Il fut en conséquence décidé que l’intéressé disposait, rétroactivement au 2 janvier 2007, de la possibilité de bénéficier éventuellement d’une libération conditionnelle pour bon comportement. Il ne pouvait cependant être effectivement libéré qu’en l’absence de décisions de placement ou de maintien en détention rendues dans le cadre d’autres procédures.

  42. .  Le 30 décembre 2008, la cour d’assises de Kocaeli (lieu de la détention du requérant) accorda à celui-ci une libération conditionnelle rétroactivement au 2 janvier 2007. Elle se fonda pour ce faire sur un rapport de l’administration pénitentiaire concluant au bon comportement du détenu durant son incarcération.

  43. .  Le requérant ne fut néanmoins pas remis en liberté en raison des ordonnances de maintien en détention provisoire rendues par la cour d’assises d’Istanbul.
  44. D.  Informations concernant l’état de santé et la détention du requérant


  45. .  Dans le cadre d’une incarcération antérieure aux procédures mentionnées plus haut, concernant là aussi des infractions à la législation sur les stupéfiants, le requérant, qui était en détention provisoire, avait été libéré suivant la recommandation des médecins.

  46. .  Cette libération avait été ordonnée sur la base d’un rapport de l’hôpital public de Nevşehir du 27 février 2001 indiquant les symptômes suivants : paralysie des membres inférieurs depuis une blessure par arme à feu, paraplégie spastique et « anesthésie bilatérale T5 ». Le rapport concluait que l’état de santé du requérant nécessitait l’assistance d’un tiers. Le 9 mai 2001, l’institut médicolégal d’Istanbul avait confirmé ce rapport. A cet égard, les médecins de l’institut avaient précisé que le requérant était paraplégique depuis une blessure par arme à feu et qu’il était atteint d’incontinence urinaire, ce qui l’obligeait à être muni en permanence d’une sonde et d’une poche. Ils avaient indiqué par ailleurs qu’il souffrait de rétention fécale. En conclusion, ils avaient recommandé la suspension pour une durée d’un an de la détention du requérant.

  47. .  Dans le cadre des procédures faisant l’objet de la présente espèce, le requérant fut initialement détenu à la prison de type H de Kartal (Istanbul) puis transféré à la prison de type F de Kocaeli.

  48. .  S’agissant de son état de santé, le Gouvernement a présenté une copie du dossier médical du requérant. Celui-ci indique que l’intéressé est régulièrement examiné par l’unité médicale de la prison et qu’il se rend, là aussi de manière très régulière, dans les services spécialisés de l’hôpital public de Kocaeli soit pour des examens soit pour des soins qui ne peuvent être prodigués en prison. Les pièces du dossier mentionnent effectivement des déplacements aux services de radiologie, de neurologie, d’urologie ou encore d’oto-rhino-laryngologie ou d’odontologie. D’après les éléments fournis par le Gouvernement, les traitements et soins fournis en prison sont prodigués au requérant dans le respect des prescriptions des médecins. Les documents présentés démontrent la fourniture régulière de médicaments ainsi que de matériel tel que des sondes. L’administration pénitentiaire n’interviendrait pas dans les décisions prises par les médecins et se contenterait de prendre les mesures observant leurs prescriptions. Les parties s’accordent sur ces points.

  49. .  Le Gouvernement précise en outre que du matériel spécifique a été fourni au requérant et que des travaux ont été réalisés dans sa cellule conformément aux demandes des médecins afin de faciliter son séjour en milieu carcéral. Ainsi, la porte d’entrée de la cellule, la porte des toilettes et la porte d’accès à la promenade auraient été élargies afin de permettre un passage aisé au requérant. Des toilettes à l’occidentale auraient été installées. Des prothèses de jambe auraient été mises à la disposition de l’intéressé et des barres parallèles métalliques auraient été installées afin de lui permettre de faire des exercices. Par ailleurs, son matelas aurait été remplacé par un matelas à air. Enfin, le requérant disposerait d’un fauteuil roulant.

  50. .  L’intéressé ne conteste pas ces points.

  51. .  Les photographies fournies par le Gouvernement montrent la réalité des éléments mentionnés plus haut. Elles permettent également de voir que les toilettes à l’occidentale et la salle d’eau sont séparées du reste de la cellule par un mur et une porte. Elles montrent en outre que la pièce dispose d’un coin cuisine équipé d’un évier et d’un réfrigérateur, d’au moins une grande fenêtre laissant pénétrer la lumière naturelle et d’une porte donnant accès à ce qui paraît être une cour de promenade.

  52. .  Le dernier rapport médical présenté par les parties est daté du 15 juillet 2010. D’après le Gouvernement, il s’agit d’un rapport que les autorités judiciaires avaient demandé pour disposer d’un bilan actualisé de l’état de santé de l’intéressé.

  53. .  Signé par neufs médecins de l’hôpital public de Kocaeli, ce document mentionne l’existence des symptômes suivants :
  54. « -  paraplégie avec une hypoesthésie distale [diminution de la sensibilité aux extrémités des membres] T5-T6 ;

    -  incontinence neurologique ;

    -  déviation de la cloison nasale ;

    -  séquelles traumatiques des vertèbres dorsales ; »

    48.  Le rapport ne présente aucune observation quant à une éventuelle incompatibilité de l’état de santé du requérant avec les conditions d’une détention.

    E.  La couverture médiatique de l’affaire et les actions intentées par le requérant contre certains quotidiens


  55. .  L’arrestation du requérant, les saisies effectués par les enquêteurs, les poursuites engagées par le parquet et les développements ultérieurs des enquêtes furent largement relatés dans la presse quotidienne nationale.
  56. 1.  Les articles litigieux

    a)  Article publié dans Hürriyet le 9 novembre 2003


  57. .  L’article publié dans Hürriyet le 9 novembre 2003 retraçait les différentes opérations policières et les saisies réalisées et qualifiait le requérant de « trafiquant international de drogue ».
  58. b)  Articles publiés dans Vatan le 9 novembre 2003


  59. .  Un premier article publié dans Vatan relatait lui aussi les différentes opérations policières et les saisies réalisées et utilisait l’expression « trafiquant de drogue » pour désigner le requérant.

  60. .  Il était accompagné d’un encadré citant les propos qu’aurait tenus le préfet d’Istanbul lors d’une présentation à la presse des produits saisis lors de l’une des opérations : « Il s’agit de la plus grosse prise jamais réalisée. On ne se contente pas de chasser les moustiques, on s’efforce également d’assécher les marécages. »

  61. .  Un second encadré était consacré au train de vie du requérant et aux soirées qu’il aurait organisées à son domicile et auxquelles certaines célébrités auraient été conviées. Il était accompagné d’une photo de la demeure en question.

  62. .  Un autre article mentionnait l’existence de poursuites engagées contre des magistrats ayant eu à connaître par le passé d’affaires concernant le requérant. Il précisait que les intéressés étaient soupçonnés d’avoir bénéficié des largesses de ce dernier et de s’être rendus à l’étranger, à ses frais, pour un match international d’un club de football stambouliote.

  63. .  Cet article était accompagné d’un encadré indiquant que l’un des avocats du requérant n’était autre qu’un ancien magistrat ayant exercé de hautes fonctions au sein du ministère de la Justice (directeur général) et ayant à ce titre signé certains actes concernant l’intéressé.
  64. c)  Article publié dans Star le 9 novembre 2003


  65. .  L’article publié dans Star le 9 novembre 2003 décrivait l’une des opérations policières et indiquait que le réseau était dirigé par le requérant.
  66. d)  Article publié dans Posta le 5 décembre 2003


  67. .  Dans Posta du 5 décembre 2003, l’article intitulé « Deuxième descente de police à Rize pour Urfi Çetinkaya » faisait état de la saisie de 2,5 tonnes d’anhydride acétique et de 3 tonnes de carbonate de sodium. Il précisait que l’opération faisait suite à la saisie de 505 kilos d’héroïne réalisée le mois précédant et dont « il avait été établi qu’ils appartenaient » au requérant, lequel avait « déjà été condamné pour trafic d’héroïne ».
  68. e)  Article publié dans Sabah le 6 décembre 2003


  69. .  L’article publié dans Sabah le 6 décembre 2003, intitulé « Coup dur pour les trafiquants d’héroïne », décrivait la saisie réalisée à Rize le 5 décembre. Il indiquait que l’affaire avait un lien avec « le trafiquant international de drogue Urfi Çetinkaya » et que l’instruction était en cours.
  70. f)  Article publié dans Akşam le 14 janvier 2004


  71. .  L’article publié dans Akşam le 14 janvier 2004, intitulé « Le poison d’Urfi s’est envolé », évoquait la disparition de 154 bidons de substances chimiques saisis lors d’une opération policière et indiquait que les soupçons se portaient sur le fonctionnaire chargé de leur surveillance à l’entrepôt.

  72. .  Il exposait certains faits reprochés au requérant et précisait que la source des informations était l’acte d’accusation.

  73. .  L’article mentionnait en outre que plusieurs personnes avaient été renvoyées en jugement.
  74. g)  Article publié dans Sabah le 5 février 2004


  75. .  L’article publié dans Sabah le 5 février 2004 indiquait que le requérant était soupçonné d’avoir rémunéré à hauteur de 5 000 dollars américains par mois un agent de la brigade des stupéfiants en contrepartie d’informations sur les enquêtes en cours. Il exposait les actes d’enquête ayant permis d’identifier « la taupe » et évoquait les échanges téléphoniques codés entre le requérant et ses hommes. Cet exposé était précédé de la formule « d’après l’acte d’accusation ». Un encadré accompagnant l’article portait le titre « On l’appelle l’Escobar turc ».
  76. h)  Article publié dans Milliyet le 1er avril 2004


  77. .  L’article publié dans Milliyet le 1er avril 2004, intitulé « Une montagne de morphine-base appartenant encore à quelqu’un de connu », relatait brièvement les saisies réalisées et les recherches en cours. Il indiquait que la police soupçonnait le requérant de diriger ses activités depuis sa cellule de prison.
  78. i)  Article publié dans Posta le 1er avril 2004


  79. .  L’article publié dans Posta le 1er avril 2004 relatait la saisie de près de 4,5 tonnes de morphine-base à Istanbul, précisant que celle-ci était liée à une précédente saisie réalisée le 5 novembre 2003. Il utilisait les vocables « trafiquant de drogue » et « trafiquant international de drogue » pour désigner le requérant. Il précisait également que, lors d’une conférence de presse, le préfet d’Istanbul avait rendu hommage aux policiers qui « étaient déterminés à ne laisser aucun répit aux trafiquants ».
  80. 2.  Les actions judiciaires entreprises par le requérant


  81. .  A diverses dates, le requérant saisit le tribunal d’instance de neufs actions dans le but d’obtenir des décisions ordonnant l’insertion dans les quotidiens en question d’un droit de réponse (tekzip) aux articles qui, selon lui, contenaient des imputations diffamatoires et le présentaient comme un trafiquant de drogue. Rappelant le principe de la présomption d’innocence, il affirma qu’il n’avait jamais été condamné pour trafic de stupéfiants, qu’aucune saisie n’avait été réalisée chez lui et qu’aucun tribunal n’avait établi que les produits saisis lors des opérations de police lui eussent appartenu.

  82. .  Par cinq décisions rendues le 7 janvier 2004, le tribunal d’instance de Şişli fit droit à la première série de demandes du requérant. Celles-ci concernaient les articles publiés le 9 novembre 2003 dans les quotidiens Hürriyet, Star et Vatan, le 5 décembre 2003 dans Posta et le 6 décembre 2003 dans Sabah.

  83. .  Par deux décisions rendues le 5 mars 2004, le tribunal d’instance de Şişli fit également droit à la deuxième série de demandes du requérant. Celles-ci concernaient les articles publiés le 14 janvier 2004 dans Akşam et le 5 février 2004 dans Sabah.

  84. .  Par deux autres décisions rendues le 21 mai 2004, le tribunal d’instance de Şişli fit de même quant à la troisième série de demandes du requérant. Celles-ci concernaient les articles publiés le 1er avril 2004 dans Milliyet et Posta.

  85. .  Les quotidiens condamnés firent opposition aux décisions susmentionnées.

  86. .  Le tribunal correctionnel de Şişli, en sa qualité d’instance d’appel, accueillit favorablement les oppositions par trois décisions du 16 janvier 2004, une décision du 20 janvier 2004, deux décisions du 16 mars 2004, une décision du 21 avril 2004 et une décision du 31 mai 2004.

  87. .  Dans ses attendus, le tribunal considérait que les quotidiens attaqués avaient fourni des informations sur les motifs pour lesquels le requérant avait été arrêté, qu’ils avaient relaté les faits « tels qu’ils apparaissaient » et qu’il n’incombait pas aux journalistes de rechercher la vérité « au-delà des apparences ». Par ailleurs, il estima qu’il y avait un intérêt général à fournir au public des informations sur la procédure entamée contre le requérant et ses coaccusés.

  88. .  S’agissant des articles publiés le 5 et le 6 décembre 2003 respectivement dans Posta et Sabah, le tribunal accueillit favorablement les recours des quotidiens en se fondant sur une note d’information et un communiqué de presse du commandement général de la gendarmerie (paragraphes 28 et 29 ci-dessus).
  89. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    A.  Dispositions diverses relatives à la santé des détenus

    73.  Le règlement no 2006/10218 relatif à l’administration des établissements pénitentiaires et à l’exécution des peines et mesures de sûreté du 20 mars 2006 prévoit que l’examen et le traitement médical des détenus sont effectués au sein de l’unité médicale par le médecin de l’établissement pénitentiaire. Les détenus dont le cas le nécessite sont transférés vers les établissements publics de santé lorsque l’examen ou le traitement ne peut être pratiqué au sein de l’établissement.


  90. .  Par ailleurs, l’article 16 de la loi no 5275 relative à l’exécution des peines et des mesures de sûreté prévoit que les condamnés malades peuvent purger leur peine dans des sections qui leur sont réservées au sein des établissements de santé. Ils peuvent séjourner dans ces établissements en compagnie de leur famille proche si le médecin traitant l’estime nécessaire.

  91. .  En outre, en ce qui concerne les détenus qui séjournent en prison et dont l’état de santé requiert l’assistance d’un tiers, une instruction écrite du ministère de la Justice, datée du 8 avril 2011 et adressée à l’ensemble des procureurs, rappelle que l’assistance aux intéressés pour les gestes de la vie quotidienne peut être assurée par les détenus travaillant dans les services internes de la prison ou par le personnel pénitentiaire. Il indique en outre que, lorsque cela se révèle nécessaire, cette assistance peut être assurée par le recours à des services extérieurs rémunérés. L’instruction précise par ailleurs qu’il y a lieu d’autoriser ces détenus à séjourner dans des cellules spéciales en compagnie de leur famille.
  92. B.  Dispositifs relatifs à la libération pour raisons de santé

    1.  La grâce présidentielle


  93. .  L’article 104 b) de la Constitution attribue au Président de la République le droit de gracier totalement ou partiellement les détenus condamnés à titre définitif et présentant un état de sénescence, de maladie ou de handicap permanents.
  94. 2.  La suspension de la détention pour raisons médicales


  95. .  L’article 16 de la loi no 5275 prévoit en outre que, lorsque la détention présente un risque vital certain, l’exécution de la peine est suspendue jusqu’à la guérison du « condamné », étant entendu que ce terme désigne en droit turc la personne dont la condamnation est devenue définitive après sa confirmation ultime par la Cour de cassation.
  96. Ce sursis à l’exécution de la peine est tributaire d’un rapport favorable de l’institut médicolégal ou d’un hôpital reconnu comme ayant compétence pour ce faire par le ministère de la Justice. Dans le second cas, le rapport devra être approuvé par l’institut.


  97. .  Depuis un amendement introduit par une loi du 24 janvier 2013, les condamnés souffrant de maladies ou de handicaps lourds qui ne leur permettent pas de pourvoir seuls aux gestes de la vie quotidienne en milieu carcéral peuvent être libérés selon la même procédure à condition que leur libération ne constitue pas une menace pour la sécurité publique.

  98. .  L’article 116 de la loi no 5275 précise que cette disposition est également applicable aux détenus dans la mesure où elle se concilie avec les nécessités de la détention provisoire.

  99. .  Il convient de signaler également l’article 54 du règlement du 20 mars 2006 qui prévoit la possibilité de sursis à exécution des peines. Cette disposition est calquée sur l’article 16 de la loi susmentionnée.
  100. Toutefois, contrairement à l’article 116 de la loi, dont il est au demeurant le corollaire, l’article 186 du règlement, ne prévoit pas dans son libellé la possibilité pour les détenus de bénéficier d’une libération pour raison de santé au même titre que les condamnés.


  101. .  Cependant, dans un récent arrêt (Değişik iş 2013/45 - 2010/283E -2010/245K) en date du 8 février 2013, la 10ème chambre de la cour d’assises d’Istanbul a ordonné la libération d’un accusé en détention provisoire détenu pour motif de santé sur la base d’un rapport de l’Institut de médecine légale. Pour ce faire, les juges se sont fondés sur une lecture combinée des articles 16 et 116 de la loi no 5275 élargissant aux détenus le bénéfice que le libellé du règlement réservait aux seuls condamnés définitifs.
  102. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION


  103. .  Le requérant soutient que sa détention constitue un mauvais traitement dans la mesure où elle est, selon lui, incompatible avec son état de santé. Il invoque l’article 3 de la Convention ainsi libellé :
  104. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Thèses des parties


  105. .  Le Gouvernement combat cette thèse. Il affirme que le requérant se voit prodiguer tous les soins nécessaires soit au sein de l’unité médicale de la prison soit dans des établissements hospitaliers et qu’il est régulièrement soumis à des examens médicaux. Il indique en outre que l’intéressé est traité conformément aux prescriptions médicales. Il souligne également que du matériel spécifique a été fourni au requérant et que des travaux ont été réalisés dans sa cellule conformément aux demandes des médecins afin que son séjour en prison soit facilité. Ainsi, la porte d’entrée de la cellule, la porte des toilettes et la porte d’accès à la cour de promenade auraient été élargies afin de lui permettre un passage aisé. Des toilettes à l’occidentale auraient été mises en place. Des prothèses de jambe auraient été mises à la disposition du requérant et des barres parallèles métalliques auraient été installées pour lui permettre de faire ses exercices. Par ailleurs, son lit aurait été remplacé.

  106. .  Le Gouvernement estime que, au vu de ces éléments, le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention n’a pas été atteint.

  107. .  Tout en admettant la réalité des éléments factuels sur lesquels s’appuie le Gouvernement, le requérant rétorque qu’il souffre notamment de paraplégie et d’incontinence et que son état de santé est incompatible avec une détention. Il considère en outre qu’un environnement carcéral est propice aux infections potentiellement mortelles. La détention constituerait dès lors un risque pour sa vie.

  108. .  Il précise que ses besoins quotidiens sont pris en charge par des codétenus en échange d’une rétribution qu’il fait parvenir à leurs familles.
  109. B.  Appréciation de la Cour

    1.  Principes généraux


  110. .  La Cour rappelle que, pour qu’une peine ou un traitement puissent être qualifiés d’« inhumains » ou de « dégradants », la souffrance ou l’humiliation infligées à la victime doivent aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes (Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 68, CEDH 2006-IX).

  111. .  S’agissant des personnes privées de liberté, l’article 3 impose à l’Etat l’obligation d’organiser son système pénitentiaire de façon à assurer aux détenus le respect de leur dignité humaine (Choukhovoï c. Russie, n63955/00, § 31, 27 mars 2008, et Benediktov c. Russie, no 106/02, § 37, 10 mai 2007). Cette obligation positive requiert que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier soient assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002-IX).

  112. .  Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le devoir de soigner la personne malade au cours de sa détention met à la charge de l’Etat les obligations particulières de veiller à ce que le détenu soit capable de subir une détention, de lui administrer les soins médicaux nécessaires et d’adapter, le cas échéant, les conditions générales de détention à la situation particulière de son état de santé.

  113. .  S’agissant de la première obligation, la Cour rappelle que, dans un Etat de droit, la capacité à subir une détention est la condition pour que l’exécution de la peine puisse être poursuivie. Si l’on ne peut en déduire une obligation générale de remettre en liberté ou bien de transférer dans un hôpital civil un détenu, même si ce dernier souffre d’une maladie particulièrement difficile à soigner (Mouisel, précité, idem), la Cour ne saurait exclure que, dans des cas exceptionnels où l’état de santé du détenu est absolument incompatible avec sa détention, l’article 3 puisse exiger la libération de ce détenu sous certaines conditions (Rojkov c. Russie, no 64140/00, § 104, 19 juillet 2007).

  114. .  S’agissant de la deuxième obligation, la Cour rappelle que le manque de soins médicaux appropriés peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3 (İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII, et Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 112, 10 février 2004). La jurisprudence de la Cour exige un encadrement médical pertinent du malade et l’adéquation des soins médicaux prescrits à sa situation particulière. L’efficacité du traitement dispensé présuppose ainsi que les autorités pénitentiaires offrent au détenu les soins médicaux prescrits par des médecins compétents (Soysal c. Turquie, no 50091/99, § 50, 3 mai 2007, et Gorodnitchev c. Russie, no 52058/99, § 91, 24 mai 2007). De plus, la diligence et la fréquence avec lesquelles les soins médicaux sont dispensés à l’intéressé sont deux éléments à prendre en compte pour mesurer la compatibilité de son traitement avec les exigences de l’article 3. En particulier, la Cour n’évalue pas ces deux facteurs en des termes absolus, mais elle tient compte chaque fois de l’état particulier de santé du détenu (Serifis c. Grèce, no 27695/03, § 35, 2 novembre 2006, Rohde c. Danemark, no 69332/01, § 106, 21 juillet 2005, Iorgov c. Bulgarie, n40653/98, § 85, 11 mars 2004, et Sediri c. France (déc.), no 44310/05, 10 avril 2007).

  115. .  S’agissant enfin de la troisième obligation, la Cour exige que l’environnement carcéral soit adapté, si nécessaire, aux besoins spéciaux du détenu afin de lui permettre de subir une détention dans des conditions qui ne portent pas atteinte à son intégrité morale (Xiros c. Grèce, no 1033/07, § 76, 9 septembre 2010).
  116. 2.  Application en l’espèce

    93.  Dans le cadre de la présente affaire, la Cour devra examiner, au regard des principes énoncés ci-dessus, en premier lieu, la compatibilité du maintien en détention du requérant avec les exigences de l’article 3 de la Convention. La Cour se penchera ensuite sur la qualité des soins médicaux dispensés à l’intéressé et, enfin, sur le besoin d’adaptation des conditions de détention à son état de santé.

    a)  Sur la capacité du requérant à subir une détention

    94.  En ce qui concerne la capacité du requérant à purger sa peine, la Cour constate qu’il ressort de l’état actuel du dossier et tout particulièrement des rapports et certificats médicaux produits par les parties que le requérant souffre de séquelles très importantes d’une blessure par arme à feu et qu’il est paraplégique (paralysie plus ou moins complète des deux membres inférieurs et de la partie basse du tronc), ce qui le contraint à se déplacer en fauteuil roulant dans la prison et rend sa vie quotidienne difficile.

    95.  La Cour note qu’en 2001, dans le cadre d’une incarcération antérieure, le requérant a bénéficié d’une libération pour motif de santé sur le fondement d’un rapport médical préconisant sa remise en liberté pour une période d’un an.


  117.   S’agissant de l’incarcération ayant débuté en 2003 et faisant l’objet de la présente Requête, elle observe qu’aucun des médecins ayant assuré le suivi médical du requérant tout au long de sa détention n’a estimé que son cas nécessitait une hospitalisation (Viorel Burzo c. Roumanie, nos 75109/01 et 12639/02, § 82, 30 juin 2009, et Ene c. Roumanie (déc.), n15110/05, 18 mai 2006) ni laissé entendre que son état de santé était incompatible avec une détention.

  118.   Le requérant ne fournit d’ailleurs aucun élément médical convaincant, se bornant à affirmer que l’environnement carcéral est propice à des infections potentiellement mortelles.

  119.   En outre, il ne ressort pas de son dossier médical que la santé du requérant se soit détériorée durant sa détention (voir, en autres, Viorel Burzo, précité).
  120. 99.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime que la situation du requérant ne fait pas partie des cas exceptionnels dans lesquels l’état de santé d’un détenu est absolument incompatible avec son maintien en détention.

    b)  Sur la qualité des soins médicaux dispensés

    100.  Etant donné l’état de la santé du requérant, la Cour estime que, dans le cadre de la présente affaire, la pertinence du traitement médical dispensé à l’intéressé revêt une importance particulière.

    101.  Elle observe tout d’abord que le requérant a fait et fait en général l’objet d’un traitement médicalement encadré et effectué par un personnel spécialisé.

    102.  En effet, l’intéressé est régulièrement examiné et reçoit des soins soit au sein de l’unité médicale de la prison soit dans les services compétents (neurologie, urologie et radiologie) des établissements hospitaliers publics. Au demeurant, il se voit prodiguer des soins non seulement pour les problèmes liés à son handicap, mais également pour d’autres aspects de sa santé, par exemple pour des problèmes dentaires ou oto-rhino-laryngologiques (déviation de la cloison nasale) (voir paragraphe 42 ci-dessus).


  121. .  Par ailleurs, l’intéressé est traité conformément aux prescriptions médicales. Il bénéficie des médicaments et des matériels médicaux, tels que les sondes, qui lui sont prescrits.

  122. .  Le requérant ne conteste d’ailleurs pas ces points.

  123. .  En conclusion, il ressort du dossier que les autorités sont attentives à l’état du requérant et rien ne permet d’affirmer qu’elles ne lui ont pas dispensé les soins médicaux appropriés à son état de santé.
  124. c)  Sur le caractère adapté de l’environnement carcéral du requérant à son état de santé

    106.  L’intéressé souffrant de handicaps physiques importants qui affectent considérablement ses aptitudes sensorielles et motrices, l’adaptation des conditions de détention aux besoins particuliers du requérant revêt elle aussi une importance particulière dans la présente espèce.


  125. .  La Cour considère d’emblée que les conditions générales de détention du requérant ne prêtent pas à critique. Elle note en particulier que celui-ci est détenu dans une cellule suffisamment grande qui, d’après les photographies fournies par le Gouvernement, est pourvue d’au moins une grande fenêtre recevant la lumière naturelle et qu’il a en outre la possibilité de se promener dans une cour intérieure (voir, en ce sens, Valašinas c. Lituanie, n44558/98, §§ 103 et 107, CEDH 2001-VIII, et Nurmagomedov c. Russie (déc.), no 30138/02, 16 septembre 2004). De surcroît, le requérant dispose de toilettes individuelles et d’une salle d’eau séparées par un mur et une porte du reste de la cellule, ainsi que d’un coin cuisine équipé d’un évier et d’un réfrigérateur.

  126.   La Cour observe en outre que du matériel spécifique a été fourni au requérant conformément aux prescriptions des médecins. Des barres parallèles métalliques ont ainsi été installées afin de lui permettre de faire ses exercices et son matelas a été remplacé.

  127. .  Par ailleurs, des travaux réalisés dans sa cellule ont permis de faciliter son quotidien carcéral. La porte d’entrée de la cellule, la porte des toilettes et la porte d’accès à la cour de promenade ont été élargies pour permettre un passage aisé au requérant. Celui-ci peut donc se déplacer et sortir de sa cellule par ses propres moyens (voir, a contrario, Vincent c. France, no 6253/03, § 201, 24 octobre 2006). En outre, des toilettes à l’occidentale ont été installées.

  128. .  Certes, la Cour ne perd pas de vue que la gravité des problèmes sensoriels et moteurs dont souffre le requérant rend compliquée la satisfaction de certains besoins personnels en l’absence d’une assistance au quotidien.

  129. .  Elle observe à cet égard que le requérant est aidé par ses codétenus pour l’accomplissement des gestes de la vie quotidienne. Néanmoins, il ressort du dossier que l’intéressé ne s’est, à ce jour, jamais plaint d’un défaut ou d’une insuffisance de l’assistance et qu’il n’a pas demandé aux autorités pénitentiaires de bénéficier de la présence d’un accompagnateur.
  130. d)  Conclusion


  131.   La Cour rappelle qu’elle ne peut substituer son point de vue à celui des juridictions internes quant au maintien ou non d’une détention provisoire (Sakkopoulos c. Grèce, no 61828/00, § 44, 15 janvier 2004, et Glefmann et Ene, précités), notamment lorsque aucun avis médical ne conclut à une contre-indication de la détention et que les autorités nationales ont satisfait à leur obligation de protéger l’intégrité physique du détenu, en particulier par l’administration de soins médicaux appropriés. Elle constate que cela est le cas dans la présente espèce.
  132. 113.  Elle observe en outre que, si l’état de santé du requérant venait à s’aggraver, le droit turc offre aux autorités nationales des moyens d’intervenir (paragraphes 77 à 81 ci-dessus). En particulier, le requérant pourrait former une demande de libération pour motifs de santé sur le fondement des articles 16 et 116 de la loi relative à l’exécution des peines et de mesures de sûreté, dans le cadre de laquelle de nouvelles expertises médicales seraient ordonnées (ibidem). Elle relève à cet égard que nonobstant le libellé de l’article 186 du règlement no 2006/10218, l’approche de la cour d’assises d’Istanbul - et notamment de sa 10ème chambre, devant laquelle le requérant est jugé - consiste à appliquer les articles de loi susmentionnés sans prendre en compte ledit règlement, de façon à étendre également aux détenus la possibilité de libération pour motifs de santé qui est prévue au bénéfice des personnes condamnés à titre définitif.

    114.  Après s’être livrée à une appréciation globale des faits pertinents, la Cour conclut que ni l’état de santé du requérant ni la détresse qu’il allègue éprouver n’ont atteint un niveau de gravité suffisant pour porter atteinte au droit garanti par l’article 3 de la Convention.

    115.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION


  133. .  Le requérant se plaint d’une durée excessive de sa détention. Il invoque à cet égard l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :
  134. « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »


  135. .  Le Gouvernement combat cette thèse.

  136.   Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

  137. .  Sur le fond, le Gouvernement soutient que la durée de la détention provisoire subie par le requérant n’a pas enfreint l’article 5 § 3 de la Convention. Il précise à cet égard que l’affaire concernait une pluralité de faits et un grand nombre d’accusés. Selon lui, la durée de la détention se justifie au regard de la complexité de l’affaire et de l’état des preuves.

  138. .  Par ailleurs, il fait valoir que le requérant avait déjà été condamné en 1985 pour des faits de contrebande et qu’il a été condamné par la suite à une peine de quinze ans d’emprisonnement par la cour d’assises d’Adana pour trafic de stupéfiants. Il estime dès lors qu’il existe une véritable exigence d’intérêt public justifiant la détention du requérant.

  139. .  Le requérant combat ces arguments et réitère ses allégations sur le caractère excessif de la durée de sa détention.

  140. .  La Cour observe que la détention du requérant a débuté le 5 novembre 2003 avec son placement en garde à vue et qu’elle se poursuit à ce jour.

  141. .  Elle note par ailleurs que la détention subie entre le 19 avril 2007, date de la condamnation par la cour d’assises d’Istanbul, et le 27 mars 2008, date de cassation de la condamnation, relève de l’article 5 § 1 a) et qu’elle ne doit de ce fait pas être incluse dans la période à prendre en compte aux fins de l’article 5 § 3 (Solmaz c. Turquie, no 27561/02, §§ 23-37, 16 janvier 2007, et Baltacı c. Turquie, no 495/02, §§ 4-46, 18 juillet 2006).

  142. .  D’autre part, la Cour rappelle que les périodes de détention provisoire qui coïncident avec une période correspondant à l’exécution d’une peine d’emprisonnement qui a été infligée à l’issue d’une procédure pénale distincte ne doivent elles aussi pas être prise en compte dans le cadre de l’article 5 § 3 (voir, par exemple, Bąk c. Pologne, no 7870/04, §§ 54-55, 16 janvier 2007).

  143. .  A cet égard, la Cour observe que le requérant a été condamné le 26 février 2007 à quinze ans d’emprisonnement par la cour d’assises d’Adana et que cette condamnation est devenue définitive.

  144. .  Certes, par suite d’une ordonnance du 30 décembre 2008, le requérant a été admis au bénéfice d’une libération conditionnelle rétroactivement au 2 janvier 2007, c’est-à-dire à une date antérieure à la condamnation.

  145. .  Mais il n’en demeure pas moins qu’au moment où elle a été subie, cette période de détention (allant du 26 février 2007 au 30 décembre 2008) constituait l’exécution d’une peine et était couverte par l’article 5 § 1 a).

  146. .  Les périodes à prendre en considération aux fins de l’article 5 § 3 vont par conséquent du 5 novembre 2003 au 27 février 2007 et 30 décembre 2008 à aujourd’hui. La durée totale de la détention est donc de plus de 7 ans et 9 mois.

  147. .  Cela étant posé, la Cour observe qu’il ressort des éléments du dossier que les tribunaux internes ont ordonné le maintien en détention du requérant en se fondant sur l’existence et la persistance d’indices graves de culpabilité. Si ces circonstances peuvent en général, constituer des facteurs pertinents, elles ne sauraient en l’espèce justifier, à elles seules, le maintien en détention du requérant pendant une si longue période (Ali Hıdır Polat c Turquie, no 61446/00, § 28, 5 avril 2005).

  148. .  Aux yeux de la Cour, les motifs adoptés par les juges du fond ne peuvent donc passer pour « pertinents » et « suffisants » ; aussi, il n’y a pas lieu en l’espèce de se pencher sur la question de la diligence avec laquelle le procès du requérant aurait dû être mené.

  149. .  Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
  150. III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION


  151. .  Le requérant soutient que les autorités ont porté atteinte à son droit à la présomption d’innocence. Il invoque les articles 6 § 2 et 13 de la Convention.

  152. .  Le Gouvernement combat cette thèse.

  153. .  La Cour estime que le grief du requérant doit faire l’objet d’un examen sur le terrain exclusif de l’article 6 § 2 de la Convention. Cette disposition est ainsi libellée :
  154. « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »


  155.   Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

  156. .  Le requérant se plaint de ce que certains quotidiens aient publié des articles le présentant comme coupable des faits qui lui étaient reprochés. Il soutient que les informations publiées ont été fournies aux journalistes par les responsables de l’enquête. A cet égard, il reproche aux autorités de ne pas avoir démenti lesdites informations alors que, selon lui, les journalistes eux-mêmes les désignaient comme source. Il se plaint en outre du refus des juridictions compétentes de faire droit à ses demandes de publication de droits de réponse.

  157. .  Le Gouvernement estime qu’il n’y a pas eu d’atteinte à la présomption d’innocence. Il souligne que le requérant a joui de la possibilité de saisir les tribunaux pour demander l’insertion d’un droit de réponse. Se référant aux décisions Arrigo et Vella c. Malte ((déc.), n6569/04, 10 mai 2005) et F.A. c. Turquie ((déc.), no 36094/97, 1er février 2005), il avance notamment qu’il existe un intérêt légitime à informer le public.

  158.   La Cour rappelle que si le principe de la présomption d’innocence consacré par le paragraphe 2 de l’article 6 figure parmi les éléments du procès pénal équitable exigé par l’article 6 § 1, il ne se limite pas à une garantie procédurale en matière pénale : sa portée est plus étendue et exige qu’aucun représentant de l’Etat ne déclare qu’une personne est coupable d’une infraction avant que sa culpabilité ait été établie par un tribunal (Karadağ c. Turquie, no 12976/05, § 60, 29 juin 2010).

  159.   Une atteinte à la présomption d’innocence peut émaner non seulement d’un juge ou d’un tribunal mais aussi d’autres autorités publiques (Daktaras c. Lituanie, no 42095/98, §§ 41-42, CEDH 2000-X), y compris de policiers. La présomption d’innocence se trouve atteinte par des déclarations ou des actes qui reflètent le sentiment que la personne est coupable et qui incitent le public à croire en sa culpabilité ou qui préjugent de l’appréciation des faits par le juge compétent (Y.B. et autres c. Turquie, nos 48173/99 et 48319/99, § 50, 28 octobre 2004).

  160.   La Cour rappelle qu’elle a déjà eu à se prononcer sur la question du respect du principe de la présomption d’innocence lors de conférences de presse données par des enquêteurs (Butkevičius c. Lituanie, no 48297/99, §§ 50-52, CEDH 2002-II, et Lavents c. Lettonie, no 58442/00, §§ 122 et suivants, 28 novembre 2002)

  161.   Certes, l’article 6 § 2 de la Convention ne saurait empêcher, eu égard à l’article 10, les autorités de renseigner le public sur des enquêtes pénales en cours, mais il requiert qu’elles le fassent avec toute la discrétion et toute la réserve que commande le respect de la présomption d’innocence (Allenet de Ribemont, précité, § 38). Si les autorités ne peuvent être tenues pour responsables des actes de la presse, elles sont en revanche responsables des déclarations qu’elles lui font (Y.B. et autres, précité, §§ 48 et suivants, et Pavalache c. Roumanie, no 38746/03, §119, 18 octobre 2011).

  162.   A cet égard, il y a lieu de souligner l’importance du choix des termes par les agents de l’Etat dans les déclarations qu’ils formulent avant qu’une personne n’ait été jugée et reconnue coupable d’une infraction. Le point de savoir si la déclaration d’un agent public constitue une violation du principe de la présomption d’innocence doit être tranché dans le contexte des circonstances particulières dans lesquelles la déclaration litigieuse a été formulée (voir, notamment, Adolf c. Autriche, 26 mars 1982, §§ 36-41, série A no 49).

  163.   En outre, la Cour rappelle que la liberté d’expression n’est pas un droit absolu et que la presse ne doit pas franchir certaines limités tenant notamment aux droits et à la réputation d’autrui (Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 59, CEDH 1999-III. Ainsi, elle a déjà considéré qu’un article de presse pouvait porter atteinte à la présomption d’innocence (voir Ruokanen et autres c. Finlande, no 45130/06, § 48, 6 avril 2010).

  164.   Dans la présente affaire, la Cour observe que les autorités ont fait des déclarations à la presse à trois reprises : deux fois lors de conférences de presse et une fois par le biais d’un communiqué de presse.

  165.   Elle constate que les parties n’ont pu fournir de détails sur le contenu des déclarations, celles-ci ne paraissant pas avoir été retranscrites. Quant à la presse, elle attribue aux autorités des déclarations relatives à des éléments factuels ainsi que des commentaires sur la lutte contre la criminalité organisée, la nécessité de donner la priorité au démantèlement des filières d’approvisionnement et l’efficacité de la police (paragraphes 52 et 64 ci-dessus).

  166.   La Cour réitère que le droit à la liberté d’expression et de communication emporte celui de relater des procédures judiciaires et, partant, la possibilité pour les autorités de rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure. Elle n’aperçoit en l’espèce aucun élément permettant de dire que les responsables auraient tenu, lors des conférences de presse, des propos reflétant un préjugé de culpabilité à l’endroit du requérant.

  167.   En ce qui concerne le communiqué de presse publié par le commandement de la gendarmerie le 5 décembre 2003, la Cour observe que celui-ci est paru le lendemain de la seconde saisie, effectuée à Rize, et moins d’un mois après la première saisie et l’arrestation du requérant. Le texte relate un certain nombre d’éléments factuels tels que les quantités de produits saisies, le nombre d’arrestations et le nombre de personnes qui ont été placées en détention. Tout en indiquant que l’instruction se poursuit, il précise que les autorités estiment que l’affaire a un lien avec la saisie réalisée le 6 novembre 2003 et avec « le trafiquant international de stupéfiants Urfi Çetinkaya ». S’agissant de ce dernier point, la Cour observe d’abord que le requérant n’avait, à cette date, jamais été condamné pour l’infraction de trafic de stupéfiants. Elle relève en second lieu qu’il s’agit précisément de l’infraction qui lui était reprochée dans le cadre de diverses procédures judiciaires dont celle concernant la saisie du 6 novembre 2003 évoquée dans le communiqué.

  168.   La Cour estime que l’utilisation sans nuances ni réserves du qualificatif « trafiquant international de stupéfiants » au sujet du requérant était de nature à inciter le public à croire à la culpabilité de celui-ci et qu’elle préjugeait de l’appréciation des faits par les juges compétents, et ce au mépris du principe de la présomption d’innocence.

  169.   Ce terme a été repris et diffusé tel quel par certains journaux qui ne l’ont pas assorti de nuance.

  170. Le requérant a certes réclamé, à plusieurs reprises, l’insertion dans les journaux concernés d’un droit de réponse qui aurait précisé qu’il n’avait jamais été condamné par un tribunal pour trafic de stupéfiants et qui aurait rappelé le principe de la présomption d’innocence. Mais les tribunaux saisis ont rejeté l’ensemble de ces demandes.

  171.   Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure à la violation de l’article 6 § 2 de la Convention.
  172. IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  173. .  Le requérant réclame 102 000 euros (EUR) pour préjudice matériel et 250 000 EUR pour préjudice moral. S’agissant des frais et dépens, il ne formule pas de demande chiffrée et s’en remet à la sagesse de la Cour.

  174. .  Le Gouvernement conteste l’ensemble des prétentions du requérant, qu’il estime excessives et infondées. S’agissant plus particulièrement des frais et dépens, il soutient que cette demande, n’étant étayée par aucun justificatif, devrait être rejetée.

  175. .  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 10 000 EUR pour dommage moral.

  176. .  En ce qui concerne les frais et dépens, la Cour rappelle qu’au titre de l’article 41 de la Convention, elle rembourse les frais d’un montant raisonnable dont il est établi qu’ils ont été réellement et nécessairement exposés (voir, entre autres, Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999-II). De plus, l’article 60 § 2 de son règlement prévoit que toute prétention présentée au titre de l’article 41 de la Convention doit être chiffrée, ventilée par rubrique et accompagnée des justificatifs nécessaires, faute de quoi elle peut rejeter la demande en tout ou en partie (Zubani c. Italie (satisfaction équitable), no 14025/88, § 23, 16 juin 1999). Or elle observe, à l’instar du Gouvernement, qu’il n’a été produit aucun document susceptible d’appuyer la demande de remboursement des frais et dépens - (factures, contrat d’avocat, notes d’honoraires, etc). Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’octroyer au requérant de somme de ce chef.

  177. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  178. PAR CES MOTIFS, LA COUR,

    1.  Déclare, à l’unanimité, la Requête recevable quant aux griefs tirés des articles 5 § 3 et 6 § 2 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention ;

     

    4.  Dit, par cinq voix contre deux,

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, pour dommage moral, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                 Guido Raimondi
            Greffier                                                                               Président

    Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Sajó et Vučinić.

    G.R.A.
    S.H.N.

     


    OPINION en partie dissidente et en partie concordante des juges SajÓ et vučiniċ

    (Traduction)

    A la suite d’un raid sur un site où de grandes quantités d’héroïne étaient produites, un communiqué de presse fut publié. Selon ce communiqué, les autorités estimaient que l’affaire avait un lien avec la saisie réalisée le 6 novembre 2003 et avec « le trafiquant international de drogue Ürfi Çetinkaya », et précisaient que l’instruction était en cours (paragraphe 29 de l’arrêt). Des déclarations similaires furent émises par les journaux, qui furent soumises à diverses actions de rectification. La Cour ne voit aucune violation de l’article 6 § 2 (paragraphe 146 de l’arrêt) en ce qui concerne ces publications. Elle constate néanmoins que « le requérant n’avait à cette date jamais été condamné pour l’infraction de trafic de stupéfiants. Elle relève en second lieu qu’il s’agit précisément de l’infraction qui lui était reprochée dans le cadre de diverses procédures judiciaires dont celle concernant la saisie du 6 novembre 2003 évoquée dans le communiqué ». La Cour ajoute que « l’utilisation sans nuances ni réserves du qualificatif « trafiquant international de stupéfiants » dans le communiqué de presse au sujet du requérant était de nature à inciter le public à croire à la culpabilité de celui-ci et qu’elle préjugeait de l’appréciation des faits par les juges compétents, et ce au mépris du principe de la présomption d’innocence » (paragraphes 147-148 de l’arrêt).

    Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à l’avis de la majorité sur ce point.

    Le requérant avait déjà été mis en cause puis incarcéré dans des affaires du même type. A l’issue d’une enquête sur un trafic de stupéfiants à grande échelle, il avait en effet été inculpé en 2000 et condamné en 2007 pour des infractions à la législation sur les stupéfiants.

    Le communiqué de presse de 2003 n’énonçait pas que le requérant avait commis le crime en question, contrairement aux circonstances d’autres affaires par exemple celles de l’affaire Khoujine et autres c. Russie (no 13470/02, 23 octobre 2008). En l’espèce, il s’agit davantage d’une déclaration générale sur la nature criminelle du requérant, formulée dans le cadre de la lutte contre le crime international organisé en matière de trafic de stupéfiants. La déclaration est certes inappropriée, mais la question qui se pose au regard de la Convention tient à son impact éventuel sur la présomption d’innocence. Or cette déclaration n’était pas de nature à entraîner une différence de traitement pendant le procès : le requérant a été traité de cette façon-là, par exemple en ce qui concerne sa mise en détention provisoire, parce que des accusations pénales graves avaient été formulées contre lui dans le cadre d’autres affaires déjà pendantes. Il ne s’agit pas d’une violation de la présomption d’innocence. « Innocent », au sens de cette garantie, signifie « non coupable de l’infraction dont la personne est accusée » (Stefan Trechsel, Droits de l’homme dans la procédure pénale, 2005, p. 156).

    La Cour attache de l’importance au fait que la déclaration était de nature à inciter le public à croire à la culpabilité du requérant. Toutefois, cet élément n’a pas eu en soi un impact sur le traitement de l’affaire de l’intéressé. De plus, celui-ci disposait des moyens juridiques de protéger sa réputation, et ses demandes ont été rejetées à l’issue de nombreuses procédures internes. Rien dans l’arrêt de la Cour n’indique que l’intéressé a même évoqué la question de la présomption d’innocence dans le cadre de la procédure pénale. Selon l’arrêt (paragraphe 136), le requérant soutenait que les journaux l’avaient présenté comme un criminel sur la base d’informations fournies par les autorités, et qu’à cet égard ses demandes de droit de réponse avaient été rejetées. Or ces demandes ont été examinées dans le cadre de procédures internes et la Cour n’a pas exprimé une quelconque insatisfaction devant ces procédures internes.

    Le communiqué de presse de 2003 était-il de nature à influencer un verdict de culpabilité dans l’ordre juridique turc ? C’est la seule véritable question en l’espèce conformément à notre jurisprudence : l’article 6 § 2, sous son aspect pertinent, vise à empêcher que l’équité d’une procédure pénale ne soit mise à mal par des déclarations préjudiciables présentant une relation étroite avec ladite procédure (Fatullayev c. Azerbaïdjan, no 40984/07, § 159, 22 avril 2010).

    Pour la Cour, le communiqué de presse préjugeait de l’appréciation des faits par le juge compétent. Les raisons pour lesquelles cela devrait être le cas n’ont fait l’objet d’aucune discussion. Dans le contexte de l’article 6 § 2, les circonstances de l’affaire sont particulièrement importantes. Toutefois, la Cour n’a pas examiné si et dans quelle mesure un communiqué de presse de la police, sorti après une saisie de matériel destiné à produire des stupéfiants, peut influencer un juge professionnel. Cet élément a pourtant constitué une considération pertinente pour la Cour dans des contextes comparables : « il convient également d’observer que les juridictions appelées à connaître de la cause du requérant étaient entièrement composées de juges professionnels jouissant d’une expérience et d’une formation leur permettant d’écarter toute influence extérieure au procès » (Préviti c. Italie, no 45 291/06, (déc.) ; voir, mutatis mutandis, D’Urso et Sgorbati c. Italie (déc.), no 52 948/99, 3 avril 2001, et Priebke c. Italie (déc.), no 48799/99).

    Dans l’affaire Phillips c. Royaume-Uni (no 41087/98, § 10, CEDH 2001-VII), l’inspecteur s’exprimait ainsi :

    « Il est probable que l’ampleur de l’actif réalisable de M. Phillips ne soit connue que de l’intéressé lui-même, et je crois qu’il est raisonnable de supposer que tout trafiquant de drogue qui réussit (ce qui peut être le cas de l’accusé) s’efforce dans toute la mesure du possible de dissimuler le produit de son trafic et de faire en sorte que l’on ne puisse pas le dépister. (...) »

    Contrairement au communiqué de presse en l’espèce, cette déclaration avait été produite devant le tribunal et, en conséquence, aurait pu directement influer sur l’issue de l’affaire. Toutefois, la Cour a conclu que l’article 6 § 2 de la Convention n’était pas applicable à la procédure de confiscation dont le requérant avait fait l’objet (§ 36).

    Nous renvoyons également le lecteur à l’affaire Sutyagin c. Russie (no 30024/02, 3 mai 2011), dans laquelle un gouverneur avait déclaré que l’accusé était coupable devant la société. Cela a été jugé regrettable mais, eu égard à la période considérable qui s’était écoulée entre cette déclaration et la détermination de la composition du jury et le procès du requérant, ainsi que le fait que la déclaration émanait d’un gouverneur régional alors que l’affaire était examinée par une juridiction moscovite, la Cour a estimé qu’« on ne saurait dire que la déclaration en question avait préjugé de l’appréciation des faits par le tribunal municipal de Moscou ». En l’espèce, nous sommes en présence de juges professionnels et d’une période de temps plus considérable encore.

    La Cour se fonde sur ses arrêts dans les affaires Butkevičius c. Lituanie, no 48297/99, CEDH 2002-II (extraits) et Lavents c. Lettonie, no 58442/00, 28 novembre 2002. Dans l’affaire Butkevičius, le procureur général a qualifié l’infraction commise de « tentative d’escroquerie ». Le procureur général a une capacité d’influence incomparablement plus importante que celle d’un communiqué de presse émis par la police. Il était en position de définir les charges, et pourtant cela n’a pas été considéré comme une violation de la présomption d’innocence. L’affaire Lavents portait sur des déclarations faites par le juge chargé d’examiner au fond l’affaire du requérant et compétent pour prendre des décisions relatives à son maintien en détention provisoire. Vu les différences factuelles entre la présente affaire et les affaires citées, ou d’autres comme l’affaire Fatullayev, nous estimons que ces conclusions ne sont pas applicables aux circonstances de l’espèce : la déclaration qui a donné lieu à la présente affaire, aussi inopportune et regrettable soit-elle, ne pouvait préjuger de l’appréciation des faits par l’autorité judiciaire compétente. La déclaration litigieuse n’a pas modifié la charge de la preuve au détriment du requérant dans les procédures ; sa situation juridique devant le tribunal n’a pas changé après la publication de la déclaration, et il n’a pas été obligé de fournir des preuves supplémentaires pour contester les accusations ou prouver son innocence. Dès lors, il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 § 2.

    Nous aimerions ajouter une remarque concernant la violation de l’article 5 § 3. Des éléments tendaient fortement à démontrer que le requérant avait continué à participer au crime organisé pendant sa détention provisoire dans le cadre d’investigations parallèles. Son maintien en détention provisoire relativement aux charges formulées dans le cadre de la procédure introduite en 2003 n’était pas déraisonnable. Ce qui est inacceptable, c’est le fait qu’une personne puisse être détenue sans jugement pendant plus de sept ans sans raisons procédurales impérieuses. C’est pour ce motif que nous parvenons à la même conclusion que nos collègues de la majorité, à savoir un constat de violation de l’article 5 § 3.

     

     

     


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