DEUXIÈME
SECTION
AFFAIRE LOCHER ET AUTRES c. SUISSE
(Requête
no 7539/06)
ARRÊT
STRASBOURG
30
juillet 2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions
définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des
retouches de forme.
En l’affaire Locher et autres c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième
section), siégeant en une chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2
juillet 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
. A l’origine de
l’affaire se trouve une requête (no 7539/06) dirigée contre la Confédération
suisse et dont quatre ressortissants suisses, M. Ludwig Locher et Mme Lia Locher-Doser ainsi que M. Hans Doser et Mme Maria-Josefa Doser-Stirnimann (« les requérants »), ont
saisi la Cour le 14 février 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la
Convention »).
. Les requérants
sont représentés par Me Jean Lob, avocat à Lausanne. Le
gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son
agent suppléant, M. A. Scheidegger, de l’unité Droit européen et protection
internationale des droits de l’homme de l’Office fédéral de la Justice.
. Invoquant l’article
6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignaient en particulier de n’avoir
pas eu communication d’un écrit de leur commune produit dans le cadre d’un
procès relatif à la construction d’une route, document qui constituait selon
eux une pièce essentielle.
. Le 22 avril
2008, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article
29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en
même temps sur la recevabilité et le fond.
. Le 1er
février 2011, les sections de la Cour ont été remaniées. La requête a été
attribuée à la deuxième section (articles 25 § 1 et 52 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
. Les
requérants, M. Ludwig Locher et Mme Lia
Locher-Doser ainsi que M. Hans Doser et Mme
Maria-Josefa Doser-Stirnimann, sont des ressortissants suisses nés
respectivement en 1928, 1929 et 1930 (Hans Doser et Maria-Josefa Doser-Stirnimann)
et résidant à Raron (canton du Valais).
. Avec l’arrêté
fédéral sur le réseau des routes nationales du 21 juin 1960, l’Assemblée
fédérale suisse approuva la construction de la route nationale N9 (A9) de
Vallorbe (frontière française) à Gondo (frontière italienne). En 1984, le
conseil d’Etat du canton du Valais se prononça en faveur de la « variante
nord », selon laquelle le tronçon de route situé entre le kilomètre 133.8
à Gampel-Steg et le kilomètre 140.7 à Viège ouest devait longer la ligne des
chemins de fer fédéraux (CFF) dans la plaine du Rhône. Le 22 mai 1991, le
Conseil fédéral approuva le projet général.
. En mars 1994,
les projets d’exécution de la construction furent publiés et déposés pour
consultation par le public. Selon ces plans, la construction exigeait la mise à
disposition, soit définitive soit de manière provisoire pendant les travaux de
construction, d’une partie des parcelles dont les propriétaires étaient les
requérants. Ceux-ci formèrent opposition et réclamèrent que soit choisie la
« variante sud », selon laquelle la route nationale devait être
tracée le long de la route cantonale existante entre Raron/Turtig et l’ouest de
Viège, avec une route de contournement (rocade) à Turtig.
. Le 11 février
2004, après que le projet d’exécution eut été modifié à plusieurs reprises et également
réexaminé par plusieurs experts, le conseil d’Etat du canton du Valais rejeta l’opposition
des requérants dans la mesure où elle était recevable.
. Les
requérants formèrent un recours auprès du tribunal cantonal du canton du
Valais. Alléguant notamment plusieurs vices de procédure, ils exigèrent que
leur soit accordée la consultation de certaines pièces et qu’une nouvelle expertise
concernant la « variante sud » soit ordonnée.
. Le tribunal
cantonal ordonna un échange d’écritures. Il demanda aussi aux trois communes
concernées par le projet de lui faire connaître leurs observations - Stellungnahme :
(prise de) position. Le 30 juin 2004, les trois réponses recueillies
furent transmises aux requérants, qui confirmèrent la bonne réception de
celles-ci le 1er juillet 2004. La lettre du tribunal cantonal fit, entre
autres, mention de la position exprimée (Stellungnahme) par la commune
de Raron en date du 19 avril 2004.
. Le tribunal
cantonal rejeta le recours le 11 mars 2005, dans un jugement dûment motivé et
fondé sur des expertises. Dans sa présentation des faits, il fit référence à
une position exprimée par la commune de Raron en date du 28 mai 2004
(« Die Munizipalgemeinden Raron am 28. Mai 2004 und Visp [...] nahmen
denselben Standpunkt ein. »). Il estima par ailleurs que les pièces
dont la consultation avait été demandée n’étaient pas pertinentes, car elles
concernaient des phases antérieures au projet d’exécution, qui ne pouvaient
être remises en question à ce stade. De plus, il constata que les requérants
avaient eux-mêmes admis avoir auparavant été mis en mesure de consulter le
dossier dans son intégralité. Enfin, il renonça à ordonner une nouvelle expertise,
au motif que les requérants n’avaient pas suffisamment expliqué quels points de
l’expertise actuelle leur paraissaient entachés d’un vice et nécessitaient à
leurs yeux un nouveau contrôle.
. Les intéressés
saisirent le Tribunal fédéral d’un recours de droit administratif.
. Le 9 août
2005, le Tribunal fédéral confirma le jugement du tribunal cantonal,
abstraction faite du point des frais et dépens, qu’il renvoya au tribunal
cantonal. Il rejeta notamment le moyen tiré de l’inexactitude alléguée des
motifs de fait en rapport avec la position de la commune du 28 mai 2004, dont
les requérants n’avaient pas eu connaissance. Le Tribunal fédéral mentionna une
prise de position du 28 mai 2004 (« Die Munizipalgemeinde Raron hat in
ihrer Stellungnahme vom 28. Mai 2004 dargelegt, [...].), et, à un autre
endroit du jugement, les positions du 19 avril et du 28 mai 2004 (« Allerdings
wird im Schreiben des Kantonsgerichts die Stellungnahme der Gemeinde Raron
vom 19. April 2004 und nicht (auch) jene vom 28. Mai 2004
erwähnt. »). Il estima que les requérants auraient pu, sur le fondement
de la décision du tribunal cantonal, se rendre compte du fait que la
transmission de la position du 28 mai 2004 avait probablement été omise par
erreur (« Sollte Letztere den Beschwerdeführern aus Versehen nicht
zugestellt worden sein, [...]. ») et demander à consulter le dossier à
cet égard.
. Par une décision
du 26 août 2005, faisant suite au renvoi susmentionné, le tribunal cantonal du
Valais renonça à prélever des frais de procédure et accorda à chaque requérant
la somme de 800 francs suisses (CHF) au titre des dépens.
. Le 11
novembre 2005, le Tribunal fédéral rejeta un nouveau recours de droit
administratif.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
. La
disposition pertinente de la législation valaisanne se trouve dans la loi sur
la procédure et la juridiction administratives du 6 octobre 1976 (Recueil
systématique des lois valaisannes no 172.6), et est
libellée comme suit :
Article 80 - Renvois
« 1. Les articles suivants sont applicables
par analogie à la procédure de recours :
(...)
d) effets et instruction du recours :
articles (...), 53 à 58. »
Article 54 - Audition de l’autorité de
décision
« 1. Si le recours ne paraît pas
manifestement irrecevable, l’autorité chargée de l’instruction transmet le
mémoire de recours à l’autorité de décision pour lui permettre de formuler ses
observations et l’invite à transmettre son dossier. Le cas échéant, elle donne
connaissance du recours aux autres parties en leur fixant un délai pour
présenter leur réponse.
2. Les réponses sont portées à la connaissance du
recourant. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
6 § 1 DE LA CONVENTION sous l’angle
de L’ÉGALITÉ DES ARMES
. Les
requérants se plaignent essentiellement d’un manque d’équité de la procédure.
Ils reprochent notamment au tribunal cantonal du Valais de ne pas leur avoir
communiqué la prise de position de la commune de Raron du 28 mai 2004. Ils invoquent
l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente
:
« Toute personne a droit à ce que sa cause
soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des
contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »
. Le
Gouvernement combat cette thèse.
A. Sur la recevabilité
. La Cour
constate que le grief n’est pas manifestement mal
fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à
aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a. Les requérants
. Les
requérants exposent que pour le tracé de la route nationale, la position de la
commune de Raron avait une importance essentielle. Le tribunal cantonal du
Valais avait requis la production de ce document et, pour rejeter le recours
des requérants le 11 mars 2005, il en a également fait état. Selon cette
position, la commune de Raron se serait expressément distanciée de la
« variante sud ». Malgré cette importance, le Tribunal fédéral a écarté
leur recours. Les requérants allèguent que si la position de la commune de
Raron - à savoir les documents du 28 mai 2004 - leur avait été communiquée, ils
auraient pu faire valoir qu’elle était nulle et de nul effet, faute d’avoir été
approuvée à la majorité requise lors de l’assemblée générale des citoyens de la
commune de Raron.
. Les
requérants soutiennent, à l’égard de l’affirmation du Gouvernement selon
laquelle les extraits des procès-verbaux de deux séances du 16 décembre 2003 et
du 6 avril 2004 du conseil municipal de la commune de Raron avaient été envoyés
par le tribunal cantonal du Valais le 30 juin 2004 (voir paragraphe 24
ci-dessous), que ces extraits, en tout état de cause, « ne sauraient
remplacer la position de la commune de Raron du 28 mai 2004 ». Dans
son arrêt du 9 août 2005, le Tribunal fédéral a fait expressément état d’un
écrit de la commune de Raron du 28 mai 2004 approuvant le projet du conseil d’Etat.
Selon les requérants, cet écrit était essentiel et ne pouvait valablement être
remplacé par des extraits des procès-verbaux de deux séances du conseil
municipal.
. Les
requérants se plaignent qu’ils avaient tout lieu de penser qu’on leur avait
communiqué toutes les pièces essentielles. Ils ne pouvaient pas imaginer que l’on
s’était abstenu de leur transmettre copie d’une pièce déterminante. Que cette
omission ait été intentionnelle ou non, les requérants l’estiment contraire aux
principes d’un procès équitable et y voient ainsi une violation de l’article 6
§ 1 de la Convention.
b. Le Gouvernement
. Le
Gouvernement rétorque que l’envoi du tribunal cantonal du Valais du 30 juin
2004 contenait non seulement les positions des trois communes concernées par le
projet de construction, mais aussi les extraits des procès-verbaux des séances
du 16 décembre 2003 et du 6 avril 2004 du conseil municipal de la commune de
Raron. Les procès-verbaux avaient été signés par le conseil municipal avec la mention
« pour copie conforme » (« für getreue Abschrift »)
en date du 28 mai 2004.
. Le
Gouvernement fait remarquer que dans son arrêt du 11 mars 2005, le
tribunal cantonal du Valais mentionne une position de la commune de Raron du 28
mai 2004, mais se borne à résumer à ce propos les extraits des deux
procès-verbaux. Ainsi, dans toute la mesure où cet arrêt et celui du Tribunal
fédéral du 9 août 2004 font état d’une position de la commune de Raron du 28
mai 2004, ils doivent se comprendre comme faisant simplement référence aux
extraits des procès-verbaux envoyés aux requérants le 30 juin 2004.
. Partant, le
Gouvernement suggère qu’il n’y avait aucune autre prise de position de la
commune de Raron en dehors de celle du 19 avril 2004 et des procès-verbaux susmentionnés.
2. Appréciation de la Cour
. La Cour
rappelle que les garanties relatives à un procès équitable impliquent en
principe le droit, pour les parties au procès, de prendre connaissance de toute
pièce ou observation présentée au juge et de la discuter (Joos c. Suisse, no 43245/07, § 27, 15 novembre 2012 ; Ellès et
autres c. Suisse, no 12573/06, § 25, 16 décembre 2010 ; Göç c.
Turquie [GC], no 36590/97, § 55, CEDH 2002-V ;
Lobo Machado c. Portugal, arrêt du 20 février 1996, Recueil 1996-I,
pp. 206-207, § 31).
. Dans plusieurs affaires concernant la Suisse, la Cour a constaté une
violation de l’article 6 § 1 au motif que le requérant n’avait pas été
invité à s’exprimer sur les observations d’une autorité judiciaire inférieure,
d’une autorité administrative ou de la partie adverse (voir
les arrêts Nideröst-Huber c. Suisse, 18 février 1997, § 24, Recueil
des arrêts et décisions 1997-I ; F.R. c.
Suisse, no 37292/97, § 36, 28 juin 2001 ;
Ziegler c. Suisse, no 33499/96,
§ 33, 21 février 2002 ; Contardi c. Suisse, no 7020/02, § 40, 12 juillet 2005 ; Spang
c. Suisse, no 45228/99, § 28,
11 octobre 2005 ; Ressegatti c. Suisse, no
17671/02, § 30, 13 juillet 2006 ; Kessler c. Suisse, no 10577/04, § 29, 26 juillet 2007 ; Ellès et autres c.
Suisse, précité, §
29).
. Dans
ces affaires, la Cour a déclaré que l’effet réel des observations importe peu
et que les parties à un litige doivent avoir la possibilité d’indiquer si elles
estiment qu’un document appelle des commentaires de leur part. Il y va
notamment de la confiance des justiciables dans le fonctionnement de la
justice : celle-ci se nourrit, entre autres, de l’assurance d’avoir pu s’exprimer
sur toute pièce du dossier (voir, à titre d’exemple, Ziegler, précité, §
38).
. Force
est de constater qu’en l’espèce les versions des parties divergent de manière
manifeste quant aux faits. Il ressort du dossier que la seule expression de
position proprement dite de la commune de Raron date du 19 avril 2004 et qu’elle
ne fait pas expressément mention - ni dans le texte, ni dans les pièces jointes
- des extraits des procès-verbaux des séances du 16 décembre 2003 et du 6 avril
2004 de son conseil municipal. Partant, rien n’indique l’existence d’une
seconde position de cette commune.
. Pourtant,
dans son arrêt du 11 mars 2005, le tribunal cantonal du canton du Valais avait
bien fait référence à une position de la commune de Raron du
28 mai 2004. De même, le Tribunal fédéral a mentionné dans son
jugement du 9 août 2005 une position du 28 mai 2004, et, à un autre endroit du
jugement, les positions du 19 avril et du 28 mai 2004. Et précisément,
le Tribunal fédéral n’a pas exclu l’hypothèse que, par mégarde, cette seconde position
n’ait pas été envoyée aux requérants.
. Comme le gouvernement
suisse le soutient, probablement à juste titre, l’absence de certitude des
parties et des tribunaux quant à l’existence d’une ou de deux prises de
position de la commune de Raron tient vraisemblablement au fait que la date du
28 mai 2004 était celle à laquelle les extraits des procès-verbaux des séances susmentionnées
avaient été signés avec la mention « pour copie conforme » (« für
getreue Abschrift »). Pour autant, cela n’explique pas pourquoi les
tribunaux suisses font mention d’une position du 28 mai 2004.
. La Cour
considère que le respect du droit à un procès équitable, plus particulièrement
le principe de l’égalité des armes, garanti par l’article 6 § 1, exigeait
que les requérants eussent la faculté de prendre au moins connaissance des extraits
des procès-verbaux des séances du 16 décembre 2003 et du 6 avril 2004
du conseil municipal de la commune de Raron, et, s’ils l’estimaient opportun,
de soumettre leurs commentaires (voir aussi Ressegatti, précité, § 33). Le Gouvernement n’a pas apporté la preuve que cette
possibilité leur a été donnée.
. La Cour
rappelle que le Tribunal fédéral a estimé que les requérants auraient pu se
rendre compte de l’erreur commise ou demander l’autorisation de consulter le
dossier. La Cour observe que les requérants étaient représentés par un avocat
devant les instances internes, mais rappelle néanmoins qu’elle a, dans des
circonstances certes différentes de celles de l’espèce, posé le principe selon
lequel il appartient aux Etats contractants d’organiser leurs services et de
former leurs agents de manière à leur permettre de répondre aux exigences de la
Convention (voir, mutatis mutandis, Stoll c.
Suisse [GC], no 69698/01, § 142, CEDH 2007-V ;
Dammann c. Suisse, no 77551/01,
§ 55, 25 avril 2006 ; Scordino c. Italie
(no 1) [GC], no 36813/97, § 183,
CEDH 2006-V ; Bottazzi
c. Italie [GC], no 34884/97, § 22,
CEDH 1999-V). Dès lors, la Cour estime que le fait
que les requérants auraient pu constater, sur la base de la lecture de l’arrêt
du tribunal cantonal du Valais, qu’il existait apparemment une seconde expression
de position de leur commune, datée du 28 mai 2004, ne dégage nullement les
autorités internes de leurs obligations découlant de la Convention, même si les
agents responsables de la non-transmission des documents ont agi de bonne foi.
. Compte tenu
de ce qui précède, surtout au vu des
incertitudes et imprécisions sur les circonstances,
ces éléments suffisent à la Cour
pour conclure que l’article 6 § 1 de la Convention a été violé en l’espèce.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS
ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
A. Durée de la procédure
. Les
requérants allèguent également que la durée de la procédure devant le tribunal
cantonal du canton du Valais a été excessive, invoquant toujours l’article 6 §
1 de la Convention.
Sur la recevabilité
. La Cour rappelle qu’il n’est pas nécessaire
que le droit consacré par la Convention ait été explicitement invoqué dans la
procédure interne, pour autant que le grief ait été soulevé « au moins en
substance » (Castells c. Espagne, 23 avril 1992, § 32, série A no 236 ; Ahmet Sadık c.
Grèce, 15 novembre 1996, § 33, Recueil
des arrêts et décisions 1996-V ; Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 38, CEDH 1999-I ; Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00, §§ 40-41, CEDH 2004-III). Cela signifie que, si le requérant n’a pas
invoqué les dispositions de la Convention, il doit avoir soulevé des moyens d’effet
équivalent ou similaire fondés sur le droit interne, afin d’avoir donné l’occasion
aux juridictions nationales de remédier en premier lieu à la violation alléguée
(Gäfgen c. Allemagne [GC], no
22978/05, §§ 142, 144 et 146, CEDH 2010 ; Karapanagiotou et autres c. Grèce, no 1571/08, § 29, 28 octobre 2010).
. En l’espèce, dans
la mesure où les requérants se plaignent de la durée de la procédure devant le
tribunal cantonal du canton du Valais, il n’apparaît pas que ce grief ait été
soulevé, au moins en substance et de manière compréhensible, devant le Tribunal
fédéral.
. Il s’ensuit
que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours
internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la
Convention.
B. Dépens
. Enfin, les
requérants se plaignent du montant des dépens accordés dans l’arrêt du 26 août
2005 par le tribunal cantonal du Valais. La Cour rappelle que l’article 6 de la
Convention ne garantit en principe pas le droit de se voir rembourser par l’Etat,
au titre des dépens, les frais d’avocats exposés. Elle réitère que la question
du caractère approprié des dédommagements (pécuniaires ou non) accordés par les
tribunaux nationaux ne soulève pas de problèmes sous l’angle de l’article 6 de
la Convention, dès lors que ces juridictions ne se sont pas prononcées de
manière arbitraire ou totalement déraisonnable (Živulinskas c. Lituanie,
no 34096/02, 12 décembre 2006 (déc.)).
. Force est de
constater en premier lieu que les requérants n’avaient pas formulé de demande d’assistance
judiciaire gratuite. En l’espèce, le tribunal cantonal du Valais s’est fondé
sur la législation fédérale pertinente, laquelle ne prévoyait à l’égard des
frais extrajudiciaires occasionnés par les procédures d’opposition que l’octroi
d’une « indemnité convenable ». Ainsi, le tribunal cantonal a pu
constater que la loi n’exigeait pas une indemnisation complète des frais d’avocat
des requérants. Par conséquent, et sans être par ailleurs lié par les tarifs
cantonaux ou autres pratiques de la profession, le tribunal a calculé et
déterminé les dépens en fonction des prestations effectivement fournies par l’avocat,
de l’ampleur et de la difficulté de la cause, en bénéficiant assurément d’une
marge d’appréciation considérable. Comme le souligne le Tribunal fédéral dans
son arrêt du 11 novembre 2005, le tribunal cantonal du Valais aurait même
pu renoncer à toute allocation de dépens, étant donné que les conclusions des requérants
ont été rejetées dans leur intégralité. Tout cela étant loin d’être arbitraire
ou totalement déraisonnable, il s’ensuit que l’article 6 de la Convention n’a
pas été violé en l’espèce.
. Partant, le grief est manifestement mal fondé et doit être
rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE
41 DE LA CONVENTION
43. Aux termes de l’article 41 de la
Convention,
« Si la Cour
déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le
droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement
les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a
lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
. Les requérants n’ont formulé aucune demande au titre d’un dommage
matériel ou moral.
. Partant, il n’y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.
B. Frais et dépens
. Les requérants demandent, notes d’honoraires et factures de
frais de justice à l’appui, 30 000 francs suisses (CHF), soit environ 24 681
euros (EUR) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes
et devant la Cour.
. Le
Gouvernement s’oppose à cette demande. Il fait valoir qu’un seul des griefs
allégués par les requérants a été retenu par la Cour, à savoir celui d’une
non-communication de la position de la commune de Raron du 28 mai 2004.
Seuls les frais et dépens encourus pour faire constater cette violation-là,
soit ceux postérieurs à l’arrêt du tribunal cantonal du Valais du 11 mars 2005,
devraient ainsi être pris en compte. En outre, l’invocation de cette violation
auprès des instances nationales et de la Cour ne représente qu’une fraction du
travail correspondant aux factures présentées. Partant, en tenant compte des
montants alloués par la Cour dans d’autres affaires suisses dont la complexité
était comparable, le Gouvernement estime qu’un montant de 4 500 CHF, soit environ
3 702 EUR, au titre des dépens serait équitable.
. Selon la
jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses
frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur
nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction
équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).
En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession ainsi que de sa
jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 7
000 EUR, soit environ 8 509 CHF, tous frais confondus et l’accorde aux quatre
requérants conjointement, accrue de tout montant pouvant être dû par eux à
titre d’impôt.
C. Intérêts moratoires
. La Cour juge
approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de
la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois
points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable
quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention sous l’angle de l’égalité
des armes et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation
de l’article 6 § 1 de la Convention sous l’angle de l’égalité des armes ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser,
dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif
conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 7 000 EUR (sept mille euros) à M. Ludwig
Locher, Mme Lia Locher-Doser, M. Hans Doser et Mme Maria-Josefa Doser-Stirnimann conjointement, pour frais et dépens, plus tout montant pouvant
être dû à titre d’impôt, à convertir en francs suisses au taux applicable à la
date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit
délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple
à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de
pourcentage ;
4. Rejette la demande de
satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit
le 30 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley
Naismith Guido Raimondi
Greffier Président