BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?

No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!



BAILII [Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback]

European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> GIANQUITTI AND OTHERS v. ITALY - 36228/02 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 88 (22 January 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/88.html
Cite as: [2013] ECHR 88

[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]


     

     

     

    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE GIANQUITTI ET AUTRES c. ITALIE

     

    (Requête no 36228/02)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    22 janvier 2013

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Gianquitti et autres c. Italie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

              Dragoljub Popović, président,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 décembre 2012,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 36228/02) dirigée contre la République italienne et dont quatre ressortissantes de cet État, Mme Maria Lorenza Gianquitti et Mmes Damiana Pirro, Bianca Pirro et Adriana Pirro, ont saisi la Cour le 23 juillet 1999, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Les requérantes sont représentée par Me G. Romano, avocat à Bénévent. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora, et par ses coagents M. F. Crisafulli et M. N. Lettieri.

  3. .  Le 16 novembre 2004, la requête a été communiquée au Gouvernement.

  4. .  En application du Protocole no 14, la requête a été attribuée à un comité.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Les requérantes sont des ressortissantes italiennes, nées respectivement en 1914, 1945, 1949 et 1947 et résidant à Molinara (Bénévent).

  7. .  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérantes, peuvent se résumer comme suit.
  8. 1.  L’expropriation du terrain.


  9. .  Les requérantes étaient propriétaires d’un terrain d’environ 7 000 mètres carrés sis à Molinara et enregistré au cadastre, feuille no 39, parcelles 606 et 607.

  10. .  Le 1erseptembre 1984, le maire de Molinara décida l’occupation d’urgence du terrain des requérantes pour une période maximale de deux ans afin d’y construire un ouvrage public.

  11. .  Le 22 septembre 1984, la municipalité de Molinara occupa une partie du terrain des requérantes et entama les travaux de construction.

  12. .  Par un acte d’assignation notifié le 3 décembre 1987, les requérantes assignèrent la municipalité de Molinara devant le tribunal civil de Bénévent.

  13. .  Elles faisaient valoir que l’occupation du terrain était illégale au motif qu’elle s’était prolongée au-delà du délai autorisé et que les travaux de construction de l’ouvrage public s’étaient terminés sans qu’il fût procédé à l’expropriation formelle du terrain et au paiement d’une indemnité. Elles alléguèrent qu’à la suite de l’achèvement de l’ouvrage public, leur droit de propriété avait été neutralisé et que, par conséquent, il ne leur était pas possible de demander la restitution du terrain litigieux, mais seulement des dommages-intérêts. Les requérantes réclamaient une somme correspondant à la valeur vénale du terrain.

  14. .  Le 26 juillet 1989, une expertise fut déposée au greffe. Selon l’expert, la valeur vénale du terrain en 1985 était de 8 850 000 ITL (4 571 EUR environ).

  15. .  En 2001, une autre expertise fut déposée au greffe. Selon l’expert, le terrain avait été régulièrement occupé jusqu’en 1984. Après cette date, l’occupation du terrain était devenue illégale.

  16. .  Par une décision déposée au greffe le 7 août 2003, le tribunal de Bénévent jugea que les requérantes devaient se considérer comme privées de leur terrain à partir du 22 septembre 1984, en application du principe de l’expropriation indirecte. Par conséquent, le tribunal condamna la municipalité à verser aux requérantes 9 635,37 EUR, plus intérêts à compter du 22 octobre 1984, date de la transformation irréversible du terrain.

  17. .  Le 13 octobre 2003, la municipalité interjeta appel de ce jugement devant la cour d’appel de Naples. Elle faisait valoir notamment que l’indemnisation devait être calculée sur la base de la loi no 662 de 1996, entrée en vigueur en cours de procédure.

  18. .  Par une décision déposée au greffe le 31 août 2004, la cour d’appel de Naples réforma la décision du tribunal de Bénévent et estima que les requérantes avaient droit à une indemnisation qui devait être calculée en fonction de la loi no 662 de 1996. Elle réduisit l’indemnisation accordée par le tribunal de Bénévent, jugea que les requérantes devaient se considérer comme privées de leur terrain à compter du 22 septembre 1986 et condamna la municipalité de Molinara à verser aux requérantes 4 051,12 EUR, plus intérêts à compter de la date indiquée.
  19. 2.  La procédure « Pinto ».


  20. .  Le 5 juin 2001, les requérantes introduisirent un recours au sens de la loi Pinto devant la cour d’appel de Rome, afin d’obtenir une indemnité pour la durée de la procédure.

  21. .  Par une décision déposée au greffe le 2 octobre 2001, la cour d’appel de Rome constata le dépassement du délai raisonnable. Elle accorda 7 000 000 ITL (3 615 EUR environ) à chaque requérante à titre de dommage moral.

  22. .  Contre cette décision, les requérantes ne se sont pas pourvues en cassation.
  23. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


  24. .  Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009.

  25. .  Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto » sont décrits dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, §§ 23-31.
  26. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 DE LA CONVENTION


  27. .  Les requérantes allèguent avoir été privées de leur terrain de manière incompatible avec l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
  28. « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

    Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »


  29. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
  30. A.  Sur la recevabilité


  31. .  Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes au motif que l’affaire était encore pendante devant le tribunal de Bénévent lors de l’introduction de la requête.

  32. .  Les requérantes s’opposent à cette exception.

  33. .  La Cour rappelle avoir déjà rejeté des exceptions semblables dans les affaires La Rosa et Alba c. Italie (no 8), (no 63285/00, §§ 78-87, 15 juillet 2005) ; Colacrai c. Italie (no 2), (no 63868/00, §§ 57-62, 15 juillet 2005). Elle n’aperçoit aucun motif de déroger à ses précédents et rejette donc cette exception.

  34. .  Le Gouvernement soulève également la tardivité de la requête dans la mesure où les requérantes se plaignent de ce que l’indemnité obtenue à l’issue de la procédure a été calculée en fonction de la loi no 662 de 1996. Il fait valoir que, à défaut d’une décision interne définitive lors de l’introduction de la requête, la date à prendre en considération pour le calcul du délai de six mois, au sens de l’article 35 de la Convention, est le 1er janvier 1997, à savoir date à laquelle la loi no 662 de 1996 est entrée en vigueur.

  35. .  Les requérantes demandent le rejet de l’exception du Gouvernement.

  36. .  La Cour rappelle qu’elle a rejeté des exceptions semblables dans les affaires Serrao c. Italie (no 67198/01, 13 octobre 2005), Binotti c. Italie (no 2) (no 71603/01, 13 octobre 2005) et Janes Carratù c. Italie, (no 68585/01, 3 août 2006). Elle n’aperçoit aucun motif de déroger à ses précédentes conclusions et rejette donc l’exception en question.

  37. .  La Cour constate que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  38. B.  Sur le fond


  39. .  Les requérantes rappellent qu’elles ont été privées de leur bien en vertu du principe de l’expropriation indirecte, un mécanisme qui permet à l’autorité publique d’acquérir un bien en toute illégalité, ce qui n’est pas admissible dans un État de droit.

  40. .  Selon le Gouvernement, en dépit de l’absence d’un décret d’expropriation et malgré la transformation du terrain de manière irréversible par la construction d’un ouvrage d’utilité publique, rendant sa restitution impossible, l’occupation litigieuse a été faite dans le cadre d’une procédure administrative reposant sur une déclaration d’utilité publique.

  41. .  La Cour note tout d’abord que les parties s’accordent pour dire qu’il y a eu « privation de la propriété ».

  42. .  La Cour renvoie à sa jurisprudence en matière d’expropriation indirecte (voir, parmi d’autres, Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000-VI ; Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005 ; Velocci c. Italie, no 1717/03, 18 mars 2008) pour la récapitulation des principes pertinents et pour un aperçu de sa jurisprudence dans la matière.

  43. .  Dans la présente affaire, la Cour relève qu’en appliquant le principe de l’expropriation indirecte, les juridictions internes ont considéré les requérantes privées de leur bien à compter de la date de fin de l’occupation légitime et de la réalisation de l’ouvrage public. Or, en l’absence d’un acte formel d’expropriation, la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée comme « prévisible », puisque ce n’est que par la décision judiciaire définitive que l’on peut considérer le principe de l’expropriation indirecte comme ayant effectivement été appliqué et que l’acquisition du terrain par les pouvoirs publics a été consacrée. Par conséquent, les requérantes n’ont eu la « sécurité juridique » concernant la privation du terrain qu’au plus tôt le 31 octobre 2004, date à laquelle l’arrêt de la cour d’appel de Naples est devenu définitif.

  44. .  La Cour estime que l’ingérence litigieuse n’est pas compatible avec le principe de légalité et qu’elle a donc enfreint le droit au respect des biens des requérants entraînant la violation de l’article 1 du Protocole no 1.
  45. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION À RAISON DE L’ABSENCE D’ÉQUITÉ DE LA PROCÉDURE


  46. .  Les requérantes se plaignent en substance de l’absence d’équité de la procédure. Elles font valoir qu’elles n’ont pas été dédommagées à hauteur de la valeur vénale du terrain par effet de la loi no 662 de 1996, entrée en vigueur en cours de procédure.

  47. .  Est en cause l’article 6 § 1, qui, en ses passages pertinents, dispose :
  48. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »


  49. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

  50. .  Quant au bien-fondé du grief, la Cour vient de constater, sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, que la situation dénoncée par les requérantes n’est pas conforme au principe de légalité (paragraphe 36 ci-dessus). Eu égard aux motifs l’ayant amenée à ce constat de violation, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément s’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 6 § 1 (voir Macrì et autres c. Italie, no 14130/02, § 49, 12 juillet 2011; Rivera et di Bonaventura c. Italie, no 63869/00, § 30,  14 juin 2011).
  51. III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION À RAISON DE LA DURÉE EXCESSIVE DE LA PROCÉDURE


  52. .  Les requérantes se plaignent de la durée de la procédure civile et de l’insuffisance du redressement obtenu dans le cadre du recours « Pinto ». La disposition invoquée, dans ses parties pertinentes, se lit ainsi :
  53. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »


  54. .  Le Gouvernement conteste cette thèse.
  55. A.  Sur la recevabilité


  56. .  Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes, faisant valoir que les requérantes ne se sont pas pourvues en cassation envers la décision de la cour d’appel de Rome.

  57. .  La Cour relève que la décision de la cour d’appel de Rome est devenue définitive au plus tard le 2 décembre 2001.

  58. .  À la lumière de sa jurisprudence (Di Sante c. Italie (déc.), no 56079/00, 24 juin 2004), elle rejette cette exception.

  59. .  Par ailleurs, après avoir examiné les faits de la cause et les arguments des parties, la Cour estime, à la lumière de la jurisprudence établie en la matière (Provide S.r.l. c. Italie, no 62155/00, §§ 20-25, CEDH 2007, 5 juillet 2007), que le redressement s’est révélé insuffisant et que les requérantes peuvent toujours se prétendre « victimes » au sens de l’article 34 de la Convention.

  60. .  La Cour constate que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  61. B.  Sur le fond


  62. .  La Cour constate que la procédure principale, qui a débuté le 3 décembre 1987 (paragraphe 10 ci-dessus) pour s’achever le 2 octobre 2001(paragraphe 18 ci-dessus), a duré quatorze ans environ pour deux degrés de juridiction.

  63. .  La Cour a traité à maintes reprises des requêtes soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté une méconnaissance de l’exigence du « délai raisonnable », compte tenu des critères dégagés par sa jurisprudence bien établie en la matière (voir, en premier lieu, Cocchiarella c. Italie, précité). N’apercevant rien qui puisse mener à une conclusion différente dans la présente affaire, la Cour estime qu’il y a également lieu de constater une violation de l’article 6 § 1.
  64. IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION


  65. .  Invoquant l’article 13, les requérantes se plaignent de l’inefficacité du remède « Pinto ».

  66. .  La Cour rappelle que, selon la jurisprudence Gagliano Giorgi (no 23563/07, § 79, 6 mars 2012) et Delle Cave et Corrado (nº 14626/03, §§ 43-46, 5 juin 2007), l’insuffisance de l’indemnisation « Pinto » ne remet pas en cause, à ce jour, l’efficacité de cette voie de recours

  67. .  En l’espèce, la cour d’appel de Rome avait bien compétence pour se prononcer sur le grief des requérantes et elle a effectivement procédé à son examen. Aux yeux de la Cour, la simple insuffisance du montant de l’indemnisation ne constitue pas en soi un élément suffisant pour remettre en cause l’effectivité du recours « Pinto » (voir, mutatis mutandis, Zarb c. Malte, no 16631/04, § 51, 4 juillet 2006).

  68. .  Partant, il y a lieu de déclarer ce grief irrecevable pour défaut manifeste de fondement au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
  69. V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    54.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage matériel


  70. .  Les requérantes sollicitent la restitution et la remise en état du terrain litigieux ainsi qu’une somme correspondante à la différence entre la valeur vénale du terrain et le montant du dédommagement accordé au niveau national, à réévaluer et à majorer des intérêts à partir du 22 septembre 1986. Lors du dépôt de leur demande de satisfaction équitable, en 2005, elles chiffraient cette prétention à 4 000 EUR pour chaque requérante.

  71. .  Le Gouvernement s’oppose à cette demande.

  72. .  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], nº 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).

  73. .  Elle rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], nº 58858/00, 22 décembre 2009, la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, elle a décidé d’écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l’arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l’État sur les terrains.

  74. .  L’indemnisation doit donc correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l’on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des terrains.

  75. .  En l’espèce, les requérantes ont perdu la propriété de leur terrain le 22 septembre 1986 (paragraphe 16 ci-dessus). Il ressort de l’expertise ordonnée par le tribunal de Bénévent que la valeur vénale du terrain au moment de l’occupation était de 8 850 000 ITL (4 571 EUR environ).

  76. .  Compte tenu de ces éléments et statuant en équité, la Cour estime raisonnable d’accorder aux requérantes conjointement 13 200 EUR plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

  77. .  Reste à évaluer la perte de chances subie à la suite de l’expropriation litigieuse (Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC] précité, § 107). La Cour juge qu’il y a lieu de prendre en considération le préjudice découlant de l’indisponibilité du terrain pendant la période allant du début de l’occupation légitime (22 septembre 1984) jusqu’au moment de la perte de propriété (22 septembre 1986). Statuant en équité, la Cour alloue conjointement aux requérants 500 EUR.
  78. B.  Dommage moral


  79. .  Les requérantes demandent 24 000 EUR chacune à titre de préjudice moral.

  80. .  Le Gouvernement s’y oppose.

  81. .  La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leur bien ainsi que la durée excessive de la procédure ont causé aux requérantes un préjudice moral important qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate.

  82. .  Statuant en équité, la Cour alloue aux requérantes conjointement 23 400 EUR au titre du préjudice moral.
  83. C.  Frais et dépens


  84. .  Les requérantes demandent 13 958 EUR pour leurs frais et dépens devant la Cour

  85. .  Le Gouvernement s’oppose et fait valoir que les sommes réclamées sont excessives.

  86. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

  87. .  La Cour ne doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d’allouer un montant de 7 000 EUR pour l’ensemble des frais exposés.
  88. E.  Intérêts moratoires


  89. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  90. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention et de l’article 6 § 1 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de l’absence d’équité de la procédure;

     

    4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de la durée de la procédure;

     

    5.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser aux requérantes, dans les trois mois, les sommes suivantes :

    i) 13 700 EUR (treize mille sept cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

    ii) 23 400 EUR (vingt-trois mille quatre cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    iii) 7 000 EUR (sept mille euros), plus tout montant pouvant être dû par les requérantes à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 janvier 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Françoise Elens-Passos                                                       Dragoljub Popović
     Greffière adjointe                                                                      Président


BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/88.html