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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> NAIDIN v. ROMANIA - 38162/07 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 1114 (21 October 2014) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/1114.html Cite as: [2014] ECHR 1114 |
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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE NAIDIN c. ROUMANIE
(Requête no 38162/07)
ARRÊT
STRASBOURG
21 octobre 2014
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Naidin c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall,
président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popović,
Luis López Guerra,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 septembre 2014,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 38162/07) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Petre Naidin (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 août 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, M. R.-H. Radu et Mme I. Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant alléguait en particulier une violation des articles 8 et 14 de la Convention au regard de son droit à la protection de sa vie privée en raison de l’interdiction qui lui a été faite d’occuper un emploi dans la fonction publique.
4. Le 31 août 2010, le grief tiré des articles 8 et 14 de la Convention a été communiqué au Gouvernement et la Requête a été déclarée irrecevable pour le surplus.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1954 et réside à Călăraşi.
6. Entre 1990 et 1991, le requérant exerça les fonctions de sous-préfet du département de Călăraşi. Il fut ensuite élu et réélu député au Parlement, où il siégea durant trois législatures, jusqu’en 2004.
7. En 2000, à l’occasion de sa troisième candidature à la Chambre des députés, le Conseil national pour l’étude des archives de l’ancienne police politique (Consiliul naţional pentru studierea arhivelor Securităţii ; le « CNSAS »), procéda d’office, en application de la loi no 187/1999 sur l’accès aux archives de la police politique, à une vérification du passé du requérant.
8. À l’issue des recherches et après deux auditions du requérant, le CNSAS conclut que ce dernier avait collaboré avec la police politique (la Securitate) entre 1971 et 1974. La décision du CNSAS s’appuyait sur une déclaration de 1971, signée par le requérant, alors âgé de 17 ans, par laquelle il s’engageait à collaborer avec la Securitate. Pendant ses études au lycée et lors de son service militaire comme conscrit, il a fourni des renseignements sur certains collègues considérés comme suspects en ce qu’ils écoutaient des radios étrangères, avaient de la famille à l’étranger ou ne mangeaient pas de viande. La décision du CNSAS fut publiée au journal officiel.
9. Le requérant contesta devant la cour d’appel de Bucarest l’interprétation faite par le CNSAS de ses actes passés, alléguant qu’ils avaient été innocents et sans conséquences et qu’ils ne pouvaient être compris que dans le contexte historique de l’époque. Le CNSAS répondit que les renseignements fournis étaient à l’époque de nature à porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux des personnes visées, et que la loi ne faisait pas de distinction entre les divers degrés de collaboration.
10. Par un arrêt définitif du 20 août 2001, la cour d’appel rejeta la contestation. Elle jugea qu’au sens de la loi no 187/1999, le requérant avait bien collaboré avec la police politique, dès lors qu’il avait fourni des informations susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux, sans qu’il y ait lieu de s’attacher aux répercussions réelles que ces informations avaient pu avoir sur les personnes concernées.
11. En 2003, le Gouvernement, soutenu par une majorité parlementaire dont faisait partie le requérant, engagea sa responsabilité politique sur un projet de loi concernant la lutte contre la corruption et la transparence dans la fonction publique. L’exposé des motifs assignait comme objectif à ce changement législatif la création d’une culture du service public qui soit celle d’un service de qualité et au service des intérêts légitimes des citoyens. Parmi les nombreuses modifications apportées au droit interne, le projet de loi ajoutait à l’article 50 de la loi no 188/1999 sur le statut des fonctionnaires publics un nouveau paragraphe interdisant l’accès à la fonction publique aux personnes qui s’étaient rendues coupables d’actes de police politique.
12. La motion de censure déposée par l’opposition n’ayant pas obtenu le nombre de voix requis, le texte fut réputé adopté et devint la loi no 161/2003.
13. En 2004, à la fin de son mandat, le requérant exprima le souhait de réintégrer la fonction publique et demanda à l’Agence nationale des fonctionnaires publics (ci-après, « l’Agence ») son inscription sur la liste de réserve des sous-préfets. Il invoqua les dispositions de la loi sur les préfets qui permettait aux anciens sous-préfets d’être inscrits sur la liste de réserve du corps préfectoral.
14. Le 1er octobre 2004, l’Agence notifia au requérant son refus d’accéder à sa demande, invoquant les dispositions de l’article 50 de la loi no 188/1999 sur le statut des fonctionnaires publics, telle que modifiée en 2003, qui interdisait aux collaborateurs de la Securitate l’accès à la fonction publique.
15. Le requérant introduisit une action de contentieux administratif pour contester la réponse de l’Agence et souleva devant la cour d’appel de Bucarest une exception d’inconstitutionnalité de l’article 50 de la loi no 188/1999. S’appuyant sur les dispositions de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l’homme, il alléguait une discrimination injustifiée dans l’accès à la fonction publique. Il critiquait le caractère général de cette interdiction et l’absence de prise en compte des circonstances propres à chaque cas.
16. Par une décision du 24 janvier 2006, la Cour constitutionnelle confirma la constitutionnalité du texte critiqué. Elle releva que l’interdiction était l’expression de la volonté du législateur, qui jouissait en la matière d’une large marge d’appréciation. La Cour constitutionnelle estima que la différence de traitement dans l’accès à la fonction publique avait une justification objective et rationnelle, en l’occurrence l’exigence de la loyauté de tous les fonctionnaires envers le régime démocratique. En outre, citant la jurisprudence de la Cour européenne, la Cour constitutionnelle rappela que l’accès à la fonction publique n’était un droit garanti ni par la législation interne ni par la Convention.
17. Par un arrêt du 11 avril 2006 de la cour d’appel, confirmé sur pourvoi en recours par un arrêt définitif du 23 mars 2007 de la Haute Cour de cassation et de justice, la contestation du refus d’inscription sur la liste de réserve des sous-préfets fut rejetée.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
18. La loi no 187/1999 sur l’accès de chacun à son dossier et la divulgation des actes de la police politique a ouvert pour la première fois l’accès aux archives de l’ancienne police politique à travers une procédure spécifique sous l’égide du Conseil national pour l’étude des archives de l’ancienne police politique (CNSAS).
19. L’article 2 de la loi dressait la liste des personnes dont le passé pouvait être rendu public sur demande de toute personne intéressée. Parmi celles-ci figuraient les membres du Parlement.
20. La loi n’instaurait aucune restriction quant à l’accès aux emplois relevant de la fonction publique, mais exigeait des postulants qu’ils déclarent s’ils avaient collaboré avec l’ancienne police politique. Pour les candidats à la présidence de la République et au Parlement, ainsi que pour les personnes nommées à un poste ministériel, la vérification était obligatoire et était effectuée d’office par le CNSAS.
21. Selon la loi, tout individu ayant autrefois dénoncé les activités ou l’attitude hostile au régime communiste de tiers en fournissant des informations susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés fondamentales des intéressés était considéré comme un « collaborateur » de la Securitate.
22. La Cour constitutionnelle ayant, par une décision rendue en 2008, déclaré la loi no 187/1999 inconstitutionnelle en raison principalement du manque d’équité de la procédure devant le CNSAS, cette loi a été remplacée par la loi no 293/2008. La nouvelle loi maintient la définition du « collaborateur » de la police politique, mais exonère les actes commis avant l’âge de 16 ans.
23. La loi no 188/1999 sur le statut des fonctionnaires publics a été publiée au journal officiel le 9 décembre 1999. Après la modification apportée par la loi no 161/2003, adoptée à la suite de l’engagement de la responsabilité du gouvernement, l’article 50 j) de la loi no 188/1999 est libellé comme suit :
« Peut occuper une fonction publique la personne qui remplit les conditions suivantes :
(...)
j) ne pas avoir accompli d’actes de police politique selon la définition légale de ces actes (...) ».
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION
24. Le requérant dénonce le rejet de sa demande de réintégration dans la fonction publique et en particulier dans le corps de réserve des sous-préfets en raison de sa collaboration avec la police politique du régime communiste comme une atteinte à sa « vie privée ». Il s’estime victime d’une discrimination injustifiée dans les perspectives d’emploi dans le secteur public par rapport à d’autres personnes ayant exercé des fonctions similaires aux siennes. Il invoque l’article 8 combiné avec l’article 14 de la Convention.
25. L’article 8 de la Convention dispose :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
L’article 14 de la Convention est ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
A. Sur la recevabilité
1. Thèses des parties
26. Le Gouvernement plaide l’irrecevabilité de ce grief pour incompatibilité ratione materiae. Il affirme que l’article 8 de la Convention n’entre pas en jeu en l’espèce car cette disposition ne garantit pas, selon lui, le droit de conserver un emploi ou de choisir une profession. Il rappelle que le requérant cherchait à réintégrer la haute fonction publique et estime qu’en la matière, l’État doit jouir d’une large marge d’appréciation quant aux limitations pouvant être apportées aux perspectives d’emploi du requérant sur un poste à haute responsabilité.
27. En outre, le Gouvernement plaide l’irrecevabilité ratione personae du grief tiré de l’article 8 de la Convention. Il considère qu’en tant que député de la majorité parlementaire, le requérant a participé à l’adoption du projet de loi modifiant le statut des fonctionnaires. Il affirme que le requérant n’a exprimé son opposition à cette modification législative ni au moment de son adoption par le Parlement ni ultérieurement pendant la durée de son mandat. Il en conclut que le requérant ne saurait invoquer l’article 8 de la Convention pour se plaindre d’une prétendue violation de ses droits alors que la mesure critiquée résulterait, en partie, de ses actes.
28. Le requérant maintient qu’il a fait l’objet d’une mesure discriminatoire qui a porté atteinte à sa « vie privée ».
2. Appréciation de la Cour
a) Sur l’exception d’irrecevabilité ratione materiae
29. Le Gouvernement soutient que l’impossibilité pour le requérant de réintégrer la fonction publique ne saurait être considérée comme une atteinte à son droit au respect de la « vie privée » protégé par l’article 8 de la Convention.
30. La Cour constate que le requérant se plaint de ce qu’en raison de sa collaboration avec la police politique, il est traité différemment des autres personnes qui, comme lui, ont exercé la fonction de sous-préfet et qui, à ce titre, bénéficient du droit de réintégrer la fonction publique.
31. La Cour rappelle que si elle a toujours considéré que la Convention ne garantit ni la liberté de profession ni l’accès à une profession particulière, elle a toutefois admis qu’une différence de traitement aux fins de la nomination à un poste pourrait tomber sous l’empire d’une disposition de la Convention (Thlimmenos c. Grèce [GC], no 34369/97, §§ 41 et 42, CEDH 2000-IV).
32. Elle rappelle également qu’une restriction d’accès à des fonctions au service de l’intérêt public pourrait entraîner des conséquences sur la jouissance du droit au respect de la « vie privée » au sens de l’article 8 dès lors qu’elle empêche la personne qui s’en plaint d’exercer une profession correspondant à ses qualifications professionnelles (voir, mutatis mutandis, Bigaeva c. Grèce, no 26713/05, §§ 24 et 25, 28 mai 2009).
33. En l’occurrence, le refus d’inscription du requérant sur la liste de réserve des sous-préfets n’était pas justifié par l’absence des qualifications professionnelles requises par la fonction. D’ailleurs, après la chute du régime communiste, le requérant avait exercé cette fonction, qu’il avait ensuite quittée pour accomplir une série de mandats électifs.
34. Compte tenu de l’expérience professionnelle du requérant dans des fonctions au service de l’intérêt public, la Cour estime que l’interdiction totale et définitive de réintégrer la fonction publique a pour lui des répercussions évidentes sur la manière dont il forge son identité sociale et développe des relations avec ses semblables (mutatis mutandis, Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, § 29, série A no 251-B ; Mółka c. Pologne (déc.), no 56550/00, CEDH 2006-IV ; Campagnano c. Italie, no 77955/01, § 53, CEDH 2006-V et, a contrario, Kosiek c. Allemagne, 28 août 1986, §§ 38 et 39, série A no 105 ; Glasenapp c. Allemagne, 28 août 1986, §§ 52, 53, série A no 104 et Karov c. Bulgarie, no 45964/99, § 88, 16 novembre 2006).
35. Il s’ensuit que, dans les circonstances particulières de la cause, l’article 8 combiné avec l’article 14 de la Convention est applicable 36. Partant, la Cour rejette l’exception tirée de l’incompatibilité ratione materiae du grief avec la Convention.
b) Surl’exception d’irrecevabilité ratione personae
37. Le Gouvernement reproche au requérant de ne pas s’être opposé, en tant que député à l’époque pertinente, à l’adoption de la modification législative qui l’a empêché de réintégrer la fonction publique.
38. La Cour rappelle qu’on ne saurait invoquer l’article 8 pour se plaindre d’une atteinte à sa réputation qui résulterait de manière prévisible de ses propres actions, telle une infraction pénale (Sidabras et Džiautas c. Lituanie, nos 55480/00 et 59330/00, § 49, CEDH 2004-VIII). Elle rappelle également que la Convention n’autorise pas les particuliers à se plaindre d’une disposition de droit interne simplement parce qu’il leur semble, sans qu’ils en aient directement subi les effets, qu’elle enfreint la Convention (Aksu c. Turquie [GC], nos 4149/04 et 41029/04, § 50, CEDH 2012).
39. En l’espèce, s’agissant de l’adoption par Parlement de la modification en question, la Cour estime que le requérant ne saurait se voir opposer les opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de son mandat de député.
40. En tout état de cause, la Cour note que, dès que le requérant a été personnellement affecté par la modification du statut des fonctionnaires, il a engagé une action judiciaire et a contesté devant la Cour constitutionnelle la disposition législative litigieuse en invoquant des arguments tirés de la Convention.
41. Partant, la Cour rejette l’exception d’incompatibilité ratione personae du grief avec la Convention.
42. La Cour constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Les arguments des parties
43. Le requérant se plaint de la discrimination que constitue à ses yeux le refus des autorités de l’inscrire sur la liste de réserve des sous-préfets et plus généralement l’interdiction de réintégrer la fonction publique au motif de sa collaboration avec la police politique du régime communiste. Il dénonce l’absence de prise en compte par les autorités administratives et judiciaires internes du caractère bénin de ses actes.
44. Le Gouvernement affirme que la restriction litigieuse était prévue par la loi et poursuivait un but légitime dans une société démocratique, à savoir la protection de la sécurité nationale, de la sûreté publique, du bien-être économique du pays, et des droits et libertés d’autrui. À cet égard, il soutient que la réglementation de l’accès à la fonction publique doit être comprise dans le contexte politique et social roumain, profondément marqué par l’action néfaste de l’ancien régime communiste.
45. Selon le Gouvernement, l’interdiction dont a fait l’objet le requérant serait proportionnelle au but susmentionné. Il affirme que la situation particulière du requérant a été examinée par la cour d’appel de Bucarest, qui a confirmé la décision du CNSAS. Quant au caractère perpétuel de l’interdiction, le Gouvernement estime qu’il était justifié par la nécessité d’établir et de préserver les nouvelles bases démocratiques de l’État. En tout état de cause, il expose que le requérant reste libre d’exercer toute profession dans le secteur privé et public, à l’exclusion de celles relevant de la fonction publique.
2. L’appréciation de la Cour
46. La Cour rappelle qu’une différence de traitement est discriminatoire si elle « manque de justification objective et raisonnable », c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un « but légitime » ou s’il n’y a pas de « rapport raisonnable de proportionnalité́ entre les moyens employés et le but visé » (Sidabras et Džiautas, précité, § 51).
47. En l’espèce, la Cour note que l’article 50 de la loi no 188/1999 sur le statut des fonctionnaires publics introduit entre les personnes souhaitant intégrer ou réintégrer le service public une distinction fondée sur leur passé. À l’instar des restrictions instaurées dans de nombreux pays postcommunistes, les personnes ayant collaboré avec la Securitate ne peuvent pas intégrer ou réintégrer la fonction publique (pour les dispositions de certains systèmes juridiques nationaux relatives aux restrictions à l’emploi pour des motifs politiques, voir Sidabras et Džiautas, précité, §§ 30 et suiv.).
48. La Cour prend note de la décision de la Cour constitutionnelle du 24 janvier 2006, selon laquelle l’interdiction d’accès à la fonction publique des anciens collaborateurs de la police politique est justifiée par la loyauté à attendre de tous les fonctionnaires envers le régime démocratique.
49. À cet égard, la Cour rappelle que, par principe, les États ont un intérêt légitime à réguler les conditions d’emploi dans le service public. Un État démocratique est en droit d’exiger de ses fonctionnaires qu’ils soient loyaux envers les principes constitutionnels sur lesquels il s’appuie (Vogt c. Allemagne, 26 septembre 1995, § 59, série A no 323 et Sidabras et Džiautas, précité, § 52).
50. En l’espèce, la Cour doit notamment tenir compte de la situation qu’a connue la Roumanie sous le régime communiste et du fait que, pour éviter de voir son expérience passée se répéter, l’État doit se fonder sur une démocratie capable de se défendre par elle-même (Vogt, précité, § 59 ; Sidabras et Džiautas, précité, § 54 ; Bester c. Allemagne (déc.), no 42358/98, 22 novembre 2001 et Knauth c. Allemagne (déc.), no 41111/98, 22 novembre 2001).
51. Vu les considérations qui précèdent, la Cour admet que la différence de traitement appliquée au requérant, à savoir la suppression pour lui de toute possibilité d’emploi dans la fonction publique, visait des buts légitimes, en l’occurrence la protection de la sécurité nationale, de la sûreté publique et des droits et libertés d’autrui (voir, mutatis mutandis, Rekvényi c. Hongrie [GC], no 25390/94, § 41, CEDH 1999-III et Sidabras et Džiautas, précité, § 55).
52. Reste à déterminer si la mesure litigieuse était proportionnée.
53. Le requérant dénonce le caractère absolu de l’interdiction et l’absence de prise en considération de l’insignifiance, selon lui, de ses actes.
54. S’agissant du premier argument du requérant, la Cour note que les perspectives professionnelles du requérant n’ont été supprimées que dans la fonction publique. Les fonctionnaires publics, a fortiori ceux qui occupent des postes à haute responsabilité, de la nature de ceux que le requérant souhaitait réintégrer, exercent une parcelle de la souveraineté de l’État. L’interdiction frappant le requérant n’est donc pas disproportionnée par rapport à l’objectif légitime de l’État de s’assurer de la loyauté des personnes chargées de la sauvegarde de l’intérêt général.
55. La Cour note également qu’il n’existe aucune restriction imposée par l’État aux perspectives d’emploi du requérant dans le secteur privé, même dans des entreprises pouvant présenter une certaine importance pour les intérêts de l’État en matière économique, politique ou de sécurité. Pareillement, il n’est pas interdit au requérant d’occuper un poste dans un autre domaine du secteur public, n’impliquant pas l’exercice de la puissance publique.
56. Enfin, quant à la prétendue absence de prise en compte de la nature et des conséquences des actes du requérant, la Cour constate que ces aspects ont fait l’objet d’un examen contradictoire devant la cour d’appel de Bucarest, qui a rendu son arrêt le 20 août 2001. S’agissant d’éléments factuels, qui s’inscrivent manifestement dans la marge d’appréciation dont disposent les autorités nationales, la Cour ne saurait remettre en cause les conclusions auxquelles sont parvenues ces juridictions.
57. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 combiné avec l’article 14 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la Requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 combiné avec l’article 14 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 octobre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Marialena
Tsirli Josep Casadevall
Greffière adjointe Président