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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BIBI v. GREECE - 15643/10 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 1218 (13 November 2014) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/1218.html Cite as: [2014] ECHR 1218 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE BIBI c. GRÈCE
(Requête no 15643/10)
ARRÊT
STRASBOURG
13 novembre 2014
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Bibi c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Isabelle Berro-Lefèvre,
présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 octobre 2014,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 15643/10) dirigée contre la République hellénique et dont deux ressortissantes de cet État, Mmes Konstantina Bibi et Georgia Bibi (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 4 mars 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérantes ont été représentées par Mes K. Choromidis et G. Gesoulis, avocats à Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par la déléguée de son agent, Mme Z. Hadjipavlou, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État.
3. Les requérantes allèguent une double violation de l’article 6 § 1 (équité et durée de la procédure) de la Convention et une violation de l’article 1 du Protocole no 1.
4. Le 22 février 2013, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Les requérantes sont nées respectivement en 1919 et 1949 et résident à Athènes. La deuxième requérante est la fille de la première et obtint la nue-propriété du terrain litigieux après le décès de son père, M. Panayotis Bibis.
A. L’expropriation du terrain des requérantes et les procédures de fixation de l’indemnité et de reconnaissance des propriétaires
6. Par une décision du 26 juin 1976, les ministres de l’Économie et des Travaux publics procédèrent, en vue de l’élargissement de la route nationale reliant Isthmia à Epidaure, à l’expropriation de plusieurs propriétés d’une superficie totale de 97 460 m², dont un terrain appartenant prétendument à M. Panayotis Bibis - l’époux de la première requérante -, ainsi qu’à la première requérante, d’une superficie de 4 550 m².
7. En 1977, l’État demanda au tribunal de première instance de Nauplie de fixer le montant unitaire provisoire de l’indemnité d’expropriation pour le terrain des requérantes. Par un jugement no 240/1977 du 6 juillet 1977, le tribunal la fixa à 130 drachmes/m².
8. Par un arrêt no 117/1978, du 19 avril 1978, la cour d’appel de Nauplie fixa au même niveau le montant unitaire définitif de l’indemnité.
9. Le 21 décembre 1978, l’État déposa une somme totale de 7 908 850 drachmes auprès de la Caisse des dépôts et consignations en tant qu’indemnité d’expropriation, au bénéfice des personnes qui seraient reconnues comme titulaires du droit à celle-ci. Cette indemnité se trouve encore déposée à la Caisse précitée mais sans avoir été augmentée d’intérêts, une telle opération nécessitant l’exercice d’une action spécifique.
10. Peu après, en 1979, l’État prit possession du terrain des requérantes et procéda à l’élargissement de la route nationale.
11. Par un jugement no 78/1979 du 9 mars 1979 rendu selon la procédure rapide du code des expropriations, le tribunal de première instance de Nauplie reconnut comme titulaires du droit à indemnité plusieurs propriétaires des terrains expropriés mais non la première requérante, épouse de M. Panayotis Bibis, ainsi que de ce dernier. À son égard, le tribunal s’abstint de se prononcer au motif que pendant l’audience, le représentant de l’État avait affirmé oralement que le terrain litigieux faisait partie du domaine forestier public. La question de leur droit de propriété sur le terrain litigieux devait dès lors, estima le tribunal, être réglée suivant une procédure distincte devant les tribunaux civils.
12. À la suite de cette décision du tribunal de première instance, M. Panayotis Bibis et son épouse, la première requérante saisirent le 29 mai 1984, en vertu de l’article 24 § 4 du décret no 797/1971, le même tribunal d’une action en reconnaissance de leur droit de propriété.
13. Par un jugement avant dire droit no 51/1985 du 18 février 1985, le tribunal ordonna un complément d’instruction. La procédure d’administration des preuves débuta, à l’initiative des requérantes, le 14 janvier 1986 et prit fin en mars 1987. Le tribunal tint audience à cinq reprises, à savoir les 8 avril, 11 novembre et 2 décembre 1986 et les 10 février et 7 mars 1987. Certaines audiences furent reportées : à la demande commune des parties pour celle du 17 juin 1986, reportée au 11 novembre 1986 ; ou à la demande de la partie adverse des requérantes pour celle du 20 décembre 1986, reportée au 20 janvier 1987.
14. Le 11 mars 1988, le tribunal ordonna une expertise afin de faire vérifier si le terrain litigieux, dans son intégralité ou en partie, était inclus dans le titre de propriété invoqué par M. Panayotis Bibis et la première requérante. L’expertise fut déposée le 9 novembre 1988.
15. Par un jugement no 106/1989, du 19 décembre 1989, le tribunal de première instance de Nauplie reconnut la première requérante propriétaire d’une partie de 3 300 m² du terrain litigieux. Toutefois, se fondant sur l’expertise précitée le tribunal releva que seule une partie de 2 406 m² du terrain litigieux avait été réellement expropriée.
16. Le 7 juin 1990, l’État interjeta appel contre le jugement no 106/1989 devant la cour d’appel de Nauplie. Le 25 février 1992, à l’initiative de l’État, l’audience fut fixée au 20 janvier 1993. À cette date, l’audience fut reportée au 17 novembre 1993 à la demande de l’État et en raison de l’absence des requérantes.
17. Par une décision avant dire droit du 16 décembre 1993, la cour d’appel ordonna une nouvelle expertise en raison des doutes concernant la nature exacte du terrain litigieux. La réalisation de l’expertise était laissée à l’initiative de la partie la plus diligente. Cette décision avant dire droit fut notifiée à l’expert par les requérantes au début de l’an 1999.
18. L’expert rédigea son rapport en mars 2002.
19. L’audience eut lieu le 12 avril 2002.
20. Par un arrêt no 337/2003 du 26 juin 2003, la cour d’appel de Nauplie rejeta l’appel de l’État. Cet arrêt devint définitif le 10 mars 2004, l’État ne s’étant pas pourvu en cassation.
21. Le 8 juillet 2004, les requérantes saisirent la Cour d’une Requête (no 27851/04) qui fut déclarée irrecevable le 24 juin 2005 pour non-respect du délai de six mois.
B. L’action des requérantes en vue de la réévaluation de l’indemnité accordée ou de l’obtention d’une indemnité pour perte de l’usage de leur propriété
22. Le 29 décembre 2005, les requérantes saisirent la cour d’appel de Nauplie d’une action tendant à obtenir « la réévaluation de l’indemnité ou la détermination d’un montant définitif à la valeur d’aujourd’hui ». Elles soutenaient qu’en raison du fait que le jugement no 78/1979 ne les avait pas reconnues comme titulaires du droit à indemnité pour leur bien exproprié, fait dont elles attribuaient la cause au comportement illégal de l’État, elles avaient été, à ce moment, privées d’une somme de 429 000 drachmes (1 258,98 euros). Plus précisément, elles exposaient que l’impossibilité de toucher cette indemnité était due :
« - au comportement illégal de l’État, qui, alors qu’il avait prononcé l’expropriation et mentionnait sur le plan cadastral nos noms en tant que propriétaires du terrain (...) a fait valoir, par surprise et de manière infondée, irresponsable et illégale, lors de l’audience devant le tribunal de première instance, des droits de propriété sur ce terrain, sans présenter aucun élément de preuve de nature à rendre particulièrement vraisemblable son droit de propriété ou tout autre droit réel ;
- à la décision erronée du tribunal de première instance de Nauplie, lors de la procédure de reconnaissance des titulaires du droit à indemnité, de s’abstenir de se prononcer et de renvoyer l’affaire à la procédure ordinaire sans examiner notre cas et nous reconnaître comme titulaires du droit à indemnité (...) ;
- à la durée (vingt ans) de la procédure de reconnaissance de notre droit de propriété, en raison notamment du système judiciaire existant, de l’indifférence totale de l’État (...), qui n’a adopté aucune mesure pour accélérer la procédure après l’introduction de son appel, mais également aux problèmes auxquels nous, les propriétaires, étions confrontés, comme notamment les frais pour poursuivre la procédure, le décès de l’époux de la première requérante, les tergiversations des experts, les grèves des avocats, etc. »
23. À titre principal, les requérantes demandaient le montant de l’indemnité définitive, réajusté et majoré d’intérêts avec capitalisation tous les six mois (495 204,83 euros) ou à chaque fin d’année (358 790,89 euros) et au taux en vigueur, à compter de la publication du jugement du 8 mars 1979. Elles sollicitaient en outre, à titre subsidiaire au cas où la prétention principale serait rejetée, une indemnité pour la perte de l’usage de leur propriété depuis 1979 (396 204,83 euros), ainsi qu’une somme pour dommage moral (50 000 euros) et une somme au titre des frais de justice (8 210 euros). Elles se prévalaient, entre autres, des arrêts de la Cour Tsirikakis c. Grèce du 17 janvier 2002, Hatzitakis c. Grèce du 11 avril 2002 et Zacharakis c. Grèce du 13 juillet 2006.
24. Les requérantes soutenaient que leur action ne constituait pas une action en dommages-intérêts fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil - qui aurait alors relevé de la compétence des juridictions administratives - mais constituait une action en réévaluation de l’indemnité accordée et subsidiairement une action en fixation du montant définitif actualisé de l’indemnité. Cette action était couplée avec une demande d’indemnité pour la perte de l’usage de leur propriété, fondée sur l’article 17 § 1 de la Constitution et l’article 1 du Protocole no 1. Selon elles, la cour d’appel de Nauplie avait bien compétence pour traiter l’ensemble de ces questions, compte tenu des arrêts Azas c. Grèce du 19 septembre 2002, Efstathiou-Michaïlidis et Cie Motel Amerika c. Grèce du 10 juillet 2003 et les arrêts de la formation plénière de la Cour de cassation.
25. L’audience eut lieu le 20 septembre 2006.
26. Par un arrêt (no 67/2007) du 28 février 2007, la cour d’appel de Nauplie se déclara incompétente au motif que leur action ne constituait pas une demande de fixation de l’indemnité d’expropriation mais une action en dommages-intérêts contre l’État, relevant de la compétence des juridictions administratives. La cour d’appel se prononça ainsi :
« (...) Il ressort du libellé de l’article 17 § 4 de la Constitution que les tribunaux civils sont compétents pour fixer l’indemnité due au propriétaire à raison de l’expropriation forcée de son bien. On ne saurait déduire de cette disposition que les tribunaux civils sont compétents pour trancher tout litige surgissant à l’occasion de la procédure d’expropriation et ayant pour objet une réparation à raison d’actes illégaux des organes de l’administration lors de l’exercice de leurs fonctions dans la procédure précitée. Partant, les tribunaux civils ne sont pas compétents pour examiner une action fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil (...) dans le cadre de la procédure [d’expropriation] (...). Compte tenu de son contenu et des prétentions qui y figurent, le recours des requérantes, qui tend à l’obtention d’une indemnité à raison d’actes illégaux de l’État (...), revêt le caractère d’une action en dommages-intérêts fondée sur l’article 105 précité, et relève dès lors de la compétence des juridictions administratives. Le recours doit donc être rejeté pour défaut de compétence de la cour de céans (...) ».
27. Le 6 septembre 2007, les requérantes se pourvurent en cassation. Elles faisaient valoir que le but de leur action devant la cour d’appel de Nauplie était la réévaluation de l’indemnité d’expropriation (au moyen soit d’une capitalisation d’intérêts soit de la fixation d’un nouveau montant unitaire définitif) ainsi que l’octroi d’une indemnité pour perte d’usage. Selon elles, c’était donc à tort que la cour d’appel y avait vu une action fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil. Elles se référaient aux articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 et se prévalaient des arrêts précités de la Cour et de la Cour de cassation.
28. Initialement fixée au 10 octobre 2008, l’audience fut reportée au 27 mars 2009.
29. Le 4 juin 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi (arrêt no 1471/2009). Elle considéra que l’action des requérantes s’analysait bien en une action au titre de l’article 105 précité, car elle avait comme objet l’indemnisation de personnes privées et l’octroi d’une indemnité pour dommage moral à raison d’actes illégaux commis par les organes de l’État dans l’exercice de leurs fonctions dans le cadre d’une expropriation, actes qui avaient eu lieu après la fixation de l’indemnité pour le bien exproprié ; et que, par conséquent, les tribunaux compétents pour en connaître étaient les tribunaux administratifs et non la cour d’appel.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil
30. L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lit comme suit :
« L’État est tenu de réparer le dommage causé par les actes ou omissions illégaux de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si la disposition méconnue par l’acte ou l’omission [n’] était destinée [qu’] à servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »
B. Les dispositions relatives aux expropriations
31. L’article 17 de la Constitution dispose :
« 1. La propriété est sous la protection de l’État, mais les droits qui en dérivent ne peuvent s’exercer au détriment de l’intérêt général.
2. Nul n’est privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique dûment prouvée, dans les cas et de la manière prévus par la loi, et toujours moyennant une indemnité préalable et complète, qui doit correspondre à la valeur du bien exproprié au moment de l’audience sur sa fixation provisoire devant le tribunal compétent. En cas de demande de fixation directe de l’indemnité définitive, est prise en considération la valeur du bien au moment de l’audience sur cette fixation devant le tribunal. Si l’audience pour la fixation de l’indemnité définitive a lieu plus d’un an après l’audience sur la fixation de l’indemnité provisoire, c’est la valeur au moment de l’audience pour la fixation de l’indemnité définitive qui est prise en compte. La capacité à payer le montant de l’indemnité doit être spécialement justifiée par la décision prononçant l’expropriation. (...)
(...)
4. L’indemnité est dans tous les cas fixée par les tribunaux compétents (...) Une loi prévoit l’établissement d’une juridiction unique, nonobstant l’article 94, pour tous les litiges et les affaires d’expropriation, ainsi que le traitement prioritaire des procès y afférents devant les tribunaux. (...) Jusqu’au paiement de l’indemnité provisoire ou définitive fixée par le tribunal, tous les droits du propriétaire restent intacts et l’occupation de la propriété n’est pas permise. (...) L’indemnité dont le montant est fixé par le tribunal est, dans tous les cas, payée au plus tard un an et demi après la date de publication de la décision du tribunal sur la fixation provisoire de l’indemnité, et en cas de demande de fixation de l’indemnité définitive, après la publication de la décision du tribunal, faute de quoi l’expropriation est levée de plein droit. (...) »
32. Le décret-loi no 797/1971 des 30 décembre 1970-1er janvier 1971 relatif aux expropriations constitue la législation fondamentale mettant en œuvre ces principes constitutionnels. Son chapitre E prévoit une procédure particulière pour l’identification judiciaire des bénéficiaires de l’indemnité. Le tribunal compétent pour cette identification est un juge unique du tribunal de grande instance dans le ressort duquel se trouve le bien exproprié (article 26). D’après l’article 27 § 1, le tribunal y procède à partir des informations figurant sur le plan cadastral et la liste des propriétaires fonciers établis par un ingénieur compétent, dûment agréé par les services du ministère des Travaux publics, ainsi que de tout autre renseignement fourni par les parties ou examiné d’office. La décision rendue au terme de cette procédure spéciale n’est susceptible d’aucun recours (article 27 § 6).
33. L’article 27 § 4 du décret prévoit que le tribunal s’abstient de prendre une décision au sujet de la reconnaissance du droit à indemnité lorsqu’il ressort de la procédure ou d’une déclaration faite par l’État à l’audience que l’État prétend être titulaire des droits de propriété sur l’étendue expropriée. Dans ce cas, ces droits sont déterminés par voie judiciaire, en suivant le code de procédure civile, à la suite d’une action introduite par l’État ou toute personne entendant être reconnue comme ayant droit à l’indemnité.
34. Dans un arrêt no 31/2008 du 3 décembre 2008, la Cour suprême spéciale (chargée par la Constitution de trancher les conflits de jurisprudence) a jugé que les tribunaux civils sont compétents pour connaître des actions en dommages-intérêts contre l’État à raison d’actes ou d’omissions illégaux de ses organes (article 105 de la loi d’accompagnement du code civil) lorsque les prétentions ont pris naissance et sont devenues exigibles avant le 11 juin 1985. En revanche, ces actions relèvent de la compétence des tribunaux administratifs lorsque les prétentions n’ont pris naissance et ne sont devenues exigibles qu’après le 11 juin 1985.
C. La fixation de l’indemnité d’expropriation par les juridictions civiles dans le cadre d’une procédure unique
35. À la suite de l’arrêt Azas c. Grèce (no 50824/99, 19 septembre 2002), un système unique et exclusif de fixation de l’indemnité due à un propriétaire exproprié de son bien a été établi sur le fondement de l’article 17 § 4 de la Constitution et de l’article 1 § 1 de l’acte législatif du 21 décembre 2001 (entériné par l’article premier de la loi no 2990/2002).
36. Par son arrêt no 10/2004, la Cour de cassation siégeant en formation plénière, a considéré que la procédure de la fixation de l’indemnité doit couvrir la question de l’indemnisation dans sa globalité, c’est-à-dire l’octroi d’une indemnité en rapport avec la valeur du bien exproprié, l’existence éventuelle d’un bénéfice pour le propriétaire lié à l’expropriation (et qui pourrait avoir une incidence sur les prétentions de celui-ci), toute autre question connexe relative à l’expropriation et les frais de justice. La limitation de la compétence de la cour d’appel à la seule fixation de l’indemnité et de l’indemnité spéciale de l’article 13 § 4 de la loi no 2882/2001, prévue aux articles 17 § 1 du décret-loi no 797/1971 et 18 § 1 de la loi no 2882/2001, n’est pas conforme à l’article 1 du Protocole no 1. Par conséquent, en cas de demande de fixation définitive de l’indemnité d’expropriation, la cour d’appel est compétente pour examiner de manière globale : a) l’octroi d’une indemnité en rapport avec la valeur du bien exproprié ; b) le montant de l’indemnisation au titre de la dépréciation de la partie du terrain qui n’a pas été expropriée ; c) la reconnaissance des bénéficiaires de l’indemnité ; d) l’existence éventuelle d’un bénéfice, lié à l’expropriation, pour le propriétaire, dont le restant de sa propriété se situe désormais face à la route nationale et son obligation éventuelle de participer aux frais de l’expropriation ; e) la demande de fixation des frais de justice.
37. Cette approche interprétative des dispositions législatives pertinentes suivie dans cet arrêt par la Cour de cassation, siégeant en formation plénière, est devenue jurisprudence constante : arrêts de la Cour de cassation no 851/2004, 52/2006, 152/2006, 1238/2006, 1060/2008, 1780/2008, 1781/2008, 174/2009, 383/2009, 739/2009, 912/2009, 985/2009, 1425/2009 et 1780/2009.
D. La loi no 2882/2001 portant code des expropriations des biens immeubles
38. En son article 26 § 3, la nouvelle loi prévoit :
« Toute partie peut, par un acte notifié à la partie adverse dans un délai de quinze jours avant la discussion de la demande de fixation du montant provisoire ou définitif de l’indemnité (...), demander la reconnaissance de sa qualité de titulaire de l’indemnité dans le même arrêt. »
III. LES RÉSOLUTIONS DU COMITÉ DES MINISTRES DU CONSEIL DE L’EUROPE
39. Dans sa résolution CM/ResDH(2011)217 relative à l’exécution des arrêts Azas c. Grèce, précité, et Zacharakis c. Grèce (no 17305/02, 13 juillet 2006), le Comité des Ministres constatait :
« Dans plusieurs arrêts rendus depuis 2004, la Cour de cassation s’est alignée sur les constats de la Cour européenne (depuis l’arrêt de la Cour de cassation no 10/2004, qui constitue aujourd’hui la jurisprudence constante, par exemple dans les arrêts 781/2010 ou 591/2009) :
i) Quant aux exigences de la Cour européenne relatives à la nécessité d’une «appréciation globale » des conséquences d’une expropriation, le tribunal peut désormais se prononcer dans le cadre d’une seule procédure sur les points suivants :
- montant global de l’indemnité correspondant à la valeur du terrain exproprié (Cour de cassation, formation plénière 10/2004, ainsi que arrêts nos 1060/2008, 627/2007 et 641/2004) ;
- montant d’indemnisation au titre de la dépréciation de la partie de terrain qui n’a pas été expropriée (Cour de cassation, formation plénière, nos 31/2005, et 431/2008, 1054/2008, 2/2007, Cour d’appel d’Athènes nos 2472/2005, 1333/2005) ;
- reconnaissance du statut de propriétaire ;
- établissement ou non d’un enrichissement du propriétaire [d’un] bien adjacent à une nouvelle route en raison de la construction de cette dernière ;
- détermination du montant des frais et dépens. Ceux-ci peuvent être estimés jusqu’à un pourcentage de 4 % maximum de l’indemnité accordée pour l’expropriation et ne sont plus limités à un certain montant.
(...)
iii) L’article 13 §1, tel que modifié par la loi 2971/2001, prévoit que « si l’audience du tribunal consacrée à l’octroi définitif de l’indemnité a lieu plus d’un an après l’audition au cours de laquelle a été fixé le montant provisoire, [c’est] la valeur du terrain exproprié au moment de l’audience où l’indemnisation finale est déterminée [qui] est prise en considération pour calculer le montant de l’indemnité ». Cette disposition ainsi que les constats de la Cour européenne sont entérinés par une jurisprudence constante (Cour de cassation nos 721/2009 et 997/2009). »
40. Dans sa Résolution CM/ResDH(2011)10 relative à l’exécution de l’arrêt Malama c. Grèce (no 43622/98, 1er mars 2001), le Comité des Ministres constatait :
« La Grèce a adopté (...) la loi 2882/2001 (Code de l’expropriation tel que modifié par la loi 2985/2002) sur la procédure d’expropriation des terrains. Après l’entrée en vigueur du Code de l’expropriation précité, la phase probatoire de la procédure a été raccourcie. En outre, la nouvelle loi définit des délais stricts dans les procédures : les décisions d’expropriation doivent être prises et notifiées aux personnes concernées dans des délais spécifiques. La loi ainsi qu’une jurisprudence bien établie permettent désormais de joindre les procédures relatives à la reconnaissance du droit de propriété et à l’évaluation de l’indemnisation. En cas de retard [dans le] paiement de l’indemnisation, la personne concernée peut obtenir une indemnité supplémentaire si elle n’est pas responsable du retard. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
41. Les requérantes se plaignent de la durée de la procédure relative à leur expropriation et à leur indemnisation. Elles y voient une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
42. Le Gouvernement invite la Cour à déclarer irrecevable pour non-respect du délai de six mois la partie du grief des requérantes concernant la procédure en reconnaissance de leur droit de propriété. Cette procédure, qui a débuté le 29 mai 1984 et a pris fin le 26 juin 2003, est distincte de la procédure ultérieure, qui concernait la réévaluation de l’indemnité accordée et qui s’est déroulée entre le 29 décembre 2005 et le 4 juin 2009.
43. Les requérantes soutiennent que les deux procédures devaient être examinées comme un tout, car la procédure en reconnaissance de leur droit de propriété était une condition préalable à la procédure de réévaluation de l’indemnité.
44. La Cour considère que les deux procédures se distinguent par leur objet et par la nature des demandes des requérantes : celle qui a débuté le 29 mai 1984 et a pris fin le 26 juin 2003 concernait la reconnaissance du droit de propriété des requérantes sur le bien expropriée ; celle qui a débuté le 29 décembre 2005 et a pris fin le 4 juin 2009 concernait la réévaluation de l’indemnité accordée. Or, la première a déjà fait l’objet d’un examen devant la Cour en 2005 et le grief y relatif a été rejeté pour non-respect du délai de six mois. Quant à la deuxième, qui a duré trois ans et cinq mois pour deux instances, la Cour ne relève pas de période d’inactivité lors de celle-ci, à l’exception du report d’audience devant la Cour de cassation. Elle constate cependant que ce report n’a pas allongé démesurément la procédure devant cette juridiction.
45. Il s’ensuit que ce grief doit être déclaré irrecevable et rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
46. Les requérantes se plaignent du refus de la cour d’appel de Nauplie et de la Cour de cassation d’examiner, au motif que celles-ci relevaient de la compétence des juridictions administratives, leurs demandes tendant à la réactualisation de l’indemnité d’expropriation fixée en 1978 ou à l’octroi d’une indemnité pour perte de l’usage de leur propriété. Elles se prévalent des arrêts Malama c. Grèce, Azas c. Grèce et Zacharakis c. Grèce, précités. Elles allèguent une violation de l’article 1 du Protocole no 1, aux termes duquel :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens en vertu de l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
47. Se prévalant de la jurisprudence de la Cour (arrêts Valyrakis c Grèce, no 27939/08, 11 octobre 2011 ; Thanopoulou c. Grèce, no 65155/09, 12 juillet 2011 ; Fix c. Grèce, no 1001/09, 12 juillet 2011 ; Ventouris et autres c. Grèce, no 33252/08, 31 janvier 2012), le Gouvernement soutient que le grief des requérantes relatif à l’article 1 du Protocole no 1 est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, faute pour elles d’avoir utilisé l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil. Dans ces affaires, qui concernaient le blocage sans indemnité et pendant une longue période des propriétés des requérants, la Cour a jugé que les requérants auraient dû introduire une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 précité ou sur celui de l’article 24 § 6 de la Constitution.
48. À l’instar des requérantes, la Cour estime que l’exception soulevée par le Gouvernement concerne pour l’essentiel le motif par lequel les juridictions internes ont refusé d’examiner la demande des requérantes tendant à la réactualisation de leur indemnité, et qu’elle est donc étroitement liée à la substance du grief présenté sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1. La Cour décide par conséquent de la joindre au fond.
49. Constatant que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le Gouvernement
50. Le Gouvernement rappelle à titre liminaire que la Grèce s’est déjà conformée à ses obligations découlant des arrêts Malama, Azas et Zacharakis, précités, comme cela ressort des résolutions du Comité des Ministres CM/ResDH(2011)10 et CM/ResDH(2011)217 (paragraphes 39-40 ci-dessus).
51. Le Gouvernement souligne que lorsque les requérantes ont été reconnues comme propriétaires du terrain litigieux, elles ont saisi, en décembre 2005, la cour d’appel de Nauplie d’une « demande de fixation du montant unitaire définitif, de reconnaissance comme titulaires du droit à indemnité et de versement de l’indemnité ». Il en résulte selon lui que le fondement tant de leur demande principale que de leur demande subsidiaire était la responsabilité de l’État à raison d’actes illégaux supposés lors de la procédure de reconnaissance des droits de propriété, et non l’appréciation de la valeur du terrain et la fixation de l’indemnité d’expropriation. La cour d’appel et la Cour de cassation ont rejeté l’action pour des motifs procéduraux, sans examiner le fond de l’affaire, car elles ont estimé que l’action des requérantes était une action en dommages-intérêts fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil et relevant comme telle de la compétence des juridictions administratives. Or, explique le Gouvernement, la qualification d’une action en justice relève de la compétence exclusive du juge national, d’une part parce qu’il s’agit d’une question d’interprétation du droit national, d’autre part parce que cette qualification est à opérer en fonction de l’objet de l’action et non de l’intitulé qu’entend lui attribuer la partie concernée.
52. Pour le Gouvernement, l’approche des juridictions internes en l’espèce n’est pas contraire à l’article 17 de la Constitution ni à l’article 1 du Protocole no 1, car c’est selon lui à tort qu’on déduirait de la jurisprudence Azas une obligation de conférer à l’expropriation un effet attractif de compétence au profit de la cour d’appel civile pour toutes les questions connexes.
53. Au demeurant, estime-t-il, la jurisprudence Azas ne s’applique pas dans la présente affaire, car, en l’occurrence, il n’était pas question de synchronisation des procédures pour la fixation de l’indemnité : la procédure y afférente était achevée depuis 1978 et l’action en dommages-intérêts litigieuse avait été introduite en 2005, soit vingt-sept ans plus tard.
54. À la suite de l’arrêt Azas, la Cour de cassation siégeant en formation plénière (arrêt no 10-11/2004) a certes considéré que dans le cadre de la fixation du montant définitif de l’indemnité, la cour d’appel civile est compétente pour examiner toute autre question connexe, comme l’indemnité spéciale, la reconnaissance des titulaires du droit à indemnité, l’existence d’un avantage tiré par le propriétaire ou les frais de justice.
55. Toutefois, explique le Gouvernement, il s’agit là de questions qui ont trait à la même cause et qui surgissent au cours d’une même période ; il est donc raisonnable que ces questions soient réglées par le même tribunal, au cours d’une même procédure et dans un bref délai. En revanche, dans le cadre d’une procédure fondée sur l’article 105 précité, le tribunal n’examine pas des questions relatives à la valeur du bien exproprié, comme c’est le cas lors de la fixation de l’indemnité d’expropriation : il contrôle la légalité des actes de l’administration. Les dispositions qui fixent la compétence des juridictions administratives et leur confient les litiges au titre de l’article 105 précité, poursuit-il, sont mues par des considérations d’intérêt public ; ce sont des règles d’ordre public et leur respect est examiné d’office par les tribunaux.
56. Le Gouvernement soutient que la présente affaire se distingue également des affaires Malama et Zacharakis précitées. En l’espèce, explique-t-il, les procédures de fixation de l’indemnité provisoire et de l’indemnité définitive s’étaient terminées dans un délai très bref après le prononcé de l’expropriation. L’indemnité avait été consignée, et la consignation avait été publiée au Journal officiel en vertu de la Constitution, ce qui valait paiement de l’indemnité. L’expropriation avait été achevée et il ne restait aucune question d’indemnité à régler devant les juridictions civiles. L’action des requérantes était fondée sur l’illégalité d’un acte de l’État intervenu alors que l’arrêt fixant l’indemnité avait acquis force de chose jugée depuis vingt-sept ans. Par conséquent, estime-t-il, leur action ne pouvait pas être introduite devant une juridiction civile dans le cadre de la procédure unique de fixation de l’indemnité d’expropriation.
b) Les requérantes
57. Les requérantes reprochent au Gouvernement de présenter les faits de la cause de manière déformée, en soulignant certains points et en en omettant d’autres dans le but de convaincre la Cour que leur action était une action en dommages-intérêts et non en réévaluation de l’indemnité d’expropriation.
58. En outre, c’est selon elles à tort que le Gouvernement tente de séparer leur première action de la question du droit à indemnité, puisqu’il leur suffisait d’être reconnues comme propriétaires du terrain litigieux pour se voir verser ladite indemnité, qui était déjà consignée.
59. Les requérantes soutiennent que les allégations du Gouvernement selon lesquelles la procédure civile était close et ne pouvait plus être rouverte reviennent à affirmer que l’indemnité d’expropriation, une fois évaluée, ne pouvait plus être réévaluée pour quelque motif que ce soit et qu’il n’existait donc pas de recours pour réévaluer une telle indemnité, même en cas d’écoulement d’un temps considérable. Elles admettent que les tribunaux sont seuls compétents pour qualifier les actions portées devant eux au regard des types existants, mais dans leur cas il était selon elles évident que par son contenu, son objet et la prétention correspondante, leur action avait pour seul et unique but la réévaluation de l’indemnité.
60. Les requérantes exposent qu’à l’instar des juridictions internes, le Gouvernement passe sous silence le fait que compte tenu des règles de prescription, une action en dommages-intérêts contre l’État pour un acte illégal commis en 1979 aurait dû être introduite au plus tard en 1985 et non en 2005. Le fond de leur action était l’obligation pesant sur les autorités de réévaluer l’indemnité d’expropriation. Les prétentions relatives à une indemnité pour dommage moral et pour perte d’usage ainsi qu’au paiement d’intérêts et au remboursement des frais et dépens étaient accessoires et avaient été introduites légalement en vertu de la jurisprudence Azas.
61. Les requérantes soutiennent que la réévaluation d’une indemnité d’expropriation n’est rien d’autre qu’une évaluation faite une deuxième fois. La juridiction compétente pour en connaître devait par conséquent, selon elles, être la juridiction civile. À supposer même qu’une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 fût la seule action possible, elle aurait invariablement dû être examinée par les juridictions civiles, compte tenu de l’arrêt no 31/2008 de la Cour suprême spéciale (paragraphe 34 ci-dessus).
2. Appréciation de la Cour
62. La Cour estime à titre liminaire opportun de rappeler le libellé précis du grief des requérantes devant elle : celles-ci se plaignent du refus des juridictions civiles - qui avaient dans un premier temps reconnu leur droit de propriété sur une partie du terrain litigieux - de réactualiser l’indemnité d’expropriation qu’elles avaient fixée en 1978 ou de leur accorder une indemnité à raison de la perte de l’usage de leur bien, au motif que leur action en ce sens relevait de la compétence des juridictions administratives.
63. En l’espèce, la Cour note que la situation litigieuse relève de la première phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1, qui énonce, de manière générale, le principe du respect des biens (Almeida Garrett, Mascarenhas Falcao et autres c. Portugal, nos 29813/96 et 30229/96, §§ 43 et 48, CEDH 2000-I). Dès lors, la Cour doit rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (voir, parmi d’autres, Nastou c. Grèce (no 2), no 16163/02, § 31, 15 juillet 2005).
64. Le souci d’assurer un tel équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 du Protocole no 1 tout entier. En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure privant une personne de sa propriété (Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, arrêt du 20 novembre 1995, série A no 332, § 38).
65. Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le juste équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur le requérant une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre en considération les modalités d’indemnisation prévues par la législation interne. À cet égard, la Cour a déjà dit que, sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive au droit au respect des biens (Malama, précité, § 48). En particulier, le caractère adéquat d’un dédommagement se trouverait diminué si son paiement faisait abstraction d’éléments susceptibles d’en réduire la valeur, tel l’écoulement d’un laps de temps que l’on ne saurait qualifier de raisonnable (Angelov c. Bulgarie, no 44076/98, § 39, 22 avril 2004 ; Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres, précité, § 54). Dans ces cas, la Cour recherche principalement si l’administration a procédé à la réactualisation de la somme due pour compenser sa dépréciation en raison du laps du temps écoulé (voir parmi d’autres, Akkuş c. Turquie, arrêt du 9 juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, §§ 29-31).
66. La Cour rappelle qu’elle a déjà eu à se prononcer sur des affaires qui soulevaient des questions similaires à celles du présent cas.
67. Dans l’arrêt Malama précité, elle a relevé que pour calculer l’indemnité d’expropriation, la cour d’appel n’avait aucunement tenu compte de la durée excessive de la procédure litigieuse. Elle a constaté que la requérante ne s’était vu accorder aucune somme au titre du préjudice matériel ou moral subi en raison de la privation de sa propriété pendant soixante-dix ans sans aucune indemnisation, ne fût-ce que par l’octroi des intérêts légaux. De plus, alors que le versement de ladite indemnité n’avait lui-même eu lieu que plus de cinq ans après sa fixation par la cour d’appel, la requérante n’avait pas non plus reçu de somme supplémentaire au titre des intérêts légaux à cet égard.
68. Dans l’arrêt Tsirikakis c. Grèce (no 46355/99, 17 janvier 2002), les requérants soutenaient que l’indemnité qu’ils avaient perçue quinze ans, six mois et vingt jours après le jugement fixant le montant provisoire de celle-ci au mètre carré avait perdu toute sa valeur en raison de l’inflation et ne représentait plus la valeur réelle de la propriété expropriée. Pour conclure à la violation de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour a relevé que l’indemnité ne pouvait être versée aux requérants tant que leur droit à celle-ci n’était pas établi ; que le tribunal compétent « s’était abstenu », en vertu de l’article 27 du décret 797/1971, de statuer, au motif que l’État prétendait disposer d’un droit de propriété sur l’étendue litigieuse ; et surtout, que la procédure de reconnaissance de la qualité de propriétaires que les requérants avaient dû alors engager avait duré plus de treize ans.
69. De même, dans l’arrêt Zacharakis précité, la Cour a relevé qu’il était indéniable que l’on se trouvait devant un retard anormalement long dans le paiement de l’indemnité d’expropriation (plus de trente ans), qui avait pour conséquence d’aggraver la perte financière de la personne expropriée et de la placer dans une situation d’incertitude, surtout si l’on tenait compte de la dépréciation monétaire résultant d’une si longue période de temps. La Cour a estimé que l’absence d’indemnisation du requérant pour la dépréciation de l’indemnité d’expropriation à raison de cet important décalage dans le temps entre la détermination provisoire de l’indemnité et sa fixation définitive avait altéré son caractère adéquat.
70. Revenant à la présente affaire, la Cour relève que le 19 avril 1978, la cour d’appel de Nauplie avait fixé le montant définitif de l’indemnité d’expropriation du bien litigieux. Toutefois, les requérantes n’ont pas pu percevoir cette indemnité, qui avait été consignée auprès de la Caisse des dépôts et consignations, car le 8 mars 1979, le tribunal de première instance de Nauplie, statuant selon la procédure rapide du code des expropriations, s’est abstenu de les reconnaître comme propriétaires et donc comme titulaires du droit à indemnité, au motif que lors de l’audience l’État avait soutenu que leur terrain faisait partie du domaine public. Le tribunal a renvoyé la question de la détermination des droits de propriété sur le terrain aux juridictions civiles, appelées à statuer selon la procédure ordinaire.
71. Il est donc évident que pour percevoir l’indemnité à laquelle elles estimaient avoir droit, les requérantes devaient engager une procédure en reconnaissance de leur droit de propriété. C’est ce qu’elles ont fait le 29 mai 1984 en saisissant le tribunal de première instance de Nauplie. La procédure a pris fin le 26 juin 2003, avec l’arrêt de la cour d’appel de Nauplie, soit dix-neuf ans environ après son commencement et vingt-cinq ans environ après la fixation du montant définitif de l’indemnité.
72. L’écoulement d’un tel laps de temps justifiait sans aucun doute la réactualisation de la somme due pour compenser sa dépréciation, sur le fondement de la jurisprudence Akkuş, Malama et Zacharakis précitée.
73. C’est à ce moment que les requérantes ont de nouveau saisi la cour d’appel de Nauplie. À titre principal, elles demandaient le montant de l’indemnité définitive, réajusté et majoré d’intérêts capitalisés au taux en vigueur à compter de la publication du jugement du 8 mars 1979. Elles sollicitaient en outre, à titre subsidiaire au cas où la prétention principale serait rejetée, une indemnité pour la perte de l’usage de leur propriété depuis 1979, plus une indemnité pour dommage moral ainsi qu’une somme pour les frais de justice.
74. Pour rejeter cette action, la cour d’appel n’a pas nié que les requérantes avaient vocation à percevoir certaines sommes. Elle a toutefois considéré que leurs prétentions avaient le caractère d’une réparation à raison d’une illégalité au sens de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil et relevaient ainsi de la compétence des juridictions administratives.
75. À cet égard, la Cour rappelle que dans l’arrêt Azas précité, elle a considéré que lorsque les biens d’un individu font l’objet d’une expropriation, il doit exister une procédure qui assure une appréciation globale des conséquences de l’expropriation, incluant l’octroi d’une indemnité en relation avec la valeur du bien exproprié, la détermination des titulaires du droit à indemnité et toute autre question afférente à l’expropriation, y compris les frais de procédure.
76. En l’espèce, la Cour note qu’il ressort clairement du libellé des prétentions des requérantes que leur but principal était d’obtenir une prise en compte de la dépréciation de l’indemnité à raison du laps de temps écoulé depuis sa fixation. Or, il s’agit là d’un élément essentiel de l’indemnisation à accorder en cas d’expropriation. La demande des requérantes tendant à la réactualisation de l’indemnité d’expropriation s’inscrivait dans la continuité des procédures de fixation de l’indemnité et de reconnaissance des propriétaires qui avaient eu lieu de 1977 à 2003 suite à l’expropriation du bien litigieux (paragraphes 7-20 ci-dessus). L’arrêt de la Cour de cassation du 4 juin 2009 mettait fin à un processus comportant plusieurs étapes mais tendant à un seul et unique but : la fixation d’une indemnité en rapport avec la valeur du bien pour cause d’expropriation.
77. La Cour estime utile de souligner que la procédure appelée à assurer, au sens de l’arrêt Azas, l’appréciation globale des conséquences de l’expropriation ne saurait se limiter à la reconnaissance des titulaires du droit à indemnité, à la détermination de l’indemnité spéciale, à l’appréciation de l’existence d’un avantage tiré par le propriétaire et à la fixation des frais de justice. Elle doit aussi englober les questions relevant de la réévaluation éventuelle de l’indemnité. L’obligation de faire traiter ces questions par les mêmes juridictions que les autres sujets traités précédemment s’impose dans un but d’économie et de rapidité des procédures. La Cour note que la Constitution hellénique dispose dans son article 17 § 4 qu’une loi établira une juridiction unique pour tous les litiges et les affaires d’expropriation et garantira le traitement prioritaire des procès y relatifs devant les tribunaux. Le fait que cette loi n’ait pas encore été adoptée depuis 2001, année de la réforme constitutionnelle ayant ajouté cette disposition à l’article 17, ne saurait permettre aux autorités de multiplier, sous un prétexte procédural, les voies de droit concourant en substance à la fixation d’une même indemnité d’expropriation, globalement parlant.
78. À cet égard, la Cour attache beaucoup de poids à la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui, depuis l’arrêt no 10/2004 de sa formation plénière, considère que la procédure de la fixation de l’indemnité doit couvrir la question de l’indemnisation dans sa globalité, c’est-à-dire l’octroi d’une indemnité en rapport avec la valeur du bien exproprié, l’existence éventuelle d’un bénéfice pour le propriétaire lié à l’expropriation (et qui pourrait avoir une incidence sur les prétentions de celui-ci), ainsi qu’à toute autre question connexe relative à l’expropriation et les frais de justice. Or, la question de la réactualisation d’une indemnité d’expropriation, qui n’a pas été versé aux bénéficiaires dans un délai raisonnable, constitue assurément une telle question connexe.
79. La Cour estime en conséquence que le refus d’examiner la demande des requérantes tendant à corriger la dépréciation de l’indemnité d’expropriation entre le moment de sa fixation définitive et celui où elles auraient pu la percevoir, ainsi que le renvoi de l’affaire à un autre ordre de juridiction ont altéré le caractère adéquat de l’indemnité et, par suite, ont rompu le juste équilibre qui doit exister entre l’intérêt général et l’intérêt de l’individu.
Partant, la Cour estime qu’il y a lieu de rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes et conclut à la violation de l’article 1 du Protocole no 1.
III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
80. Les requérantes se plaignent enfin d’une violation de leur droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, en ce que les juridictions internes n’ont selon elles pris en compte ni le fait que leur action constituait une action en indemnisation pour cause d’expropriation ni la jurisprudence de la Cour concernant la Grèce en la matière.
81. Compte tenu de sa conclusion sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour, tout en le déclarant recevable, n’estime pas nécessaire d’examiner ce grief.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
82. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
83. En premier lieu, les requérantes estiment avoir subi un préjudice matériel en raison tant de l’expropriation de leur terrain que de la perte de son usage. Elles affirment que la meilleure façon de le calculer consiste à prendre comme point de départ la somme allouée par l’arrêt de la cour d’appel du 19 avril 1978, et à l’augmenter des intérêts, avec capitalisation, au taux légal applicable aux particuliers à partir du 9 mars 1979 (date du jugement du tribunal de première instance de Nauplie) et jusqu’au 12 août 2013, date de leurs observations devant la Cour. Les requérantes parviennent ainsi à une somme de 738 079 EUR, qu’elles acceptent néanmoins de réduire à 500 000 EUR pour tenir compte de la crise économique actuelle en Grèce et des incertitudes qui pourraient entrer en ligne de compte sur une si longue période. Les requérantes produisent aussi un rapport d’expertise établi par un architecte et daté de septembre 2006, lequel avait à l’époque estimé la valeur vénale du terrain à 40 EUR/m².
84. Les requérantes soutiennent, en outre, que si la Cour souhaitait fixer en l’espèce un nouveau montant unitaire pour l’indemnité d’expropriation, celui-ci devrait s’élever à 30 EUR/m². La somme à allouer pour la surface de 3 300 m² serait de 99 000 EUR et celle pour la perte de l’usage devrait être calculée d’une manière analogue.
85. Le Gouvernement considère qu’aucune somme ne doit être allouée aux requérantes au titre d’un quelconque préjudice matériel. Il explique qu’aucune indemnité ne peut leur être due au titre de faits ayant eu lieu avant le 20 novembre 1985, date de la reconnaissance du droit de recours individuel par la Grèce.
86. Le Gouvernement soutient aussi que les prétentions des requérantes sont contradictoires et sans fondement, car elles demandent une indemnité qu’elles auraient dû recevoir à compter de 1979, époque où elles revendiquaient un terrain d’une superficie de 4 500 m², alors que leurs calculs sont fondés sur la superficie de 3 300 m² dont elles ont été reconnues propriétaires en 2003. De plus, il n’est pas certain que la surface expropriée corresponde à celle de 3 300 m² : dans son jugement no 106/1989, le tribunal de première instance de Nauplie a relevé que seule une superficie de 2 406 m² avait été réellement expropriée.
87. Le Gouvernement affirme que le calcul de la somme réclamée par les requérantes est vague, sans fondement et illégal : d’abord, aucune des conditions légales n’est selon lui remplie en l’espèce pour que les requérantes puissent prétendre à la capitalisation des intérêts sur la somme qu’elles réclament ; ensuite, en droit interne le taux d’intérêt moratoire applicable aux dettes de l’État n’est pas celui applicable aux particuliers mais est un taux spécial de 6 %, ce que la Cour a selon lui déjà admis dans sa jurisprudence concernant la Grèce.
88. Quant à l’allégation des requérantes concernant le souhait éventuel de la Cour de fixer un nouveau montant unitaire de l’indemnité, le Gouvernement souligne qu’en 2006, le terrain litigieux était situé hors du plan d’urbanisme et que la valeur de base pour ce type de terrain s’élevait soit à 0,93 EUR/m², soit à 0,23 EUR/m² s’il constituait une terre de pâturage. En 2013, ces valeurs s’élevaient à 1,10 EUR/m² et 0,28 EUR/m² respectivement.
89. Le Gouvernement souligne que les requérantes ne précisent pas en quoi consisterait la privation de l’usage de leur terrain et notamment de quelle manière elles l’utilisaient ou entendaient l’utiliser et quel était ou aurait été le revenu qu’elles auraient perdu. Or, il ressort des décisions judiciaires que le terrain litigieux était couvert d’une végétation forestière et avait cessé d’être cultivé depuis 1945.
90. De manière tout à fait subsidiaire, le Gouvernement soutient que si la Cour juge nécessaire d’accorder une satisfaction équitable aux requérantes, celle-ci devrait consister en une somme forfaitaire pour la période postérieure au 20 novembre 1985 et allant jusqu’en 2003, mais seulement pour le nombre d’années de dépassement du délai raisonnable réellement imputable aux autorités. Cette somme forfaitaire ne devrait pas dépasser le montant des intérêts calculés au taux de 6 % l’an (sans capitalisation) sur l’indemnité d’expropriation fixée, quant à elle, non pas pour la superficie de 3 300 m², mais pour celle de 2 406 m², soit 55,07 EUR.
91. La Cour rappelle à titre liminaire qu’elle a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à raison du refus des juridictions civiles de procéder à la réévaluation de l’indemnité définitive fixée en 1978 et devenue payable aux requérantes en 2004 lorsque l’arrêt de la cour d’appel de Nauplie reconnaissant leur qualité de propriétaires devint définitif. Elle note aussi qu’une partie de cette période, à savoir celle allant du 19 avril 1978 (date de la fixation de l’indemnité définitive) au 20 novembre 1985 (date de reconnaissance du droit de recours individuel par la Grèce), échappe à sa compétence ratione temporis (voir, mutatis mutandis, Malama c. Grèce (satisfaction équitable), no 43622/98, § 11, 18 avril 2002 et Zacharakis précité, § 39).
92. Compte tenu du fait que les requérantes n’ont touché aucune somme au titre de l’indemnité à laquelle elles avaient droit, la Cour estime devoir leur allouer une somme forfaitaire correspondant à l’indemnité fixée en 1978 mais pour une superficie de 2 406 m² (paragraphe 15 ci-dessus), augmentée des intérêts calculés sur cette somme pour la période allant du 20 novembre 1985 au 4 juin 2009, date du rejet par la Cour de cassation de l’action en réévaluation de l’indemnité. La Cour évalue cette somme à 10 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
B. Dommage moral
93. Les requérantes demandent 20 000 EUR pour dommage moral, dont 5 000 EUR pour la violation de l’article 6 § 1 et 15 000 EUR pour celle de l’article 1 du Protocole no 1.
94. Le Gouvernement affirme que la somme réclamée est excessive. Le renvoi de la détermination des droits de propriété devant les tribunaux statuant selon la procédure ordinaire était imputable aux requérantes, puisqu’elles n’avaient pas été en mesure d’établir ces droits au cours de la procédure rapide prévue par le code des expropriations.
95. La Cour estime que les requérantes ont subi un préjudice moral du fait notamment de la frustration provoquée par le refus des juridictions civiles de réévaluer l’indemnité d’expropriation. Elle leur alloue 3 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
C. Frais et dépens
96. Les requérantes demandent également 9 200 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour, dont une somme de 6 000 EUR pour la procédure relative à la reconnaissance de leur droit de propriété (et dont elles produisent des justificatifs pour seulement une partie de 1 970,10 EUR). Elles admettent qu’elles n’ont rien encore versé à leurs avocats en ce qui concerne la procédure de réévaluation de l’indemnité et celle devant la Cour, car les honoraires de ceux-ci consisteront en un pourcentage du montant qui leur sera accordé. Toutefois, elles précisent que la rémunération des avocats en Grèce est fixée à 64 EUR par heure de travail. Évaluant à 35 heures le temps consacré par leurs avocats aux procédures devant la cour d’appel de Nauplie et la Cour de cassation et à 15 heures celui pour la procédure devant la Cour, elles parviennent à un total de 3 200 EUR.
97. Le Gouvernement estime qu’il faut rejeter dans son intégralité la somme réclamée pour la procédure de reconnaissance de la qualité de propriétaires, les requérantes ne présentant aucun justificatif pour la partie de 4 029,90 EUR demandée à ce titre. Le Gouvernement souligne, en outre, que l’État a été condamné à payer les honoraires d’avocat des requérantes, ainsi que les frais de justice à hauteur de 1 500 EUR, y compris les honoraires de l’expert (que les requérantes demandent à la Cour de mettre à nouveau à la charge de l’État). Le Gouvernement invite aussi la Cour à rejeter les prétentions pour les honoraires d’avocat lors de la procédure relative au paiement de l’indemnité et lors de celle devant la Cour, les requérantes ne fournissant aucun justificatif.
98. En premier lieu, la Cour convient avec le Gouvernement qu’il n’y pas lieu d’accorder une somme pour la procédure de reconnaissance de la qualité de propriétaires des requérantes.
99. En deuxième lieu, en ce qui concerne les frais relatifs à la procédure de fixation de l’indemnité et à celle devant elle, la Cour rappelle qu’il est de jurisprudence constante que les normes de la pratique interne ne s’imposent pas à la Cour dans le domaine considéré (Azas, précité, § 65). Toutefois, la Cour considère que l’insuffisance des justificatifs relevée par le Gouvernement ne peut pas occulter le fait que les avocats des requérantes leur ont prêté une assistance juridique effective devant les juridictions nationales et devant elle. La Cour estime qu’une ventilation crédible et détaillée des heures de travail de leurs avocats, comme celle fournie par les requérantes, constitue une preuve acceptable des frais engagés. À cet égard, la Cour note que la procédure en fixation de l’indemnité devant les juridictions nationales avait le même objet que celle pour laquelle les requérantes ont eu gain de cause devant elle. Statuant en équité, la Cour leur accorde dès lors 2 500 EUR à ce titre.
D. Intérêts moratoires
100. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Joint au fond l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement relative au grief tiré du l’article 1 du Protocole no 1 et la rejette ;
2. Déclare la Requête recevable quant aux griefs tirés des articles 6 § 1 (équité de la procédure) de la Convention et 1 du Protocole no 1 et irrecevable pour le surplus ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser aux requérantes, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i) 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;
ii) 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
iii) 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérantes, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration de ce délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 novembre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Isabelle Berro-Lefèvre
Greffier Présidente