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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ALI SAMATAR AND OTHERS v. FRANCE - 17110/10 17301/10 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 1354 (04 December 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/1354.html
Cite as: [2014] ECHR 1354

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    CINQUIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE ALI SAMATAR ET AUTRES c. FRANCE

     

    (Requêtes nos 17110/10 et 17301/10)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    4 décembre 2014

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Ali Samatar et autres c. France,

    La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

              Mark Villiger, président,
              Angelika Nußberger,
              Boštjan M. Zupančič,
              Ganna Yudkivska,
              Vincent A. De Gaetano,
              André Potocki,
              Aleš Pejchal, juges,
    et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 novembre 2014,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine des affaires se trouvent deux requêtes (nos 17110/10 et 17301/10) dirigées contre la République française et dont des ressortissants somaliens (« les requérants ») ont saisi la Cour les 15 et 16 mars 2010 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Il s’agit de M. Abdurahman Ali Samatar (requête no 17110/10), né en 1984, et de MM. Ismaël Ali Samatar, Abdulqader Guled Said, Mohamed Said Hote, Abdullahi Yousouf Hersi et Daher Guled Said (requête no 17301/10), nés en 1981, 1978, 1962, 1987 et 1978 respectivement.

    2.  Le requérant Abdurahman Ali Samatar (requête no 17110/10) est représenté par Me Martin Pradel, avocat à Paris. Les autres requérants (requête no 17301/10) sont représentés par Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. François Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

    3.  Les requêtes ont été communiquées au Gouvernement le 20 février 2013.

    4.  Le gouvernement grec s’est vu accorder l’autorisation d’intervenir dans la procédure écrite (article 36 § 2 de la Convention et article 44 § 3 du règlement).

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    A.  La genèse de l’affaire

    5.  Le 4 avril 2008, à 11 heures 15, à mi-chemin des côtes yéménites et somaliennes, « Le Ponant », un navire de croisière battant pavillon français, fut intercepté par une douzaine d’hommes armés de fusils d’assaut et de lance-roquettes. Ils s’en emparèrent, prirent son équipage - une trentaine de personnes, dont vingt français - en otage et le dirigèrent vers les côtes somaliennes.

    6.  Le plan « pirate-mer », qui consiste en la mobilisation de tous les moyens disponibles dans la zone, fut déclenché par le Premier ministre à 13 heures 30. Le Gouvernement indique que dans ce contexte, la conduite de l’action gouvernementale est confiée au chef des commandos de marine et placée sous la responsabilité du ministre de la défense. Le chef des commandos reçoit ses instructions du chef d’état-major des armées, lequel prend lui-même ses ordres auprès du Président de la République.

    7.  Sur zone, le commandant des forces françaises informa les bâtiments de la Task Force 150. Il s’agit d’une force d’intervention navale multinationale basée au Bahreïn, dont la mission est de garantir la sécurité maritime en mer rouge, dans le golfe d’Aden, sur l’océan indien et dans le golfe d’Oman, afin de prévenir les actes terroristes et de faire obstacle aux activités illégales auxquelles des terroristes peuvent avoir recours pour financer ou dissimuler leurs activités.

    8.  Le 5 avril 2008, Le Ponant atteint le port somalien de Garaad, où il fut mis au mouillage.

    9.  Le 5 avril 2008, le gouvernement fédéral de transition (« GFT ») de Somalie adressa la note verbale suivante aux autorités françaises :

    « (...) le gouvernement fédéral de transition de Somalie condamne avec force le détournement du navire français « Le Ponant ». Il partage les inquiétudes du gouvernement de la République française au sujet du détournement du navire français et de son équipage. Le gouvernement fédéral de transition de Somalie assure les autorités françaises de son soutien total et transmet sa sympathie aux familles des membres de l’équipe enlevés.

    Le GFT de Somalie répond de façon positive à la demande d’autorisation faite par le gouvernement français et déclare ce qui suit :

    1. Le GFT de Somalie autorise la marine française à entrer dans les eaux territoriales de Somalie.

    2. Le GFT de Somalie autorise des forces françaises à prendre toutes les mesures nécessaires - y compris l’usage proportionné de la force - dans le contexte de la crise.

    3. Au cours de sa présence dans les eaux territoriales de Somalie, le GFT accepte que la marine française bénéficie de l’inviolabilité personnelle de ses agents, l’immunité à l’égard des poursuites devant tout tribunal pénal, civil et administratif et l’immunité d’exécution.

    4. Le GFT de Somalie renonce à tous droits de recours contre les forces françaises en vue d’obtention de compensation pour des éventuels dommages et torts causés à ses biens ou à son personnel, y compris ceux occasionnant la mort.

    5. Le GFT de Somalie renonce à tous droits de recours contre le gouvernement de la République française dans le cas de préjudice causé aux tiers.

    6. Dans le cas d’une action en justice entamée pour la réparation d’un préjudice tel que celui indiqué ci-dessus, le GFT de Somalie garantira le gouvernement de la République française et agira à la place du gouvernement français si une telle procédure devait avoir lieu.

    7. Aussi, le GFT de Somalie autorise quelques avions militaires français à survoler le territoire de Somalie dans le cadre de cette opération.

    8. Cette autorisation prendra effet à partir de la date de saisie du Ponant par les pirates somaliens (4 avril 2008) et restera en vigueur jusqu’à la résolution de la crise. (...) »

    10.  Le 11 avril 2008, vers midi, les otages furent libérés contre le versement d’une rançon de 2 150 000 dollars.

    B.  L’interpellation des requérants et ses suites

    11.  Le même jour, un avion de surveillance repéra un véhicule tout terrain sortant de Garaad à vive allure. Cinq ou six hélicoptères de l’armée française emportant des commandos de marines et des membres du groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (« GIGN ») le prirent en chasse puis l’interceptèrent. Les passagers - les six requérants - se rendirent sans opposer résistance. Les militaires saisirent des armes et une partie de la rançon dans le véhicule. Les six personnes ainsi interpellées sur le sol somalien furent conduites à bord d’un navire français où elles furent maintenues sous la garde des militaires français.

    12.  Le 14 avril 2008 à 18 heures, le procureur de la République de Paris saisit la section des recherches de gendarmerie de Paris d’une enquête préliminaire.

    13.  Le 15 avril 2008 à 15 heures, le lieutenant D., officier de police judiciaire de la section des recherches de Paris, fut informé par le ministère de la défense que les suspects se trouvaient à bord d’un avion militaire français en partance de Somalie et à destination de la France. Le Gouvernement indique que les autorités françaises avaient préalablement, le même jour, obtenu l’accord verbal des autorités somaliennes. Les requérants atterrirent sur le sol français le 16 avril 2008 vers 7 heures 15. Ils furent placés en garde à vue entre 7 heures 15 et 7 heures 35 et leurs droits leur furent immédiatement notifiés.

    14.  Le 18 avril 2008, le premier ministre du GFT de Somalie adressa une note aux autorités françaises, dans laquelle il indiquait notamment que le GFT remerciait les autorités françaises pour l’aide qu’elles avaient apportée pour mettre un terme à l’enlèvement et à la détention de l’équipage du Ponant et pour arrêter les auteurs de ces faits. Il précisait que « les autorités de la République de Somalie donn[ai]ent leur accord afin que les personnes arrêtées quittent le territoire somalien sous la garde des autorités militaires françaises » et que « le GFT somalien se réserv[ait] le droit d’avoir une représentation légale aux poursuites judiciaires qui auraient lieu en France ». Cette note fut transmise au juge d’instruction le 28 août 2008.

    15.  Le 18 avril 2008 également, le parquet de Paris ouvrit une information judiciaire. Les six suspects furent présentés à un juge d’instruction - vers 7 heures du matin vraisemblablement - qui les mit en examen pour « arrestation et séquestration de plusieurs personnes comme otages, pour obtenir le versement d’une rançon, en bande organisée, association de malfaiteurs, vols en bande organisée » ; l’un d’entre eux fut en sus mis en examen pour détournement de navire. Ils furent placés sous mandat de dépôt par le juge des libertés et de la détention.

    C.  L’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris

    16.  Le 13 octobre 2008, les six suspects saisirent la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris de requêtes aux fins de nullité de la procédure. Invoquant notamment l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention, ils dénonçaient en particulier l’illégalité de leur interpellation sur le territoire somalien et de la privation de liberté qui leur avait été infligée avant leur arrivée sur le territoire français.

    17.  Par un arrêt du 6 avril 2009, la chambre de l’instruction jugea que la procédure avait été régulière et dit qu’il n’y avait pas lieu à annulation.

    18.  Elle considéra tout d’abord que l’arrestation des six suspects procédait d’un accord militaire ad hoc entre les autorités somaliennes et françaises, matérialisé par les notes verbales des 5 et 18 avril 2008. Elle jugea que « les décalages qui intrigu[ai]ent certains mis en examen entre la date de la [seconde] note et celles des décisions dont elle fai[sai]t état et le temps qu’il a[vait] fallu pour que la note parvienne au dossier du juge d’instruction après avoir fait l’ensemble du circuit partant du bureau du premier ministre du [GFT] via l’ambassade de France à Nairobi, le ministère des Affaires étrangères, celui de la justice, pour redescendre par le parquet général et le parquet de Paris, n’[étaient] pas anormaux ». Selon elle, une note verbale est la normalisation d’un accord qui précède nécessairement et qui confirme des décisions prises en commun. Elle estima en outre qu’aucun élément ne donnait à penser que ces notes n’étaient pas authentiques. Elle constata ensuite qu’il en résultait que la Somalie et la France, qui n’étaient pas liées par des accords bilatéraux ou internationaux préexistants, avaient mis en place une coopération ad hoc pour résoudre la crise, et avaient fait le choix d’un accord purement militaire. Sur la base de cet accord, les forces militaires françaises, d’une part, avaient été chargées d’arrêter les suspects, de récupérer la rançon et d’assurer la garde et la surveillance des ressortissants somaliens dans l’attente des décisions qui seraient prises par les gouvernements respectifs. D’autre part, elles avaient reçu des instructions conformes aux décisions politiques qui venaient d’être prises, afin que les ressortissants somaliens quittent leur pays d’origine. La chambre de l’instruction jugea de plus que cet accord ne pouvait s’analyser en une convention d’entraide judiciaire en matière pénale, même si les autorités françaises avaient l’intention de faire juger en France les personnes arrêtées, dans l’hypothèse où le gouvernement de Somalie donnait son accord à leur transfert en France.

    19.  Ensuite, la chambre de l’instruction souligna que les décisions prises par le gouvernement français d’arrêter les suspects sur le territoire somalien, de les garder dans l’attente de nouvelles instructions puis de leur faire quitter le territoire somalien après l’accord des autorités somaliennes, étaient des « actes de gouvernement », c’est-à-dire des actes « qui se rattachent à l’exercice de la fonction gouvernementale et qui n’entrent pas dans la catégorie des actes administratifs, et pour lesquels le juge judiciaire est incompétent pour connaître des litiges concernant ces actes », de sorte que « les recours ou les moyens concernant de tels actes [devaient] être déclarés irrecevables ».

    20.  Elle jugea que les suspects n’étaient entrés dans la « sphère de la juridiction française », au sens de l’article 1 de la Convention, qu’à partir du moment où la décision avait été prise de les transférer en France, soit le 16 avril 2008 à 16 heures, lorsque cette décision avait été portée à la connaissance effective du lieutenant D., officier de police judiciaire à la section des recherches de Paris. Elle estima en outre que la procédure pénale n’avait débuté qu’au moment de leur placement en garde à vue à leur arrivée sur le territoire français, et que cette garde à vue avait été régulière.

    21.  La chambre de l’instruction vérifia alors si leur privation de liberté du 15 avril 2008 à 15 heures au 16 avril 2008 à 7 heures 15 (date et heure de leur arrivée en France) était conforme à l’article 5 de la Convention. Elle considéra à cet égard que leur transfert par voie aérienne répondait à l’ « exigence de promptitude » imposée par la Cour « puisque la conduite devant un officier de police a[vait] été la plus rapide possible compte tenu des délais de route et des mesures de sécurité pour [les] embarquer et débarquer (...) et pour arrêter le plan de vols avec le contrôle aérien dans le respect des règles imposées par la sécurité aérienne ». Elle observa ensuite « que l’enquête préliminaire a[vait] été placée sous le contrôle effectif et constant du procureur de la République, que le placement en garde à vue, avant la conduite devant le procureur de la République puis le juge d’instruction et le juge des libertés et de la détention, intervenus dans le respect de la loi française, ne sont [sic] pas contraires au principe du droit à la liberté et à la sûreté et apportent à la personne arrêtée dans le plus court délai, le droit d’être informé dans une langue qu’elle comprend, l’accès au juge et l’exercice des droits de la défense ». Elle souligna à cet égard que les auditions réalisées dans le cadre de la garde à vue avaient pour but de vérifier, à charge et à décharge, l’implication réelle de chaque suspect dans les faits sur lesquels l’enquête portait, et pouvaient conduire à la mise hors de cause de certains, sur la seule décision du procureur de la République.

    D.  L’arrêt de la Cour de cassation du 16 septembre 2009

    22.  Les six suspects se pourvurent en cassation, se fondant notamment sur une violation de l’article 5 §§ 3 et 4 et de l’article 13 de la Convention.

    23.  Par un arrêt du 16 septembre 2009, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta les pourvois. Elle jugea que la chambre de l’instruction avait énoncé à tort « que les suspects, placés sous le contrôle de l’autorité militaire française dès leur interpellation sur le territoire somalien, le 11 avril 2008, ne relevaient de la « juridiction française » au sens de l’article 1 de la Convention (...) qu’à partir du 15 avril 2008, 15 heures, date à laquelle la décision de les transférer en France, prise avec l’accord des autorités somalienne, avait été portée à la connaissance des autorités françaises et aussitôt mise en œuvre ». Elle considéra cependant que l’arrêt n’encourait pas la censure dès lors que « des circonstances insurmontables, caractérisées par l’attente de l’accord des autorités somaliennes en vue du transfert des six suspects en France, justifiaient leur privation de liberté pendant près de cinq jours, avant que leur placement en garde à vue ne fût régulièrement ordonné le 16 avril 2008, à partir de 7 heures 15 ».

    E.  L’arrêt de la cour d’assises de Paris du 14 juin 2012

    24.  Par un arrêt du 14 juin 2012, la cour d’assisses de Paris acquitta Abdurahman Ali Samatar (requête no 17110/10) et Abdulqader Guled Said (requête no 17301/10). Elle condamna en revanche les autres requérants à des peines allant de quatre à dix ans d’emprisonnement. Ils n’interjetèrent pas appel.

    F.  Les requêtes en réparation déposées par Abdurahman Ali Samatar et Abdulqader Guled Said

    25.  Le 23 juillet 2012, Abdurahman Ali Samatar (requête no 17110/10) et Abdulqader Guled Said (requête no 17301/10) déposèrent chacun une requête en réparation du préjudice subi du fait de leur placement en détention provisoire du 18 avril 2008 au 15 juin 2012. Le 5 novembre 2012, le premier président de la cour d’appel de Paris leur alloua à chacun 90 000 EUR en réparation de leur préjudice moral et 1 200 EUR en application de l’article 700 du code de procédure civile. Il alloua en outre, pour préjudice matériel, 5 000 EUR au premier et - ayant sursis à statuer sur sa demande relative à l’indemnisation de son préjudice corporel -, 3 000 EUR au second.

    26.  Saisie en appel par les intéressés, la commission nationale statua le 17 juin 2013. Elle porta les montants alloués à Abdurahman Ali Samatar à 120 000 EUR, 10 000 EUR et 1 500 EUR respectivement. Elle sursit à statuer sur la demande d’Abdulqader Guled Said tendant à l’indemnisation de son préjudice moral jusqu’au prononcé de la décision du premier président de la cour d’appel de Paris sur le préjudice corporel et fixa les montants relatifs au préjudice matériel et à l’article 700 du code de procédure civile à 10 000 EUR et 1 500 EUR respectivement (les parties n’ont pas informé la Cour du montant finalement alloué pour préjudice moral).

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    27.  Les dispositions pertinentes du code pénal sont les suivantes :

    Article 113-3 (version applicable à l’époque des faits de l’espèce)

    « La loi pénale française est applicable aux infractions commises à bord des navires battant un pavillon français, ou à l’encontre de tels navires, en quelque lieu qu’ils se trouvent. Elle est seule applicable aux infractions commises à bord des navires de la marine nationale, ou à l’encontre de tels navires, en quelque lieu qu’ils se trouvent. »

    Article 113-7

    « La loi pénale française est applicable à tout crime, ainsi qu’à tout délit puni d’emprisonnement, commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l’infraction. »

    28.  Les articles pertinents du code de procédure pénale sont les suivants :

    Article 689-1

    « En application des conventions internationales visées aux articles suivants, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne qui s’est rendue coupable hors du territoire de la République de l’une des infractions énumérées par ces articles. Les dispositions du présent article sont applicables à la tentative de ces infractions, chaque fois que celle-ci est punissable. »

    Article 689-5

    « Pour l’application de la convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime et pour l’application du protocole pour la répression d’actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental, faits à Rome le 10 mars 1988, peut être poursuivie et jugée dans les conditions prévues à l’article 689-1 toute personne coupable de l’une des infractions suivantes :

    1o Crime défini aux articles 224-6 et 224-7 du code pénal ;

    2o Atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique, destruction, dégradation ou détérioration, menace d’une atteinte aux personnes ou aux biens réprimées par les livres II et III du code pénal ou délits définis par l’article 224-8 de ce code et par l’article L. 331-2 du code des ports maritimes, si l’infraction compromet ou est de nature à compromettre la sécurité de la navigation maritime ou d’une plate-forme fixe située sur le plateau continental ;

    3o Atteinte volontaire à la vie, tortures et actes de barbarie ou violences réprimés par le livre II du code pénal, si l’infraction est connexe soit à l’infraction définie au 1o, soit à une ou plusieurs infractions de nature à compromettre la sécurité de la navigation maritime ou d’une plate-forme visées au 2o. »

    III.  LA RéSOLUTION 1816 DU CONSEIL DE SéCURITé DES NATIONS UNIES

    29.  Adoptée, le 2 juin 2008, lors de la 5902ème séance du Conseil de sécurité, la résolution 1816 est ainsi libellée :

    « Le Conseil de sécurité, (...)

    Profondément préoccupé par la menace que les actes de piraterie et les vols à main armée commis contre des navires font peser sur l’acheminement effectif, les délais d’acheminement et la sécurité de l’acheminement de l’aide humanitaire en Somalie, sur la sécurité des routes maritimes commerciales et sur la navigation internationale,

    Se déclarant préoccupé de ce qu’il ressort des rapports trimestriels publiés depuis 2005 par l’Organisation maritime internationale (OMI) que des actes de piraterie et des vols à main armée continuent de se produire, en particulier dans les eaux situées au large des côtes somaliennes,

    Affirmant que le droit international, tel qu’édicté dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, en date du 10 décembre 1982 (« la Convention »), définit le cadre juridique de la lutte contre la piraterie et le vol à main armée, parmi d’autres activités menées sur les océans,

    Réaffirmant les dispositions du droit international concernant la répression de la piraterie, en particulier la Convention, et rappelant que ces dispositions établissent les principes directeurs d’une coopération aussi totale que possible dans la répression de la piraterie en haute mer ou en tout autre lieu ne relevant de la juridiction d’aucun État, y compris, entre autres mesures, pour ce qui est d’arraisonner, de fouiller et de saisir les navires se livrant ou soupçonnés de se livrer à des actes de piraterie et d’appréhender les personnes se livrant à de tels actes en vue de les traduire en justice,

    Réaffirmant qu’il respecte la souveraineté, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique et l’unité de la Somalie,

    Tenant compte de la crise que traverse la Somalie et du fait que le Gouvernement fédéral de transition n’a les moyens ni de tenir les pirates à distance ni de patrouiller dans les voies de circulation maritime internationales proches des côtes du pays ou dans ses eaux territoriales et d’en assurer la sécurité,

    Déplorant les récents incidents au cours desquels des navires ont été attaqués ou détournés dans les eaux territoriales de la Somalie ou en haute mer, au large de ses côtes, y compris l’attaque ou le détournement de navires affrétés par le Programme alimentaire mondial et de nombreux navires commerciaux, déplorant les graves répercussions de ces attaques sur l’acheminement effectif, les délais d’acheminement et la sécurité de l’acheminement de l’aide alimentaire et des autres secours humanitaires destinés aux populations somaliennes, et déplorant les graves dangers que ces attaques représentent pour les navires, leurs équipages, leurs passagers et leur cargaison,

    Prenant acte des lettres datées des 5 juillet et 18 septembre 2007 que le Secrétaire général de l’OMI a adressées au Secrétaire général au sujet des problèmes de piraterie au large des côtes somaliennes et la résolution A.1002 (25) de l’OMI, dans laquelle les gouvernements ont été vivement engagés à accroître leurs efforts en vue de prévenir et de réprimer, dans le respect des dispositions du droit international, les actes de piraterie et les vols à main armée commis contre des navires, où qu’ils se produisent, et rappelant le communiqué conjoint de l’OMI et du Programme alimentaire mondial en date du 10 juillet 2007,

    Prenant note de la lettre datée du 9 novembre 2007 que le Secrétaire général a adressée au Président du Conseil de sécurité pour l’informer que le Gouvernement fédéral de transition de la Somalie a besoin et serait heureux de recevoir une aide internationale pour faire face au problème,

    Prenant note en outre de la lettre que le Représentant permanent de la République somalienne auprès de l’Organisation des Nations Unies a adressée au Président du Conseil de sécurité le 27 février 2008 pour lui indiquer que le Gouvernement fédéral de transition demandait au Conseil de l’aider, d’urgence, à assurer la sécurité des eaux territoriales somaliennes et des eaux internationales situées au large des côtes du pays, afin d’y garantir la sécurité du transport maritime et de la navigation,

    Constatant que les actes de piraterie et les vols à main armée subis par des navires dans les eaux territoriales de la Somalie ou en haute mer, au large de ses côtes, enveniment la situation dans le pays, laquelle continue de menacer la paix internationale et la sécurité de la région,

    Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,

    1. Condamne et déplore tous actes de piraterie et vols à main armée commis contre des navires dans les eaux territoriales de la Somalie ou en haute mer, au large de ses côtes ;

    2. Engage les États dont les navires de guerre et les aéronefs militaires opèrent en haute mer au large des côtes somaliennes, ou dans l’espace aérien international situé au large de ces côtes, à faire preuve de vigilance à l’égard des actes de piraterie et des vols à main armée, et, dans cet esprit, engage en particulier les États désireux d’emprunter les routes maritimes commerciales situées au large des côtes somaliennes à renforcer et coordonner, en coopération avec le Gouvernement fédéral de transition, l’action menée pour décourager les actes de piraterie et les vols à main armée commis en mer ;

    3. Engage également tous les États à coopérer entre eux, avec l’OMI et, le cas échéant, avec les organisations régionales compétentes, au sujet des actes de piraterie et des vols à main armée commis dans les eaux territoriales de la Somalie et en haute mer au large de ses côtes et à se communiquer toutes informations y relatives, et à prêter assistance aux navires menacés ou attaqués par des pirates ou des voleurs armés, conformément au droit international applicable ;

    4. Engage en outre les États à coopérer avec les organisations intéressées, y compris l’Organisation maritime internationale, afin de veiller à ce que les navires ayant faculté de battre leur pavillon national reçoivent des directives et une formation appropriées concernant les techniques d’évitement, d’évasion et de défense, et à éviter la zone pour autant que possible ;

    5. Demande aux États et aux organisations intéressées, y compris l’Organisation maritime internationale, de fournir à la Somalie et aux États côtiers voisins, à leur demande, une assistance technique visant à renforcer la capacité de ces États d’assurer la sécurité côtière et maritime, y compris la lutte contre la piraterie et les vols à main armée au large des côtes somaliennes et des côtes des pays voisins ;

    6. Affirme que les mesures édictées au paragraphe 5 de la résolution 733 (1992) et explicitées aux paragraphes 1 et 2 de la résolution 1425 (2002) ne s’appliquent pas à la fourniture d’assistance technique à la Somalie aux seules fins énoncées au paragraphe 5 ci-dessus, qui font l’objet d’une dérogation conformément à la procédure définie aux paragraphes 11 b) et 12 de la résolution 1772 (2007) ;

    7. Décide que, pour une période de six mois à compter de l’adoption de la présente résolution, les États qui coopèrent avec le Gouvernement fédéral de transition à la lutte contre la piraterie et les vols à main armée au large des côtes somaliennes et dont le Gouvernement fédéral de transition aura préalablement communiqué les noms au Secrétaire général sont autorisés :

    a) À entrer dans les eaux territoriales de la Somalie afin de réprimer les actes de piraterie et les vols à main armée en mer, d’une manière conforme à l’action autorisée en haute mer en cas de piraterie en application du droit international applicable ;

    b) À utiliser, dans les eaux territoriales de la Somalie, d’une manière conforme à l’action autorisée en haute mer en cas de piraterie en application du droit international applicable, tous moyens nécessaires pour réprimer les actes de piraterie et les vols à main armée ;

    8. Demande aux États coopérants de prendre les dispositions voulues pour garantir que les activités qu’ils mèneront conformément à l’autorisation accordée au paragraphe 7 de la présente résolution n’auront pas pour effet sur le plan pratique de refuser ou restreindre le droit de passage inoffensif des navires d’États tiers ;

    9. Affirme que l’autorisation donnée dans la présente résolution s’applique à la seule situation en Somalie et n’affecte pas les droits, obligations ou responsabilités dérivant pour les États Membres du droit international, notamment les droits ou obligations résultant de la Convention pour ce qui est de toute autre situation, et souligne en particulier qu’elle ne peut être regardée comme établissant un droit international coutumier, et affirme en outre que la présente autorisation n’a été donnée qu’à la suite de la réception de la lettre datée du 27 février 2008 adressée au Président du Conseil de sécurité par le Représentant permanent de la République somalienne auprès de l’Organisation des Nations Unies et transmettant l’accord du Gouvernement fédéral de transition ;

    10. Demande aux États participants de coordonner entre eux les mesures qu’ils prennent en application des paragraphes 5 et 7 ci-dessus ;

    11. Demande à tous les États, en particulier aux États du pavillon, aux États du port et aux États côtiers, ainsi qu’aux États de nationalité des victimes ou des auteurs d’actes de piraterie ou de vols à main armée et aux États tirant juridiction du droit international ou de leur droit interne, de coopérer en vue de déterminer lequel aura compétence et de prendre les mesures voulues d’enquête et de poursuite à l’encontre des auteurs d’actes de piraterie et de vols à main armée commis au large des côtes somaliennes, conformément au droit international applicable, y compris le droit international des droits de l’homme, et de seconder ces efforts, notamment en fournissant une assistance en matière de logistique et d’accès aux voies de droit aux personnes relevant de leur juridiction et de leur contrôle, telles que les victimes, les témoins et les personnes détenues dans le cadre d’opérations menées en vertu de la présente résolution (...) ».

    EN DROIT

    I.  SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

    30.  Constatant que les requêtes enregistrées sous les nos 17110/10 et 17301/10 trouvent leur origine dans les mêmes faits et portent sur des griefs similaires, la Cour estime qu’il y a lieu de les joindre en application de l’article 42 § 1 de son règlement.

    II.  SUR L’ARTICLE 1 DE LA CONVENTION

    31.  Le Gouvernement concède qu’au regard des critères dégagés par la Cour, confirmés dans l’arrêt Medvedyev et autres c. France [GC] (n3394/03, §§ 62-67, CEDH 2010), les requérants relevaient de la juridiction de la France, au sens de l’article 1 de la Convention, dès leur appréhension par les forces militaires françaises le 11 avril 2008. La Cour en prend acte. Elle note de plus que telle fut également la conclusion de la Cour de cassation (paragraphe 23 ci-dessus).

    III.  SUR LES GRIEFS COMMUNS AUX DEUX REQUÊTES

    A.  Sur la violation alléguée de l’article 5 § 3 de la Convention

    32.  Les requérants se plaignent de ne pas avoir été « aussitôt traduits devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » après leur interpellation par l’armée française sur le sol somalien le 11 avril 2008. Premièrement, ils auraient été privés de liberté à partir de cette date et jusqu’au 16 avril 2008, soit durant cinq jours, sous le seul contrôle des forces militaires françaises. Deuxièmement, ils auraient été placés en garde à vue à leur arrivée en France, le 16 avril 2008, durant quarante-huit heures, sous le seul contrôle du procureur de la République, lequel ne serait pas « un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » au sens de l’article 5 § 3 de la Convention. Ils dénoncent une violation de cette disposition, aux termes de laquelle :

    « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

    33.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

    1.  Sur la recevabilité

    34.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et relève qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    2.  Sur le fond

    a)  Les parties et le gouvernement intervenant

    i.  Les requérants

    α.  Requête no 17110/10

    35.  Le requérant estime que, s’il résulte de la décision Rigopoulos c. Espagne (no 37388/97, CEDH 1999-II) que des « circonstances exceptionnelles » peuvent, dans les cas tels que le sien, justifier un délai de plus de quatre jours entre l’arrestation d’un individu et sa présentation à une autorité judicaire, il en résulte aussi que cette condition n’est remplie que si le délai d’acheminement de l’intéressé est incompressible, si sa privation de liberté est supervisée par une autorité judiciaire et s’il est immédiatement présenté à un juge à son arrivée. Or le Gouvernement éluderait totalement la question de la supervision par l’autorité judiciaire. Il se contredirait en outre en affirmant d’un côté que la durée de son transfert en France était incompressible et en reconnaissant de l’autre côté qu’aucune opération de transfert n’avait été engagée avant l’accord des autorités somaliennes. Quant à son explication selon laquelle la situation politique agitée que connaissait la Somalie empêchait que la note verbale consécutive à son arrestation soit formalisée avant le 18 avril 2008, elle ne serait pas plausible dès lors qu’une première note verbale avait été établie le 5 avril 2008 en moins de 24 heures. Le Gouvernement ne serait pas plus crédible lorsqu’il invoque la difficulté administrative d’organiser un transfert nécessitant le survol de plusieurs États dans la mesure où il ne fournit aucune indication sur les démarches effectuées à cette fin, et où les forces militaires étaient intervenues et s’étaient trouvées sur zone en moins de quarante-huit heures. Quant à la prétendue nécessité de négocier avec les autorités somaliennes afin qu’elles donnent leur accord pour que les personnes arrêtées quittent le territoire somalien sous la garde des autorités militaires françaises, elle ne répondrait pas à la réalité puisque les intéressées ont été transférées sur un navire de guerre français immédiatement après leur interpellation le 11 avril 2008.

    β.  Requête no 17301/10

    36.  Selon les requérants, vu l’arrêt Vassis et autres c. France (n62736/09, 27 juin 2013), il est certain que la garde à vue de quarante-huit heures qui leur a été imposée est incompatible avec l’article 5 § 3 de la Convention. Ils rappellent qu’elle suivait une période de détention de cinq jours, durant laquelle les autorités auraient pu préparer leur arrivée en France. Ils observent ensuite que, pour justifier cette mesure, le Gouvernement soutient qu’elle était le seule moyen de recueillir des éléments de preuve utiles à la vérification des faits et permettant d’établir leur participation présumée aux infractions reprochées, et qu’il ajoute que l’enquête se révélait complexe, qu’il fallait entendre les témoins à plusieurs reprises, que les enquêteurs avaient dû se déplacer pour procéder à l’audition des victimes et qu’il avait fallu analyser les documents saisis. Ils en déduisent que la seule raison avancée par le Gouvernement est que les autorités françaises souhaitaient approfondir leur enquête et réunir les indices permettant une mise en examen. Or, soulignent-ils, la Cour a jugé dans les affaires Medvedyev et autres (§ 121) et Vassis et autres (§ 61) précitées, que le délai que tolère l’article 5 § 3 avant la saisine du juge ne peut avoir une telle finalité. Ils précisent que la Cour a ajouté que cette disposition ne s’interprétait pas comme une mise à la disposition des autorités internes d’un délai dont elles auraient la libre jouissance pour compléter le dossier de l’accusation, mais que son but était de permettre de détecter tout mauvais traitement et de réduire au minimum toute atteinte injustifiée à la liberté individuelle.

    ii.  Le gouvernement défendeur

    37.  Le Gouvernement souligne que, « dans des circonstances tout à fait exceptionnelles », appréciées au regard des caractéristiques particulières de chaque espèce, la présentation d’une personne privée de liberté à un juge peut être différée. Il rappelle à cet égard que, dans les affaires Rigopoulos et Medvedyev et autres précitées, la Cour a pris en compte le délai d’acheminement d’un navire arraisonné en haute mer et a admis que seize et treize jours (respectivement) n’étaient pas incompatibles avec la notion d’ « aussitôt traduit » énoncée à l’article 5 § 3 de la Convention. Il estime que la privation de liberté de sept jours subie en l’espèce par les requérants, du 11 au 18 avril 2008, était justifiée par des circonstances insurmontables, et invite la Cour à faire une application « réaliste » des obligations conventionnelles dont il est question.

    38.  S’agissant de la première phase de la privation de liberté litigieuse, relative à l’acheminement des requérants en France (du 11 au 16 avril 2008), le Gouvernement fait tout d’abord remarquer que leur arrestation a eu lieu à plus de 6 000 kms de Paris. Il précise ensuite que c’est en raison des difficultés du GFT à lutter contre la piraterie sur ses eaux qu’il a été conduit, dans l’urgence, à intervenir directement pour résoudre une crise qui concernait des ressortissants français. Il indique en outre que les requérants ne pouvaient être remis aux autorités somaliennes, celles-ci étant dans l’incapacité de les poursuivre et de les juger. Il ajoute qu’il lui fallait l’accord de la Somalie pour procéder à leur transfert en France, et qu’il n’a obtenu un accord verbal que le 15 avril 2008 (lequel a été formalisé par une note verbale le 18 avril 2008). Compte tenu de l’état de l’appareil administratif somalien, un délai de quatre jours ne serait pas anormal. Il souligne également que de nombreuses formalités devaient être effectuées en vue du rapatriement : il lui fallait préalablement organiser la mise à disposition à Djibouti d’un aéronef militaire et obtenir l’autorisation de ce pays pour faire transiter les requérants sur son territoire ainsi que l’autorisation de survol de tous les États traversés entre Djibouti et la France.

    39.  S’agissant de la seconde phase de la privation de liberté litigieuse (47 heures et trente minutes, entre le 16 et le 18 avril 2008), le Gouvernement souligne que le placement en garde à vue des requérants s’explique par les besoins de l’enquête. Il indique que, le code de procédure pénal ne s’appliquant pas sur le territoire d’un État étranger, aucune investigation n’avait été entreprise entre l’appréhension des requérants et leur arrivée sur le territoire français. Les placer en garde à vue à leur arrivée était donc, d’après lui, le seul moyen de recueillir des éléments caractérisant des raisons plausibles de soupçonner qu’une infraction avait été commise, nécessaires pour l’ouverture d’une information judiciaire. Selon lui, cette mesure s’imposait d’autant plus que l’enquête se révélait complexe eu égard au nombre de suspects, à la nécessité de procéder à leur identification par les victimes, à l’obligation de recourir à des interprètes, au fait que les enquêteurs avaient dû se déplacer pour entendre les victimes et à la nécessité d’ « analyser les documents saisis ». Il observe en outre que l’espèce se distingue des affaires Rigopoulos et Medvedyev et autres précitées en ce qu’aucune information n’avait pu être ouverte au moment de l’arrestation des requérants, compte tenu du caractère instantané inhérent à de tels faits et de l’urgence dans laquelle l’opération militaire avait été mise en œuvre.

    iii.  Le gouvernement grec, tiers intervenant

    40.  Le gouvernement intervenant met l’accent sur les circonstances particulière de la cause et sur le fait qu’en raison de la distance et des mesures à prendre s’agissant de la mise en œuvre d’obligations et accords internationaux, il était matériellement impossible de présenter les requérants à l’autorité judiciaire compétente immédiatement après leur arrestation. Renvoyant en particulier à la décision Rigopoulos précitée, il en déduit que les critères posés par la jurisprudence de la Cour relative à l’article 5 § 3 de la Convention sont remplis en l’espèce.

    b)  La Cour

    41.  La Cour renvoie aux principes relatifs à l’article 5 § 3 de la Convention énoncés par la Grande Chambre dans l’arrêt Medvedyev et autres précité (§§ 117-125).

    42.  Elle constate que les requérants ont été interpellés par l’armée française le 11 avril 2008, un peu après midi semble-t-il, puis ont été transportés sur un navire français ; le 15 avril, vers 15 heures, ils ont embarqué dans un avion militaire français à destination de la France, où ils ont atterri le 16 avril à 17 heures 15 et été placés en garde à vue ; ils ont été présentés à un juge d’instruction dans la matinée du 18 avril et mis en examen.

    43.  Le Gouvernement ne conteste pas que les requérants se trouvaient durant cette période privés de liberté, au sens de l’article 5 de la Convention. Par ailleurs, comme indiqué précédemment (paragraphe 31 ci-dessus), il admet qu’ils relevaient de la juridiction de la France.

    44.  Cela étant, la Cour note que, si la garde à vue des requérants était sous le contrôle du procureur de la République, celui-ci ne peut passer pour un « juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » au sens de l’article 5 § 3 de la Convention (Moulin c. France, n37104/06, § 55-59, 23 novembre 2010). La Cour en déduit qu’à supposer même qu’ils aient été entendus par le procureur de la République durant leur garde à vue, ils n’ont été traduits devant une autorité de ce type qu’au moment de leur présentation au juge d’instruction (Moulin, précité, § 60), soit, étant donné qu’il y a deux heures de décalage horaire entre la France et la Somalie, six jours et une vingtaine d’heures après leur arrestation.

    45.  Or le contrôle juridictionnel requis par l’article 5 § 3 de la Convention doit avant tout être rapide car il vise à permettre de détecter tout mauvais traitement et à réduire au minimum toute atteinte injustifiée à la liberté individuelle. La stricte limite de temps imposée par cette exigence ne laisse guère de souplesse dans l’interprétation, sinon on mutilerait, au détriment de l’individu, une garantie procédurale offerte par cet article et l’on aboutirait à des conséquences contraires à la substance même du droit protégé par lui (McKay c. Royaume-Uni [GC], no 543/03, § 33, CEDH 2006-X). Ce contrôle doit en tout cas intervenir dans un délai maximum de quatre jours après l’arrestation, sauf « circonstances tout à fait exceptionnelles » (Năstase-Silivestru c. Roumanie, no 74785/01, § 32, 4 octobre 2007 ; voir aussi, notamment, Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, § 62, série A no 145-B,  Oral et Atabay c. Turquie, n39686/02, § 43, McKay c. Royaume-Uni [GC], no 543/03, § 33, CEDH 2006-X, 23 juin 2009, et Medvedyev et autres, précité, § 129, CEDH 2010 ; étant entendu qu’un délai inférieur à quatre jours peut se révéler incompatible avec l’exigence de promptitude que pose cette disposition lorsque des circonstances spécifiques justifient une présentation plus rapide devant un magistrat (voir, notamment, İpek et autres c. Turquie, nos 17019/02 et 30070/02, §§ 36-37, 3 février 2009, Kandjov c. Bulgarie, n68294/01, § 66, 6 novembre 2008 et Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10, §§ 154 et 159, CEDH 2013)).

    46.  La question qui se pose en l’espèce est donc celle de savoir si des « circonstances tout à fait exceptionnelles » justifiaient cette durée de presque sept jours.

    47.  Dans l’affaire Rigopoulos précitée, qui concernait l’interception en haute mer par la police des douanes espagnoles, dans le cadre d’une enquête judiciaire portant sur un trafic international de stupéfiants, d’un navire battant pavillon panaméen, et la détention de son équipage le temps de son convoiement vers un port espagnol, la Cour a jugé qu’un délai de seize jours n’était pas incompatible avec la notion d’« aussitôt traduit » énoncée à l’article 5 § 3 de la Convention, compte tenu de l’existence de telles circonstances. Elle a relevé que la distance à parcourir était « considérable » (le navire se trouvait à 5 500 km du territoire espagnol au moment de son interception) et qu’un retard de quarante-trois heures avait été causé par des actes de résistance de membres de l’équipage. Elle en a déduit qu’il existait « une impossibilité matérielle d’amener physiquement le requérant devant le juge d’instruction dans un délai plus court », tout en prenant en compte le fait qu’à son arrivée sur le sol espagnol, le requérant avait immédiatement été transféré à Madrid par avion et, dès le lendemain, traduit devant l’autorité judiciaire. Enfin, elle a jugé « peu réaliste » la possibilité évoquée par le requérant que, plutôt que d’être convoyé vers l’Espagne, le navire soit dérouté vers l’île britannique de l’Ascension, en raison de l’accord souscrit entre l’Espagne et le Royaume-Uni relatif à la répression du trafic illicite de stupéfiants, celle-ci se trouvant à environ 1 600 kms du lieu de l’interception.

    48.  La Cour a également admis l’existence de telles circonstances dans l’affaire Medvedyev et autres précitée (§§ 131-134), qui concernait l’interpellation en haute mer par l’armée française de l’équipage d’un navire battant pavillon cambodgien dans le cadre de soupçons de trafic de drogue et leur privation de liberté durant treize jours, le temps de l’acheminement du navire jusqu’en France. Elle a relevé qu’au moment de son interception, le navire se trouvait lui aussi en haute mer, au large des îles du Cap Vert et donc loin des côtes françaises, à une distance de celles-ci du même ordre que celle dont il était question dans l’affaire Rigopoulos. Elle a noté par ailleurs que rien n’indiquait que son acheminement vers la France avait pris plus de temps que nécessaire, compte tenu notamment des conditions météorologiques et de l’état de délabrement avancé du navire arraisonné, qui rendaient impossible une navigation plus rapide. Elle a constaté en outre que les requérants ne prétendaient pas qu’il était envisageable de les remettre aux autorités d’un pays plus proche que la France, où ils auraient pu être rapidement traduits devant une autorité judiciaire. Quant à l’hypothèse évoquée par les requérants d’un transfert sur un navire de la marine nationale pour un rapatriement plus rapide, la Cour a jugé qu’il ne lui appartenait pas d’en évaluer la faisabilité dans les circonstances de la cause.

    49.  La Cour a examiné des faits comparables dans l’affaire Vassis et autres précitée. Il s’agissait de l’interception en haute mer par un bâtiment de la marine française, au large des côtes de l’Afrique de l’Ouest, d’un navire battant pavillon panaméen soupçonné d’être utilisé pour transporter de la drogue. Interpellés à cette occasion, les neuf membres de l’équipage avaient été privés de liberté à bord pendant l’acheminement du navire vers la France, soit durant dix-huit jours. À leur arrivée, ils avaient été placés en garde à vue durant environ quarante-huit heures avant d’être présentés à des juges des libertés et de la détention.

    50.  La Cour a constaté que, comme dans les affaires Rigopoulos et Medvedyev et autres, au moment de son interception, le navire se trouvait en haute mer, à des milliers de kilomètres des côtes françaises. Elle a estimé, notamment, que rien n’indiquait que son acheminement vers la France avait pris plus de temps que nécessaire, compte tenu en particulier de ce qu’il n’était pas conçu pour naviguer sur de longues distances, et constaté que, si les requérants avaient évoqué le fait que, lors de son acheminement vers la France, le navire était passé à proximité des côtes du Sénégal, ainsi que l’existence d’une convention de coopération judiciaire entre la France et ce pays, ils n’avaient présenté aucun développement à ce titre.

    51.  Elle a toutefois relevé une différence importante entre cette affaire et les affaires Rigopoulos et Medvedyev et autres et, en tirant conséquence, a conclu à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

    52.  Elle a en effet, d’une part, observé que la privation de liberté subie par le requérant Rigopoulos s’était déroulée sous le contrôle du tribunal central d’instruction de Madrid, une juridiction d’instruction spécialisée et indépendante de l’exécutif, qui avait effectivement procédé à un contrôle juridictionnel de cette privation de liberté. D’autre part, elle a noté que, dans l’affaire Medvedyev et autres, les requérants avaient été rapidement présentés aux juges d’instruction en charge de la procédure à l’issue de la traversée, à savoir entre huit et neuf heures après le début de leur garde à vue en France. Dans l’affaire Vassis et autres, la garde à vue d’une durée d’environ quarante-huit heures avait succédé à la privation de liberté subie par les requérants à bord de leur navire, ce qui avait retardé d’autant leur traduction devant « un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ». Or, selon la Cour, rien ne justifiait ce délai supplémentaire dans les circonstances de l’espèce : étant donné que le navire des requérants avait fait l’objet d’une surveillance particulière durant environ un mois avant d’être intercepté par la marine française et que l’opération d’interception avait été planifiée, les dix-huit jours qu’avait duré l’acheminement du navire et des requérants vers la France aurait dû permettre aux autorités de préparer l’arrivée de ces derniers sur le territoire français en toute connaissance de cause. Elle a estimé que ce délai de dix-huit jours, sans contrôle judiciaire, non seulement privait de justification la garde à vue consécutive mais en plus constituait une « circonstance particulière rendant l’exigence de promptitude, prévue à l’article 5 § 3 de la Convention, plus stricte que lorsque le début de la garde à vue coïncide avec la privation de liberté ». Elle a conclu que les requérants auraient dû être traduits, dès leur arrivée en France et « sans délai », devant un « juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exécuter des fonctions judicaires » (§§ 58-60).

    53.  La Cour estime que cette approche s’impose en l’espèce. Elle relève que le contexte dans lequel s’inscrit l’interpellation des requérants sort du commun : la France intervenait à 6 000 kms de son territoire afin de ne pas laisser impunis des actes de piraterie dont un navire battant son pavillon et plusieurs de ses ressortissants étaient victimes, commis par des somaliens au large de la Somalie dans un secteur où la piraterie se développait de manière préoccupante, et alors que les autorités de ce pays se trouvaient dans l’incapacité de lutter contre ce fléau (ce dont la Résolution 1816 du Conseil de sécurité des Nations unies a fait le constat ; paragraphe 29 ci-dessus). La Cour comprend qu’ayant constaté que les autorités somaliennes auraient été dans l’incapacité d’assurer le procès des requérants, les autorités françaises n’aient pu envisager de les leur remettre. Elle trouve en outre convaincante l’explication du Gouvernement selon laquelle la durée de leur transfert en France est due en grande partie à la nécessité d’obtenir préalablement l’accord des autorités de la Somalie et aux délais que cela a induit en raison du mauvais état de l’appareil administratif de ce pays. Notant en particulier que ce transfert a eu lieu dès l’obtention de l’accord verbal de ces autorités et prenant en compte les difficultés liées à l’organisation d’une telle opération depuis un secteur sensible tel que la corne de l’Afrique, la Cour ne retient aucun élément dont il ressortirait qu’il aurait pris plus de temps que nécessaire.

    54.  La Cour est donc prête à admettre que des « circonstances tout à fait exceptionnelles » expliquent la durée de la privation de liberté subie par les requérants entre leur arrestation et leur arrivée sur le territoire français. Autrement dit, la conclusion de la Cour de cassation selon laquelle «  des circonstances insurmontables, caractérisées par l’attente de l’accord des autorités somaliennes en vue du transfert des six suspects en France, justifiaient leur privation de liberté pendant près de cinq jours, avant que leur placement en garde à vue ne fût régulièrement ordonné le 16 avril 2008, à partir de 7 heures 15 », est sur ce point en phase avec la jurisprudence de la Cour.

    55.  Il reste cependant - ce qui distingue la présente espèce des affaires Rigopoulos et Medvedyev et autres et la rapproche de l’affaire Vassis et autres - le fait qu’une fois arrivés en France, les requérants ont été placés en garde à vue durant quarante-huit heures plutôt que présentés immédiatement à un juge d’instruction. La circonstance que - comme l’a constaté la Cour de cassation - cette garde à vue était conforme au droit interne n’est pas déterminante dans le contexte de l’appréciation du respect de la condition de promptitude que pose l’article 5 § 3 de la Convention.

    56.  Comme dans l’affaire Vassis et autres précitée (§ 59), la Cour estime que rien ne justifiait un tel délai supplémentaire dans les circonstances de l’espèce.

    57.  La Cour note en effet que le détournement du Ponant vers la Somalie et la prise d’otages ont eu lieu le 4 avril 2008 et que les autorités françaises ont immédiatement décidé d’intervenir (ce dont atteste le fait que le Premier ministre a déclenché le plan « pirate-mer » ce jour-là, à 13 heures 30). Environ onze jours se sont donc écoulés entre la prise de cette décision et l’arrivée des requérants en France, durant lesquels les autorités françaises auraient pu prendre les dispositions nécessaires à la traduction « sans délai » (Vassis et autres, § 60 in fine) de ces derniers devant à une autorité judiciaire française.

    58.  S’agissant de la thèse du Gouvernement selon laquelle le placement en garde à vue des requérants s’explique par les besoins de l’enquête, la Cour rappelle que sa jurisprudence relative à des délais de deux ou trois jours, pour lesquels elle a pu juger que l’absence de comparution devant un juge n’était pas contraire à l’exigence de promptitude, n’a pas pour finalité de permettre aux autorités d’approfondir leur enquête et de réunir les indices graves et concordants susceptibles de conduire à la mise en examen des requérants par un juge d’instruction. On ne saurait donc en déduire une quelconque volonté de mettre à la disposition des autorités internes un délai dont elles auraient la libre jouissance pour compléter le dossier de l’accusation : en effet, le but poursuivi par l’article 5 § 3 de la Convention est de permettre de détecter tout mauvais traitement et de réduire au minimum toute atteinte injustifiée à la liberté individuelle afin de protéger l’individu, par un contrôle automatique initial, et ce dans une stricte limite de temps qui ne laisse guère de souplesse dans l’interprétation (voir, Vassis et autres, précité, §§ 51 et 61).

    59.  Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention du fait qu’à leur arrivée en France, les requérants, déjà privés de liberté depuis quatre jours et une vingtaine d’heures, ont été placés en garde à vue plutôt que traduits « sans délai » devant un « juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ».

    B.  Sur la violation alléguée de l’article 5 § 4 de la Convention

    60.  Invoquant l’article 5 §§ 1, 3 et 4 et l’article 13 de la Convention, les requérants se plaignent de n’avoir pas eu accès à un tribunal pour contester la légalité de leur arrestation en Somalie par les forces armées françaises et la privation de liberté qu’ils ont ensuite subie entre leurs mains jusqu’à leur placement en garde à vue, ces mesures étant des « actes de gouvernement ». La Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits, juge approprié d’examiner les allégations des requérants uniquement sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention, lequel est ainsi libellé :

    « Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

    1.  Sur la recevabilité

    61.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et relève qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    2.  Sur le fond

    a)  Les parties et le gouvernement intervenant

    i.  Les requérants

    62.  Les requérants soulignent que les juges du fonds ont retenu qu’avant leur arrivée en France, leur détention résultait de décisions prises par le Gouvernement qui se rattachaient « à l’exercice de la fonction gouvernementale et qui n’entr[ai]ent pas dans la catégorie des actes administratifs, et pour lesquels le juge judiciaire [était] incompétent pour connaître des litiges concernant ces actes ». Ils en déduisent qu’elles ont ainsi jugé que ces décisions étaient des « actes de gouvernement », c’est-à-dire des actes qui échappent au contrôle des juridictions non seulement administratives mais aussi judiciaires. Ils notent que, si la Cour de cassation n’a pas validé cette analyse dès lors qu’elle a admis qu’ils étaient sous la juridiction française dès leur interpellation, elle a néanmoins, au motif que la privation de liberté litigieuse était justifiée par des circonstances insurmontables, « validé la procédure selon laquelle des personnes peuvent être privées de leur liberté sur le fondement d’un acte de gouvernement, dont la nature le fait échapper à tout contrôle juridictionnel ». Ils estiment qu’une détention est nécessairement arbitraire et contraire au droit français comme à la Convention lorsqu’elle est fondée sur un acte de gouvernement puisqu’elle n’est encadrée d’aucune garantie, n’est pas contrôlée par le juge judiciaire et est insusceptible de tout recours.

    ii.  Le gouvernement défendeur

    63.  Renvoyant à l’arrêt Zervudacki c. France (no 73947/01, 27 juillet 2006), le Gouvernement souligne que l’article 5 § 4 de la Convention n’a pas un caractère absolu. Il ajoute qu’à partir de leur mise en examen, les requérants avaient la possibilité de contester la légalité de leur détention en saisissant la chambre de l’instruction aux fins de voir prononcer la nullité de leur interpellation et de leur privation de liberté par les forces militaires françaises. Il observe qu’ils ont usé de ce recours et que, si la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris a considéré que leur interpellation et leur privation de liberté pendant leur transfert vers la France constituaient des actes de gouvernement ne relevant pas de sa compétence, la Cour de cassation a censuré ce raisonnement, jugeant qu’ils étaient sous la juridiction de la France dès leur interpellation mais que leur privation de liberté était justifiée par des circonstances insurmontables. Le gouvernement en déduit que la Cour de cassation a retenu que les garanties de la Convention s’appliquaient aux opérations réalisées par les forces françaises et a ainsi exercé un contrôle juridictionnel.

    iii.  Le gouvernement grec, tiers intervenant

    64.  Le gouvernement grec ne formule pas d’observations sur l’article 5 § 4 de la Convention.

    b)  La Cour

    65.  La Cour constate que ce grief concerne la période de privation de liberté subie par les requérants avant leur présentation au juge d’instruction et leur mise en examen, période qu’elle a déjà examinée à l’aune de la promptitude que requiert l’article 5 § 3 de la Convention. Elle souligne ensuite que les exigences de cette disposition sont plus strictes que celles de l’article 5 § 4 de la Convention, dans la mesure où le paragraphe 3 commande un contrôle juridictionnel automatique de la légalité - notamment - de l’arrestation et de la détention, et où ce contrôle doit intervenir « aussitôt », ce qui implique une plus grande célérité que les termes « bref délai » du quatrième paragraphe (voir Brogan, précité, § 59). En conséquence, et étant donné qu’elle a conclu à la violation de l’article 5 § 3 à raison du délai dans lequel les requérants ont été traduits devant un magistrat susceptible d’exercer un tel contrôle, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner les faits sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention.

    IV.  SUR LE GRIEF SPECIFIQUE à LA REQUÊTE No 17110/10

    66.  Le requérant se plaint du fait que la Cour de cassation a retenu que la privation de liberté qu’il a subie du 11 au 16 avril 2008 était justifiée par des « circonstances insurmontables » sans avoir permis aux parties de débattre contradictoirement de l’existence de telles circonstances. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, lequel est ainsi libellé :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) ».

    67.  Il ressort toutefois du mémoire ampliatif du requérant devant la Cour de cassation qu’il s’est lui-même référé dans le cadre de son pourvoi à l’arrêt Medvedyev et autres précitée, dans lequel la Cour souligne en particulier qu’une privation de liberté en principe incompatible avec les exigences de l’article 5 § 3 de la Convention peut se trouver justifiée par des « circonstances tout à fait exceptionnelles ». Par ailleurs, si le requérant n’a pas indiqué dans son mémoire ampliatif les raisons pour lesquelles il estimait que de telles circonstances n’étaient pas réunies en l’espèce, il ressort du dossier que deux au moins des autres requérants (requête no 17301/10), parties au même pourvoi, l’ont fait. Il ressort également du dossier que, dans son avis, l’avocat général proposait à la Cour de cassation de retenir que la durée de la privation de liberté subie par les intéressés était dictée par des circonstances exceptionnelles. Or, à supposer qu’il s’agissait là d’un élément nouveau, le requérant avait la possibilité d’y répondre par une note en délibéré. Il ne peut donc prétendre ne pas avoir été en mesure de débattre de cette question devant la Cour de cassation. Partant, à supposer l’article 6 § 1 de la Convention applicable, cette partie de la requête est manifestement mal fondée et irrecevable. Elle doit donc être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    68.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    69.  Les requérants Abdurahman Ali Samatar (requête no 17110/10) et Abdulqader Guled Said (requête no 17301/10) réclament respectivement 30 000 EUR et 50 000 EUR pour préjudice moral. Les autres requérants (requête no 17301/10) demandent à ce titre 10 000 EUR chacun.

    70.  Le Gouvernement propose d’allouer 5 000 EUR à chacun des requérants pour préjudice moral.

    71.  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à chacun des requérants 2 000 EUR au titre du préjudice moral.

    B.  Frais et dépens

    72.  Le requérant Abdurahman Ali Samatar (requête no 17110/10) demande 9 000 EUR pour les frais et dépens relatifs à la procédure devant la Cour. Il fournit deux factures d’honoraires datées du 31 juillet 2013, de 3 000 EUR et 6 000 EUR.

    Les autres requérants (requête no 17301/10) réclament 6 000 EUR à ce titre. Ils fournissent une facture d’honoraire datée du 3 février 2010, d’un montant de 7 176 EUR. M. Abdulqader Guled Said demande en sus 3 000 EUR. Il fournit une facture d’honoraires datée du 18 juillet 2013, d’un montant de 3 013,92 EUR.

    73.  Le Gouvernement propose d’allouer 7 525,08 EUR à M. Abdurahman Ali Samatar et 7 176 EUR conjointement aux autres requérants, plus 3 013 EUR à M. Abdulqader Guled Said.

    74.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour alloue les sommes suivantes aux requérants pour leurs frais et dépens devant elle : 9 000 EUR à Abdurahman Ali Samatar ; 6 000 EUR à MM. Ismaël Ali Samatar, Abdulqader Guled Said, Mohamed Said Hote, Abdullahi Yousouf Hersi et Daher Guled Said conjointement ; 3 000 EUR à M. Abdulqader Guled Said.

    C.  Intérêts moratoires

    75.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Décide de joindre les requêtes nos 17110/10 et 17301/10 ;

     

    2.  Déclare les requêtes recevables quant aux griefs tirés de l’article 5 §§ 3 et 4 et irrecevables pour le surplus ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

     

    4.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention ;

     

    5.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

    i)  pour dommage moral, 2 000 EUR (deux mille euros) à chacun des requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

    ii) pour frais et dépens : 9 000 EUR (neuf mille euros) à M. Abdurahman Ali Samatar, plus tout montant pouvant être dû par lui à titre d’impôt ; 6 000 EUR (six mille euros) à MM. Ismaël Ali Samatar, Abdulqader Guled Said, Mohamed Said Hote, Abdullahi Yousouf Hersi et Daher Guled Said conjointement, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt ; 3 000 EUR (trois mille euros) à M.  Abdulqader Guled Said, plus tout montant pouvant être dû par lui à titre d’impôt ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 décembre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Claudia Westerdiek                                                                Mark Villiger
           Greffière                                                                              Président


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