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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MOHAMAD v. GREECE - 70586/11 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 1381 (11 December 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/1381.html
Cite as: [2014] ECHR 1381

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE MOHAMAD c. GRÈCE

     

    (Requête no 70586/11)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    11 décembre 2014

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Mohamad c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

              Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
              Khanlar Hajiyev,
              Mirjana Lazarova Trajkovska,
              Julia Laffranque,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Linos-Alexandre Sicilianos,
              Erik Møse, juges,
    et de Søren Nielsen, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 novembre 2014,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 70586/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant irakien, M. Husein Mohamad (« le requérant »), a saisi la Cour le 2 novembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me I.-M. Tzeferakou, avocate à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, M. K. Georgiadis, assesseur au Conseil juridique de l’État.

    3.  Le requérant alléguait notamment des violations des articles 3, 5 § 1 et 13 de la Convention.

    4.  Le 27 novembre 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant est né en 1993.

    A.  L’arrestation et le placement du requérant en rétention administrative

    6.  Le 15 novembre 2010, le requérant fut arrêté dans la région de Soufli pour entrée illégale sur le territoire. Il fut examiné par un officier de la FRONTEX (Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures) dans le cadre de la vérification de son identité et de sa nationalité. La fiche remplie à la suite de cet examen indiquait que le requérant était né le 1er janvier 1990 à la ville de Zakho en Irak.

    7.  Le 17 novembre 2010, le procureur près le tribunal correctionnel d’Alexandroupoli renonça à le poursuivre du chef d’entrée illégale sur le territoire, afin qu’il puisse être renvoyé dans son pays d’origine. Par une décision du même jour, le directeur de la Direction de la police d’Alexandroupoli ordonna le renvoi du requérant vers la Turquie, pays par lequel celui-ci avait transité. Toutefois, cette décision ne put être mise à exécution, en raison du refus des autorités turques de le réceptionner.

    8.  Le 17 novembre 2010, le directeur de la Direction de la police d’Alexandroupoli, estimant que le requérant risquait de fuir, ordonna alors la mise en rétention du requérant jusqu’à l’adoption dans un délai de trois jours de la décision d’expulsion. La décision indiquait comme date de naissance du requérant le 1er janvier 1990. La décision, rédigée en grec, fut notifiée au requérant le jour même et traduite en anglais par un interprète présent.

    9.  Le 19 novembre 2010, le Conseil hellénique des réfugiés informa le directeur de la Direction de la police d’Alexandroupoli que l’âge du requérant avait été transcrit de manière erronée.

    10.  Le 20 novembre 2010, le directeur de la Direction de la police d’Alexandroupoli ordonna l’expulsion du requérant, au motif qu’il était entré clandestinement dans le pays. Considérant qu’il risquait de fuir, il ordonna aussi son maintien en rétention pour une période ne pouvant pas dépasser six mois.

    La décision d’expulsion indiquait comme date de naissance du requérant le 1er janvier 1990.

    Elle précisait, en outre, que le requérant avait été informé en anglais, « langue qu’il comprenait », des motifs de sa rétention et de ses droits. Ces affirmations sont contestées par le requérant, qui indique n’avoir jamais reçu la brochure explicative destinée aux étrangers en voie d’expulsion et n’avoir aucune notion d’anglais.

    11.  Le 22 novembre 2010, la Direction de la police d’Alexandroupoli demanda au Quartier général de la police de prendre les mesures nécessaires afin que le requérant soit remis aux autorités turques, en application de l’article 6 de la loi no 3030/2002. Cette procédure devait, selon les termes de cet article, être achevée dans un délai de trois mois.

    12.  Le 8 décembre 2010, le Conseil hellénique des réfugiés informa de nouveau le directeur de la Direction de la police d’Alexandroupoli de l’existence d’une erreur dans la transcription de l’âge du requérant.

    13.  Le 17 décembre 2010, rectifiant cette erreur, les autorités de police indiquèrent 1993 comme année de naissance du requérant. En conséquence, ce dernier se vit reconnaître la qualité de mineur non accompagné. Conformément à l’article 19 du décret no 220/2007, les autorités de police en informèrent le procureur chargé de la protection des mineurs et interrompirent la procédure d’expulsion.

    14.  Le 21 décembre 2010, le procureur près le tribunal correctionnel d’Alexandroupoli ordonna le transfert du requérant à l’hôpital de cette ville pour y subir des examens aux fins de son placement dans une structure d’accueil pour mineurs.

    15.  Le 23 décembre 2010, le Conseil hellénique des réfugiés demanda au directeur de la Direction de la police d’Alexandroupoli de l’informer de la situation du requérant. Le directeur l’informa aussitôt que l’expulsion du requérant était suspendue en raison de sa minorité, et que le poste-frontière de Soufli avait porté à la connaissance du procureur le cas du requérant et avait mentionné la nécessité de le transférer dans un centre pour mineurs.

    16.  Le 30 décembre 2010, le poste-frontière de Soufli demanda à l’hôpital d’Alexandroupoli de faire examiner le requérant par un pédopsychiatre et de vérifier s’il était atteint de maladies contagieuses. L’examen eut lieu le 3 janvier 2011.

    17.  Le 31 janvier 2011, le Conseil hellénique des réfugiés attira par écrit l’attention du procureur près le tribunal correctionnel d’Alexandroupoli sur le cas du requérant et sur ses conditions de détention dégradantes.

    18.  Le 5 février 2011, le requérant atteignit l’âge de la majorité. Sa rétention au poste-frontière de Soufli se poursuivit.

    19.  Le 9 mars 2011, le poste-frontière de Soufli informa le procureur que le requérant était devenu majeur le 5 février 2011 et que, par conséquent, la procédure de l’article 19 du décret no 220/2007 ne trouvait plus à s’appliquer à son sujet.

    20.  Le 18 avril 2011, le requérant présenta, par l’intermédiaire du Conseil hellénique des réfugiés, des objections contre sa rétention devant le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli (articles 76 § 3 de la loi no 3386/2005 et 13 § 6 du décret no 114/2010). Il soulignait que pendant plus de cinq mois il n’avait eu accès à aucune promenade, ni « vu la lumière naturelle », et qu’il était détenu avec des adultes. Il invoquait aussi les constats faits par le CPT dans sa déclaration publique du 15 mars 2011 ainsi que par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne dans son rapport du 8 mars 2011. Il se prévalait des articles 3 et 5 de la Convention ainsi que de la jurisprudence de la Cour en la matière concernant la Grèce.

    21.  Le 4 mai 2011, le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli statua sur les objections du requérant : accueillant celles-ci, il ordonna sa mise en liberté. Pour tout motif, la décision, longue de cinq lignes, se bornait à énoncer que le requérant avait un frère vivant en Allemagne et souhaitait se rendre dans ce pays.

    22.  Par une décision du même jour, le directeur de la Direction de la police d’Alexandroupoli décida la levée de la rétention du requérant, en lui accordant un délai de trente jours pour quitter le territoire. Il précisait que la décision d’expulsion restait en vigueur et serait mise à exécution si le requérant ne quittait pas le pays dans le délai imparti.

    B.  Les conditions de détention du requérant

    1.  La version du requérant

    23.  Le requérant fut détenu au poste-frontière de Soufli du 15 novembre 2010 au 4 mai 2011. Pendant toute la durée de sa détention, il ne fut jamais sorti de sa cellule et ne put faire aucun exercice physique.

    24.  À l’époque, le poste-frontière de Soufli accueillait entre 100 et 200 personnes dans un espace ayant une capacité officielle de 25 personnes. Les détenus étaient obligés de dormir assis ou à côté des eaux usées des toilettes. Le requérant dormait à même le sol et parfois assis, faute d’espace suffisant. Il avait rarement accès au téléphone public, pour lequel il fallait disposer d’une carte téléphonique.

    25.  L’espace de détention n’avait ni table, ni chaises, ni armoires. Il n’était pas chauffé, alors que les mois d’hiver dans la région de l’Évros sont particulièrement froids.

    26.  Le requérant ne se vit donner aucun produit d’hygiène personnelle. Les couvertures étaient crasseuses, la nourriture de très faible valeur nutritive et l’eau potable devait être achetée par les détenus eux-mêmes.

    27.  La détention prolongée aggrava sa santé physique et psychologique et lui créa des sentiments de peur, de stress et de détresse qui le conduisirent à entailler ses mains pour chaque mois de détention.

    2.  La version du Gouvernement

    28.  Le Gouvernement soutient qu’en fonction du nombre de détenus et de la saison, toutes les mesures nécessaires étaient prises afin d’assurer la promenade des détenus à toute heure de la journée. Le nettoyage des espaces de détention était effectué quotidiennement par une société privée. Chaque chambrée disposait d’un système de chauffage, qui fonctionnait en permanence pendant l’hiver.

    29.  L’alimentation des détenus était assurée par les soins de la préfecture de l’Évros, qui avait confié à une société privée la mission de fournir trois repas par jour.

    30.  En ce qui concerne les soins médicaux, deux unités médicales mobiles étaient actives dans le secteur ; dans les lieux de détention, il y avait une présence quotidienne de personnel scientifique de la région de l’Évros et, après autorisation, d’organisations non gouvernementales - par exemple « Médecins sans frontières » entre novembre 2010 et février 2011. Des ambulances étaient mises aussi à disposition pour transférer les détenus vers les hôpitaux d’Alexandroupoli et de Didymotikho en cas de besoin.

    31.  Les détenus recevaient régulièrement des produits d’hygiène personnelle, soit par les autorités des postes-frontière soit par « Médecins sans frontières ». Ils pouvaient aussi communiquer avec le monde extérieur par des téléphones à cartes, qui étaient en nombre suffisant.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    32.  Les articles pertinents en l’espèce de la loi n3386/2005, telle qu’amendée par la loi n3772/2009, relative à l’entrée, au séjour et à l’insertion des ressortissants de pays tiers sur le territoire grec sont exposés dans les arrêts de los Santos et de la Cruz c. Grèce (nos 2134/12 et 2161/12, §§ 21-25, 26 juin 2014), C.D. et autres c. Grèce (nos 33441/10, 33468/10 et 33476/10, §§ 27-33, 19 décembre 2013) et Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, §§ 17-23, 2 mai 2013).

    33.  L’article 19 du décret présidentiel no 220/2007 portant application de la directive 2003/9/CE du Conseil de l’Union européenne du 27 janvier 2003 (relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres), dispose :

    « Mineurs non accompagnés

    1.  Les États membres prennent sans délai les mesures nécessaires pour assurer la nécessaire représentation des mineurs non accompagnés par un tuteur légal. À cette fin, les autorités compétentes informent le parquet des tuteurs ou, à défaut, le procureur près le tribunal correctionnel, qui agit comme tuteur temporaire du mineur et prend toutes les mesures nécessaires pour la désignation d’un tuteur permanent.

    2.  Les mineurs non accompagnés qui présentent une demande d’asile sont placés, à compter de la date à laquelle ils sont admis sur le territoire jusqu’à celle à laquelle ils doivent quitter l’État membre dans lequel la demande d’asile a été présentée ou est examinée :

    a)  auprès de membres adultes de leur famille ;

    b)  au sein d’une famille d’accueil ;

    c)  dans des centres d’hébergement spécialisés dans l’accueil des mineurs ;

    d)  dans d’autres lieux d’hébergement convenant pour les mineurs.

    Les États membres peuvent placer les mineurs non accompagnés âgés de 16 ans ou plus dans des centres d’hébergement pour demandeurs d’asile adultes.

    Dans la mesure du possible, les fratries ne sont pas séparées, eu égard à l’intérêt supérieur du mineur concerné, et notamment à son âge et à sa maturité. Dans le cas de mineurs non accompagnés, les changements de lieux de résidence sont limités au minimum.

    3.  Dans l’intérêt supérieur du mineur non accompagné, les États membres recherchent dès que possible les membres de sa famille. Dans les cas où la vie ou l’intégrité physique d’un mineur ou de ses proches pourraient être menacées, en particulier s’ils sont restés dans le pays d’origine, il convient de faire en sorte que la collecte, le traitement et la diffusion d’informations concernant ces personnes soient effectués à titre confidentiel, pour éviter de compromettre leur sécurité.

    4.  Le personnel chargé des mineurs non accompagnés doit recevoir ou avoir reçu une formation appropriée concernant leurs besoins. En ce qui concerne les informations dont il a connaissance du fait de son travail, il est tenu par le devoir de confidentialité prévu dans le droit national. »

    34.  L’article 5 § 2 de la décision ministérielle no 400/2009 relative à l’exécution des décisions administratives d’expulsion d’étrangers dispose :

    « 2.  Les étrangers à l’encontre desquels a été prise une décision d’expulsion administrative sont détenus dans des lieux spéciaux de séjour des étrangers (article 81 de la loi no 3386/2005) ou, à titre provisoire en cas de manque de tels lieux, dans les commissariats de police. Les étrangers mineurs et les femmes sont gardés dans des lieux séparés, sauf si des motifs de protection des mineurs ou les besoins de préservation de l’unité familiale [s’y opposent]. (...) »

    35.  L’article 13 § 6 b) du décret présidentiel no 114/2010 (intitulé « Statut de réfugié : procédure unique applicable aux étrangers et apatrides »), qui transpose dans l’ordre juridique grec la directive du Conseil no 2005/85/CE du 1er décembre 2005 (relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres), dispose :

    « 6.  Si des demandeurs sont en détention, les autorités (...) s’engagent à :

    b)  éviter la détention de mineurs. Les mineurs qui ont été séparés de leur famille ou qui ne sont pas accompagnés ne sont détenus que pour le temps nécessaire à leur transfert sécurisé dans des structures appropriées pour l’hébergement de mineurs ; »

    36.  L’article 97 (protection des mineurs) du décret no 141/1991 relatif à la compétence des organes du ministère de l’Ordre public prévoit :

    « 1.  La police hellénique (...) :

    9)  veille à ce que les mineurs arrêtés soient enfermés dans des centres spéciaux et ne soient pas menottés lors de leur transfert, sauf s’ils sont dangereux ou s’ils risquent de fuir.

    (...)

    12)  doit, lors de tout contact avec des mineurs, se comporter avec douceur et civilité et éviter tout acte pouvant les humilier ou leur créer un vécu traumatique (...) »

    37.  La loi no 3907/2011 (intitulée « Services d’asile et de premier accueil, retour des personnes résidant illégalement, permis de séjour etc. ») est entrée en vigueur le 26 janvier 2011. Elle transpose dans l’ordre juridique grec la directive du Parlement européen et du Conseil no 2008/115/CE du 16 décembre 2008 (relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier). Les articles pertinents disposent :

    Article 25 § 1

    « Avant la prise de toute décision de retour concernant un mineur non accompagné, l’assistance d’organismes compétents, autres que les autorités chargées d’exécuter le retour, est accordée en tenant dûment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. »

    Article 32

    « 1.  Les mineurs non accompagnés et les familles comportant des mineurs ne sont placés en rétention qu’en dernier ressort et pour la période appropriée la plus brève possible.

    (...)

    4.  Les mineurs non accompagnés bénéficient, dans la mesure du possible, d’un hébergement dans des institutions disposant d’un personnel et d’installations adaptés aux besoins des personnes de leur âge.

    5.  L’intérêt supérieur de l’enfant constitue une considération primordiale dans le cadre de la rétention de mineurs dans l’attente d’un éloignement. »

    III.  LES CONSTATS DES INSTITUTIONS INTERNATIONALES ET NATIONALES

    38.  Les constats concernant le poste-frontière de Soufli effectués par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (dans son rapport du 10 janvier 2012 et dans sa déclaration publique du 15 mars 2011), le représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (à la suite de la visite effectuée du 29 septembre au 1er octobre 2010), la Commission nationale des droits de l’homme et le médiateur de la République (à la suite de leur visite effectuée du 18 au 20 mars 2011) sont exposés dans l’arrêt B.M. c. Grèce (no 53608/11, §§ 41-55, 19 décembre 2013).

    EN DROIT

    I.  SUR L’EXCEPTION DU GOUVERNEMENT TIRÉE DU NON-RESPECT DU DÉLAI DE SIX MOIS

    39.  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour non-respect du délai de six mois, car le requérant, selon lui mis en liberté dès le 2 mai 2011, n’a saisi la Cour que le 2 novembre 2011.

    40.  Le requérant soutient que sa détention, aussi bien en tant que mineur qu’en tant qu’adulte, était une situation continue et que la période de six mois a commencé à courir à partir de la fin de la détention, soit selon lui le 4 mai 2011 ; partant, elle n’expirait que le 4 novembre 2011, de sorte que sa requête a bien selon lui été introduite dans le délai de six mois.

    41.  La Cour note qu’il ressort du dossier que le 4 mai 2011, le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli a accueilli les objections du requérant et que c’est le même jour que le directeur de la Direction de la police d’Alexandroupoli a ordonné la levée de la rétention du requérant. Celui-ci a d’ailleurs été détenu pendant toute la période litigieuse au même poste-frontière, celui de Soufli. Dès lors, en saisissant la Cour le 2 novembre 2011, il a dûment respecté le délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention. Il convient donc de rejeter l’exception du Gouvernement à cet égard.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    42.  Le requérant se plaint du fait que sa condition de mineur n’a pas été prise en compte lors de sa mise en détention au poste-frontière de Soufli. Il se plaint aussi des conditions de sa détention dans ce poste. Il allègue une violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

    Article 3

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    Article 13

    « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

    A.  Sur la recevabilité

    1.  Arguments des parties

    43.  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter le grief tiré de l’article 3 pour non-épuisement des voies de recours internes.

    En premier lieu, selon lui, le requérant avait la possibilité d’introduire contre la décision d’expulsion du 20 novembre 2010 un recours hiérarchique et, en cas de rejet de celui-ci, un recours en annulation devant le tribunal administratif, ainsi qu’un recours en sursis à exécution de la mesure d’expulsion ou une demande d’ordre provisoire tendant à éviter son renvoi immédiat. Le sursis à exécution de la mesure d’expulsion aurait, indique-t-il, entraîné la levée de la rétention. Or, le requérant n’a tenté aucun de ces recours.

    En deuxième lieu, le Gouvernement se prévaut du fait que le requérant a omis d’exercer une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, combiné avec l’article 3 de la Convention. Il souligne que la jurisprudence des tribunaux grecs donne une issue favorable à ce type de recours lorsque des détenus ont pâti de la violation de dispositions du code pénitentiaire.

    44.  Le Gouvernement, se prévaut, en outre, de l’arrêt Housein c. Grèce (no 71825/11, 24 octobre 2013) et souligne que les articles 5 § 2 de la décision ministérielle no 400/2009 relative à l’exécution des décisions administratives d’expulsion d’étrangers, 13 § 6 b) du décret présidentiel no 114/2010 relatif aux réfugiés et 97 du décret no 141/1991 relatif à la compétence des organes du ministère de l’Ordre public et applicable aux centres de rétention d’étrangers garantissent des droits invocables en justice aux fins d’une action fondée sur l’article 105 précité.

    45.  Le requérant rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle les recours susmentionnés devant le tribunal administratif, mentionnés par le Gouvernement, ont été considérés par elle comme non accessibles et ineffectifs en matière de rétention (R.U. c. Grèce, no 2237/08, 7 juin 2011 ; A.A. c. Grèce, no 12186/08, 22 juillet 2010 ; Tabesh c. Grèce, no 8256/07, 26 novembre 2009 ; S.D. c. Grèce, no 53541/07, 11 juin 2009). Il rappelle aussi que la Cour a considéré que la brochure informative relative aux droits des personnes en rétention ne pouvait pas être considérée comme contenant des informations suffisantes concernant les recours contre ladite rétention (Mahmundi et autres c. Grèce, no 14902/10, 31 juillet 2012, et Rahimi c. Grèce, no 8687/08, 5 avril 2011).

    46.  Quant à l’action en dommages-intérêts prévue par l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, le requérant souligne que la seule possibilité d’une indemnisation à l’exclusion de toutes autres mesures ne peut pas être considérée comme un recours effectif. Le requérant soutient que les articles mentionnés par le Gouvernement et qui pourraient être invoqués en combinaison avec l’article 105 sont vagues, car ils ne précisent pas les conditions dans lesquelles les mineurs devaient être détenus dans des centres qui leur seraient appropriés. En outre, il rappelle qu’il se plaint de l’ensemble de sa période de rétention, en tant que mineur et en tant qu’adulte. Le requérant souligne aussi que la procédure relative à une telle action est extrêmement longue : cinq ans en moyenne en première instance. Enfin, elle ne lui était pas accessible, car l’acte introductif d’instance devait être rédigé par un avocat et déposé au tribunal administratif et il n’était pas prévu d’aide judiciaire à cet égard. Par ailleurs, les subventions accordées par le Fonds européen pour les réfugiés à des organisations comme le Conseil hellénique des réfugiés ne suffisent pas pour financer l’introduction d’actions fondées sur l’article 105.

    2.  Appréciation de la Cour

    47.  La Cour souligne que l’article 35 § 1 doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. Par ailleurs, la règle qu’il énonce ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également du contexte juridique et politique dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle des requérants (Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, § 110, 22 octobre 2009 ; Vučković et autres c. Serbie [GC], nos 17153/11 etc., § 76, 25 mars 2014).

    48.  La Cour convient d’entrée avec le requérant que le recours hiérarchique contre la décision d’expulsion du 20 novembre 2010, le recours en annulation devant le tribunal administratif, le recours en sursis à exécution de la mesure d’expulsion et la demande d’ordre provisoire tendant à éviter son renvoi immédiat ne constituaient pas, dans les circonstances de la cause, des recours à exercer préalablement à la requête : lors de son arrestation et à la date de l’adoption des décisions de mise en rétention et d’expulsion des 17 et 20 novembre 2010, le requérant a été enregistré, de manière erronée, comme étant adulte. L’erreur a été rectifiée le 17 décembre 2010 grâce à l’intervention du Conseil hellénique des réfugiés. Toutefois, le tuteur légal du requérant en tant que mineur - le procureur selon l’article 19 du décret no 220/2007 - n’a introduit aucun recours contre la rétention.

    49.  La Cour note que le 5 février 2011, lorsque le requérant a atteint l’âge de la majorité, voire même le 9 mars 2011, lorsque le procureur a été informé par les autorités du poste-frontière de la majorité du requérant, le délai de cinq jours prescrit par l’article 77 de la loi no 3386/2005 pour contester la décision d’expulsion était déjà écoulé depuis longtemps. Elle relève aussi que le 18 avril 2011, le requérant a présenté, par l’intermédiaire du Conseil hellénique des réfugiés, des objections contre sa rétention devant le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli, ce qui a abouti à sa mise en liberté le 4 mai 2011.

    50.  La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle, du point de vue de l’épuisement des voies de recours internes, la situation peut être différente entre une personne qui a été détenue dans des conditions prétendument contraires à l’article 3 et qui saisit la Cour alors qu’elle est en liberté et un individu qui la saisit alors qu’il est toujours détenu dans les conditions qu’il dénonce (Housein, précité, § 55).

    51.  La Cour rappelle que dans l’arrêt Housein précité, elle avait accueilli l’exception de non-épuisement du Gouvernement au motif que les articles 5 § 2 de la décision ministérielle no 400/2009 relative à l’exécution des décisions administratives d’expulsion d’étrangers, 13 § 6 b) du décret présidentiel no 114/2010 relatif aux réfugiés et 97 du décret no 141/1991 relatif à la compétence des organes du ministère de l’Ordre public consacraient un droit pour les mineurs en voie d’expulsion à ne pas, dans la mesure du possible, être mis en rétention, ou, autrement, à être placés dans des centres spéciaux afin d’être séparés des adultes dans la même situation qu’eux. La Cour a reconnu que ces dispositions garantissaient un droit dont l’invocabilité en justice n’était pas douteuse et constituaient un fondement juridique solide sur lequel une action en vertu de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil aurait pu être tentée en l’espèce (ibid. § 62).

    52.  Toutefois, la Cour considère que la présente affaire doit être distinguée de l’affaire Housein, en ce que dans cette dernière le requérant était mineur pendant toute la durée de sa rétention. Dans la présente affaire, du 15 novembre 2010, date de son arrestation, au 17 décembre 2010, date de la rectification de l’erreur quant à l’année de sa naissance, le requérant a été traité en tant qu’adulte. A partir de cette dernière date, en dépit de la reconnaissance de sa minorité, le procureur compétent en sa qualité de tuteur de celui-ci, n’a pas fait le nécessaire pour le placer dans une structure adaptée aux mineurs et n’a pas non plus introduit un recours contre la rétention au poste-frontière de Soufli. Ainsi, le requérant a été détenu en tant qu’adulte pendant l’ensemble de la période litigieuse. La Cour appliquera donc sa jurisprudence bien établie en la matière sans distinguer une période avant la majorité et une après celle-ci.

    53.  À cet égard, Cour rappelle qu’un recours indemnitaire sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil pour cause de conditions de détention inhumaines et dégradantes dans les centres de rétention pour étrangers n’offre pas de chances raisonnables de succès et n’apporte, par nature, aucun redressement approprié sur le moment (A.F. c. Grèce, no 53709/11, §§ 59 et 61, 13 juin 2013). Elle a ainsi déjà conclu que nonobstant le fait qu’un requérant n’ait pas fait usage de la voie suggérée par le Gouvernement, en l’état actuel de la jurisprudence nationale son grief ne saurait être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes (de los Santos et de la Cruz, précité, § 37).

    54.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime devoir rejeter l’exception du Gouvernement relative au non-épuisement des voies de recours internes.

    55.  La Cour constate, en outre, que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    56.  Le Gouvernement se réfère à sa version des conditions de détention dans le poste-frontière de Soufli (paragraphes 28-31 ci-dessus). Il soutient que les autorités ont pris toutes les mesures prévues par les conventions internationales et la législation interne pertinente relativement à l’accueil et à l’internement du requérant, en tenant dûment compte de sa minorité lorsque celle-ci s’est révélée.

    57.  Le requérant se réfère à sa propre version (paragraphes 23-27 ci-dessus) ainsi qu’aux constats du CPT faits dans sa déclaration publique concernant la Grèce du 15 mars 2011 et dans son rapport du 10 janvier 2012. Il souligne que son intérêt supérieur en tant que mineur n’a jamais été pris en considération et qu’il a notamment été maintenu en rétention au lieu d’être transféré dans une auberge de jeunesse.

    58.  En ce qui concerne les principes généraux concernant l’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 90-94, CEDH 2000-XI ; Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 67-68, CEDH 2001-III ; Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002-VI ; Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 97, 24 janvier 2008 ; Tabesh, précité, §§ 34-37; Rahimi, précité, §§ 59-62 ; R.U. c. Grèce, précité, §§ 54-56 ; A.F. c. Grèce, précité, §§ 68-70 ; et de los Santos et de la Cruz, précités, § 43).

    59.  En l’occurrence, la Cour souligne qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention, à plusieurs reprises, dans des affaires relatives aux conditions de détention d’étrangers dans des postes-frontière grecs, et notamment dans ceux de Feres et Soufli (S.D. c. Grèce, précité ; M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, 21 janvier 2011 ; R.U. c. Grèce, précité ; A.F. c. Grèce, précité ; B.M. c. Grèce, précité ; F.H. c. Grèce, no 78456/11, 31 juillet 2014).

    60.  La Cour relève en l’espèce que le requérant a été détenu pendant plus de cinq mois au poste-frontière de Soufli. La Cour a pris note des constats concernant ce poste-frontière effectués par le CPT (dans son rapport du 10 janvier 2012 et dans sa déclaration publique du 15 mars 2011), le représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (à la suite de la visite effectuée du 29 septembre au 1er octobre 2010), la Commission nationale des droits de l’homme et le médiateur de la République (à la suite de leur visite effectuée du 18 au 20 mars 2011) (paragraphe 38 ci-dessus). Il en ressort que rien n’avait changé, lors du séjour du requérant dans ce poste-frontière, par rapport à la situation relevée dans les arrêts précités.

    61.  Dans ces circonstances, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument susceptible de contredire ces constats et pouvant mener dans la présente espèce à une conclusion différente de celle à laquelle elle est parvenue dans les affaires précitées.

    62.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la détention du requérant s’analyse en un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention et qu’il y a donc eu en l’espèce violation de cette disposition.

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION COMBINÉS EN RAISON DE L’ABSENCE D’UN RECOURS EFFECTIF POUR SE PLAINDRE DES CONDITIONS DE DÉTENTION

    63.  Invoquant l’article 3 de la Convention combiné avec l’article 13 de la Convention, le requérant dénonce l’absence d’un recours effectif pour se plaindre de ses conditions de détention.

    A.  Sur la recevabilité

    64.  Constatant que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

    B.  Sur le fond

    65.  Le Gouvernement expose que les étrangers en voie d’expulsion reçoivent une brochure explicative, rédigée dans leur langue maternelle ou dans une langue qu’ils comprennent, qui précise que leurs éventuels griefs relatifs à leurs conditions de détention peuvent être soumis au supérieur hiérarchique de l’autorité de police. Le requérant disposait donc selon lui de cette possibilité. Par ailleurs, le requérant disposait contre son maintien en rétention d’un recours effectif, dont il a fait usage : il a présenté des objections devant le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli, qui les a accueillies et a ordonné la levée de la mesure. Le Gouvernement fournit aussi huit autres décisions du tribunal administratif d’Alexandroupoli ayant reconnu le caractère inapproprié des conditions de détention et ordonné le transfert des intéressés dans d’autres lieux de détention.

    66.  Le Gouvernement souligne, en outre, que le 19 décembre 2010, le requérant avait donné un pouvoir à deux avocats du Conseil hellénique des réfugiés pour présenter des objections contre sa rétention. Or, ceux-ci ne l’ont fait que le 18 avril 2011, soit quatre mois plus tard. Pour le Gouvernement, si les avocats avaient agi plus tôt, le requérant aurait été libéré bien avant le 4 mai 2011.

    67.  Le requérant soutient que le droit interne ne prévoit pas explicitement un « recours effectif » qu’un migrant interné pourrait utiliser pour se plaindre de ses conditions de détention. L’article 76 de la loi no 33886/2005 (tel que modifié par l’article 55 de la loi no 3900/2010) ne précise pas expressément qu’un interné peut se plaindre de ses conditions de détention au moyen des objections présentées au président du tribunal administratif ou qu’il peut demander sa libération ou son transfert vers un autre centre de rétention. Cet article n’impose non plus aucune obligation au président d’examiner un grief relatif aux conditions de détention soulevé devant lui. Examiner ou non un tel grief relève du pouvoir discrétionnaire du président. Le requérant affirme, en outre, que la jurisprudence du tribunal administratif d’Alexandroupoli ne respecte pas le principe de la sécurité juridique en la matière. Pour nuancer l’effet persuasif des décisions produites par le Gouvernement, le requérant produit d’autres décisions du même tribunal (datant de 2011) laissant sans réponse des griefs tirés des conditions de détention ou déclarant ne pas pouvoir les examiner.

    68.  Le requérant se réfère aussi à certaines observations produites devant le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe par l’International Commission of Jurists et par le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés au sujet de l’exécution de l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité. Ces organisations exprimaient en février 2013 leur préoccupation face au manque persistant d’une disposition expresse garantissant un contrôle juridictionnel de tous les aspects de la légalité de la rétention, y compris des conditions de détention. Elles soulignaient le caractère ineffectif du recours prévu par l’article 76 précité, en raison de l’impossibilité pour les détenus de bénéficier de l’aide judiciaire pour l’exercer, du manque de personnel adéquat, de l’absence d’assistance sociale et de l’absence de contrôle des conditions de détention.

    69.  La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’article 13 de la Convention garantit l’existence de recours internes permettant l’examen de tout « grief défendable » fondé sur la Convention et l’octroi d’un redressement approprié. À ce titre, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur impose cette disposition, et la portée de cette obligation varie en fonction de la nature du grief que le requérant tire de la Convention. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 de la Convention doit être « effectif » en pratique comme en droit (McGlinchey et autres c. Royaume-Uni, no 50390/99, § 62, CEDH 2003-V).

    70.  En premier lieu, la Cour rappelle que dans son arrêt A.A. c. Grèce (précité, § 45), elle a jugé que la saisine du supérieur hiérarchique de la police, évoquée par le Gouvernement, ne pouvait pas être considérée comme une voie de recours effective au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Elle a d’abord relevé que la notice qui était fournie aux intéressés, qui mentionnait cette possibilité, n’indiquait pas la procédure selon laquelle le chef de la police pourrait être saisi ni le type de plaintes qui pouvaient lui être soumises. Aucune information n’était du reste donnée quant à la question de savoir si le chef de la police était tenu de répondre à une plainte et, dans l’affirmative, dans quel délai.

    71.  En second lieu, la Cour note qu’à la date à laquelle le tribunal administratif a examiné les objections du requérant, à savoir le 4 mai 2011, les lois qui, selon le Gouvernement, ont étendu l’ampleur du contrôle opéré par le juge administratif pour y inclure les conditions de détention, étaient déjà en vigueur : il s’agit de la loi no 3900/2010, entrée en vigueur le 1er janvier 2011, et de la loi no 3907/2011, entrée en vigueur le 21 janvier 2011.

    72.  La Cour considère que lorsqu’un individu formule une allégation défendable de violation de l’article 3 de la Convention, la notion de recours effectif implique, de la part de l’État, des investigations approfondies et effectives pour mettre un terme à la situation supposément à l’origine de la violation (voir, mutatis mutandis, Egmez c. Chypre, no 30873/96, § 65, 21 décembre 2000).

    73.  Or, si le tribunal administratif a finalement décidé, par une motivation de cinq lignes, la mise en liberté du requérant, c’est seulement en relevant la possibilité que celui-ci avait de se rendre en Allemagne, où il avait un frère (paragraphe 21 ci-dessus). En revanche, il ne s’est livré à aucune analyse des conditions de détention du requérant, alors que celui-ci soulignait dans ses objections que pendant plus de cinq mois il n’avait eu accès à aucune promenade ni même « vu la lumière naturelle », et qu’il invoquait aussi les constats faits par le CPT dans sa déclaration publique du 15 mars 2011 ainsi que par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne dans son rapport du 8 mars 2011.

    74.  Quant à la date à laquelle le requérant a présenté ses objections, la Cour relève que jusqu’au 5 février 2011 date de sa majorité, voire jusqu’au 9 mars 2011, lorsque les autorités du poste-frontière de Soufli ont informé le procureur que le requérant était devenu majeur et qu’il devait être exclu de la procédure de l’article 19 du décret no 220/2007, le requérant dépendait, pour toute démarche judiciaire ou autre à entreprendre, du procureur - qui, selon l’article 19 précité, aurait dû être désigné et agir comme tuteur légal. Dans ces conditions, le fait que le requérant ait présenté ses objections le 18 avril 2011 ne saurait être considéré comme un facteur pertinent, en l’espèce, dans l’appréciation de l’effectivité de ce recours.

    75.  Dès lors, la Cour considère que le recours exercé par le requérant sur le fondement de l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005 ne lui a pas assuré, en l’espèce, un redressement approprié, car par-delà sa remise en liberté, le tribunal n’a pas répondu à ses griefs relatifs aux conditions de détention.

    76.  Il y a donc eu violation de l’article 13 de la Convention, combiné avec l’article 3.

    IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

    77.  Le requérant se plaint, d’une part, que son arrestation et sa mise en rétention ont méconnu sa qualité de mineur non accompagné n’encourant pas d’autre reproche que son séjour illégal dans le pays d’accueil et, d’autre part, qu’après qu’il a atteint l’âge de la majorité les autorités l’ont maintenu en rétention sans entreprendre aucune démarche pour l’expulser. Il allègue une violation de l’article 5 § 1 de la Convention qui se lit ainsi :

    « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

    (...)

    f)  s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

    78.  Le Gouvernement soutient que le recours prévu dans les lois no 3907/2011 et no 3386/2004 était effectif et accessible au requérant, mais que celui-ci a tardé, de manière injustifiée, à présenter ses objections devant le tribunal administratif. La rétention du requérant, du 15 novembre 2010 au 4 mai 2011, était compatible avec l’article 5 § 1, car elle a eu lieu en application du droit interne (articles 76 et 83 de la loi no 3386/2005). La rétention d’un étranger dans le cadre d’une procédure d’expulsion administrative, qui ne peut en aucun cas dépasser six mois, ne constitue pas une peine, mais une mesure administrative pour assurer l’exécution de la décision d’expulsion. Or, cette mesure était nécessaire en l’espèce, car le requérant était entré clandestinement dans le pays, n’avait pas de papiers d’identité - de sorte que son identité présumée n’était qu’une identité déclarée - et n’avait pas non plus de résidence connue en Grèce. Par conséquent, son arrestation et son séjour au poste-frontière de Soufli pour un laps de temps minimum nécessaire à l’accomplissement des formalités d’expulsion étaient proportionnés au but légitime poursuivi, estime le Gouvernement.

    79.  Le requérant rétorque que les autorités n’ont pas agi de bonne foi dans son cas. En dépit des dispositions de la législation interne relatives au transfert des mineurs non accompagnés dans des centres spéciaux, il a été détenu pendant deux mois et demi environ dans le poste-frontière de Soufli avec des adultes et dans des conditions dégradantes sans que son intérêt supérieur soit pris en compte. Même lorsque l’erreur d’enregistrement de son âge a été rectifiée, il a été maintenu dans les mêmes conditions qu’avant sans que les autorités aient envisagé à un quelconque moment de l’envoyer dans un centre spécial pour mineurs ou dans une auberge de jeunesse.

    80.  Le requérant souligne aussi que même lorsqu’il a atteint l’âge adulte, aucune mesure n’a été prise pour le renvoyer en Irak, que ce fût directement ou via la Turquie.

    81.  La Cour rappelle qu’il ressort de la jurisprudence relative à l’article 5 § 1 f) que pour ne pas être taxée d’arbitraire, la mise en œuvre d’une mesure de détention doit se faire de bonne foi ; elle doit aussi être étroitement liée au but consistant à empêcher une personne de pénétrer irrégulièrement sur le territoire ; en outre, les lieux et conditions de détention doivent être appropriés ; enfin, la durée de la détention ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (Mahmundi et autres c. Grèce, no 14902/10, § 94, 31 juillet 2012).

    82.  En l’espèce, la Cour note que le requérant, mineur non accompagné, a été arrêté le 15 novembre 2010 et placé en rétention dans le poste-frontière de Soufli, où il est resté jusqu’au 4 mai 2011. La privation de liberté du requérant était fondée sur l’article 76 de la loi no 3386/2005 et visait à garantir la possibilité de procéder à son expulsion. La Cour rappelle sur ce point que l’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour empêcher l’intéressé de commettre une infraction ou s’enfuir (voir Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 112, Recueil 1996-V).

    83.  La Cour note que du 15 novembre au 17 décembre 2010, le requérant avait été enregistré en tant qu’adulte par les autorités. Les 19 novembre et 8 décembre 2010, le Conseil hellénique des réfugiés avait attiré l’attention des autorités sur l’existence d’une erreur dans la transcription de l’âge du requérant. Le 17 décembre 2010, rectifiant cette erreur, les autorités de police ont enregistré le requérant en tant que mineur non accompagné et l’ont soumis à la procédure de l’article 19 du décret no 220/2007, ce dont elles ont informé le procureur compétent. Le 21 décembre 2010, le procureur a ordonné que le requérant soit soumis à des examens médicaux aux fins de son placement dans une structure d’accueil adaptée aux mineurs.

    84.  Or, en dépit du fait que les autorités avaient l’obligation, selon la législation interne pertinente, de placer le requérant dans une telle structure, aucune initiative n’a été prise en ce sens. Le Gouvernement ne fournit aucune explication quant aux raisons que les autorités ont persisté, à partir du 3 janvier 2011 lorsque l’examen médical du requérant a eu lieu, à le détenir dans le poste-frontière au lieu de chercher des solutions alternatives de placement. Le Gouvernement ne fournit aucun élément permettant de constater même une ébauche de contact à cet effet avec les organismes compétents pendant toute la période du 3 janvier au 9 mars 2011 date à laquelle les autorités du poste-frontière de Soufli ont informé le procureur de la majorité du requérant et de la fin de la procédure de l’article 19 du décret no 220/2007.

    85.  De plus, après le 9 mars 2011, date à laquelle le requérant a été exclu des dispositions protectrices de l’article 19 précité (qui avaient, entre autres, entraîné la suspension de la procédure d’expulsion), les autorités n’ont entrepris aucune mesure pour le renvoyer. Alors que le requérant était démuni de titre de voyage, les autorités n’ont pas pris contact avec l’ambassade irakienne à Athènes pour lui en procurer un. En outre, le 22 novembre 2010, une procédure de renvoi du requérant vers la Turquie avait été engagée, selon les dispositions de l’article 6 de la loi no 3030/2002 et devait être complétée dans un délai de trois mois (paragraphe 11 ci-dessus). Ce délai ayant expiré le 21 février 2011, le requérant ne pouvait plus faire l’objet d’un renvoi en Turquie tant que les autorités n’avaient pas réengagé cette procédure après que le requérant ait atteint l’âge de la majorité. Or, jusqu’à la date de la décision du tribunal administratif, elles ne l’avaient pas fait.

    86.  Compte tenu du fait que le requérant n’a pas été placé dans une structure d’accueil adaptée aux mineurs, conformément à la législation applicable, ainsi que de l’impossibilité de l’expulser pendant sa minorité et de l’absence de démarches des autorités pour le faire après que celui-ci ait atteint l’âge de la majorité, la Cour conclut que la détention du requérant n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention et qu’il y a eu violation de cette disposition.

    V.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

    87.  Invoquant l’article 5 §§ 2 et 4 de la Convention, le requérant se plaint de n’avoir pas eu personnellement accès à la procédure de formulation des objections à la rétention devant le tribunal administratif et, de manière générale, des insuffisances de la loi no 3386/2005 en matière de contrôle juridictionnel de la rétention.

    88.  La Cour note que le requérant, assisté du Conseil hellénique des réfugiés, a pu saisir le tribunal administratif et contester la légalité de sa rétention, et que ce tribunal a ordonné sa mise en liberté. Elle rappelle aussi qu’elle a toujours examiné le grief formulé sous l’angle de l’article 5 § 2 dans les affaires de ce type comme faisant partie du grief plus général relatif à l’article 5 § 4.

    89.  La Cour ne relève aucune apparence de violation des droits invoqués par le requérant. La Cour conclut donc que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    VI.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    90.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    91.  Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

    92.  Le Gouvernement estime que la somme réclamée est excessive, compte tenu des circonstances de l’espèce et de la crise financière que traverse actuellement la Grèce. Elle représenterait l’équivalent de deux ans de salaire.

    93.  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 8 500 EUR au titre du préjudice moral.

    B.  Frais et dépens

    94.  Le requérant, qui a bénéficié de l’assistance judiciaire devant la Cour, ne demande aucune somme au titre des frais et dépens.

    C.  Intérêts moratoires

    95.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3, pris isolément et combiné avec l’article 13, et de l’article 5 § 1 et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3, combiné avec l’article 13 de la Convention ;

     

    4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

     

    5.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 8 500 EUR (huit mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    b)  qu’à compter de l’expiration de ce délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 décembre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

       Søren Nielsen                                                               Isabelle Berro-Lefèvre
            Greffier                                                                              Présidente

     


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