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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> KARAOSMANOGLU AND OZDEN v. TURKEY - 4807/08 - Chamber Judgment (French text) [2014] ECHR 626 (17 June 2014) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/626.html Cite as: [2014] ECHR 626 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE KARAOSMANOĞLU ET ÖZDEN c. TURQUIE
(Requête no 4807/08)
ARRÊT
STRASBOURG
17 juin 2014
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Karaosmanoğlu et Özden c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
Işıl Karakaş,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Egidijus Kūris,
Robert Spano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 mai 2014,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 4807/08) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet État, MM. Mehmet Selçuk Karaosmanoğlu et Hasan Hüseyin Özden (« les requérants »), ont saisi la Cour le 18 janvier 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants ont été représentés par Mes A. Sürücü et M. Sürücü, avocats à İzmir. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le 21 novembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Les requérants sont nés respectivement en 1951 et en 1959 et résident à İzmir. À l’époque des faits, ils étaient respectivement maire et maire adjoint de la ville d’Urla.
5. Le 24 avril 2005, la ville d’Urla vendit à la société ÜRİT, par voie d’appel d’offres, un terrain municipal dont elle était propriétaire à hauteur de 95 %. La chambre régionale de l’agriculture introduisit une action en annulation de cette vente ; cette action fut rejetée par le tribunal administratif d’İzmir le 9 février 2006.
6. Entre-temps, le 30 mai 2005, la société ÜRİT avait accordé à la société ETAŞ le marché relatif à la construction d’un centre d’affaires sur le terrain municipal acquis.
7. Le 26 janvier 2007, un incendie se déclara dans les locaux de la société ÜRİT. À la suite de la parution d’articles dans la presse locale qualifiant de volontaire cet incendie - lequel aurait été provoqué aux fins de destruction de preuves de malversations lors de la passation de marchés publics -, le procureur de la République d’Urla ouvrit une enquête.
8. Dans le cadre de l’enquête préliminaire, un inspecteur du ministère de l’Industrie et du Commerce (« l’inspecteur ») fut désigné pour procéder à des vérifications. Le rapport préliminaire présenté par l’inspecteur le 1er mai 2007 révéla certaines irrégularités dans le cadre de la procédure de passation du marché pour le centre d’affaires.
9. Le 4 mai 2007, sur requête du procureur de la République, le juge d’instance pénale d’Urla (« le juge ») autorisa, en vertu de l’article 135 du code de procédure pénale (« le CPP »), l’écoute des lignes téléphoniques de plusieurs personnes soupçonnées d’être impliquées dans des malversations, dont les requérants.
10. Le 14 juillet 2007, le juge prit la décision, sur le fondement de l’article 153 du CPP, de limiter l’accès des suspects et de leurs avocats au dossier d’enquête pour éviter de compromettre le bon déroulement de celle-ci.
11. Le même jour, la ville d’Urla accorda le marché public concernant un nouveau projet urbain à un consortium de trois sociétés. À la suite de la parution d’articles dans la presse locale quant à des irrégularités qui auraient également été commises dans le cadre de ce marché public, le procureur de la République ouvrit une enquête qu’il joignit à la première.
12. Le 30 juillet 2007, les requérants furent arrêtés.
13. Le même jour, le juge rejeta les demandes de mise en liberté et de levée de la restriction d’accès au dossier d’enquête formulées par les requérants.
14. Le 31 juillet 2007, le juge écarta à nouveau la demande de remise en liberté des intéressés.
15. Les 1er et 2 août 2007, les requérants furent interrogés par la police, en présence de leurs avocats, sur les accusations portées contre eux ainsi que sur les déclarations de coaccusés les mettant en cause et sur les constats de l’inspecteur. Ils furent également interrogés sur le contenu de conversations téléphoniques interceptées qui mettaient en évidence un certain nombre de concertations et collusions les impliquant. L’ensemble de ces informations fut transcrit dans le procès-verbal d’interrogatoire.
16. Le 2 août 2007, les requérants furent traduits devant le juge qui ordonna leur placement en détention provisoire compte tenu de la nature des infractions reprochées (à savoir, fraude en matière de passation de marchés publics et association de malfaiteurs), de l’état des preuves, ainsi que du risque d’altération de celles-ci et de pressions sur les témoins. L’opposition formée contre cette décision fut rejetée le 7 août 2007.
17. Dans l’intervalle, le 6 août 2007, le requérant M. S. Karaosmanoğlu avait été provisoirement démis de ses fonctions de maire par le ministère de l’Intérieur.
18. Au cours de l’enquête, les requérants demandèrent à plusieurs reprises leur élargissement. Les 6 août, 13 août, 17 août, 31 août, 24 septembre, 1er octobre, 4 octobre, 26 octobre et 8 novembre 2007, statuant sur dossier, le juge écarta les demandes d’élargissement des intéressés en prenant en compte plusieurs des motifs suivants : la nature et la qualification des infractions reprochées ; l’état des preuves ; l’ampleur de l’enquête ; l’absence d’élément nouveau permettant la levée des mesures de détention provisoire ; le fait que les preuves n’avaient pas encore été recueillies, notamment le rapport d’expertise qui n’avait pas encore été versé au dossier ; et le risque d’altération des preuves. Le juge mentionna aussi les risques de pressions sur les témoins et de fuite. Les oppositions formées contre les décisions des 13 août et 24 septembre 2007 furent respectivement écartées le 21 août et le 24 septembre 2007, après un examen sur dossier, en raison de la persistance des motifs précités.
19. L’inspecteur remit son rapport le 27 septembre 2007.
20. Le 31 octobre 2007, un contrôleur du ministère de l’Intérieur remit également un rapport. Le 2 novembre suivant, il rendit un rapport complémentaire.
21. Le 16 novembre 2007, les requérants furent inculpés des chefs de fraude aux règles de passation de marchés publics, de constitution et de participation à une association de malfaiteurs et de détournement de biens publics. Le requérant H. H. Özden fut également inculpé pour tentative de corruption passive. Trente-cinq autres personnes furent inculpées pour des infractions similaires.
22. Le 30 novembre 2007, la cour d’assises autorisa la mise en accusation et le procès commença devant cette juridiction.
Étant donné la nature des infractions reprochées et l’état des preuves, la cour d’assises décida de maintenir la détention des requérants en application de l’article 100 §§ 2 a) et b) et 3 c) du CPP, en raison d’un risque de fuite, d’un risque d’altération des preuves et de pressions sur des témoins, victimes ou autres personnes, ainsi que d’une présomption légale quant à l’existence des motifs de détention.
23. Le 28 décembre 2007, la cour d’assises rejeta les demandes d’élargissement des requérants et ordonna leur maintien en détention, compte tenu de la nature des infractions reprochées, de l’état des preuves, des peines encourues et des motifs de détention.
24. Le 22 janvier 2008, la cour d’assises tint sa première audience. À cette occasion, elle entendit les requérants, ainsi que onze autres accusés détenus, en leur défense. À l’issue de cette audience, elle ordonna la libération de dix coaccusés des requérants. Concernant en revanche ces derniers, compte tenu de la nature et de la qualification des infractions reprochées, de l’état des preuves et du fait que celles-ci n’avaient pas été entièrement recueillies, elle décida de les maintenir en détention provisoire en application de l’article 100 §§ 1 et 2 b) 1. et 2. du CPP, en raison de forts soupçons quant à la commission des infractions et d’un risque d’altération des preuves et de pressions sur les témoins, victimes ou autres personnes.
25. Le 25 janvier 2008, la cour d’assises, statuant sur dossier, rejeta l’opposition formée par les requérants contre sa décision de maintien en détention.
26. Le 19 février 2008, les avocats des requérants demandèrent l’élargissement de leurs clients, au besoin contre une caution. L’avocat du requérant M. S. Karaosmanoğlu indiqua que son client disposait d’un travail et d’un domicile fixe et qu’à ce titre il n’y avait pas de risque de fuite de sa part. Il soutint que toutes les preuves avaient été recueillies et versées au dossier et qu’il n’y avait pas de risque d’altération de celles-ci. De même, il allégua l’absence d’un quelconque risque de pressions sur les témoins, victimes ou autres personnes.
27. Le 20 février 2008, la cour d’assises rejeta la demande d’élargissement des requérants au vu de la nature des infractions, de l’état des preuves, des peines encourues et des motifs de détention.
28. Lors de la deuxième audience tenue le 12 mars 2008, la cour d’assises poursuivit l’audition des accusés, et elle procéda notamment à l’audition d’une coaccusée des requérants qui était jugée libre et qui avait fait des déclarations incriminant ces derniers. À l’issue de cette audience, elle décida de libérer les requérants sous caution, compte tenu de la période passée par eux en détention et au motif que les preuves avaient été en grande partie recueillies. Elle fixa le montant de la caution à 10 000 livres turques (soit environ 5 250 euros) pour chacun des requérants.
Par ailleurs, à la suite de l’invalidation par les juridictions administratives de la révocation du requérant M. S. Karaosmanoğlu (paragraphe 17 ci-dessus), ce dernier fut réintégré dans ses fonctions le 25 décembre 2008.
En outre, le 2 juin 2010, le tribunal administratif d’İzmir rejeta une action en annulation qui avait été intentée contre la décision de la ville d’Urla du 14 juillet 2007 d’accorder un marché public concernant un nouveau projet urbain à un consortium de trois sociétés (paragraphe 11 ci-dessus).
29. Le 13 mars 2012, la cour d’assises reconnut les requérants coupables de fraude aux règles de passation du marché public du 30 mai 2005 (paragraphe 6 ci-dessus) et elle les condamna à quatre ans et deux mois d’emprisonnement. De plus, elle considéra que les faits qui leur étaient reprochés pour les accuser de détournement de biens publics relevaient en fait d’abus de pouvoir commis dans l’exercice de leurs fonctions. Elle condamna en conséquence les intéressés pour abus de pouvoir et elle leur infligea une peine d’un an, dix mois et quinze jours d’emprisonnement assortie d’un sursis à exécution. Les requérants furent acquittés des autres chefs d’inculpation retenus contre eux.
30. Les requérants formèrent un pourvoi en cassation contre cette décision. Ce pourvoi est pendant à ce jour.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
31. Selon l’article 3 h) de la loi no 4483 relative à la poursuite des agents de la fonction publique, l’autorisation du ministère de l’Intérieur est nécessaire pour l’ouverture d’une enquête pénale contre un maire.
Cependant, l’article 17 de la loi no 3628 relative à la lutte contre la corruption et les malversations dispose que pour certaines infractions, dont celle de fraude en matière de passation de marchés publics - cette infraction étant reprochée en l’espèce aux requérants -, les dispositions de la loi relative à la poursuite des agents de la fonction publique ne s’appliquent pas.
32. L’article 235 § 1 du code pénal (« le CP ») tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits punissait la fraude aux règles de passation des marchés publics (İhaleye fesat karıştırma) de cinq à dix ans d’emprisonnement.
33. Selon l’article 220 du CP, la constitution d’une association de malfaiteurs (Suç işlemek amacıyla örgüt kurma) est punie de deux à six ans d’emprisonnement. Le fait d’être membre d’une telle association est puni d’un à trois ans d’emprisonnement.
34. L’article 247 du CP dispose que le détournement de biens publics (Zimmet) est puni de cinq à douze ans d’emprisonnement. La peine est augmentée de moitié lorsque le délit est commis au moyen de manœuvres visant à la dissimulation du détournement.
35. L’article 252 du CP punit la corruption (Rüşvet) de quatre à douze ans d’emprisonnement.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION
36. Les requérants allèguent la violation de l’article 5 §§ 1 c), 3, 4 et 5 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;
(...)
3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »
A. Sur l’exception préliminaire du Gouvernement
37. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, en deux branches.
38. Les requérants contestent les arguments du Gouvernement.
1. Première branche de l’exception
39. Le Gouvernement indique que les articles 141 et suivants du CPP prévoient l’indemnisation des personnes détenues illégalement et que les requérants n’ont pas fait usage de ce recours.
40. La Cour estime nécessaire d’examiner cette branche de l’exception uniquement au regard des griefs tirés de l’article 5 § 4 de la Convention concernant l’absence de comparution devant un juge (paragraphe 69 ci-dessous) et de l’article 5 § 5 de la Convention (paragraphe 81 ci-dessous), le restant des griefs étant irrecevable pour les motifs exposés ci-après (paragraphes 48-75).
41. Pour autant que cette exception concerne l’article 5 § 5 de la Convention, la Cour note que des questions étroitement liées à l’examen du bien-fondé de ce grief sont soulevées. Elle décide donc de joindre cette partie de l’exception au fond.
42. Pour autant que cette exception se rapporte au grief tiré de l’absence de comparution devant un juge, la Cour estime que le fait d’exiger des requérants d’introduire un recours en dommages-intérêts modifierait la nature de la garantie offerte par le paragraphe 4 de l’article 5 de la Convention. En effet, il convient de relever que les requérants se plaignent de l’absence d’un recours effectif pour contester leur maintien en détention provisoire - grief qui relève de l’article 5 § 4 de la Convention - alors que le moyen avancé par le Gouvernement concerne le droit d’obtenir réparation à raison d’une détention et se rapporte ainsi à l’article 5 § 5 de la Convention.
43. La Cour rappelle que le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue à bref délai sur la légalité d’une détention et ordonne, le cas échéant, la libération en cas d’illégalité de la détention se distingue de celui de recevoir un dédommagement pour pareille détention (Smatana c. République tchèque, no 18642/04, § 122, 27 septembre 2007). En l’occurrence, elle note que le recours invoqué par le Gouvernement ne vise pas à la cessation d’une détention mais qu’il a pour seule finalité l’octroi d’une indemnité ; le recours en question ne peut donc être considéré comme un remède efficace en l’espèce.
44. De plus, la Cour relève que les articles 141 et suivants du CPP - tels qu’ils étaient en vigueur à l’époque des faits - ne prévoyaient pas la possibilité de demander la réparation d’un préjudice subi à raison de l’absence d’un recours effectif pour contester la détention provisoire.
45. Par conséquent, la Cour rejette cette branche de l’exception préliminaire pour autant qu’elle se rapporte au grief tiré de l’absence de comparution devant un juge.
2. Deuxième branche de l’exception
46. S’agissant des griefs formulés par les requérants et tirés de l’absence de comparution devant un juge pendant une période de cent soixante-douze jours et de la limitation d’accès aux preuves ayant servi de fondement au placement et au maintien en détention litigieux (paragraphe 69 ci-dessous), le Gouvernement soutient que leur présentation est prématurée puisque la procédure interne est toujours pendante en droit interne et que les intéressés auraient toujours la possibilité de soumettre ces allégations à l’examen des juridictions internes.
47. La Cour note que tant la question de l’absence de comparution devant un juge que celle de l’accès aux preuves ayant servi de fondement au placement et au maintien de la détention des intéressés se réfèrent à une période donnée et à des décisions adoptées pendant cette période. Leur appréciation étant totalement distincte du fond de l’affaire, elle observe que le fait que la procédure soit toujours pendante n’empêche aucunement l’examen de ces questions dans le cadre de la présente requête. Partant, la Cour rejette aussi cette branche de l’exception préliminaire.
B. Sur l’article 5 § 1 c) de la Convention
48. Sur le terrain de l’article 5 § 1 c) de la Convention, les requérants dénoncent une absence de raisons plausibles de les soupçonner d’avoir commis les infractions reprochées. Ils soutiennent que leur placement et leur maintien en détention provisoire sont essentiellement fondés sur le rapport d’expertise établi par un inspecteur dont ils remettent en question l’indépendance et l’impartialité. Ils ajoutent que l’autorisation préalable du ministère de l’Intérieur est nécessaire pour l’ouverture d’une enquête pénale contre les maires et que cette autorisation n’a pas été obtenue, et ils considèrent que l’enquête et leur détention provisoire sont entachées d’illégalité.
49. Le Gouvernement allègue qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner les requérants d’avoir commis les infractions reprochées.
50. La Cour note d’abord que les requérants ont été arrêtés parce qu’ils étaient soupçonnés de fraude en matière de passation de marchés publics. Elle relève qu’il s’agit là d’une infraction pour laquelle l’article 17 de la loi no 3628 relative à la lutte contre la corruption et les malversations énonce une exception quant à la nécessité d’obtenir une autorisation préalable à l’ouverture d’une enquête pénale (paragraphe 31 ci-dessus). Aussi la Cour constate-t-elle que l’ouverture de l’enquête contre les requérants sans autorisation préalable du ministère de l’Intérieur et leur placement en détention sont sur ce point conformes au droit interne. Par ailleurs, s’agissant des allégations de manque d’indépendance et d’impartialité de l’inspecteur susmentionné, force est de constater qu’elles ne sont aucunement étayées.
51. Enfin, pour ce qui est de l’existence de raisons plausibles de soupçonner les intéressés de la commission des infractions reprochées, la Cour note que les autorités se sont appuyées sur des éléments de preuve concrets - tels que les écoutes téléphoniques, les déclarations de certains coaccusés et les irrégularités matérielles relevées lors de l’examen des documents par l’inspecteur -, ces éléments donnant à penser, aux yeux des autorités, que les intéressés avaient commis lesdites infractions. Elle observe aussi que, au terme de leur garde à vue, les requérants ont été placés en détention provisoire puis poursuivis et reconnus coupables de certains des faits qui leur étaient reprochés. En conséquence, la Cour estime que les requérants peuvent être considérés comme ayant été arrêtés et placés en détention sur la base de raisons plausibles de les soupçonner d’avoir commis une infraction pénale, au sens de l’article 5 § 1 c) de la Convention (Murray c. Royaume-Uni, 28 octobre 1994, § 63, série A no 300-A, Korkmaz et autres c. Turquie, no 35979/97, § 26, 21 mars 2006, et Süleyman Erdem c. Turquie, no 49574/99, §§ 39-40, 19 septembre 2006).
52. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
C. Sur l’article 5 § 3 de la Convention
53. Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de leur détention provisoire et dénoncent le caractère répétitif à leurs yeux des motifs retenus par les autorités judiciaires pour décider de leur maintien en détention provisoire, motifs dont ils contestent la pertinence. Ils considèrent que la question de leur maintien en détention provisoire n’a pas été dûment examinée.
54. Dans une lettre du 27 mai 2008, les requérants soutiennent que la cour d’assises n’a pas tenu compte de la situation économique de chacun d’entre eux lorsqu’elle a fixé le montant de la caution. Ils reprochent également aux autorités de n’avoir pas fait preuve de diligence dans la conduite de l’enquête et de la procédure. À cet égard, ils indiquent que l’acte d’accusation a été établi plusieurs mois après leur arrestation et qu’aucun acte d’enquête n’a été accompli pendant ce laps de temps.
55. Le Gouvernement estime que la nature et la qualification des infractions reprochées - à savoir, d’après lui, de graves infractions économiques -, la complexité de l’affaire et le nombre de personnes impliquées sont autant d’éléments qu’il faut prendre en considération pour évaluer la durée de la détention des requérants. Il ajoute que, au vu de l’existence d’un risque d’altération des preuves et de pressions sur les témoins et d’un risque de fuite, la durée de la détention provisoire des requérants ne peut être considérée comme excessive. Enfin, il estime que le montant de la caution fixée n’est pas de nature à constituer une charge excessive pour les intéressés.
56. Les requérants contestent l’existence de risques de fuite et d’altération des preuves. Ils indiquent que leur demande d’élargissement a été rejetée lors de l’audience du 22 janvier 2008 mais acceptée lors de l’audience du 12 mars 2008 alors qu’aucune preuve nouvelle n’aurait été présentée ou découverte entre ces deux dates. Ils font également remarquer que tout au long de l’enquête une restriction d’accès au dossier leur était imposée, à leurs avocats et eux-mêmes, et que, dans ces conditions, ils ne voient pas comment ils auraient pu altérer des preuves dont ils étaient censés ne pas avoir connaissance ou faire pression sur des témoins qu’ils étaient supposés ne pas connaître. Les intéressés expliquent enfin que, à l’exception du rapport d’expertise obtenu pendant le procès, toutes les preuves avaient été recueillies lors de la phase d’enquête. S’agissant du montant de la caution, ils soutiennent qu’il était disproportionné par rapport aux revenus du requérant H. H. Özden et que ce dernier a dû emprunter pour s’en acquitter.
57. En l’espèce, la Cour note que la période à considérer a débuté le 30 juillet 2007, avec l’arrestation des requérants, pour s’achever le 12 mars 2008, avec la remise en liberté des intéressés (paragraphes 12 et 28 ci-dessus). La détention provisoire des requérants a donc duré environ sept mois et demi.
58. La Cour rappelle qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. À cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et en rendre compte dans leurs décisions rejetant les demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits non controversés indiqués par l’intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 154, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII). La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention. Par ailleurs, au bout d’un certain temps, elle ne suffit plus. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 153, CEDH 2000-IV).
59. En l’espèce, la Cour relève que la question du maintien en détention provisoire des requérants a été régulièrement examinée par le juge d’instance pénale pendant la phase d’enquête et par la cour d’assises au cours du procès. Elle note que, pour décider du maintien en détention des intéressés, les juges se sont essentiellement fondés sur l’existence de forts soupçons quant à la commission des infractions reprochées, la nature de celles-ci, le fait que les preuves n’avaient pas été entièrement recueillies ainsi que sur un risque d’altération des preuves et de pressions sur les témoins ou autres personnes.
60. La Cour ne doute pas que des raisons plausibles de soupçonner les requérants d’avoir commis les infractions reprochées ont persisté tout au long de leur détention.
61. Quant aux autres motifs de détention, compte tenu notamment de la nature des infractions reprochées et du contenu des écoutes téléphoniques, la Cour est d’avis que les autorités judiciaires pouvaient légitimement estimer établie la persistance de risque d’altération des preuves.
62. Pour autant que les requérants se plaignent d’avoir été maintenus en détention entre les audiences tenues respectivement le 22 janvier 2008 et le 12 mars 2008 sans qu’il y ait eu aucun changement dans leur situation, la Cour note qu’à l’issue de la première audience la cour d’assises a décidé d’ordonner le maintien en détention des intéressés en application de l’article 100 §§ 1 et 2 b) 1. et 2. du CPP, compte tenu de la nature et de la qualification des infractions reprochées, de l’état des preuves et du fait que celles-ci n’avaient pas été entièrement recueillies. Elle observe que les paragraphes de cette disposition concernent l’existence de forts soupçons quant à la commission d’une infraction et un risque d’altération des preuves et de pressions sur les témoins, victimes ou autres personnes.
63. À ce titre, la Cour relève que la cour d’assises n’a pas indiqué quelles étaient les preuves qui n’avaient pas encore été réunies et qu’elle n’a pas non plus précisé quelles preuves pouvaient être altérées par les intéressés ni quelles personnes pouvaient être l’objet de pressions de la part de ces derniers.
64. La Cour note cependant que lors la deuxième audience, tenue le 12 mars 2008, la cour d’assises a décidé de libérer les requérants sous caution, compte tenu de la période passée par eux en détention et au motif que les preuves avaient été en grande partie recueillies. Elle constate que, à cette occasion, la cour d’assises a préalablement entendu une coaccusée des requérants qui était jugée libre et qui avait fait des déclarations incriminant ceux-ci (paragraphe 28 ci-dessus). La cour d’assises a ainsi ordonné la remise en liberté des requérants après la collecte des preuves.
65. Dès lors, la Cour considère que les motifs exposés par les autorités judiciaires pour maintenir les requérants en détention peuvent être considérés comme « pertinents » et « suffisants ». Étant donné que ces motifs ont subsisté tout au long de la détention provisoire des requérants et que la légalité de cette mesure a fait l’objet de réexamens multiples, l’on ne saurait reprocher aux tribunaux une certaine répétitivité dans la motivation de leurs décisions.
66. Reste à examiner la conduite de la procédure. À cet égard, bien que les requérants se plaignent d’un retard dans l’établissement de l’acte d’accusation, la Cour note que les intéressés ont été arrêtés le 30 juillet 2007, que l’acte d’accusation a été établi le 16 novembre 2007 - soit environ trois mois et demi après - et que, pendant cette période, plusieurs expertises ont été réalisées (paragraphes 19-20 ci-dessus). Aussi, la Cour n’aperçoit pas de raisons particulières de critiquer la conduite de l’affaire par les autorités compétentes.
67. Enfin, s’agissant du grief présenté par les requérants dans leur lettre du 27 mai 2008, la Cour considère qu’il n’est ni établi ni allégué que les intéressés avaient contesté devant les juridictions internes le montant de la caution fixée par celles-ci. De même, elle estime qu’il n’est pas non plus établi ou allégué que le requérant H. H. Özden n’avait pas effectivement été en mesure de payer cette caution.
68. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que la durée de la détention subie par les requérants ne peut être considérée comme étant excessive. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
D. Sur l’article 5 § 4 de la Convention
69. Invoquant l’article 13 de la Convention, les requérants se plaignent de l’absence d’un recours effectif pour examiner leur détention.
De plus, sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention, le requérant M. S. Karaosmanoğlu soutient que ses objections quant à l’absence d’autorisation préalable du ministère de l’Intérieur n’ont aucunement été prises en considération par les juges appelés à se prononcer sur sa détention provisoire.
En outre, les requérants indiquent que ni eux ni leurs avocats n’avaient accès au dossier jusqu’à l’autorisation de mise en accusation par la cour d’assises : selon eux, ils n’avaient donc pas accès aux preuves ayant servi de fondement à leur placement et maintien en détention provisoire, à la différence, d’après eux, du procureur de la République qui avait quant à lui accès au dossier d’enquête.
Enfin, sous l’angle de l’article 5 § 3 de la Convention, les requérants se plaignent de n’avoir plus comparu devant un juge pendant une période de cent soixante-douze jours après leur placement en détention provisoire.
La Cour estime opportun d’examiner l’ensemble de ces griefs sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention.
1. Sur la prise en compte des objections relatives à l’absence d’autorisation préalable du ministère de l’Intérieur
70. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 de la Convention n’entraîne pas pour le juge examinant un recours contre une détention l’obligation d’étudier chacun des arguments avancés par le plaignant. Toutefois, les garanties que prévoit cette disposition seraient vidées de leur sens si le juge, en s’appuyant sur le droit et la pratique internes, pouvait considérer comme dénués de pertinence, ou omettre de prendre en compte, des faits concrets invoqués par le détenu et susceptibles de jeter un doute sur l’existence des conditions indispensables à la « légalité », au sens de la Convention, de la privation de liberté (Nikolova c. Bulgaria [GC], no 31195/96, § 61 in fine, CEDH 1999-II).
71. Or, force est de constater qu’en l’espèce le premier requérant n’étaye son grief par aucun élément de preuve. En tout état de cause, la Cour note que la loi no 3628 relative à la lutte contre la corruption et les malversations prévoit expressément une exception quant à la nécessité d’obtenir une autorisation préalable du ministère de l’Intérieur pour l’ouverture d’une enquête pénale s’agissant de l’infraction reprochée audit requérant, à savoir l’infraction de fraude en matière de passation de marchés publics. Aussi, l’argument de l’intéressé n’étant pas susceptible de jeter un doute sur l’existence des conditions indispensables à la légalité de sa détention, la Cour considère que l’absence de prise en compte de cette objection ne saurait enfreindre l’article 5 § 4 de la Convention.
72. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
2. Sur la restriction d’accès au dossier d’enquête
73. La Cour relève que le 14 juillet 2007 le juge a décidé de limiter, sur le fondement de l’article 153 du CPP, l’accès des requérants et de leurs avocats au dossier d’enquête.
74. Elle note également que les décisions de placement et de maintien en détention provisoire des requérants reposaient essentiellement sur des écoutes téléphoniques, les déclarations de personnes mettant en cause les intéressés et le rapport préliminaire de l’inspecteur ; l’accès à ces documents revêtait donc une importance essentielle dans la contestation de la légalité de la détention des requérants. À cet égard, la Cour observe que, lors de leur audition par la police, les requérants, assistés par leurs avocats, ont été interrogés sur l’ensemble de ces éléments de preuves et que l’ensemble de ces informations a été transcrit dans le procès-verbal d’interrogatoire. Il apparaît ainsi que tant les requérants que leurs avocats - même si ce n’était pas dans des conditions identiques à celles dont a bénéficié le procureur de la République - ont suffisamment pris connaissance du contenu des éléments de preuve ayant servi de base aux placement et maintien en détention en cause et qu’ils ont eu ainsi la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs invoqués pour justifier la détention provisoire des intéressés (voir, en ce sens, Ceviz c. Turquie, no 8140/08, §§ 41-44, 17 juillet 2012).
75. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
3. Sur l’absence de comparution devant un juge
76. La Cour note que les requérants ont été placés en détention provisoire le 2 août 2007 au terme de leur audition par le juge d’instance pénale (paragraphe 16 ci-dessus). La prochaine comparution des intéressés devant un juge a eu lieu lors de la première audience, le 22 janvier 2008, soit après le début du procès. Elle constate que, pendant toute cette période, les intéressés n’ont pas comparu devant les juges appelés à se prononcer sur leur détention : tant leurs demandes d’élargissement que leur opposition ont été examinées sans qu’ils eussent comparu (paragraphes 18 et 25 ci-dessus).
77. La Cour rappelle que le droit d’être entendu par le juge saisi d’un recours contre la détention doit pouvoir être exercé à des intervalles raisonnables (Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 85, 28 octobre 2010). Lorsque la liberté personnelle est en cause, elle estime que l’écoulement d’un laps de temps sans comparution sur près de six mois - à l’instar de la situation dénoncée en l’espèce - ne permet pas de qualifier la durée en cause de « raisonnable » (voir, en ce sens, Erişen et autres c. Turquie, no 7067/06, § 53, 3 avril 2012).
78. Elle conclut donc à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention de ce chef.
4. Sur la non-communication de l’avis du procureur de la République lors de l’examen de l’opposition formée contre la décision de maintien en détention
79. Un grief tiré de la non-communication de l’avis du procureur de la République lors de l’examen de l’opposition formée par les requérants contre la décision de la cour d’assises de les maintenir en détention a été initialement communiqué au Gouvernement. Il ressort cependant de l’examen du dossier que ce grief n’a pas été soulevé. En effet, si les requérants allèguent une atteinte à l’égalité des armes entre eux et le procureur, ce n’est que dans le cadre de leur grief tiré de la restriction d’accès au dossier d’enquête.
80. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
E. Sur l’article 5 § 5 de la Convention
81. Invoquant l’article 5 § 5 de la Convention, les requérants se plaignent de l’absence d’un recours susceptible de leur permettre d’obtenir réparation en raison de leur détention qu’ils estiment avoir été contraire à l’article 5 de la Convention.
82. Le Gouvernement soutient que les requérants disposent du recours en indemnisation prévu par les articles 141 et suivants du CPP.
83. La Cour rappelle que le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 de l’article 5 de la Convention suppose qu’une violation de l’un des autres paragraphes de cette disposition ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002-X). En l’espèce, la Cour ayant conclu à la violation du paragraphe 4 de l’article 5 de la Convention, il reste à déterminer si les requérants disposaient de la possibilité de demander réparation pour le préjudice subi.
84. À ce titre, la Cour relève que l’article 141 du CPP prévoit la possibilité pour une personne ayant fait l’objet d’une mesure judiciaire de demander une indemnisation dans certains cas limitativement énoncés. Or, à la lecture de cette disposition telle qu’elle était en vigueur à l’époque des faits, la Cour observe qu’aucun des cas de figure énumérés ne prévoyait la possibilité de demander la réparation du préjudice subi en l’occurrence à raison de l’absence d’un recours susceptible de remédier au grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention. À cet égard, elle note que le Gouvernement est resté en défaut de produire une quelconque décision de justice relative à l’octroi d’une indemnité, sur le fondement de l’article 141 du CPP, à un justiciable qui se serait trouvé dans une situation identique à celle des requérants.
85. Partant, la Cour estime que l’action en indemnisation indiquée par le Gouvernement ne saurait constituer un recours effectif au sens de l’article 5 § 5 de la Convention. Elle rejette donc l’exception préliminaire du Gouvernement sur ce point et conclut à la violation de cette disposition.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
86. Invoquant l’article 14 de la Convention, les requérants se plaignent d’avoir été l’objet des mesures dénoncées par eux en raison - à leurs dires - de leur appartenance au parti de l’opposition.
87. La Cour a examiné ce grief tel qu’il a été présenté par les requérants. Compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose, elle n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ; ce grief est donc manifestement mal fondé et il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
88. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommages
89. Les requérants réclament chacun 1 613 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’ils disent avoir subi ; ils indiquent que cette somme correspond aux intérêts courus sur le montant de la caution payée par eux.
Au titre du préjudice moral, le requérant M. S. Karaosmanoğlu réclame 30 000 EUR et le requérant H. H. Özden 20 000 EUR.
90. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
91. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et elle rejette cette demande.
En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à chacun des requérants 750 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
92. Les requérants demandent également 7 240,82 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. À titre de justificatifs, ils fournissent un décompte horaire relatif aux honoraires de leurs avocats et un contrat de tarification relatif à des prestations de traduction.
93. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
94. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.
En l’espèce, et compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR tous frais confondus et l’accorde conjointement aux requérants.
C. Intérêts moratoires
95. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Joint au fond la première branche de l’exception préliminaire du Gouvernement, pour autant qu’elle concerne l’article 5 § 5 de la Convention, et la rejette ;
2. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 5 § 4 de la Convention à raison de l’absence de comparution des requérants devant les juges appelés à se prononcer sur leur détention et de l’article 5 § 5 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à raison de l’absence de comparution des requérants devant les juges appelés à se prononcer sur leur détention ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention ;
5 Dit
a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
i) 750 EUR (sept cent cinquante euros) à chacun des requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
ii) 1 000 EUR (mille euros) conjointement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens,
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 juin 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stanley Naismith Guido Raimondi
Greffier Président