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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ZIOUTA v. GREECE - 32247/10 - Committee Judgment (French Text) [2014] ECHR 645 (19 June 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/645.html
Cite as: [2014] ECHR 645

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE ZIOUTA c. GRÈCE

     

    (Requête no 32247/10)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    19 juin 2014

     

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Ziouta c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :

              Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Linos-Alexandre Sicilianos, juges,

    et de André Wampach, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 mai 2014,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 32247/10) dirigée contre la République hellénique et dont une ressortissante de cet État, Mme Kassiani Ziouta (« la requérante »), a saisi la Cour le 10 mai 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  La requérante a été représentée par Me G. Nikopoulos, avocat au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par la déléguée de son agent, Mme M. Germani, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État.

    3.  Le 8 décembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    A.  Les circonstances de l’espèce

    4.  La requérante est née en 1944 et réside à Thessalonique. Elle est propriétaire d’un terrain situé dans la région d’Évros.

    5. Le 12 mars 2001, la requérante saisit le Conseil d’État d’un recours en annulation d’une décision administrative déclarant une partie de sa propriété comme partie du littoral. Le 13 octobre 2006, elle compléta son recours en déposant un mémoire de « raisons additionnelles » (δικόγραφο πρόσθετων λόγων).

    6.  Après plusieurs ajournements de l’affaire entre 2002 et 2007, notamment les 13 septembre 2006 et 6 juin 2007, l’audience eut lieu le 26 septembre 2007.

    7.  Le 1er avril 2009, le Conseil d’État accepta le recours et annula la décision attaquée (arrêt no 1159/2009). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 11 novembre 2009.

    B.  Le droit interne pertinent

    La loi no 4055/2012

    8.  La loi no 4055/2012, intitulée « procès équitable et durée raisonnable », est entrée en vigueur le 2 avril 2012. Les articles 53 à 58 de la loi précitée introduisent un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable causé par la prolongation injustifiée d’une procédure administrative. L’article 55 § 1 dispose:

    « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...). »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

    9.  La requérante allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    A.  Sur la recevabilité

    10.  Le Gouvernement excipe du non-respect du délai de six mois, en soutenant notamment que la requête a été introduite le 1er juin 2010, date figurant sur le tampon d’accusé de réception apposé par le greffe de la Cour, soit plus de six mois après la mise au net de l’arrêt no 1159/2009 du Conseil d’État.

    11.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante à la date d’introduction de la présente requête, sauf l’existence de circonstances justifiant de décider autrement, la date à prendre en considération pour déterminer quand la Cour est saisie au sens de l’article 34 de la Convention était la date de la communication de la première lettre du requérant exposant - fût-ce sommairement - l’objet des griefs qu’il entendait soulever (article 48 § 5 du règlement de la Cour - voir, parmi beaucoup d’autres, Richard Roy Allan c. Royaume-Uni (déc.), no 48539/99, 28 août 2001), et non la date figurant sur le tampon d’accusé de réception apposé par le greffe de la Cour (Korkmaz c. Turquie (déc.), no 42589/98, 5 septembre 2002).

    12.  En l’occurrence, la Cour note que l’arrêt no 1159/2009 du Conseil d’État, décision interne définitive au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, a été mis au net et certifié conforme le 11 novembre 2009, date à partir de laquelle le requérant pouvait en obtenir copie. La Cour observe que le cachet de la poste apposé sur l’enveloppe contenant le formulaire de requête porte la date du 10 mai 2010 et le cachet de l’accusé de réception porte la date du 1er juin 2010. Il s’ensuit que la requête, introduite le 10 mai 2010, n’est pas tardive. Partant, il convient de rejeter l’exception du Gouvernement.

    13.  La Cour constate, en outre, que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    1. Période à prendre en considération

    14.  La période à considérer a débuté le 12 mars 2001, avec la saisine du Conseil d’État par la requérante et s’est terminée le 11 novembre 2009, date à laquelle l’arrêt no 1159/2009 a été mis au net et certifié conforme. Elle a donc duré huit ans et huit mois pour un degré de juridiction.

    2. Caractère raisonnable de la procédure

    15.  Le Gouvernement soutient que la requérante est responsable des retards dans le déroulement de la procédure. En particulier, il invoque le fait que la requérante a déposé un mémoire de « raisons additionnelles » devant le Conseil d’État le 13 octobre 2006, soit plus de cinq ans après le 12 mars 2001, date d’introduction de son recours devant la haute juridiction administrative. En outre, le Gouvernement allègue que l’avocat de la requérante a demandé l’ajournement de l’audience à deux reprises, soit les 13 septembre 2006 et 6 juin 2007.

    16.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce, no 50973/08, 21 décembre 2010).

    17.  La Cour a traité à maintes reprises des affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Vassilios Athanasiou et autres, précité).

    18.  Elle note que le laps de temps qui s’est écoulé entre le 12 mars 2001 et le 13 octobre 2006 ne peut être imputé à la requérante. En effet, la Cour constate que rien n’empêchait la haute juridiction administrative de procéder à l’examen de l’affaire sans attendre l’introduction dudit mémoire. Quant aux deux ajournements précités de l’affaire, elle considère qu’à supposer même que ceux-ci puissent être attribués à la requérante, il n’en demeure pas moins que même si on les déduit de la durée totale de la procédure, la période restant demeure excessive. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle considère qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse a été excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

    19.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

    20.  La requérante se plaint également du fait qu’en Grèce il n’existe aucun recours effectif pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Elle invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

    « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

    A.  Sur la recevabilité

    21.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    22.  La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000-XI).

    23.  Par ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que l’ordre juridique hellénique n’offrait pas aux intéressés un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée d’une procédure (voir, parmi beaucoup d’autres, Vassilios Athanasiou et autres, précité, §§ 33-35).

    24.  La Cour note que le 12 mars 2012 a été publiée la loi no 4055/2012 portant sur l’équité et la durée raisonnable de la procédure judiciaire, qui est entrée en vigueur le 2 avril 2012. En vertu des articles 53 suiv. de la loi précitée, un nouveau recours a été établi permettant aux intéressés de se plaindre de la durée de chaque instance d’une procédure administrative dans un délai de six mois à partir de la date de publication de la décision y relative (voir paragraphe 9 ci-dessous). Cependant, la Cour observe que cette loi n’a pas d’effet rétroactif. Par conséquent, elle ne prévoit pas un tel recours pour les affaires déjà terminées six mois avant son entrée en vigueur.

    25.  En l’espèce, l’arrêt no 1159/2009 du Conseil d’État a été publié le 1er avril 2009, à savoir plus de six mois avant l’entrée en vigueur de la loi n4055/2012. Partant, la requérante ne pouvait pas exercer ledit recours. Au vu des considérations qui précèdent, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en raison, à l’époque des faits, de l’absence en droit interne d’un recours qui aurait permis à la requérante d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 DE LA CONVENTION

    26.  Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint d’une violation de son droit au respect de ses biens, en raison de la durée excessive de la procédure.

    27.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, les répercussions patrimoniales négatives éventuellement provoquées par la durée excessive de la procédure s’analysent comme la conséquence de la violation du droit garanti par l’article 6 § 1 de la Convention et ne sauraient être prises en considération qu’au titre de la satisfaction équitable que l’intéressée pourrait, le cas échéant, obtenir à la suite du constat de cette violation (voir, parmi beaucoup d’autres, Michaïlidou et autres c. Grèce, no 21091/07, § 12, 12 mars 2009).

    28.  En l’occurrence, rappelant sa conclusion relative à l’article 6 § 1 de la Convention (voir paragraphe 20 ci-dessus), la Cour constate que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

    IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    29.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    30.  La requérante réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi.

    31.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

    32.  La Cour estime qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 6 500 EUR au titre du préjudice moral subi, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

    B.  Frais et dépens

    33.  La requérante demande également, facture à l’appui, 1 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

    34.  Le Gouvernement n’a pas pris position à cet égard.

    35.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).

    36.  En l’espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante 500 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû par elle à titre d’impôt.

    C.  Intérêts moratoires

    37.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de la durée excessive de la procédure et de l’absence de recours interne effectif à cet égard et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, les sommes suivantes :

    i)  6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par elle, pour frais et dépens ;

    b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 juin 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    André Wampach                                                        Mirjana Lazarova Trajkovska
      Greffier adjoint                                                                       
    Présidente


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