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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> PANETTA v. ITALY - 38624/07 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 778 (15 July 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/778.html
Cite as: [2014] ECHR 778

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE PANETTA c. ITALIE

     

    (Requête no 38624/07)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

     

    15 juillet 2014

     

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Panetta c. Italie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Işıl Karakaş, présidente,
              Guido Raimondi,
              András Sajó,
              Helen Keller,
              Paul Lemmens,
              Robert Spano,
              Jon Fridrik Kjølbro, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 juin 2014,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 38624/07) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante de nationalités française et italienne, Mme Laura Panetta (« la requérante »), a saisi la Cour le 24 août 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  La requérante a été représentée par Me G. Thuan dit Dieudonne, avocat à Strasbourg. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme E. Spatafora, et par sa coagente, Mme P. Accardo.

    3.  La requérante se plaint d’une inaction des autorités italiennes face à ses demandes visant à l’obtention du versement d’une pension alimentaire.

    4.  Le 18 avril 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    5.  Le gouvernement français, qui a reçu communication de la requête (article 36 § 1 de la Convention et article 44 § 1 a) du règlement de la Cour - « le règlement »), n’a pas souhaité exercer son droit d’intervenir dans la procédure.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    6.  La requérante est née en 1968 et réside à Wickerschwihr (Haut-Rhin).

    7.  La requérante était mariée à un ressortissant italien, M. N. Le 8 décembre 1994, le couple eut un enfant.

    8.  Par un jugement du 24 février 1998, le tribunal de grande instance de Colmar prononça le divorce des époux et fixa, à la charge de M. N., une contribution d’entretien mensuelle de 1 200 francs français (environ 182,94 euros - EUR), somme qui devait être indexée sur l’indice des prix à la consommation intitulé « ensemble des ménages (hors tabac) ». Le jugement de divorce fut inscrit dans les registres de l’état civil de la commune de Cinquefondi (Reggio de Calabre), en Italie.

    9.  Par un acte notarié du 24 mars 1998, les biens communs des époux furent partagés. M. N. obtint 230 000 francs français (environ 35 061 EUR).

    10.  En avril 1998, M. N. quitta la France et retourna vivre en Italie. À partir de décembre 1998, il cessa de payer la pension alimentaire.

    11.  La requérante tenta alors de faire exécuter le jugement du 24 février 1998 en s’adressant à la caisse d’allocations familiales du Haut-Rhin. Le dossier fut transmis à la sous-direction de la coopération internationale en droit de la famille et au bureau du recouvrement des créances alimentaires à l’étranger.

    12.  Le 18 février 1999, la requérante porta plainte contre M. N. pour abandon de famille auprès du parquet de Colmar. L’issue de cette plainte n’est pas connue.

    13.  Le 10 mars 2000, le ministère français des Affaires étrangères transmit le dossier au ministère italien de l’Intérieur, aux fins d’activation de la procédure nationale destinée à fournir l’assistance prévue par la Convention de New York de 1956 sur le recouvrement des aliments à l’étranger (ci-après, « la Convention de New York »).

    14.  Le 21 juin 2000, les autorités italiennes informèrent le ministère français des Affaires étrangères qu’elles avaient saisi la préfecture territorialement compétente afin de faire rechercher et d’entendre M. N.

    Celui-ci fut convoqué à la préfecture le 8 août 2000. Il indiqua ne pas remettre en cause le jugement rendu par le tribunal de Colmar mais déclara ne pas être en mesure de verser les aliments auxquels il était tenu car, à ses dires, il était sans emploi. Il ajouta qu’il se conformerait à son obligation d’entretien de son fils mineur dès que sa situation financière le permettrait.

    15.  Le 23 mars 2001, la caisse d’allocations familiales du Haut-Rhin transmit au ministère italien de l’Intérieur une attestation de la créancière et un état actualisé de la dette alimentaire.

    16.  Par une note du 26 juillet 2004, les carabiniers signalèrent que M. N. exerçait une activité de mécanicien automobile dans un garage dont il était le propriétaire. Les revenus de l’intéressé auraient été très bas. Sur la base de ces nouvelles informations, le 13 août 2004, la préfecture de Reggio de Calabre invita M. N. à se présenter pour des communications urgentes ; cette convocation resta sans suite.

    17.  Le 17 février 2005, l’avocat de l’État (avvocatura dello Stato) fut chargé d’entamer une action judiciaire visant à l’obtention de la reconnaissance (exequatur) du jugement du tribunal de grande instance de Colmar du 24 février 1998, et ce en vue du recouvrement de la créance de la requérante. M. N. fut convoqué à une audience, fixée au 28 février 2006. Il affirma ne pas s’opposer à la demande de reconnaissance du jugement du tribunal de Colmar mais insista sur son impossibilité de s’y conformer, et ce à cause - selon lui - de la précarité de sa situation financière.

    18.  Le 6 juin 2008, la brigade financière effectua des contrôles sur le patrimoine de M. N. qui, apparemment, se trouvait dans une situation économique modeste.

    19.  Par un arrêt du 27 janvier 2010, la cour d’appel de Reggio de Calabre déclara que les conditions nécessaires à la reconnaissance en Italie du jugement du tribunal de Colmar du 24 février 1998 étaient remplies. La cour d’appel précisa que l’action en justice contre M. N. avait été entamée le 9 décembre 2005 par le ministre de l’Intérieur, agissant en qualité d’institution intermédiaire au sens de la Convention de New York.

    20.  Le Gouvernement indique qu’après avoir obtenu cet arrêt le ministère italien de l’Intérieur a demandé à l’avocat de l’État d’entamer la procédure d’exécution forcée.

    21.  Selon les enquêtes menées par la police douanière et fiscale italienne, M. N. gérait une activité de réparation mécanique de véhicules automobiles située à Polistena (Reggio de Calabre) et, pour les années 2007, 2008 et 2009, il avait déclaré des revenus nets de 6 896 EUR, 1 558 EUR et 964 EUR respectivement. D’après ces mêmes enquêtes, il était propriétaire d’immeubles (bâtiments et terrains) dans les communes de Polistena et San Giorgio Morgeto et d’un terrain rapportant des revenus d’environ 530 EUR par mois.

    22.  Selon les informations fournies par la requérante le 28 novembre 2012, à cette date elle n’avait reçu aucun paiement de la part de son ex-mari. Entre-temps, le 16 novembre 2012, le ministère français des Affaires étrangères et européennes (nouvelle dénomination du « ministère français des Affaires étrangères ») avait demandé à la requérante un récapitulatif des sommes dues par le débiteur et lui avait conseillé de porter plainte en Italie pour abandon de famille. La requérante avait déclaré ne pas souhaiter entreprendre cette action judiciaire, faute selon elle de moyens financiers.

    23.  Selon les informations fournies par le Gouvernement le 19 février 2014, la procédure d’exécution était, à cette date, encore pendante.

    24.  Tout au long de la procédure, sur sollicitation de la requérante, le ministère français des Affaires étrangères et européennes a demandé des renseignements au ministère italien de l’Intérieur, l’invitant à tout mettre en œuvre pour donner exécution au jugement de divorce et appliquer la Convention de New York. La requérante elle-même a pris contact à plusieurs reprises avec l’administration italienne.

    25.  Selon les dires de la requérante, M. N. s’est remarié en Italie et vit avec sa nouvelle épouse et leurs trois enfants et, étant donné que sa nouvelle épouse serait sans emploi, il subvient tout seul aux besoins de sa nouvelle famille.

    II.  LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT

    26.  Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Convention de New York, de la loi no 218 du 31 mai 1995 (réforme du système italien de droit international privé) et de la loi no 89 du 24 mars 2001 (octroi d’une satisfaction équitable en cas de non-respect du principe de la « durée raisonnable » - ci-après, « la loi Pinto ») sont résumées dans l’arrêt K. c. Italie (no 38805/97, §§ 18-20, 20 juillet 2004).

    EN DROIT

    I.  OBSERVATION PRÉLIMINAIRE

    27.  À titre liminaire, la Cour observe que, même si c’est un tribunal français qui a accueilli la demande de pension alimentaire formée par la requérante, les autorités italiennes - puisqu’elles ont ratifié la Convention de New York - étaient tenues de faire exécuter la décision française et que, dans le cadre de cette obligation, elles ont agi de manière autonome. Par ailleurs, la Cour observe à ce propos que la procédure en cause n’était soumise à aucun contrôle des autorités françaises et que la requérante ne pouvait obtenir réparation de la part de l’État français en cas de négligence ou retard excessif dans l’exécution de la décision.

    En bref, la Cour constate que les griefs soulevés par la requérante relèvent de la juridiction de l’Italie sur le terrain de la Convention (K. c. Italie, précité, § 21).

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

    28.  La requérante se plaint d’une inaction des autorités italiennes face à ses demandes visant à l’obtention du versement de la pension alimentaire due par son ex-époux. Elle indique être une mère célibataire, fonctionnaire de l’État français, et elle affirme devoir rembourser un prêt immobilier et avoir dû faire appel à la solidarité familiale pour assurer des conditions de vie décentes à son enfant.

    Dans le formulaire de requête, la requérante invoque la Convention de New York et la Convention de la Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires, ainsi que l’article 5 du Protocole no 7 à la Convention, ainsi libellé :

    « Les époux jouissent de l’égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. Le présent article n’empêche pas les États de prendre les mesures nécessaires dans l’intérêt des enfants. »

    29.  Dans ses observations en réponse du 9 décembre 2013, la requérante considère en outre que son affaire devrait être examinée sous l’angle de l’article 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, le non-versement de la pension alimentaire ayant selon elle porté atteinte à sa vie familiale et à son droit au respect de ses biens. En particulier, l’État défendeur n’aurait pas satisfait à ses obligations positives dans ces domaines.

    La requérante estime que la requête devrait être à nouveau communiquée au Gouvernement avec l’ajout des griefs tirés de ces deux dispositions, qui se lisent ainsi :

    Article 8 de la Convention

    « 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

    2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

    Article 1 du Protocole no 1 à la Convention

    « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

    Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

    30.  Le Gouvernement conteste la thèse de la requérante.

    31.  La Cour considère que les doléances de la requérante se prêtent à un examen tout d’abord sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes en l’espèce, est ainsi libellé :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    A.  Sur la recevabilité

    1.  Sur la question de l’épuisement des voies de recours internes

    32.  Le Gouvernement relève qu’aux termes de l’article 6 de la Convention de New York l’institution intermédiaire est appelée à prendre, au nom du créancier, toutes les mesures propres à assurer le recouvrement des aliments. Il s’ensuit, pour le Gouvernement, que le créancier est le bénéficiaire de la procédure d’exécution forcée ; en cas de durée excessive, ledit créancier serait le sujet titulaire du droit d’introduire une action en dédommagement en vertu de la loi Pinto.

    33.  La requérante fait observer qu’il existait au départ, devant le tribunal de grande instance de Colmar, un différend entre elle et son ex-mari au sujet de la pension alimentaire et qu’il a été résolu par le jugement du 24 février 1998 (paragraphe 8 ci-dessus). Elle indique que le différend objet de la présente requête porte, quant à lui, sur l’exécution du jugement du 24 février 1998 par les autorités italiennes. Sur ce point, elle avance que, d’après la Convention de New York, les autorités italiennes étaient responsables du recouvrement et que par conséquent elle-même n’était pas partie à cette procédure d’exécution. La requérante ajoute que, dans l’affaire K. c. Italie (précitée, §§ 26-29), une exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement au regard de la loi Pinto a, selon elle, été rejetée précisément pour une raison identique.

    34.  Dans la mesure où les observations du Gouvernement pourraient être interprétées comme soulevant une exception de non-épuisement des voies de recours internes, la Cour rappelle que, dans l’affaire K. c. Italie précitée, elle a observé que, selon la Convention de New York, les autorités italiennes étaient responsables du recouvrement des créances alimentaires et que le créancier n’était pas partie à la procédure judiciaire en Italie. Elle rappelle aussi que, dans le cadre de cette même affaire, le Gouvernement n’avait pas démontré qu’un requérant qui n’était pas partie à la procédure interne, même si affecté par celle-ci, pouvait valablement introduire un recours sur le fondement de la loi Pinto.

    35.  La Cour constate que, dans le cadre de la présente requête, le Gouvernement n’a fourni aucun élément susceptible de remettre en question les conclusions auxquelles elle est parvenue dans l’affaire K. c. Italie précitée. En particulier, le Gouvernement n’a fourni aucun exemple d’affaires dans lequel un recours fondé sur la loi Pinto aurait été tenté avec succès par rapport à la durée excessive d’une procédure de recouvrement d’une créance alimentaire entamée en vertu de la Convention de New York.

    36.  Dans ces circonstances, l’exception de non-épuisement du Gouvernement ne saurait être retenue.

    2.  Sur l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention

    37.  Quant à la question de savoir si l’article 6 de la Convention trouve à s’appliquer à la procédure en cause, la Cour observe que, même si la requérante n’était pas partie à la procédure judiciaire en Italie, celle-ci était néanmoins déterminante pour ses « droits et obligations de caractère civil » car les possibilités pour l’intéressée de recouvrer sa créance alimentaire dépendaient de l’issue de cette procédure (W.K. c. Italie (déc.), no 38805/97, 25 juin 2002). La Cour note également que le Gouvernement n’a pas contesté l’applicabilité de cette disposition en l’espèce (voir, mutatis mutandis, K. c. Italie, précité, §§ 30-31, et Matrakas et autres c. Pologne et Grèce, no 47268/06, § 149, 7 novembre 2013).

    3.  Sur l’exception du Gouvernement tirée du défaut de la qualité de victime de la requérante

    38.  Dans ses observations complémentaires du 19 février 2014, le Gouvernement excipe pour la première fois du défaut de la qualité de victime de la requérante. Il fait observer que, d’après une attestation du 21 janvier 2001 signée par la requérante elle-même, l’intéressée reçoit depuis longtemps de la caisse d’allocations familiales du Haut-Rhin une allocation de soutien familial à titre d’avance sur la pension non versée par son ex-époux, et il soutient que, dès lors, elle se serait engagée à faire parvenir à la caisse d’allocations familiales tout règlement émanant du débiteur. Il s’ensuit, pour le Gouvernement, que la caisse d’allocations familiales, et non la requérante, dispose du droit de recouvrer la créance.

    39.  La Cour relève que le grief de la requérante porte sur la durée de la procédure pour la reconnaissance en Italie du jugement du tribunal de grande instance de Colmar du 24 février 1998, et ce en vue du recouvrement de la créance de la requérante. La Cour vient par ailleurs de conclure que cette procédure était déterminante pour les « droits et obligations de caractère civil » de l’intéressée (paragraphe 37 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour est d’avis que la requérante est la personne directement et personnellement affectée par la durée en cause, et ce indépendamment du fait que des institutions publiques françaises aient pu lui verser des sommes d’argent à titre de prestations sociales.

    40.  Il s’ensuit que la requérante peut se prétendre « victime », au sens de l’article 34 de la Convention, des faits qu’elle dénonce, et que l’exception du Gouvernement ne saurait être retenue.

    4.  Autres motifs d’irrecevabilité

    41.  Constatant de surcroît que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Arguments des parties

    a)  La requérante

    42.  La requérante considère que l’article 6 de la Convention a été violé pour deux raisons. En premier lieu, elle déclare qu’il y a eu une inexécution prolongée d’un jugement définitif rendu par les juridictions françaises. Elle fait observer que M. N. était le propriétaire du garage où il travaillait comme mécanicien, qu’il possédait des immeubles situés dans les communes de Polistena et San Giorgio Morgeto et un terrain lui rapportant des revenus mensuels de 530 EUR et qu’il avait reçu environ 35 000 EUR à la suite de l’acte notarié de partage des biens communs. Elle allègue de plus qu’il subvient seul aux besoins de sa famille actuelle qui serait composée de quatre membres. Elle considère par conséquent que son ex-mari est en mesure de payer la pension alimentaire pour son fils, s’élevant à 182,94 EUR par mois, et que l’argument du Gouvernement selon lequel le défaut d’exécution du jugement était dû à une insuffisance des revenus de M. N. ne saurait être retenu.

    43.  Selon la requérante, les autorités italiennes ont agi de mauvaise foi : elles auraient classé son affaire pendant des années et n’auraient entamé aucune démarche jusqu’à la communication de la présente requête. Pour la requérante, l’État italien avait l’obligation positive de mettre en place un système effectif assurant l’exécution des décisions judiciaires définitives rendues dans les litiges entre personnes privées. De plus, la requérante soutient que les autorités italiennes devaient l’assister en agissant en son nom et pour son compte, en application de la Convention de New York, et qu’elles n’ont fait preuve d’aucune diligence à cet égard et n’ont pas pris en compte l’enjeu du litige pour elle-même et pour son fils qui était mineur pendant la période en cause.

    44.  En second lieu, la requérante estime que la procédure d’exécution a été excessivement longue. Elle indique que celle-ci aurait commencé le 10 mars 2000, lorsque le ministère français des Affaires étrangères a transmis l’affaire au ministère italien de l’Intérieur (paragraphe 13 ci-dessus), et qu’elle était à la date des dernières informations fournies par le Gouvernement - à savoir le 19 février 2014 - encore pendante (paragraphe 23 ci-dessus). La requérante considère que la durée globale de cette procédure ne saurait passer pour raisonnable. De plus, soutenant que de nombreux retards se sont produits et faisant observer qu’elle n’était pas partie à la procédure, elle estime qu’elle ne saurait être tenue pour responsable d’aucun de ces retards. Elle ajoute que l’affaire n’aurait présenté aucune complexité et que son objet aurait appelé une célérité particulière.

    b)  Le Gouvernement

    45.  Le Gouvernement fait remarquer que le problème en l’espèce semble consister en une insuffisance des revenus de M. N., lequel n’aurait pu faire face à son obligation de contribuer à l’entretien de son fils.

    2.  Appréciation de la Cour

    46.  La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie en fonction des circonstances particulières de la cause. En l’espèce, ces circonstances commandent une évaluation globale, de sorte que la Cour considère qu’il n’est pas utile d’examiner la question en détail (voir, notamment, Obermeier c. Autriche, 28 juin 1990, § 72, série A no 179, Ferraro c. Italie, 19 février 1991, § 17, série A no 197-A, et K. c. Italie, précité, § 34).

    47.  La Cour observe en l’occurrence que la procédure en cause a commencé le 10 mars 2000, date à laquelle le ministère français des Affaires étrangères a transmis au ministère italien de l’Intérieur le dossier concernant l’affaire de la requérante, et ce aux fins d’activation de la procédure nationale destinée à fournir l’assistance prévue par la Convention de New York (paragraphe 13 ci-dessus). En effet, cette transmission était la première démarche à effectuer pour que l’affaire fût portée devant une juridiction italienne (K. c. Italie, précité, § 35).

    48.  La Cour observe aussi que ce n’est que le 17 février 2005, soit plus de quatre ans et onze mois plus tard, que l’avocat de l’État a été chargé d’entamer une action judiciaire visant à l’obtention de la reconnaissance du jugement du tribunal de grande instance de Colmar du 24 février 1998 (paragraphe 17 ci-dessus). Elle relève que cette longue période d’inactivité demeure sans explication. En outre, elle note que la procédure devant la cour d’appel de Reggio de Calabre ne s’est terminée que le 27 janvier 2010, date du prononcé de l’arrêt déclarant que les conditions nécessaires à la reconnaissance en Italie du jugement du tribunal de Colmar du 24 février 1998 étaient remplies (paragraphe 19 ci-dessus) : cette procédure s’est donc étalée sur un peu moins de cinq ans, ce qui est manifestement excessif eu égard à l’absence de complexité de l’affaire et au fait que M. N. ne s’était pas opposé à la demande de reconnaissance du jugement (paragraphe 17 ci-dessus). Enfin, s’agissant de la procédure d’exécution forcée, la Cour note qu’elle était, à la date des dernières informations fournies par le Gouvernement (à savoir le 19 février 2014 - paragraphe 23 ci-dessus), encore pendante.

    49.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime qu’une durée globale de treize ans et onze mois ne saurait en l’espèce passer pour raisonnable. Par ailleurs, cette durée ne peut en aucune manière être imputée à la requérante, celle-ci ayant au contraire, à plusieurs reprises, sollicité l’examen de son affaire auprès des autorités françaises et italiennes.

    50.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

    51.  Cette conclusion dispense la Cour d’examiner si la disposition en question a également été violée pour cause de non-exécution d’un jugement ayant coulé en force de chose jugée.

    III.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

    52.  Comme indiqué plus haut (paragraphes 28 et 29 ci-dessus), la requérante estime que l’impossibilité de recouvrer sa créance alimentaire a également violé l’article 8 de la Convention, ainsi que l’article 1 du Protocole no 1 et l’article 5 du Protocole no 7 à la Convention.

    53.  Eu égard à sa conclusion sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 50 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner la recevabilité et/ou le fond des griefs tirés de l’article 8 de la Convention, de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 5 du Protocole no 7 à la Convention.

    IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    54.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommages

    55.  La requérante réclame 46 714,47 EUR au titre du préjudice matériel qu’elle dit avoir subi. Elle indique que, eu égard à sa situation financière, l’enjeu de la procédure revêt une importance extrême pour elle, de même que pour son fils. Elle considère que le retard dans l’exécution du jugement du tribunal de grande instance de Colmar a privé d’objet utile la décision du juge français étant donné qu’elle n’a pas pu obtenir le versement de la pension alimentaire pendant quinze ans. Elle précise que, cette pension s’élevant à 182,94 EUR par mois, la somme totale de 33 289,20 EUR lui serait due, somme à laquelle viendrait s’ajouter la somme de 13 425,27 EUR au titre des intérêts légaux.

    56.  La requérante demande également 20 000 EUR au titre du préjudice moral qu’elle estime avoir subi. Elle soutient que la situation dénoncée a suscité pour elle, ainsi que pour son fils, des sentiments de désarroi et d’angoisse.

    57.  Le Gouvernement fait observer que toute somme pouvant être obtenue par la requérante pour dommage matériel devrait en tout cas être restituée à la caisse d’allocations familiales du Haut-Rhin. Il indique également que la perception par la requérante de l’allocation de soutien familial s’opposerait « aussi aux prétentions fondées sur le retard » formulées par l’intéressée.

    58.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette par conséquent cette demande. Elle observe notamment que la procédure d’exécution forcée à l’encontre de M. N. était, à la date des dernières informations fournies par le Gouvernement, encore pendante et que la requérante aura la possibilité d’obtenir le versement de la pension alimentaire à l’issue de cette instance. En revanche, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 18 750 EUR au titre du préjudice moral.

    B.  Frais et dépens

    59.  La requérante demande également 200 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 2 392 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

    60.  Le Gouvernement n’a pas présenté d’observations sur ce point.

    61.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, et compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 2 500 EUR tous frais confondus et l’accorde à la requérante.

    C.  Intérêts moratoires

    62.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner la recevabilité et/ou le fond des griefs tirés de l’article 8 de la Convention, de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 5 du Protocole no 7 à la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

    i)  18 750 EUR (dix-huit mille sept cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

    ii)  2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens,

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 juillet 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                     Işıl Karakaş
            Greffier                                                                              Présidente


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