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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> TCACI v. THE REPUBLIC OF MOLDOVA - 3473/06 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 781 (15 July 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/781.html
Cite as: [2014] ECHR 781

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE TCACI c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

     

    (Requête no 3473/06)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

    STRASBOURG

     

    15 juillet 2014

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Tcaci c. République de Moldova,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Josep Casadevall, président,
              Alvina Gyulumyan,
              Ján Šikuta,
              Luis López Guerra,
              Johannes Silvis,
              Valeriu Griţco,
              Iulia Antoanella Motoc, juges,
    et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 juin 2014,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 3473/06) dirigée contre la République de Moldova et dont un ressortissant de cet État, M. Maxim Tcaci (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 janvier 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me A. Tufan, avocat à Chișinău. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. L. Apostol.

    3.  Devant la Cour, le requérant soutient qu’il a été maltraité en détention par des policiers et que l’enquête menée relativement à ses allégations n’a pas été effective. Il estime en outre que son droit à un procès équitable a été méconnu en ce que ses aveux, qui lui auraient été arrachés sous la contrainte, ont été admis comme preuve au procès pénal.

    4.  Le 12 décembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant est né en 1984 et est détenu à Rezina.

    A.  Les allégations de mauvais traitements

    6.  Le 30 mars 2005, les autorités internes arrêtèrent le requérant et P.B., soupçonnés de plusieurs vols, du meurtre d’un policier et de tentative de meurtre sur deux autres policiers. Le requérant fut notamment interpellé vers 14 heures et puis placé dans les locaux de détention provisoire (Izolator de detenție provizorie (IDP)) du commissariat général de police de Chişinău. Il y fut détenu jusqu’au 18 mai 2005, date à laquelle il fut transféré dans un établissement pénitentiaire.

    7.  Selon un extrait du registre médical de l’IDP, l’infirmier de cet établissement a examiné le requérant le 30 mars 2005 et a noté que l’intéressé ne présentait pas de symptômes.

    8.  Par une lettre du 14 avril 2005, la mère du requérant se plaignit auprès du Procureur général de la République de Moldova qu’il lui était interdit de transmettre de la nourriture et des vêtements à son fils. Elle indiquait également redouter que son fils « souffrît beaucoup », car, à plusieurs reprises, des policiers lui auraient dit qu’il ne survivrait pas jusqu’à son procès.

    9.  Dans une lettre rédigée à l’attention du Procureur général, datée du 15 avril 2005, K.P., un citoyen indien indiquait avoir été détenu dans l’IDP entre le 25 mars et le 13 avril 2005 et avoir été témoin, pendant cette période, de mauvais traitements infligés au requérant. Il soutenait notamment que le requérant avait été reconduit, couvert de bleus, dans sa cellule autour du 30 mars 2005. Il ajoutait que les policiers venaient régulièrement, tôt le matin, chercher le requérant, qu’il l’entendait ensuite crier et que, à son retour dans la cellule, il présentait des traces de violences sur le dos, la poitrine, les mains et les jambes. Selon K.P., les policiers ne permettaient au requérant de s’asseoir que sur le sol en béton de la cellule. Enfin, toujours selon K.P., le requérant lui avait dit que les policiers avaient introduit une bouteille dans son anus. À la fin de la lettre, K.P. indiquait son adresse en Inde.

    Sur la lettre en question ne figure aucun cachet ou autre mention prouvant qu’elle ait été postée et/ou qu’elle ait été reçue par le Procureur général. Selon la version du Gouvernement, le nom du destinataire n’a pas été écrit par l’auteur de la lettre, mais ajouté par une autre personne, car l’écriture en serait différente de celle du corps de la lettre.

    10.  Par une lettre du 22 avril 2005, le parquet général informa la mère du requérant que son fils n’avait fait l’objet d’aucune action illégale de la part des policiers.

    11.  Le 6 mai 2005, la mère du requérant demanda avec insistance au Procureur général que son fils fût transféré de l’IDP dans un établissement pénitentiaire.

    12.  Par une lettre du 25 mai 2005, le parquet général informa la mère du requérant que son fils avait été transféré dans l’établissement pénitentiaire no 3 de Chișinău (« l’établissement pénitentiaire »). Il y répétait que le requérant n’avait fait l’objet d’aucune action illégale de la part des policiers.

    13.  Selon une attestation médicale délivrée le 13 janvier 2006 par son médecin traitant, le requérant était somatiquement en bonne santé à la date de son dernier examen, effectué le 14 décembre 2004.

    14.  En février, mars et mai 2006, la mère du requérant demanda à plusieurs reprises aux autorités d’autoriser l’examen de son fils par des médecins.

    15.  Le 15 mai 2006, un médecin chirurgien de l’hôpital pénitentiaire examina le requérant et établit que ce dernier présentait un ostéophyte (excroissance osseuse) sur le tibia droit.

    B.  La procédure pénale dirigée contre le requérant

    16.  Entre-temps, le 30 mars 2005, de 19 h 20 à 20 h 30, le procureur en charge de l’affaire avait interrogé le requérant en présence d’un avocat commis d’office. À l’issue de l’interrogatoire, le requérant avait signé des aveux partiels. Il reconnaissait en particulier le fait d’avoir volé avec P.B. deux pistolets dans un club de tir et d’avoir ouvert le feu lorsque des policiers avaient tenté de les arrêter. Il indiquait également avoir fait les aveux sans aucune contrainte physique ou psychique.

    17.  À des dates non spécifiées, le requérant et P.B. avaient également reconnu, pendant l’instruction de l’affaire, avoir commis deux vols, organisé une bande armée et préparé le meurtre des civils afin de s’emparer de leur argent. Le requérant avait en outre avoué avoir commis deux escroqueries.

    18.  À une date non spécifiée, le parquet avait déféré l’affaire à la cour d’appel de Chișinău. Le réquisitoire comprenait dix chefs d’accusation à l’encontre du requérant, à savoir vols, escroqueries, organisation de bande armée, préparation du meurtre des civils, meurtre d’un policier et tentative de meurtre sur deux autres policiers.

    19.  Devant la cour d’appel, le requérant, assisté par un avocat de son choix, avait reconnu les faits reprochés, à l’exception des deux escroqueries et de la planification du meurtre des civils. P.B. avait également nié le fait d’avoir planifié le meurtre des civils.

    20.  Le 8 décembre 2005, la cour d’appel de Chişinău avait jugé le requérant coupable de toutes les infractions incriminées. S’agissant des deux escroqueries, elle avait admis comme preuve, d’une part, les aveux faits par le requérant lors de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, les déclarations de victimes, entendues par l’autorité de poursuite et par elle-même, ainsi que les plaintes pénales de celles-ci. Quant à la planification du meurtre des civils, elle s’était appuyée sur les aveux faits par le requérant et P.B. lors de l’enquête pénale, sur les déclarations de victimes potentielles, faites y compris en audience, et sur un procès-verbal d’examen des lieux. Pour ce qui est enfin des autres chefs d’accusation, la cour d’appel avait fondé sa condamnation sur les aveux faits par le requérant et B.P. lors de la phase de l’enquête pénale et lors de l’étape judiciaire, sur les déclarations des victimes et des témoins faites devant elle, sur des rapports médicolégaux et balistiques, et sur des procès-verbaux d’examen des lieux. Elle avait condamné le requérant à une peine cumulée de détention à vie.

    21.  Le 22 décembre 2005, le requérant avait formé un recours. Il soutenait, entre autres, qu’il avait été maltraité par les policiers lors de l’instruction de l’affaire et qu’il avait signé des aveux sous la contrainte. Il indiquait également ne pas avoir pu s’entretenir avec l’avocat commis d’office pendant les deux premiers mois de sa détention. Il demandait que ses aveux faits lors de l’instruction de l’affaire fussent écartés en tant qu’élément de preuve.

    22.  Par un arrêt définitif du 25 avril 2006, la Cour suprême de justice avait accueilli partiellement le recours. Elle acquittait le requérant concernant les chefs d’accusation de préparation de meurtre des civils au motif que l’intéressé avait renoncé de son plein gré à la commission de ces infractions et que l’accusation publique n’avait pas démontré la culpabilité de celui-ci par des preuves irréfutables. Elle confirmait la décision de l’instance inférieure pour le restant ainsi que la peine d’emprisonnement à vie. Quant aux allégations de mauvais traitements, la haute juridiction les rejetait pour absence de fondement. À ce titre, elle faisait référence à la décision de classement sans suite du procureur S.O. du 13 avril 2006 (paragraphe 25 ci-dessous). Elle relevait enfin que le non-respect allégué des droits de la défense lors de l’instruction de l’affaire n’avait pas été confirmé, que toutes les actions procédurales avaient été effectuées conformément aux dispositions légales et que plusieurs enregistrements vidéo réalisés pendant l’enquête pénale montraient que les droits de la défense avaient été respectés.

    C.  L’enquête des autorités sur les allégations de mauvais traitements

    23.  Le 10 avril 2006, le parquet ouvrit d’office une enquête sur les allégations du requérant faites pendant son procès (paragraphe 21 ci-dessus).

    24.  À des dates non spécifiées, le procureur S.O. recueillit les dépositions du procureur C.B. ayant diligenté l’enquête pénale contre le requérant, et des trois policiers ayant participé à l’arrestation de ce dernier. Le procureur C.B. avait notamment déclaré que le requérant avait signé ses aveux librement, en présence d’un avocat. Quant aux trois policiers, ils avaient reconnu avoir employé la force physique lors de l’arrestation du plaignant au motif que celui-ci était armé et qu’il était récidiviste ; ils avaient toutefois soutenu ne pas avoir dépassé les limites établies par la loi.

    25.  Le 13 avril 2006, le procureur S.O. adopta une ordonnance de classement sans suite. Il faisait référence aux dépositions susdites et précisait en outre que, au stade de l’investigation, le requérant n’avait formulé aucune plainte concernant les mauvais traitements allégués. Il considérait dès lors que les allégations en question n’étaient pas étayées.

    26.  À une date non précisée, le requérant contesta la décision du parquet. Il soutenait qu’il était en bonne santé avant son arrestation et reprochait aux autorités de ne pas avoir ordonné une expertise médicolégale à son égard et de ne pas avoir déployé tous leurs efforts aux fins d’identifier et d’interroger ses codétenus, qui auraient pu, selon lui, confirmer ses dires. Il soutenait enfin que, pendant sa détention dans l’IDP, aucun mécanisme de dépôt de plainte n’avait été mis à sa disposition.

    27.  Par une décision du 14 juin 2006, un juge d’instruction du tribunal de Râşcani annula le classement sans suite du 13 avril 2006. Il estimait que le contrôle effectué par le parquet avait été incomplet. Il relevait que le procureur n’avait vérifié ni le registre médical de l’IDP ni l’existence d’appels au service des urgences, qu’il n’avait pas élucidé la question de savoir pourquoi le requérant était détenu dans l’IDP alors que, selon le mandat d’arrêt, il aurait dû être conduit dans un établissement pénitentiaire, et enfin qu’il n’avait entendu ni le requérant ni la mère de celui-ci. Il demandait dès lors au parquet d’effectuer un contrôle supplémentaire.

    28.  Le 21 décembre 2006, la mère du requérant fournit au parquet une copie de la lettre de K.P. (paragraphe 9 ci-dessus).

    29.  Le 9 janvier 2007, un procureur recueillit les dépositions du requérant et de son coaccusé, P.B. Le requérant déclarait qu’on l’avait battu dès les premières heures de sa détention et qu’on l’avait ensuite maltraité quotidiennement dans l’IDP pour, entre autres, lui arracher des aveux complets. Il indiquait en outre qu’il avait reçu de multiples coups sur la tête, le corps et la plante des pieds, que les policiers l’avaient obligé à dormir à même le sol de la cellule et qu’ils avaient introduit une bouteille dans son orifice anal. Il soutenait également que, à la suite des mauvais traitements qu’il dénonçait, il boitait, que son genou droit était enflé et douloureux et qu’il souffrait de maux de tête. Il mentionnait les noms de ses codétenus, dont K.P., en mesure selon lui de confirmer ses allégations. Quant à P.B., il déclarait également avoir été maltraité quotidiennement dans l’IDP.

    30.  Par une ordonnance du 6 avril 2007, le procureur S.O. classa sans suite la procédure après avoir entendu une nouvelle fois le procureur C.B. et recueilli les dépositions de dix policiers chargés de la surveillance des détenus dans l’IDP. Il notait que tous avaient nié l’infliction de mauvais traitements au requérant. Il relevait en outre que, selon le registre des demandes d’aide médicale des personnes détenues dans l’IDP, le requérant n’avait pas fait de demande dans ce sens pendant sa détention dans cet établissement. Il notait également que, d’après le registre correspondant, le requérant avait quitté sa cellule à plusieurs reprises afin de participer aux mesures d’investigation. Quant à la lettre de K.P., il précisait qu’elle n’avait pas été envoyée au Procureur général à la date qui y était indiquée, mais qu’elle avait été produite pour la première fois après la condamnation du requérant par la juridiction de première instance. Enfin, il redisait que, le jour même de son arrestation, le requérant avait signé des aveux, sans contrainte et en présence d’un défenseur, et que ce dernier n’avait pas soulevé de grief pour mauvais traitements lors de l’instruction de l’affaire. Il concluait donc que les allégations du requérant n’avaient pas trouvé confirmation.

    31.  D’après une attestation médicale délivrée au requérant le 6 avril 2007, celui-ci souffrait d’une « lésion du ligament croisé antérieur et du ligament collatéral latéral de l’articulation du genou droit ».

    32.  Selon un extrait du 20 avril 2007 de la fiche médicale du requérant, celui-ci souffrait d’une arthrose et d’une instabilité du genou droit.

    33.  Le 8 mai 2007, le requérant contesta l’ordonnance du 6 avril 2007. Il relevait, entre autres, que le parquet n’avait pas recueilli les témoignages de ses codétenus et qu’il n’y avait pas eu de confrontations entre lui et les responsables présumés des mauvais traitements. Il soulignait également qu’aucune expertise médicolégale n’avait été effectuée et que les circonstances dans lesquelles sa blessure au genou était survenue n’avaient pas été élucidées. Il estimait que l’enquête n’avait été ni effective ni rapide.

    34.  Par une décision du 6 juillet 2007, un juge d’instruction du tribunal de Râşcani annula l’ordonnance du 6 avril 2007 et renvoya l’affaire. Le juge notait, entre autres, que le procureur S.O. n’avait pas interrogé les codétenus du requérant et l’infirmière de l’établissement pénitentiaire dans lequel l’intéressé avait été transféré après la détention dans l’IDP. Il relevait également que l’enquête n’avait pas établi quelles étaient les compétences des policiers qui avaient, à plusieurs reprises, emmené le requérant hors de sa cellule et conduit dans leurs bureaux. Enfin, il estimait nécessaire d’éclaircir les motifs du refus des policiers de transmettre au requérant les colis de ses proches.

    35.  Selon un rapport d’expertise médicolégale établi le 22 août 2007, le requérant présentait dans la région occipitale une cicatrice que le médecin légiste qualifiait de blessure sans préjudice pour la santé. Toujours selon le rapport, il n’aurait décelé aucune lésion ou cicatrice dans la région anale. Enfin, d’après le rapport, l’examen eut eu lieu en présence d’un procureur.

    36.  Par une lettre du 6 septembre 2007, le requérant se plaignit auprès du parquet général notamment d’avoir été examiné par le médecin légiste en présence d’un procureur. Il demandait à être examiné par une commission d’experts.

    Par une lettre du 25 septembre 2007, le parquet général rejeta la demande du requérant au motif qu’une commission d’experts pouvait être désignée uniquement lorsqu’une enquête pénale avait été ouverte.

    37.  Par une ordonnance du 2 novembre 2007, le procureur S.O. classa à nouveau sans suite la procédure. Il reprenait la motivation de son ordonnance précédente, y ajoutant que les constats du rapport médicolégal du 22 août 2007 n’étaient pas concluants.

    38.  Le 23 janvier 2008, le requérant contesta l’ordonnance du 2 novembre 2007. Il demandait expressément que ses codétenus fussent entendus et reprochait au procureur S.O. d’avoir fondé son ordonnance sur les seules déclarations des policiers. Il soutenait également que le parquet aurait dû ordonner une expertise médicolégale dès le mois de mai 2005, soit dès la réception de la première plainte déposée par sa mère.

    39.  Le 10 février 2008, le premier adjoint du Procureur général annula l’ordonnance du 2 novembre 2007 et ordonna un contrôle supplémentaire. Il relevait qu’il était encore nécessaire d’interroger les codétenus du requérant dans l’IDP, le médecin qui aurait soigné la blessure occipitale de ce dernier et le personnel médical de l’établissement pénitentiaire. Il notait également que l’enquête devait élucider, d’une part, quelles étaient les compétences des policiers qui avaient emmené le requérant hors de sa cellule de l’IDP et, d’autre part, pourquoi le plaignant avait été privé des colis que lui avaient fait parvenir ses proches.

    40.  Par une ordonnance du 4 avril 2008, le procureur M.C. classa sans suite la procédure. Il complétait le texte de l’ordonnance du 2 novembre 2007 par l’information selon laquelle, le 18 mai 2005, le requérant avait été transféré dans l’établissement pénitentiaire prévu. Il ajoutait à cet égard que les médecins affectés à cet établissement avaient constaté que l’entrant était en bonne santé et sans blessures apparentes.

    41.  Le 21 avril 2008, le requérant contesta cette décision.

    42.  Le 12 mai 2008, le premier adjoint du Procureur général confirma l’ordonnance du 4 avril 2008.

    43.  Par une lettre du 22 mai 2008, le requérant demanda au parquet général de lui envoyer copie des ordonnances du premier adjoint du Procureur général des 10 février et 12 mai 2008.

    44.  Par une lettre du 26 mai 2008, le parquet général l’informa que les dispositions légales ne prévoyaient pas l’envoi aux plaignants des copies des ordonnances adoptées par le procureur hiérarchique et qu’il aurait la possibilité de prendre connaissance de celles-ci lors de l’examen de son affaire par le juge d’instruction.

    45.  Le 22 mai 2008, le requérant contesta devant le juge d’instruction les ordonnances des 4 avril et 12 mai 2008.

    46.  Le 12 juin 2008, un juge d’instruction du tribunal de Râşcani refusa, sans examen au fond, d’accueillir la plainte du requérant au motif que l’ordonnance du premier adjoint du Procureur général du 12 mai 2008 n’y était pas jointe.

    47.  Après la communication de la présente affaire au Gouvernement, le Procureur général annula, le 8 février 2012, les ordonnances des 4 avril et 12 mai 2008. Il estimait que le classement sans suite était arbitraire, notamment au motif que K.P. et les codétenus du requérant n’avaient pas été interrogés. Il demandait un complément d’enquête concernant les allégations de mauvais traitements du requérant.

    48.  Par une ordonnance du 5 mars 2012, le procureur M.C. classa sans suite la procédure. Par rapport aux ordonnances précédentes, il ajoutait, d’une part, que K.P. avait quitté la Moldova et qu’il était impossible de vérifier ses déclarations, et que la mère du requérant avait fourni la copie de la lettre de K.P. plus d’un an et demi après les faits. Il ajoutait, d’autre part, que, d’après le dossier médical, le requérant avait subi, avant la détention, plusieurs traumatismes crâniens susceptibles d’être à l’origine de la cicatrice occipitale et que, selon l’avis d’un docteur en médecine, l’ostéophyte au niveau du tibia droit du requérant pouvait être d’origine dégénérative congénitale.

    49.  Le 3 avril 2012, le requérant contesta cette ordonnance.

    50.  Par une ordonnance du 25 avril 2012, le premier adjoint du Procureur général rejeta cette plainte et confirma le classement sans suite du 5 mars 2012.

    51.  Le 15 mai 2012, le requérant forma un recours contre les ordonnances des 5 mars et 25 avril 2012. Il soutenait, entre autres, avoir été maltraité quotidiennement en représailles de son tir sur un policier.

    52.  Par une décision définitive du 8 juin 2012, un juge d’instruction du tribunal de Râșcani rejeta comme mal fondé le recours du requérant.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    53.  Le droit interne pertinent en l’espèce est résumé dans les arrêts Parnov c. Moldova (no 35208/06, § 17, 13 juillet 2010) et Buzilo c. Moldova (no 52643/07, § 20, 21 février 2012).

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    54.  Invoquant les articles 3, 5 et 6 de la Convention, le requérant se plaint de s’être vu infliger des mauvais traitements par les policiers dans le commissariat général de police de Chişinău et de n’avoir pas bénéficié d’une enquête effective à cet égard. La Cour estime qu’en l’espèce le grief du requérant appelle un examen sur le seul terrain de l’article 3 de la Convention.

    Dans ses observations du 16 juillet 2012, le requérant allègue également que les conditions de sa détention dans les locaux du commissariat général de police de Chișinău étaient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Cette disposition se lit comme suit :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    1.  Sur les conditions de détention du requérant

    55.  Le requérant se plaint d’une déficience des conditions matérielles dans l’IDP du commissariat général de police de Chișinău. Il précise à cet égard avoir été détenu du 30 mars au 18 mai 2005 dans une cellule dépourvue de lit, matelas, table et chaise.

    56.  La Cour observe que le requérant a été transféré le 18 mai 2005 de l’IDP du commissariat général de police de Chișinău dans un établissement pénitentiaire. Elle note que la date susmentionnée correspond au point de départ du délai de six mois concernant le grief tiré des conditions de détention dans l’IDP (voir, mutatis mutandis, I.D. c. Moldova, no 47203/06, § 31, 30 novembre 2010, et Badea c. Moldova (déc.), no 29749/07, 17 janvier 2012). Elle constate que le requérant a introduit ce grief devant la Cour plus de six mois après cette date.

    57.  Il s’ensuit que ce grief est tardif et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

    2.  Sur les griefs restants

    58.  Constatant que les griefs tirés de l’infliction de mauvais traitements et de l’absence d’une enquête effective ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

    B.  Sur le fond

    1.  Thèses des parties

    59.  Le requérant soutient qu’il était en bonne santé avant son placement sous le contrôle des autorités et que, à la suite des mauvais traitements qu’il aurait subis en détention, il souffre, entre autres, d’un dysfonctionnement au niveau du genou droit. Il allègue également que l’enquête diligentée par les autorités compétentes concernant ses allégations n’a pas été complète et objective. Il soutient en outre que les classements sans suite adoptés par le parquet se sont fondés sur les seules déclarations des policiers accusés de maltraitance et que ni ses codétenus ni sa mère n’ont été interrogés par les autorités compétentes. Il se plaint enfin que ces dernières ont manqué de célérité dans la conduite de l’enquête, qui aurait été clôturée plus de sept ans après le dépôt de la première plainte du 14 avril 2005.

    60.  Le Gouvernement réplique que le requérant n’a pas été maltraité en détention. Il précise qu’aucun document médical ne vient étayer les allégations de l’intéressé, lesquelles seraient dès lors non défendables. Il estime en outre que les autorités compétentes ont enquêté sur les allégations du requérant d’une manière complète et adéquate. Il soutient que le requérant s’est plaint pour la première fois en janvier 2006 des mauvais traitements qu’il aurait subis entre le 30 mars et le 18 mai 2005 et que ce retard a rendu difficiles les investigations par les autorités. De plus, il affirme que la lettre de K.P., datée du 15 avril 2005 et prétendument adressée au Procureur général, n’est jamais parvenue au destinataire, que les autorités n’ont eu connaissance de cette lettre que le 21 décembre 2006 par le biais de la copie que la mère du requérant leur en aurait fourni, que rien n’empêchait celui-ci de présenter la lettre plus tôt et que les autorités n’ont pas pu retrouver K.P. qui aurait quitté le pays et dont l’adresse n’aurait pas été connue.

    Il considère en conclusion que, alors même que le requérant n’aurait pas soulevé un grief défendable tiré de l’infliction de mauvais traitements, l’enquête menée par les autorités a satisfait aux critères de l’article 3 de la Convention.

    2.  Appréciation de la Cour

    a)  Principes généraux

    61.  La Cour rappelle avoir déclaré à maintes reprises que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques et qu’il ne prévoit pas d’exceptions, en quoi il contraste avec la majorité des clauses normatives de la Convention (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 95, CEDH 1999-V, et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000-IV). Elle a confirmé que même dans les circonstances les plus difficiles, telles que la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, la Convention prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les agissements de la victime (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 79, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, et Labita, précité, § 119).

    62.  La Cour rappelle également que, lorsqu’une personne est blessée au cours d’une garde à vue, alors qu’elle se trouvait entièrement sous le contrôle de fonctionnaires de police, toute blessure survenue pendant cette période donne lieu à de fortes présomptions de fait (voir Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH 2000-VII). Il appartient donc au Gouvernement de fournir une explication plausible sur les origines de ces blessures et de produire des preuves établissant des faits qui font peser un doute sur les allégations de la victime, notamment si celles-ci sont étayées par des pièces médicales (voir, parmi d’autres, Selmouni, précité, § 87, Soner Önder c. Turquie, no 39813/98, § 34, 12 juillet 2005, et Dönmüş et Kaplan c. Turquie, no 9908/03, § 44, 31 janvier 2008).

    63.  La Cour rappelle en outre que les allégations de mauvais traitements contraires à l’article 3 de la Convention doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés (Martinez Sala et autres c. Espagne, no 8438/00, § 122, 2 novembre 2004). Pour l’établissement des faits allégués, elle se sert du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable », une telle preuve pouvant néanmoins résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 161 in fine, série A no 25, et Labita, précité, §§ 121 et 152).

    64.  La Cour réaffirme que, lorsqu’un individu soutient de manière défendable avoir subi, aux mains de la police ou d’autres services comparables de l’État, un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l’État par l’article 1 de la Convention de « [reconnaître] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis (...) [dans la] Convention », requiert, par implication, qu’il y ait une enquête officielle effective. Cette enquête doit pouvoir mener à l’identification et à la punition des responsables (Georgiy Bykov c. Russie, no 24271/03, § 60, 14 octobre 2010, Corsacov c. Moldova, no 18944/02, § 68, 4 avril 2006, et Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 102, Recueil 1998-VIII).

    65.  La Cour rappelle de surcroît que l’enquête rendue nécessaire par des allégations graves de mauvais traitements doit être à la fois rapide et approfondie, ce qui signifie que les autorités doivent toujours s’efforcer sérieusement de découvrir ce qui s’est passé et qu’elles ne doivent pas s’appuyer sur des conclusions hâtives ou mal fondées pour clore l’enquête ou fonder leurs décisions (Assenov et autres, précité, § 103, et Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, § 136, CEDH 2004-IV). Les autorités doivent de plus prendre toutes les mesures raisonnables à leur disposition pour obtenir les preuves relatives aux faits en question, y compris, entre autres, les dépositions des témoins oculaires et les expertises criminalistiques (Tanrıkulu c. Turquie [GC], no 23763/94, § 104, CEDH 1999-IV, et Gül c. Turquie, no 22676/93, § 89, 14 décembre 2000). Toute carence de l’enquête affaiblissant sa capacité à établir les causes des préjudices subis ou l’identité des responsables risque de faire conclure qu’elle ne répond pas à la norme d’effectivité requise (Boicenco c. Moldova, no 41088/05, § 123, 11 juillet 2006).

    66.  Enfin, la Cour rappelle que la victime doit être en mesure de participer effectivement, d’une manière ou d’une autre, à l’enquête (Dedovski et autres c. Russie, no 7178/03, § 92, CEDH 2008, Denis Vassiliev c. Russie, no 32704/04, § 157, 17 décembre 2009, et Savitskyy c. Ukraine, no 38773/05, § 101, 26 juillet 2012).

    b)  Application des principes susmentionnés à la présente espèce

    67.  En l’espèce, la Cour observe que, selon les documents médicaux dont elle dispose, le requérant était en bonne santé trois mois environ avant son placement en détention et que, le jour de l’arrestation de celui-ci, l’infirmier de l’IDP n’a fait état d’aucun symptôme chez l’intéressé. Elle note également que, par la suite, le requérant a allégué avoir été maltraité par les policiers pendant sa détention dans l’IDP, qu’un de ses codétenus, K.P., a confirmé ces allégations par une lettre, et que les déclarations du requérant et de K.P. à ce sujet concordaient. Elle relève aussi que, pendant que le requérant était détenu dans l’IDP, sa mère a rapporté au Procureur général des propos que des policiers lui auraient adressés, selon lesquels son fils ne survivrait pas jusqu’à son procès. Elle note également que, pendant la détention du requérant, les médecins ont constaté chez lui la présence d’une excroissance osseuse sur le tibia droit et d’une cicatrice dans la région occipitale ainsi que des dysfonctionnements au niveau du genou droit.

    68.  La Cour considère que ces éléments suffisaient à faire naître au moins des soupçons plausibles d’infliction de mauvais traitements par des policiers, comme le soutenait le requérant.

    69.  La Cour observe qu’une enquête sur les allégations du requérant a été menée par les autorités internes. Toutefois, elle relève que celles-ci ont fait montre d’un manque de célérité. En effet, elle constate que les autorités n’ont ouvert l’enquête que trois mois et demi après que le requérant s’était formellement plaint d’avoir subi des mauvais traitements dans l’IDP (paragraphes 21 et 23 ci-dessus), que celui-ci n’a été entendu par un procureur que neuf mois après l’ouverture de l’enquête, et que le premier examen du plaignant par un médecin légiste n’a eu lieu qu’un an et quatre mois après la mise en mouvement de l’investigation (paragraphe 35 ci-dessus). Elle note en sus qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que ces retards fussent imputables à la conduite du requérant ou à des facteurs objectifs.

    70.  La Cour relève également que le parquet a adopté, en tout, cinq classements sans suite relativement aux allégations de mauvais traitements du requérant et qu’à quatre reprises les instances hiérarchiques les ont annulés en demandant un complément d’enquête. Ces classements sans suite étaient principalement fondés sur les déclarations des policiers et du procureur ayant instruit la procédure pénale à l’encontre du requérant, sur les données contenues dans les registres de l’IDP et sur les résultats de l’examen médicolégal effectué plus de deux ans après les faits. La Cour prête une importance particulière au fait que les instances hiérarchiques susmentionnées ont estimé que l’enquête n’était pas approfondie, surtout parce qu’il était d’après elles nécessaire d’interroger les codétenus du requérant. Force est de constater que le parquet n’a recueilli aucune déposition auprès des personnes ayant partagé la même cellule que le requérant dans l’IDP, alors même que ce dernier avait désigné plusieurs codétenus pouvant confirmer ses allégations.

    71.  La Cour relève également que l’examen médicolégal du requérant a été effectué en présence d’un procureur. À ce titre, elle réaffirme que, afin d’être indépendant et approfondi, l’examen médical des victimes présumées de mauvais traitements doit être effectué en dehors de la présence des agents de police et d’autres représentants de l’État (Lopata c. Russie, no 72250/01, § 114, 13 juillet 2010).

    72.  De plus, la Cour constate que la participation effective du requérant à toutes les phases de la procédure n’a pas été garantie. Elle relève notamment que le plaignant n’a pas pu contester devant le juge d’instruction l’ordonnance du premier adjoint du Procureur général du 12 mai 2008 au motif que la copie de cette ordonnance ne lui avait pas été fournie (paragraphes 42-46 ci-dessus). Elle observe que l’absence du document en question a entraîné la clôture de la procédure, qui n’a été rouverte à l’initiative du Procureur général qu’après la communication de la présente affaire au Gouvernement (paragraphe 47 ci-dessus).

    73.  Quant aux blessures constatées chez le requérant pendant sa détention, la Cour note que le parquet s’est efforcé d’expliquer la cause probable de l’ostéophyte et de la cicatrice dans la région occipitale. Cependant, il n’a nullement expliqué l’origine des dysfonctionnements constatés au niveau du genou droit de l’intéressé.

    74.  Il apparaît ainsi que les autorités moldaves ont entériné la version des faits des policiers sans avoir mené d’investigations plus approfondies.

    75.  La Cour relève également que le Gouvernement n’a pas présenté non plus une explication plausible sur l’origine des dysfonctionnements au niveau du genou droit du requérant.

    76.  À la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    77.  Le requérant se plaint également de l’absence d’un recours interne effectif, au sens de l’article 13 de la Convention, susceptible de défendre ses droits énoncés à l’article 3 de la Convention. Aux termes de l’article 13 de la Convention :

    « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance (...) »

    A.  Sur la recevabilité

    78.  La Cour relève que ce grief est lié à celui que le requérant tire de l’article 3 de la Convention et qu’il doit donc être lui aussi déclaré recevable.

    B.  Sur le fond

    79.  Le requérant allègue que l’impossibilité de contester l’ordonnance du premier adjoint du Procureur général du 12 mai 2008 a porté atteinte à son droit à un recours effectif relativement à des allégations de mauvais traitements.

    80.  Le Gouvernement conteste cette thèse.

    81.  La Cour constate que ce grief est, par essence, le même que celui soumis sous l’angle de l’article 3 de la Convention concernant l’absence d’enquête effective. Eu égard à sa conclusion sous l’angle de l’article 3 (paragraphe 76 ci-dessus), elle estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 13 de la Convention (voir, entre autres, Colibaba c. Moldova, no 29089/06, § 58, 23 octobre 2007).

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

    82.  Le requérant se plaint en substance d’avoir été condamné sur la base des aveux qu’il allègue avoir faits à la suite de l’infliction de mauvais traitements. La Cour estime qu’en l’espèce le grief du requérant appelle un examen sur le terrain de l’article 6 de la Convention qui, en ses passages pertinents en l’espèce, se lit comme suit :

    « 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...).

    (...)

    3.  Tout accusé a droit notamment à :

    (...)

    c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix (...) »

    Sur la recevabilité

    83.  Le Gouvernement considère que ce grief est manifestement mal fondé.

    84.  La Cour rappelle que l’emploi dans l’action pénale de déclarations obtenues par un moyen qui emporte violation de l’article 3 - que cette violation soit qualifiée de torture ou de traitement inhumain ou dégradant - tout comme l’utilisation de preuves matérielles rassemblées à la suite directe d’actes de torture privent automatiquement d’équité la procédure dans son ensemble et violent l’article 6 de la Convention (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 173, CEDH 2010). Elle rappelle également que le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination présuppose en particulier que l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l’accusé (voir, parmi d’autres, Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, § 68, Recueil 1996-VI, et Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 100, CEDH 2006-IX).

    85.  En l’espèce, la Cour estime que les éléments de la présente affaire ne lui permettent pas d’affirmer que les déclarations du requérant faites lors de la phase de l’enquête pénale ont été obtenues par la contrainte, en violation de l’article 3 de la Convention.

    86.  La Cour observe en outre que, le jour de son arrestation, le requérant a signé des aveux partiels en présence d’un avocat commis d’office (paragraphe 16 ci-dessus). Quant aux déclarations restantes que le requérant fit lors de l’instruction de l’affaire, elle note que rien ne laisse supposer que celles-ci aient été recueillies en l’absence d’un conseil, ce dont il ne s’en est d’ailleurs pas plaint devant elle. Elle accorde de surcroit une importance au fait que la Cour suprême de justice a elle-même jugé que les droits de la défense durant la phase de l’enquête pénale avaient été respectés (paragraphe 22 ci-dessus), et elle estime que rien ne lui permet, en l’espèce, de parvenir à une solution contraire.

    87.  La Cour observe également que, devant la cour d’appel de Chișinău, l’intéressé a reconnu avoir commis la majorité des faits reprochés (paragraphe 19 ci-dessus). Elle note de plus que, afin de fonder son verdict de culpabilité du requérant, la juridiction en question a corroboré les aveux de l’intéressé, faits au procès et/ou lors de la phase de l’enquête pénale, par d’autres preuves (paragraphe 20 ci-dessus).

    88.  La Cour relève enfin que, durant la phase judiciaire, le requérant a été dument représenté par un défenseur de son choix, qu’il a eu la possibilité, dont il s’est prévalu, de contester l’utilisation des aveux litigieux à son procès, et que la Cour suprême de justice avait la latitude de les écarter.

    89.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

    IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    90.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    91.  Le requérant réclame 36 000 euros (EUR) pour préjudice moral.

    92.  Le Gouvernement estime ce montant excessif.

    93.  Statuant en équité, la Cour accorde au requérant la somme de 9 000 EUR pour dommage moral.

    B.  Frais et dépens

    94.  Le requérant demande également 35 000 lei moldaves (MDL) (soit environ 2 300 EUR) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et pour ceux engagés devant la Cour. Il fournit des copies de factures pour un montant global de 17 705,4 MDL (soit 1 170 EUR).

    95.  Le Gouvernement ne conteste pas ces sommes.

    96.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour accorde au requérant la somme de 1 170 EUR tous frais confondus.

    C.  Intérêts moratoires

    97.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés par le requérant des mauvais traitements subis au cours de sa privation de liberté et de l’absence d’une enquête effective y relative (articles 3 et 13 de la Convention), et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 13 de la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

    i)  9 000 EUR (neuf mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  1 170 EUR (mille cent soixante-dix euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 juillet 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    Marialena Tsirli                                                           Josep Casadevall
    Greffière adjointe                                                                  Président


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