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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BONDAVALLI v. ITALY - 35532/12 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section)) French Text [2015] ECHR 1018 (17 November 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/1018.html
Cite as: [2015] ECHR 1018

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    QUATRIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE BONDAVALLI c. ITALIE

     

    (Requête no 35532/12)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    17 novembre 2015

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Bondavalli c. Italie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

              Päivi Hirvelä, présidente,
              Guido Raimondi,
              George Nicolaou,
              Ledi Bianku,
              Paul Mahoney,
              Krzysztof Wojtyczek,
              Yonko Grozev, juges,
    et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 octobre 2015,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 35532/12) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Claudio Bondavalli (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 mai 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me A. Mascia, avocat à Vérone. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme E. Spatafora.

    3.  Le 3 septembre 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    4.  Le requérant est né en 1964 et réside à Chiozza di Scandiano.

    5.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

    6.  Le 5 septembre 2004 naquit le fils de E.G. et du requérant.

    7.  En août 2005, en raison de conflits incessants, le requérant et E.G. décidèrent de se séparer. Ils convinrent que E.G. aurait la garde exclusive de l’enfant et que le requérant pourrait rencontrer celui-ci deux jours par semaine.

    8.  En octobre 2006, à la suite de difficultés rencontrées dans l’exercice de son droit de visite, le requérant saisit le tribunal pour enfants de Bologne (« le tribunal ») afin d’obtenir la garde partagée de l’enfant et un droit de visite plus large.

    9.  À cette époque, E.G. exerçait en tant que psychiatre au sein de l’administration sanitaire locale (ASL) de Scandiano.

    10.  Par une décision du 8 mai 2008, le tribunal confia la garde exclusive de l’enfant à E.G. et octroya au requérant un droit de visite à raison de deux après-midi par semaine, d’un week-end sur deux avec hébergement, de trois jours à Pâques, d’une semaine à Noël et de deux semaines pendant les vacances d’été. Il ordonna en outre aux services sociaux de Scandiano de suivre la situation de l’enfant.

    11.  À une date non précisée, la cour d’appel de Bologne confirma cette décision.

    12.  En avril 2009, le requérant indiqua aux services sociaux que son fils avait souvent des griffures sur le visage et qu’il lui avait dit que sa mère le battait et que ces marques étaient celles de ses ongles.

    13.  Les médecins constatèrent la présence d’une lésion au niveau de l’oreille droite et de deux cicatrices anciennes au nez et au genou. L’enfant fut hospitalisé pendant vingt-quatre heures.

    14.  Le 4 juin 2009, E.G. demanda au tribunal de prendre des mesures de protection à l’égard de son fils.

    15.  En juin 2009, les services sociaux déposèrent un rapport dans lequel ils faisaient état d’une situation très stressante pour l’enfant qui était due, selon eux, au comportement du père.

    16.  Le 16 juin 2009, le tribunal chargea les services sociaux de suivre la situation de l’enfant et de régler la question du droit de visite, y compris par le biais de rencontres protégées.

    17.  Au cours des mois suivants, le requérant fit constater par plusieurs médecins les griffures qui continuaient à être visibles sur le corps de l’enfant.

    18.  Le 4 septembre 2009, les services sociaux de Parme informèrent leurs homologues de Scandiano que le requérant avait emmené l’enfant au service des urgences de Parme en soutenant qu’il était victime de maltraitance de la part de sa mère. Ce service constata que le requérant était en situation de souffrance psychologique.

    19.  Le 10 septembre 2009, compte tenu de l’état d’agitation et de stress du requérant et de la nécessité de protéger l’enfant, les services sociaux de Scandiano décidèrent que les visites se dérouleraient désormais sous la forme de rencontres protégées.

    20.  Le 10 septembre 2009, les services sociaux informèrent le tribunal que les actes de maltraitance dénoncés par le requérant n’étaient pas prouvés et ils lui suggérèrent d’ordonner une expertise psychologique du requérant et de E.G.

    21.  Le même jour, le requérant dénonça auprès du tribunal l’attitude et la partialité des services sociaux, ajoutant que E.G., psychiatre au sein de la même structure administrative, entretenait des liens professionnels avec les membres du personnel de ces services.

    22.  Le 12 septembre 2009, le requérant déposa une plainte contre E.G. pour maltraitance sur mineur.

    23.  À une date non précisée, cette plainte fut classée sans suite. Les rencontres entre le requérant et son enfant furent suspendues de septembre 2009 au 4 décembre 2009.

    24.  Le 28 octobre 2009, le requérant informa le tribunal que les services sociaux avaient suspendu ses rencontres avec son enfant et il demanda que le suivi de son fils fût confié aux services sociaux d’une autre commune.

    25.  Le 11 janvier 2010, le tribunal, sans se prononcer sur les demandes du requérant, ordonna qu’une expertise fût effectuée par L.M., psychiatre à Bologne, afin d’évaluer la situation de l’enfant et des parents.

    26.  Le 15 novembre 2010, l’expert déposa le rapport de l’examen psychologique. Il y indiquait que l’intéressé était convaincu que E.G. maltraitait psychologiquement et physiquement l’enfant et il concluait à l’existence chez le requérant d’un trouble délirant de type paranoïaque.

    27.  Quant à E.G., l’expert estimait qu’elle avait une personnalité obsessionnelle et qu’elle souffrait de dépression. Il recommandait de confier la garde exclusive de l’enfant à E.G. et d’autoriser le requérant à rencontrer son fils une fois par semaine pendant deux heures.

    28.  Le 20 décembre 2010, le requérant contesta les conclusions de l’expertise, indiquant notamment que la psychiatre qui en était l’auteur et E.G. avaient fait ensemble leur stage de fin d’études.

    29.  Dans son rapport du 7 janvier 2011, un expert désigné par le requérant rapportait que le requérant s’était déclaré prêt à accepter un suivi psychologique et il estimait qu’il était dans l’intérêt de l’enfant de continuer à voir son père.

    30.  Par un décret du 24 février 2011, le tribunal, sur la base de l’expertise déposée le 15 novembre 2010, ordonna aux services sociaux de Scandiano de réglementer les rencontres protégées entre le requérant et son fils (deux heures par mois, dont une heure au domicile du requérant). Observant que l’enfant avait exprimé le souhait de voir son père, le tribunal rejeta la demande de déchéance de l’autorité parentale du requérant que E.G. avait présentée.

    31.  Le 7 juin 2011, le requérant saisit la cour d’appel de Bologne. Il réitéra ses arguments et demanda à la cour d’ordonner la réalisation d’une nouvelle expertise par un médecin impartial. Il demanda en outre la prise en charge de son suivi psychologique et de celui de son fils par les services sociaux, ainsi qu’un élargissement de son droit de visite.

    32.  Entre-temps, les services sociaux avaient fait parvenir au tribunal un autre rapport qui faisait état d’une attitude « délirante » du requérant, qui, d’après le rapport, se prétendait victime d’un complot des services sociaux et accusait ceux-ci d’agir dans l’intérêt de E.G. et non dans celui de l’enfant.

    33.  En novembre 2011, le requérant se soumit à une expertise psychiatrique. Selon le psychiatre qui l’examina, l’intéressé ne présentait aucune pathologie ni trouble de la personnalité.

    34.  Le 5 décembre 2011, la cour d’appel de Bologne rejeta l’appel du requérant. S’agissant de la demande visant à la réalisation d’une nouvelle expertise, elle souligna que les arguments du requérant concernant la partialité de l’expertise et des services sociaux de Scandiano étaient liés à son état psychologique. Au sujet des lésions sur le corps de l’enfant, elle indiqua que, si la mère avait frappé l’enfant, il y aurait eu d’autres signes que des griffures. Par ailleurs, elle précisa que les services sociaux qui suivaient la situation de la famille avaient souligné l’obsession du requérant selon laquelle E.G. maltraitait son fils. Après avoir estimé que les expertises produites par le requérant sur son état psychologique n’étaient pas fiables, la cour d’appel confirma la décision entreprise, et chargea les services sociaux d’assurer un suivi psychologique de l’enfant et du requérant ainsi que d’organiser les rencontres protégées en fonction des résultats de ce suivi.

    35.  Les services sociaux interdirent tout contact téléphonique entre le requérant et son fils. À partir de mars 2012, les rencontres entre eux furent suspendues à la demande des services sociaux. Elles purent reprendre quelques mois après.

    36.  Le 12 mai 2012, le requérant saisit le juge des tutelles. Il lui demandait d’ordonner aux services sociaux de respecter la décision du tribunal. Le 31 mai 2012, le juge des tutelles se déclara incompétent.

    37.  Le 8 juillet 2012, le requérant déposa un avis émanant d’une association indépendante de médecins psychiatres. Selon ce rapport, les services sociaux n’avaient pas pris de mesures positives visant à instaurer une véritable relation père-fils, avaient toujours œuvré en faveur de E.G. et avaient ainsi entravé le droit de visite du requérant. De plus, selon ce rapport, l’expertise de novembre 2010 concernant l’état de santé psychique du requérant se fondait sur des préjugés que les assistants sociaux nourrissaient à l’encontre du requérant et ne pouvait dès lors qu’être inexacte. Pour les experts, il était souhaitable que le requérant et son fils pussent vivre ensemble et que le suivi de la situation de la famille fût assuré par d’autres assistants sociaux.

    38.  Le 21 janvier 2013, le requérant demanda au tribunal pour enfants de Reggio Emilia de modifier les conditions de garde de l’enfant et d’ordonner une nouvelle expertise de son état de santé psychique.

    39.  Le 27 février 2013, le tribunal rejeta la demande en raison de l’absence de faits nouveaux.

    40.  Le requérant interjeta appel. Il présentait une nouvelle expertise psychiatrique attestant qu’il ne souffrait d’aucun trouble de la personnalité. Le 19 avril 2013, la cour d’appel, après avoir pris note des améliorations concernant la santé psychique du requérant, estima qu’une modification des conditions de garde de l’enfant était prématurée.

    41.  Entre-temps, le requérant avait déposé un recours devant le tribunal civil de Bologne à l’encontre de la psychiatre L.M., auteur de l’expertise du 15 novembre 2010, (voir paragraphes 25-28 ci-dessus), dont il mettait en cause la responsabilité professionnelle. La procédure est toujours pendante à ce jour.

    42.  Le 29 septembre 2014, l’enfant subit une intervention chirurgicale consistant en l’ablation des végétations. Les services sociaux annulèrent la rencontre qui aurait dû avoir lieu le 30 septembre.

    43.  Une autre rencontre fut annulée le 6 janvier 2015 au motif qu’il s’agissait d’un jour férié. Les services sociaux informèrent le requérant que cette rencontre ne pouvait pas être récupérée.

    44.  En raison des difficultés auxquelles il disait être confronté dans l’exercice de son droit de visite, le requérant déposa, le 4 février 2015, une plainte à l’encontre du responsable des services sociaux. Il y exposait que plus de 170 rencontres avaient eu lieu sans que les services sociaux n’eussent apporté ni même envisagé un quelconque changement pour favoriser une bonne relation père-fils.

    45.  Depuis mars 2015, le requérant rencontre son fils deux heures par semaine en présence d’un assistant social soit à son domicile soit dans un lieu public, et deux heures et demie en présence de E.G. Le requérant ne peut ni partir en vacances avec son fils ni l’héberger chez lui. En revanche, il peut lui téléphoner une fois par semaine sur le portable de E.G.

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

    46.  Le requérant reproche aux services sociaux de s’être accordé une trop grande autonomie dans la mise en œuvre des décisions du tribunal pour enfants de Bologne et à ce dernier de n’avoir pas exercé un contrôle régulier sur le travail de ces mêmes services. En particulier, il allègue que les psychologues ayant rédigé le rapport d’expertise et le personnel des services sociaux ont subi l’influence de la mère de l’enfant qui exerçait comme psychiatre au sein de la même structure administrative. Il se plaint d’une violation de l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

    « 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

    2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

    47.  Le Gouvernement combat les thèses du requérant.

    A.  Objections préliminaires

    48.  Le Gouvernement estime que la requête est irrecevable au motif que le requérant n’aurait pas respecté l’article 47 du règlement, tel que modifié en 2013 et en vigueur depuis janvier 2014. Il invite la Cour à examiner la requête à la lumière des pièces jointes au dossier jusqu’au 29 mai 2012, date de l’introduction de la présente affaire.

    49.  Le requérant demande tout d’abord à la Cour de se prononcer sur la validité des observations du Gouvernement, précisant que le nom de l’agent ayant signé lesdites observations ne figure pas au dossier.

    50.  Il indique ensuite que sa première lettre a été transmise à la Cour le 29 mai 2012. Il estime que la requête doit être réputée introduite à cette date, aux motifs que son contenu a satisfait aux conditions requises et qu’il a ensuite soumis un formulaire de requête dûment rempli dans le délai fixé par la Cour. Il se réfère à cet égard à la décision Kemevuako c. Pays-Bas ((déc.), no 65938/09, 1er juin 2010).

    51.  La Cour répond d’emblée à la question de savoir s’il y a lieu de prendre en compte les observations du Gouvernement. À cet égard, elle note que, même si les nom et prénom de l’agent du Gouvernement les ayant rédigées n’y figurent pas, les observations en question ont été paraphées et qu’elles ne peuvent par conséquent passer pour irrecevables.

    52.  Par ailleurs, la Cour note que le Gouvernement n’a pas indiqué en quoi le requérant n’aurait pas respecté les instructions énoncées à l’article 47 du règlement. Elle rappelle également que les conditions plus strictes pour l’introduction d’une requête ne sont exigées qu’à partir du 1er janvier 2014 par le nouvel article 47 de son règlement. En l’espèce, elle constate que la requête a été introduite le 29 mai 2012 et que, par conséquent, il n’y a aucune raison de considérer que le requérant n’a pas respecté les conditions requises par l’article 47 tel qu’en vigueur à l’époque des faits (Oliari et autres c. Italie, nos 18766/11 et 36030/11, §§ 67-68, 21 juillet 2015).

    53.  Partant, elle rejette l’objection du Gouvernement.

    B.  Sur la recevabilité

    54.  La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

    C.  Sur le fond

    1.  Thèse des parties

    a)  Le requérant

    55.  Le requérant allègue tout d’abord que les expressions utilisées par le Gouvernement pour évoquer sa relation avec son fils n’ont aucune base légale et que de plus elles sont, dans une certaine mesure, offensantes à son égard.

    56.  Selon le requérant, les juridictions internes n’ont pas respecté et garanti concrètement son droit de visite. De plus, il leur reproche de ne pas être intervenues afin de faire respecter un juste équilibre entre les divers intérêts présents au vu notamment du lien professionnel qui existait entre E.G., les assistants sociaux et les psychologues.

    57.  À cet égard, le requérant indique que, dès 2009, le tribunal pour enfants de Bologne avait été informé que les membres des services sociaux concernés et E.G. étaient liés sur le plan professionnel, cette dernière travaillant comme psychiatre au sein de la même structure administrative. Il ajoute avoir dénoncé l’attitude des services sociaux de Scandiano et leur partialité, et avoir demandé que le suivi de son fils fût confié aux services sociaux d’une autre commune.

    58.  Le requérant indique en outre que l’expertise psychologique ordonnée par le tribunal en 2010 a été confiée à L.M., que cette psychiatre avait elle aussi eu une relation de travail avec E.G. et qu’il a dénoncé sa partialité. Il reproche au tribunal d’avoir néanmoins défini son droit de visite sur la base de l’expertise en cause, déposée le 15 novembre 2010, et d’avoir chargé ces mêmes services sociaux de réglementer les rencontres protégées avec son fils.

    59.  Le requérant indique avoir ensuite réitéré ses arguments devant la cour d’appel de Bologne et avoir notamment sollicité l’accomplissement d’une nouvelle expertise par un médecin impartial, avoir aussi demandé la prise en charge de son suivi psychologique et de celui de son fils par les services sociaux et s’être en outre soumis à une expertise psychiatrique. Selon le requérant, cette expertise, transmise à la cour d’appel, concluait qu’il ne souffrait d’aucune pathologie ni d’aucun trouble de la personnalité.

    60.  Le requérant fait valoir ensuite que la cour d’appel de Bologne a rejeté son appel. D’après lui, elle a estimé que ses arguments concernant la partialité de l’expertise et des services sociaux de Scandiano étaient liés à son état psychologique ; au sujet des lésions sur le corps de l’enfant, elle a considéré que, si la mère frappait réellement son fils, il y aurait eu des signes plus évidents ; elle a relevé que, selon les services sociaux qui suivaient la situation de la famille, il était obsédé par l’idée que E.G. maltraitait son enfant ; elle a estimé que les expertises produites par le requérant relativement à son état psychologique n’étaient pas fiables ; elle a confirmé la décision entreprise, et elle a chargé les services sociaux de Scandiano de prévoir un suivi psychologique de l’enfant et du requérant ainsi que d’organiser les rencontres protégées en fonction des résultats de ce suivi.

    61.  Le requérant rappelle ensuite que, en 2009, les services sociaux de Scandiano ont suspendu son droit de visite, qu’en 2012 ils ont interdit pendant longtemps les contacts téléphoniques entre le père et son fils, qu’ils n’ont jamais proposé de modification de son droit de visite malgré plus de 170 rencontres ; qu’ils ont annulé des visites sans le prévenir et sans fixer une autre date afin de permettre au requérant et à son fils de récupérer celles qui avaient été annulées.

    62.  Par ailleurs, le requérant soutient que les juridictions internes se sont bornées à examiner son cas de façon superficielle.

    63.  Il ajoute à cet égard que le déroulement des procédures devant les juridictions internes montre bien le caractère automatique et stéréotypé des mesures adoptées. En d’autres termes, à ses yeux, les autorités nationales ont laissé perdurer une situation de droit de visite excessivement limité selon lui, le contraignant à ne voir son fils, depuis 2009, qu’à l’occasion de rencontres protégées de courte durée pendant la semaine ou en présence de E.G. De surcroît, les juridictions internes - tout comme le Gouvernement dans ses observations - n’auraient jamais pris en compte le lien professionnel de E.G. avec les services sociaux de Scandiano et les psychologues intervenus dans la présente affaire. Il renvoie à cet égard, mutatis mutandis, à l’arrêt Piazzi c. Italie (no 36168/09, § 61, 2 novembre 2010).

    Aussi le requérant estime-t-il que les autorités auraient dû prendre des mesures plus directes et plus spécifiques pour favoriser un lien plus étroit entre lui et son fils.

    b)  Le Gouvernement

    64.  Après avoir résumé le déroulement des procédures judiciaires nationales, le Gouvernement indique que les juridictions internes ont accordé toute leur attention à la présente affaire et qu’elles ont pris toutes les mesures utiles pour préserver la relation père-enfant.

    65.  Il précise à cet égard que les juges nationaux ont examiné attentivement la situation du requérant et qu’ils n’ont confié aux services sociaux que les activités de suivi et une expertise sur le comportement de la famille afin de vérifier la relation de l’intéressé avec son enfant. Selon le Gouvernement, les résultats des rapports obtenus ont montré que le requérant faisait preuve d’un comportement hostile à l’égard des services sociaux, des juges et de la mère de l’enfant, et qu’il ne parvenait pas à maintenir une relation équilibrée avec son fils.

    66.  Devant la difficulté de la situation, les autorités internes auraient pris toutes les mesures nécessaires pour mettre en place un parcours de rapprochement entre le père et l’enfant, garantir le droit de visite du requérant et préserver son lien avec son fils. Aussi le Gouvernement estime-t-il que le requérant ne peut se prétendre victime.

    67.  Le Gouvernement ajoute que les interventions des services sociaux ont été correctes, qu’elles étaient supervisées par les tribunaux (il renvoie à cet égard à l’arrêt R.K. et A.K. c. Royaume-Uni, no 38000/05, §§ 32-39, 30 septembre 2008) et que ces mêmes autorités ont veillé à maintenir un juste équilibre entre les intérêts en jeu.

    68.  Le Gouvernement dit se référer à la jurisprudence de la Cour selon laquelle il n’appartiendrait pas à celle-ci de se substituer aux autorités internes pour réglementer la situation de l’enfant.

    69.  Quant à la question de la partialité de l’expert, le Gouvernement se borne à indiquer que la cour d’appel, estimant qu’aucun élément concret dans le dossier ne pouvait faire douter de l’attitude des experts, a rejeté le recours du requérant le 5 décembre 2011. Il ajoute que le service des urgences de Parme avait certifié à l’issue d’un entretien avec le requérant que celui-ci se trouvait en état de souffrance psychologique nécessitant une aide.

    70.  En conclusion, le Gouvernement est d’avis que l’ingérence dans le droit à la vie familiale du requérant était prévue par la loi et qu’elle poursuivait un but légitime, et que l’intervention des tribunaux se fondait sur des motifs qui auraient été vérifiés à plusieurs reprises par les services sociaux et par l’expert.

    71.  Aussi le Gouvernement considère-t-il que les autorités ont agi exclusivement dans l’intérêt de l’enfant, qui serait primordial dans ce type d’affaires.

    2.  Appréciation de la Cour

    a)  Principes généraux

    72.  Comme la Cour l’a rappelé à maintes reprises, si l’article 8 de la Convention a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. Elles peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie familiale jusque dans les relations des individus entre eux, dont la mise en place d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer les droits légitimes des intéressés ainsi que le respect des décisions judiciaires, ou des mesures spécifiques appropriées (voir, mutatis mutandis, Zawadka c. Pologne,48542/99, § 53, 23 juin 2005). Cet arsenal doit permettre à l’État d’adopter des mesures propres à réunir le parent et son enfant, y compris en cas de conflit opposant les deux parents (voir, mutatis mutandis, Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 108, CEDH 2000-I, Sylvester c. Autriche, nos 36812/97 et 40104/98, § 68, 24 avril 2003, Zavřel c. République tchèque, no 14044/05, § 47, 18 janvier 2007, et Mihailova c. Bulgarie, no 35978/02, § 80, 12 janvier 2006). Elle rappelle aussi que les obligations positives ne se limitent pas à veiller à ce que l’enfant puisse rejoindre son parent ou avoir un contact avec lui, mais qu’elles englobent également l’ensemble des mesures préparatoires permettant de parvenir à ce résultat (voir, mutatis mutandis, Kosmopoulou c. Grèce, no 60457/00, § 45, 5 février 2004, Amanalachioai c. Roumanie, no 4023/04, § 95, 26 mai 2009, Ignaccolo-Zenide, précité, §§ 105 et 112, et Sylvester, précité, § 70).

    73.  Pour être adéquates, les mesures visant à réunir le parent et son enfant doivent être mises en place rapidement, car l’écoulement du temps peut avoir des conséquences irrémédiables pour les relations entre l’enfant et celui des parents qui ne vit pas avec lui (voir, mutatis mutandis, Ignaccolo-Zenide, précité, § 102 ; voir aussi Maire c. Portugal, no 48206/99, § 74, CEDH 2003-VII, Pini et autres c. Roumanie, nos 78028/01 et 78030/01, § 175, CEDH 2004-V, Bianchi c. Suisse, no 7548/04, § 85, 22 juin 2006, Piazzi, précité, Lombardo c. Italie, no 25704/11, 29 janvier 2013, et Nicolò Santilli c. Italie, no 51930/10, 17 décembre 2013).

    b)  Application de ces principes à la présente espèce

    74.  Dans l’examen de la présente affaire, la Cour note tout d’abord que, au moment de leur séparation, le requérant et la mère de l’enfant n’étaient pas parvenus à un accord sur les modalités du droit de visite paternel.

    75.  La Cour estime que, face aux circonstances qui lui sont soumises, sa tâche consiste à examiner si la réponse des autorités italiennes à la nécessité de prendre des mesures propres à préserver le lien entre le requérant et son enfant au cours de la procédure a été conforme à leurs obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention.

    76.  La Cour relève que, à partir de septembre 2009, nonobstant la décision du tribunal pour enfants de Bologne lui reconnaissant un droit de visite très large, le requérant n’a pu exercer ce droit que de manière très limitée en raison, d’une part, des rapports négatifs des services sociaux, lesquels faisaient partie de la même structure administrative que celle dans laquelle la mère de l’enfant exerçait en tant que psychiatre, et, d’autre part, d’une expertise réalisée par une psychiatre ayant effectué son stage de fin d’études avec celle-ci.

    77.  La Cour note également que le requérant a, à plusieurs reprises, dénoncé la partialité de la psychiatre et des services sociaux, et qu’il a demandé aux juridictions de confier son propre suivi psychologique et celui de son fils à d’autres services sociaux ainsi que d’ordonner l’accomplissement d’une nouvelle expertise par un médecin impartial. Les juridictions internes ont cependant continué à confier le suivi aux services sociaux de Scandiano et, en dépit d’une expertise produite par le requérant selon laquelle il ne souffrait d’aucun trouble de la personnalité, elles ont rejeté son recours, estimant que ses arguments étaient liés à son état psychologique (paragraphe 34 ci-dessus). Par la suite, sur la base de l’expertise produite en novembre 2010 par les services sociaux de Scandiano, les juridictions internes ont interdit tout contact téléphonique entre le requérant et son fils et, en mars 2012, elles ont suspendu les rencontres. Celles-ci n’ont ensuite repris que de manière très restreinte.

    78.  La Cour note en outre que, par la suite, malgré deux nouvelles expertises produites par le requérant selon lesquelles il ne souffrait d’aucun trouble psychologique et qui suggéraient un rapprochement avec son enfant, les juridictions, en se basant sur les expertises des services sociaux de Scandiano de 2011, ont limité le droit de visite de l’intéressé. Depuis cette date, les conditions d’exercice du droit de visite sont restées presque inchangées.

    79.  La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle des autorités nationales compétentes quant aux mesures qui auraient dû être prises, car ces autorités sont en principe mieux placées pour procéder à une telle évaluation, en particulier parce qu’elles sont en contact direct avec le contexte de l’affaire et les parties impliquées (Reigado Ramos, précité, § 53). Pour autant, elle ne peut en l’espèce passer outre au fait que, à plusieurs reprises, le requérant a mis en cause la partialité des services sociaux et de la psychiatre auteur de l’expertise en raison de l’existence d’un lien entre eux et la mère de l’enfant, et que ces recours ont été rejetés par les juridictions internes.

    80.  La Cour rappelle avoir déjà sanctionné les autorités italiennes parce qu’elles n’avaient pas tenu compte de l’existence d’un lien entre l’expert chargé de procéder à une évaluation psychologique de l’enfant et le beau-père de celui-ci (Piazzi, précité, § 61). Dans la présente affaire, la Cour relève que l’existence d’un lien entre la mère de l’enfant, les services sociaux et la psychiatre chargée de rédiger l’expertise sur la famille était évidente dès lors qu’ils entretenaient des liens professionnels (voir paragraphe 21 ci-dessus).

    81.  Or la Cour estime qu’il aurait été non seulement dans l’intérêt du requérant mais encore particulièrement dans celui de l’enfant que les juridictions internes répondent favorablement aux demandes du requérant, qu’elles chargent un autre expert - indépendant et impartial - de réaliser une nouvelle expertise, et qu’elles confient le suivi de l’enfant aux services sociaux d’une autre commune. Sur la base de ces nouveaux rapports, le tribunal et la cour d’appel auraient pu mieux évaluer s’il était nécessaire de restreindre ou d’élargir le droit de visite du requérant, et ce en tenant également compte des expertises produites par le requérant selon lesquelles il ne souffrait d’aucun trouble de la personnalité justifiant une telle restriction du droit de visite.

    La Cour relève que les juridictions internes n’ont pris aucune mesure appropriée pour créer les conditions nécessaires à la pleine réalisation du droit de visite du père de l’enfant (Macready c. République tchèque, nos 4824/06 et 15512/08, § 66, 22 avril 2010).

    82.  Cela étant, elle reconnaît que les autorités faisaient en l’espèce face à une situation très difficile qui était due notamment aux tensions existant entre les parents de l’enfant. Elle rappelle cependant qu’un manque de coopération entre des parents séparés ne peut dispenser les autorités compétentes de mettre en œuvre tous les moyens susceptibles de permettre le maintien du lien familial (voir Nicolò Santilli, précité, § 74, Lombardo, précité, § 91, et, mutatis mutandis, Reigado Ramos c. Portugal, no 73229/01, § 55, 22 novembre 2005). En l’espèce, les autorités nationales sont restées en deçà de ce qu’on pouvait raisonnablement attendre d’elles dès lors que le tribunal et la cour d’appel se sont limités à restreindre le droit de visite du requérant sur la base des expertises négatives produites par les services sociaux et les psychologues travaillant dans la même structure administrative que la mère de l’enfant.

    83.  La Cour estime que la procédure aurait dû s’entourer des garanties appropriées permettant de protéger les droits du requérant et de prendre en compte ses intérêts. Or la Cour constate que les juridictions internes n’ont pas procédé avec la diligence nécessaire et que, depuis environ sept ans, le requérant dispose d’un droit de visite très limité. En outre, compte tenu de des conséquences irrémédiables que le passage du temps peut avoir sur les relations entre l’enfant et le requérant, la Cour estime à cet égard qu’il incomberait aux autorités internes de réexaminer, dans un bref délai, le droit de visite du requérant en tenant compte de la situation actuelle de l’enfant et de son intérêt supérieur.

    84.  Eu égard à ce qui précède et nonobstant la marge d’appréciation de l’État défendeur en la matière, la Cour considère que les autorités nationales n’ont pas déployé les efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit de visite du requérant et qu’elles ont méconnu le droit de l’intéressé au respect de sa vie familiale.

    85.  Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

    II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    86.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

  1. .  Le requérant réclame 16 037,08 euros (EUR) pour préjudice matériel. Ce montant représente selon lui le total des sommes qu’il a versées aux psychiatres intervenus dans les procédures internes.
  2. .  Il demande en outre 25 000 EUR pour préjudice moral.
  3. .  Le Gouvernement combat ces prétentions.
  4. .  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 10 000 EUR au titre du préjudice moral.
  5. .  Pour ce qui est de la demande du requérant tendant à ordonner à l’État défendeur de lui accorder un droit de visite élargi, la Cour estime, dans les circonstances particulières de l’affaire, qu’il ne lui appartient pas de donner suite à cette prétention. Elle rappelle que l’Etat défendeur reste libre en principe, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de ses obligations au titre de l’article 46 § 1 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 88, 30 juin 2009 ; Ferré Gisbert c. Espagne, no 39590/05, § 46, 13 octobre 2009). La Cour se réfère de toute manière aux exigences de rapidité mentionnées au paragraphe 83 ci-dessus.
  6. B.  Frais et dépens

    92.  Le requérant demande également 27 465,50 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 11 520 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

    93.  Le Gouvernement combat ces prétentions.

    94.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 15 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.

    C.  Intérêts moratoires

    95.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

    i.  10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

    ii.  15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 novembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    Françoise Elens-Passos                                                            Päivi Hirvelä
           Greffière                                                                             Présidente

     


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