BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
European Court of Human Rights |
||
You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> PREITE v. ITALY - 28976/05 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section)) French Text [2015] ECHR 1021 (17 November 2015) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/1021.html Cite as: [2015] ECHR 1021 |
[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]
QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE PREITE c. ITALIE
(Requête no 28976/05)
ARRÊT
STRASBOURG
17 novembre 2015
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Preite c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Päivi Hirvelä, présidente,
Guido Raimondi,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Krzysztof Wojtyczek,
Faris Vehabović,
Yonko Grozev, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 octobre 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28976/05) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Guido Preite (« le requérant »), avait saisi la Cour le 26 juillet 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
Le requérant étant décédé 1er janvier 2012, ses quatre héritiers - son épouse Mme Anna Conte et les trois enfants du couple Vito, Paolo et Anna Preite - ont exprimé le souhait de continuer la procédure devant la Cour. Mme Anna Conte étant décédée le 17 août 2013, les trois autres requérants ont informé le Greffe de ce qu’ils avaient hérité de celle-ci. Pour des raisons d’ordre pratique, le présent arrêt continuera d’appeler M. Guido Preite « le requérant » bien qu’il faille aujourd’hui attribuer cette qualité à ses trois héritiers.
2. Le requérant a été représenté par Me C. Ventura, avocat à Bari. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora, par son ancien coagent adjoint, M. N. Lettieri et par sa coagente, Mme P. Accardo.
3. Le requérant allègue sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 6 de la Convention une atteinte injustifiée à son droit au respect de ses biens et la violation de son droit à un procès équitable.
4. Le 25 avril 2008, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant était propriétaire d’un terrain sis à Taurisano (dans la région des Pouilles), classé par le plan d’urbanisme communal de 1973 comme faisant partie de la « zone agricole spéciale E3 ».
Le 18 avril 1989, le terrain fut occupé par l’administration publique, qui avait décidé d’y construire un marché couvert et une place. Par un arrêté du 5 mai 1992, 8 586 mètres carrés furent expropriés.
6. Le projet de construction du marché concernait également le terrain voisin, appartenant à M. Osvaldo Preite, qui fut également exproprié.
7. Le 25 mars 1992, le requérant assigna la municipalité de Taurisano devant la cour d’appel de Lecce en vue de l’obtention d’une indemnité d’expropriation adéquate, correspondant à la valeur marchande du terrain, au sens de la loi no 2359/1865. La municipalité était représentée par le commissaire chargé de la gestion financière de la ville, à la suite de la déclaration de faillite (dissesto) de celle-ci.
8. Le 14 août 1992 entra en vigueur la loi no 359 du 8 août 1992 (intitulée « Mesures urgentes en vue d’améliorer l’état des finances publiques »), qui prévoyait dans son article 5bis de nouveaux critères pour calculer l’indemnité d’expropriation des terrains. Cette loi s’appliquait expressément aux procédures en cours et disposait que pour déterminer si un terrain était constructible, il fallait prendre en compte les possibilités légales et effectives d’édifier (voir droit interne pertinent).
9. Au cours de la procédure, la cour d’appel de Lecce chargea un expert d’évaluer le terrain. Selon cet expert, le terrain du requérant était constructible, de par sa situation et sa vocation à être édifié (vocazione edificatoria) même si le plan d’urbanisme en vigueur depuis 1973 l’avait classé comme agricole. Sa valeur par mètre carré était, au moment de son occupation, de 65 000 lires italiennes (ITL ; 33,57 euros (EUR)).
10. Par la suite, la cour d’appel chargea un deuxième expert, qui estima qu’au moment de l’occupation, le terrain en question valait 51 700 ITL (26,70 EUR) par mètre carré.
11. L’administration défenderesse argua que les deux expertises ci-dessus devaient être écartées, car elles ne répondaient pas aux critères établis par l’article 5bis de la loi no 359 du 8 août 1992 quant à l’évaluation de la nature d’un terrain. La nouvelle loi imposait en effet que seule l’indication contenue dans le plan d’urbanisme pouvait être utilisée pour apprécier la nature d’un terrain. Elle excluait donc qu’on apprécie in concreto la nature du terrain telle qu’elle pourrait ressortir au moment de l’expertise. Étant donné que le terrain litigieux n’était pas classé comme constructible par le plan d’urbanisme mais comme « agricole spécial », il devait être tenu pour agricole, et être indemnisé à hauteur de 3 500 ITL (1,81 EUR) le mètre carré. Cette valeur résultait des critères de calcul pour les terrains agricoles énoncés par la loi no 865 de 1971. A l’appui de ses thèses, l’administration se référa à l’expertise d’office qui avait été faite dans la procédure introduite par le voisin du requérant.
12. Par un arrêt du 10 juillet 2000, la cour d’appel estima qu’il y avait lieu d’appliquer le raisonnement suivi par l’expert nommé dans la procédure concernant le voisin et décida d’indemniser le terrain du requérant comme terrain agricole, étant donné que celui-ci n’était pas classé comme constructible par le plan d’urbanisme. La cour accorda une indemnité d’expropriation de 3 500 lires italiennes par mètre carré (1,81 EUR), pour les raisons évoquées ci-dessus, aux termes de l’article 5bis de la loi no 359 de 1992.
13. Le requérant se pourvut en cassation.
14. Par un arrêt du 25 mars 2005, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle affirma que l’article 5bis de la loi no 359/1992, à son alinéa 3, prévoyait une distinction rigide entre les terrains classés comme constructibles et les autres. Par conséquent, les terrains classés comme agricoles mais non utilisés en agriculture devaient être indemnisé comme s’ils étaient exploités à des fins agricoles. Dès lors, aux termes de l’alinéa 4 de cette disposition, il y avait lieu d’accorder un montant correspondant au rendement agricole moyen des terres agricoles de la région.
15. Par son arrêt no 181 de 2011, la Cour constitutionnelle déclara que l’article 5bis de la loi no 359/1992 était incompatible avec la Constitution, dans la mesure où l’indemnité d’expropriation pour les terrains non classés comme constructibles était déterminée sur la base d’un calcul abstrait. Il ne pouvait pas y avoir d’indemnisation adéquate si on faisait abstraction de la valeur de marché du terrain, et cette dernière dépendait des caractéristiques réelles du bien. Il fallait donc baser l’indemnité d’expropriation sur une évaluation in concreto des terrains.
16. Le requérant n’a pu se prévaloir de cet arrêt de la Cour constitutionnelle, la procédure intentée par lui s’étant déjà terminée au moment du prononcé de l’arrêt no 181 de 2011 ci-dessus.
17. Le voisin du requérant a pu se prévaloir de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, car la procédure le concernant était encore pendante au moment du prononcé de l’arrêt. Le 6 juin 2013, la Cour de cassation a ainsi renvoyé le dossier à la cour d’appel de Bari, pour qu’elle se conforme à l’arrêt de la Cour constitutionnelle. Dans une expertise du 2 octobre 2014, l’expert nommé par la cour d’appel a pu évaluer in concreto le terrain du voisin, et a estimé qu’au moment de l’expropriation (1992) sa valeur était de 20,50 EUR par mètre carré.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
18. La loi no 2359/1865, en son article 39, prévoyait qu’en cas d’expropriation d’un terrain, l’indemnité à verser devait correspondre à la valeur marchande du terrain au moment de l’expropriation.
19. La loi no 865/1971 (complétée par l’article 4 du décret-loi no 115/1974, devenu par la suite la loi no 247/1974, ainsi que par l’article 14 de la loi no 10/1977) introduisit de nouveaux critères : l’indemnisation pour tout terrain, qu’il fût agricole ou constructible, devait être calculée comme s’il s’agissait d’un terrain agricole.
20. Par l’arrêt no 5 du 25 janvier 1980, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnelle la loi no 865/1971, au motif que celle-ci traitait de manière identique deux situations très différentes, à savoir qu’elle prévoyait le même type d’indemnisation pour les terrains constructibles et les terrains agricoles. À la suite de cet arrêt, l’article 39 de la loi no 2359/1865 redéploya ses effets.
21. Le Parlement adopta la loi no 385 du 29 juillet 1980, qui réintroduisait les critères venant d’être déclarés inconstitutionnels, mais cette fois à titre provisoire. La loi disposait en effet que la somme versée était un acompte devant être complété par une indemnité, qui serait calculée sur la base d’une loi à adopter prévoyant des critères d’indemnisation spécifiques pour les terrains constructibles.
22. Par l’arrêt no 223 du 15 juillet 1983, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnelle la loi no 385/1980, au motif que celle-ci soumettait l’indemnisation en cas d’expropriation d’un terrain constructible à l’adoption d’une loi future, et qu’elle réintroduisait, même si ce n’était qu’à titre provisoire, des critères d’indemnisation déjà déclarés inconstitutionnels. À cet égard, la Cour constitutionnelle rappela que le législateur était tenu de prendre en compte le fait qu’une loi déclarée illégale cessait immédiatement de produire ses effets, et souligna la nécessité d’élaborer des dispositions accordant des indemnités d’expropriation conséquentes (serio ristoro). À la suite de l’arrêt no 223 de 1983, l’article 39 de la loi no 2359/1865 déploya de nouveau ses effets.
23. La loi no 359 du 8 août 1992 (« Mesures urgentes en vue d’améliorer l’état des finances publiques ») introduisit, en son article 5bis, une mesure « provisoire, exceptionnelle et urgente », tendant au redressement des finances publiques, valable jusqu’à l’adoption de mesures structurelles. Cette disposition s’appliquait à toute expropriation en cours et à toute procédure pendante y afférente. Publié dans le Bulletin officiel des lois le 13 août 1992, l’article 5bis de la loi no 359/1992 entra en vigueur le 14 août 1992. Cette disposition prévoyait deux modalités différentes pour le calcul de l’indemnisation pour les terrains constructibles, d’une part (alinéas 1 et 2), et pour les terrains agricoles, d’autre part (alinéa 4).
24. Pour décider de l’indemnisation d’un terrain, l’article 5bis de la loi no 359 de 1992 imposait de déterminer préalablement la nature du terrain (constructible ou agricole). À cet égard, l’alinéa 3 de l’article 5bis prévoyait que « pour déterminer si un terrain est constructible ou pas il faut prendre en compte les possibilités légales et effectives d’édifier au moment où le terrain est frappé d’un permis d’exproprier ».
25. L’interprétation de cette disposition n’était pas univoque lorsqu’il s’agissait de déterminer la nature des terrains qui, en dépit de leur classement comme agricoles par le plan d’urbanisme, n’étaient pas utilisés pour l’agriculture et présentaient des caractéristiques faisant ressortir leur vocation à être édifiés. Par l’arrêt no 172 du 23 avril 2001, les sections réunies de la Cour de cassation précisèrent que seuls les terrains classés comme constructibles par le plan d’urbanisme pouvaient être considérés comme constructibles aux fins de l’indemnité d’expropriation. Par conséquent, tout terrain non classé comme constructible par le plan d’urbanisme devait être indemnisé comme un terrain agricole utilisé en agriculture, aux termes de l’alinéa 4 de l’article 5bis, sans tenir compte des caractéristiques réelles du bien et de sa vocation à être édifié.
26. Aux termes de l’alinéa 4 de l’article 5bis de la loi no 359 de 1992, pour calculer l’indemnité d’expropriation dans le cas d’un terrain classé comme agricole mais non cultivé, il fallait appliquer le même critère utilisé pour indemniser un terrain exploité en agriculture, sur base d’un calcul abstrait et forfaitaire aboutissant à une somme correspondant à la valeur moyenne de rendement agricole des terrains de la région.
27. Le Répertoire des dispositions sur l’expropriation (décret du président de la République no 327/2001, modifié par le décret-loi no 302/2002), entré en vigueur le 30 juin 2003, a codifié les dispositions existantes et les principes jurisprudentiels en matière d’expropriation. L’article 40 du Répertoire a repris pour l’essentiel les critères de fixation de l’indemnité d’expropriation prévus par l’article 5bis de la loi no 359/1992 pour les terrains non constructibles, tandis que l’article 37 du Répertoire a repris ceux concernant les terrains constructibles.
28. Par son arrêt no 181 de 2011, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnel l’article 5bis de la loi no 359 de 1992, quant aux critères utilisés pour calculer le montant de l’indemnisation en cas d’expropriation de terrains non classés comme constructibles, qui s’appliquaient indépendamment des caractéristiques réelles du bien exproprié. La Haute Juridiction a estimé que pour avoir une indemnisation adéquate il fallait que celle-ci soit en rapport avec la valeur marchande du terrain, ce qui est était possible uniquement si le terrain en question était évalué in concreto.
29. Par son arrêt no 348 de 2007, la Cour constitutionnelle avait par ailleurs déjà déclaré inconstitutionnel l’article 5bis de la loi no 359 de 1992, quant aux critères utilisés pour calculer le montant de l’indemnisation en cas d’expropriation de terrains constructibles. L’indemnité à verser en cas d’expropriation d’un terrain constructible était en effet calculée selon une formule aboutissant à 30 % de la valeur marchande, pouvant aller dans certains cas jusqu’à 50 %.
EN DROIT
I. OBSERVATION PRÉLIMINAIRE
30. La Cour note d’emblée que le requérant est décédé le 1er janvier 2012. Ses quatre héritiers - son épouse Mme Anna Conte et leurs trois enfants Vito, Paolo et Anna Preite - ont exprimé le souhait de continuer la procédure devant la Cour. Mme Anna Conte étant décédée le 17 août 2013, les trois enfants du requérant ont fait savoir qu’ils avaient hérité de celle-ci et ont confirmé leur souhait de poursuivre l’instance.
31. Le Gouvernement, informé de cette situation, n’a pas soulevé d’objections.
32. La Cour estime que les héritiers du requérant et de son épouse, eu égard à l’objet de la présente affaire, peuvent prétendre avoir un intérêt suffisant pour justifier de la poursuite de l’examen de la requête et lui reconnaît dès lors la qualité pour se substituer désormais à lui en l’espèce (voir, par exemple, X c. France, 31 mars 1992, § 26, série A no 234-C, p. 89, ; La Rosa et Alba c. Italie (no 1), no 58119/00, §§ 47-48, 11 octobre 2005).
II. SUR LA DEMANDE DE RADIATION DE LA REQUETE AU SENS DE L’ARTICLE 37 DE LA CONVENTION
33. Le 27 janvier 2014, le Gouvernement a saisi la Cour d’une déclaration unilatérale sollicitant la radiation de l’affaire en contrepartie du versement d’une somme (38 000 EUR) et de la reconnaissance de la violation du droit au respect des biens au sens de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 6 de la Convention.
34. Le requérant s’est opposé à cette proposition. Il a observé que le montant offert était largement inférieur à la valeur du terrain litigieux, telle qu’elle ressort des expertises d’office effectuées en cours de procédure et également de l’expertise d’office du 2 octobre 2014 concernant le terrain du voisin.
35. La Cour réaffirme que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d’une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l’examen de l’affaire se poursuive. Ce seront toutefois les circonstances particulières de la cause qui permettront de déterminer si la déclaration unilatérale offre une base suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention n’exige pas qu’elle poursuive l’examen de l’affaire au sens de l’article 37 § 1 in fine (voir, parmi d’autres, Tahsin Acar c. Turquie (exceptions préliminaires) [GC], no 26307/95, § 75, CEDH 2003-VI ; Melnic c. Moldova, no 6923/03, § 22, 14 novembre 2006).
36. Après avoir examiné les termes de la déclaration du Gouvernement et eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire, la Cour estime que la déclaration en question n’offre pas une base suffisante pour conclure que le respect des droits de l’homme n’exige pas la poursuite de l’examen de la requête (Przemyk c. Pologne, no 22426/11, § 39, 17 septembre 2013 ; Rossi et Variale c. Italie, no 2911/05, 3 juin 2014).
37. Partant, la Cour rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation de la requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention et va en conséquence poursuivre l’examen de l’affaire au fond.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
38. Le requérant se plaint du caractère inadéquat de l’indemnité d’expropriation, qui a été calculée sans tenir compte des caractéristiques réelles du terrain, au sens de l’article 5bis, alinéa 4, de la loi no 359 de 1992. Il allègue la violation de l’article 1 du Protocole no 1, qui se lit ainsi :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
39. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
40. Le requérant allègue que l’indemnité d’expropriation qu’il a reçue n’est pas adéquate vu qu’elle est très sensiblement inférieure à la valeur marchande du terrain. Ceci découle du fait que l’indemnité litigieuse n’a pas été calculée en fonction des caractéristiques réelles du terrain, mais sur la base d’un calcul abstrait. En effet, le terrain litigieux était classé comme « agricole spécial », mais il n’était pas exploité à des fins agricoles. Situé au centre-ville, à deux cents mètres de la place principale, il avait vocation à être édifié. D’ailleurs, il a été utilisé par la ville pour y bâtir un espace commercial (marché couvert). Les juridictions nationales ont fixé l’indemnisation comme si le terrain était exploité en agriculture, et ont accordé une somme correspondant au rendement agricole moyen des terrains de la région, aux termes de l’article 5bis de la loi no 359 de 1992. Le seul critère qui a été pris en compte a été le classement du terrain par le plan d’urbanisme de 1973, et aucune importance n’a été attribuée aux développements ultérieurs tant sur le plan urbanistique que factuel.
Le requérant se félicite de l’arrêt no 181 de 2011 de la Cour constitutionnelle, qui a déclaré contraire à la Constitution le mode de calcul de l’indemnité d’expropriation pour les terrains non classés comme constructibles, prévu par l’article 5bis de la loi no 359 de 1992. Il observe que toutefois il n’a pu se prévaloir de cet arrêt, sa procédure étant déjà terminée en 2011.
Le requérant déplore l’attitude du Gouvernement qui, malgré l’arrêt de la Cour constitutionnelle, réitère ses arguments selon lesquels le terrain doit être considéré et indemnisé comme étant un terrain agricole. Il demande à la Cour de prendre en compte le fait que, même au regard du droit interne, la situation dont il a souffert est désormais illégale. À cet égard, il observe que son voisin a pu utilement invoquer l’arrêt de la Cour constitutionnelle devant les juridictions nationales et obtenir une nouvelle expertise d’office, selon laquelle le terrain, compte tenu de ses caractéristiques réelles, qui sont les mêmes du terrain du requérant, valait 20,50 EUR par mètre carré au moment de l’expropriation.
41. Le Gouvernement observe que l’expropriation était conforme à la loi et répondait à un but légitime d’utilité publique. Le seul point en discussion est celui relatif à l’indemnité d’expropriation. Or, la question de l’indemnisation rentre dans la marge d’appréciation des États, et la Cour n’est pas compétente pour déterminer la nature du terrain litigieux et remettre en cause le classement urbanistique du bien.
Selon le Gouvernement, les juridictions nationales ont, à juste titre, indemnisé le terrain comme un terrain agricole, sans prendre en compte les caractéristiques réelles du terrain. Il demande à la Cour de baser son raisonnement, y compris aux fins de la satisfaction équitable, sur le fait que le terrain est classé comme agricole par le plan d’urbanisme. Il n’est donc pas question d’indemniser le terrain en tenant compte de sa vocation à être édifié, et les constructions érigées par l’administration publique ne peuvent jouer aucun rôle. A l’appui de sa thèse, le Gouvernement a déposé un avis émanant de l’administration publique (Agenzia delle entrate), selon lequel le requérant aurait dû percevoir 38 000 EUR en plus de la somme perçue au titre d’indemnité d’expropriation, étant donné qu’il s’agit d’un terrain agricole. Pour déterminer la valeur probable du terrain litigieux au moment de l’expropriation, il serait dès lors inopportun de prendre en compte les expertises d’office ordonnées dans la procédure du requérant ou l’expertise d’office effectuée sur le fond du voisin, la procédure relative à ce dernier étant en plus encore pendante.
2. Appréciation de la Cour
42. La Cour constate tout d’abord que les parties s’accordent pour dire qu’il y a eu « privation des biens » au sens de la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1.
43. Comme elle l’a précisé à plusieurs reprises, la Cour rappelle que l’article 1 du Protocole no 1 contient trois normes distinctes : « la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général (...). Il ne s’agit pas pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles. La deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété ; dès lors, elles doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première » (voir, entre autres, l’arrêt James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 37, série A no 98, lequel reprend en partie les termes de l’analyse que la Cour a développée dans son arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 61, série A no 52, p. 24 ; voir aussi les arrêts Les Saints Monastères c. Grèce, 9 décembre 1994, § 56, série A no 301-A, p. 31, Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 1999-II, et Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 106, CEDH 2000-I).
44. Une mesure d’ingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (voir, parmi d’autres, Sporrong et Lönnroth, précité, § 69, p. 26). Le souci d’assurer un tel équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 du Protocole no 1 tout entier, donc aussi dans la seconde phrase, qui doit se lire à la lumière du principe consacré par la première. En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure appliquée par l’État, y compris les mesures privant une personne de sa propriété (Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, § 38, série A no 332, p. 23 ; Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC], no 25701/94, §§ 89-90, CEDH 2000-XII ; Sporrong et Lönnroth, précité, § 73, p. 28).
45. En contrôlant le respect de cette exigence, la Cour reconnaît à l’État une grande marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause (Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 75, CEDH 1999-III). Elle ne saurait renoncer pour autant à son pouvoir de contrôle, en vertu duquel il lui appartient de vérifier que l’équilibre voulu a été préservé de manière compatible avec le droit des requérants au respect de leurs biens, au sens de la première phrase de l’article 1 du Protocole no 1 (Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 93, CEDH 2005).
46. Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le « juste équilibre » voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur les requérants une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre en considération les modalités d’indemnisation prévues par la législation interne. À cet égard, la Cour a déjà dit que, sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive. Un défaut total d’indemnisation ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 que dans des circonstances exceptionnelles (Les Saints Monastères, § 71, p. 35, Ex-Roi de Grèce et autres, § 89, arrêts précités). Cette disposition ne garantit pas dans tous les cas le droit à une réparation intégrale (James et autres, précité, § 54, p. 36 ; Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 182, CEDH 2004-V).
47. S’il est vrai que dans de nombreux cas d’expropriation licite, comme l’expropriation isolée d’un terrain en vue de la construction d’une route ou à d’autres fins « d’utilité publique », seule une indemnisation intégrale peut être considérée comme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, cette règle n’est toutefois pas sans exception (Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 25701/94, § 78, 28 novembre 2002). Des objectifs légitimes « d’utilité publique », tels qu’en poursuivent des mesures de réforme économique ou de justice sociale, peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande (Scordino c. Italie (no 1), [GC], no 36813/97, §§ 93-97, CEDH 2006-V).
48. En l’espèce, il n’est pas contesté que l’ingérence litigieuse ait satisfait à la condition de légalité et poursuivait un but légitime d’utilité publique. Dès lors, il reste à rechercher si, dans le cadre d’une privation de propriété licite, le requérant a eu à supporter une charge disproportionnée et excessive.
49. Le requérant se plaint de ce que l’indemnisation de son terrain - non utilisé à des fins agricoles - a été calculée en fonction de l’article 5bis, alinéas 3 et 4, de la loi no 359 de 1992, aux termes desquels l’indemnité d’expropriation d’un terrain classé comme agricole par le plan d’urbanisme doit correspondre à la valeur moyenne de rendement agricole des terrains de la région.
50. La Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de contrôler dans l’abstrait la législation litigieuse ; elle doit se borner autant que possible à examiner les problèmes soulevés par le requérant pour le cas dont on l’a saisie. À cette fin, elle doit, en l’espèce, se pencher sur la loi susmentionnée dans la mesure où le requérant s’en prend aux répercussions de celle-ci sur ses biens (Les Saints Monastères, précité, § 55). Il ne revient pas non plus à la Cour de trancher du classement ou de l’estimation du terrain telle que retenue par l’administration puis les juridictions internes, sauf à démontrer que l’indemnité versée à ce titre est sans rapport avec la valeur réelle du bien (Lallement c. France, no 46044/99, § 20, 11 avril 2002).
51. En l’occurrence, la Cour relève que les juridictions nationales n’ont pas pris en compte la valeur marchande du terrain. Leur calcul ne s’est en effet pas basé sur la situation du terrain et ses caractéristiques réelles, de sorte qu’il y a eu indemnisation comme si le terrain litigieux avait été exploité en agriculture. Ce système, qui ne tient aucun compte de la diversité des situations, en méconnaissant les différences résultant notamment de la configuration des lieux, et qui ne permet dès lors pas de calculer une indemnité d’expropriation en rapport avec la valeur marchande d’un terrain, a d’ailleurs amené la Cour constitutionnelle à conclure à l’incompatibilité des dispositions pertinentes avec la Constitution.
Il résulte de la situation ci-dessus que l’indemnité d’expropriation versée au requérant est largement inférieure à la valeur marchande du terrain en question. Le montant définitif de l’indemnisation a été fixé à 1,81 EUR par mètre carré, alors que la valeur marchande du terrain estimée à la date de l’occupation était respectivement de 33 EUR environ ou de 26 EUR environ par mètre carré, et ce selon les expertises d’office ordonnées dans la procédure intentée par le requérant. Par ailleurs, le terrain dont le voisin du requérant était propriétaire et qui a été exproprié à la même époque, pour le même projet public, a été évalué à 20,50 EUR par mètre carré au moment de l’expropriation.
52. Il s’agit en l’espèce d’un cas d’expropriation isolée, qui ne se situe pas dans un contexte de réforme économique, sociale ou politique et ne se rattache à aucune autre circonstance particulière. Par conséquent, la Cour n’aperçoit aucun objectif légitime « d’utilité publique » pouvant justifier un remboursement tellement inférieur à la valeur marchande.
53. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour estime que l’indemnisation accordée au requérant n’était pas adéquate, vu son faible montant et l’absence de raisons d’utilité publique pouvant légitimer une indemnisation tellement inférieure à la valeur marchande du bien. Il s’ensuit que l’intéressé a dû supporter une charge disproportionnée et excessive qui ne peut être justifiée par un intérêt général légitime poursuivi par les autorités (Scordino c. Italie (no 1), précité, §§ 99-103).
54. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
55. Le requérant allègue la violation à son droit à un procès équitable tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention qui, en ses passages pertinents, dispose :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ».
56. Le Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
57. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il y a donc lieu de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
58. Le requérant se plaint que les juridictions nationales n’ont pas évalué son terrain in concreto et qu’elles ont basé leurs décisions sur un raisonnement abstrait au sens de la loi no 359 de 1992. Elles se sont en outre appuyées sur l’estimation du fond du voisin, au lieu de prendre en compte les expertise d’office ordonnées dans le cadre de la procédure intentée par le requérant.
59. Le Gouvernement observe que ces griefs se confondent avec ceux qui ont été soulevés sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1.
60. La Cour estime que les griefs du requérant à cet égard se confondent avec celui qu’il tire, sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, du caractère inadéquat de l’indemnité d’expropriation et des modalités de calcul de celle-ci. Eu égard aux conclusions formulées au paragraphe 54 ci-dessus, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner séparément sous l’angle de l’article 6 de la Convention cette partie de la requête.
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
61. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
62. S’agissant du préjudice matériel, le requérant réclame en premier lieu une somme correspondant à la différence entre la valeur marchande du terrain au moment de l’expropriation et l’indemnité obtenue au plan national, plus indexation et intérêts. Pour déterminer la valeur du bien en 1992, il demande à la Cour de se baser sur la première expertise d’office, ou, subsidiairement, sur la deuxième expertise d’office.
63. Observant ensuite que l’administration publique a exploité le potentiel constructible de son terrain, en y érigeant notamment des espaces commerciales qui ont selon lui rapporté à la ville 1 500 000 euros (EUR), le requérant sollicite en outre le versement de 500 000 EUR.
64. Quant au préjudice moral, le requérant sollicite le versement de 200 000 EUR, étant donné qu’il s’agit de l’énième expropriation qu’il a subie.
65. Le Gouvernement s’oppose aux prétentions du requérant et soutient que celui-ci n’a pas droit à une somme supérieure à celle proposée dans la déclaration unilatérale, à savoir 38 000 EUR, au motif que le terrain litigieux est classé comme agricole par le plan d’urbanisme. En outre, le coût de construction des immeubles bâtis par la ville ne saurait pas être dédommagé. En tout état de cause, il faudra déduire la somme déjà perçue par le requérant au niveau national.
66. S’agissant du préjudice moral, le Gouvernement juge les prétentions du requérant exorbitantes.
67. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
68. En l’espèce, quant à l’article 1 du Protocole no 1, la Cour a dit que l’ingérence litigieuse satisfaisait à la condition de légalité et n’était pas arbitraire (paragraphe 48 ci-dessus). L’acte du gouvernement italien qu’elle a tenu pour contraire à la Convention était une expropriation qui eût été légitime si une indemnisation adéquate avait été versée, et en l’espèce une telle indemnisation devait être à hauteur de la valeur marchande du bien (paragraphes 51-52 ci-dessus). S’inspirant des critères généraux énoncés dans sa jurisprudence relative à l’article 1 du Protocole no 1 (Scordino c. Italie (no 1) précité, §§ 93-98 ; Stornaiuolo c. Italie, no 52980/99, § 61, 8 août 2006 ; Mason et autres c. Italie (satisfaction équitable), no 43663/98, § 38, 24 juillet 2007 ; Gigli Costruzioni S.r.l. c. Italie, no 10557/03, § 81, 1er avril 2008 ; Mandola v. Italie, no 38596/02, § 33, 30 juin 2009 ; Zuccalà c. Italie, no 72746/01, § 40, 19 janvier 2010), la Cour estime que l’indemnité d’expropriation adéquate en l’espèce aurait dû correspondre à la valeur marchande du bien au moment de la privation de celui-ci.
69. Pour déterminer la valeur probable du terrain en 1992, époque de l’expropriation, la Cour dispose de trois expertises d’office. Les deux premières relatives à la procédure intentée par le requérant, et qui ont évalué le terrain au moment de l’occupation, soit en 1989, respectivement à environ 33 EUR et à environ 26 EUR par mètre carré (paragraphe 11 ci-dessus). La troisième, plus récente, ordonné dans la procédure intentée par le voisin du requérant, a évalué le terrain à 20,50 EUR par mètre carré à l’époque de l’expropriation, à savoir en 1992 (paragraphe 17 ci-dessus).
70. Étant donné que la troisième expertise est la seule à avoir déterminé la valeur du terrain du voisin à l’époque de l’expropriation, la Cour estime opportun de se baser sur celle-ci, compte tenu des similitudes existant entre le terrain du requérant et celui de son voisin. Elle part donc du principe que le terrain litigieux valait 20,50 EUR par mètre carré en 1992.
71. La Cour accorde par conséquent une somme correspondant à la différence entre la valeur du terrain à l’époque de l’expropriation, soit 20,50 EUR par mètre carré, et l’indemnité obtenue au niveau national, soit 1,81 EUR par mètre carré, plus indexation et intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps s’étant écoulé depuis la dépossession du terrain. Aux yeux de la Cour, ces intérêts doivent correspondre à l’intérêt légal simple appliqué sur le capital progressivement réévalué.
72. Compte tenu de ces éléments, et statuant en équité, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 420 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour préjudice matériel.
73. Quant au préjudice moral, statuant en équité, la Cour accorde 10 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
B. Frais et dépens
74. Justificatifs à l’appui, le requérant demande également 15 513,32 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 35 950,03 EUR pour ceux engagés devant la Cour.
75. Le Gouvernement soutient que ces prétentions sont excessives et injustifiées.
76. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 20 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
77. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Rejette la demande de radiation du rôle de la requête ;
2. Déclare la requête recevable ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 6 de la Convention ;
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i) 420 000 EUR (quatre-cent vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;
ii) 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
iii) 20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 novembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise
Elens-Passos Päivi Hirvelä
Greffière Présidente