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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BAYAR AND GÜRBÜZ v. TURKEY (No. 2) - 33037/07 - Chamber Judgment (French Text) [2015] ECHR 115 (03 February 2015) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/115.html Cite as: [2015] ECHR 115 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE BAYAR ET GÜRBÜZ c. TURQUIE (no 2)
(Requête no 33037/07)
ARRÊT
STRASBOURG
3 février 2015
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Bayar et Gürbüz c. Turquie (no 2),
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
András Sajó, président,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Egidijus Kūris,
Jon Fridrik Kjølbro,
Robert Spano, juges,
et de Abel Campos, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 janvier 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 33037/07) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet État, MM. Hasan Bayar et Ali Gürbüz (« les requérants »), ont saisi la Cour le 26 juin 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants ont été représentés par Me İ. Akmeşe, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le 31 mars 2010, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Les requérants, MM. Gürbüz et Bayar, sont nés respectivement en 1971 et en 1982. Ils résident respectivement à Cologne (Allemagne) et à Berne (Suisse). Ils sont respectivement le propriétaire et le rédacteur en chef du quotidien Ülkede Özgür Gündem, dont le siège se trouve à Istanbul.
5. Le 24 mars 2004, ce quotidien publia un article intitulé « Message de remerciement au peuple » (Halka teşekkür mesajı) et contenant des déclarations que M. Aydar, président du Kongra-Gel, une branche de l’organisation illégale armée Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), avait formulées à l’occasion de la fête de Newroz[1].
6. Par un acte d’accusation du 26 mars 2004, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État inculpa MM. Gürbüz et Bayar pour publication d’une déclaration émanant d’une organisation illégale armée, infraction qui aurait été prévue à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi no 3713 ») et à l’article 2 § 1 additionnel de la loi no 5680.
7. Le 30 mars 2004, la cour de sûreté de l’État d’Istanbul accueillit l’acte d’accusation.
8. À la suite de l’abolition des cours de sûreté de l’État, le 15 juillet 2004, la première audience fut tenue par la cour d’assises d’Istanbul (« la cour d’assises »).
9. Le même jour, la cour d’assises condamna chacun des requérants au paiement d’une amende de 445 616 000 anciennes livres turques (TRL), soit environ 247 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à cette date, en vertu de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. Elle précisa que les accusés avaient la possibilité de former un pourvoi.
10. Le 5 octobre 2004, les requérants se pourvurent en cassation. Ils invoquaient en particulier l’article 10 de la Convention.
11. Le 20 octobre 2005, le procureur de la République près la Cour de cassation renvoya l’affaire devant la première instance pour réexamen en vue de permettre l’application de la loi la plus favorable aux requérants à la suite des modifications législatives.
12. Le 22 novembre 2005, la cour d’assises adopta une décision d’incompétence ratione materiae et l’affaire fut renvoyée au tribunal correctionnel de Beyoğlu.
13. Le 1er juin 2006, le tribunal correctionnel adopta également une décision d’incompétence et l’affaire fut renvoyée devant la Cour de cassation.
14. Le 29 août 2006, la Cour de cassation attribua l’affaire à la cour d’assises.
15. Le 8 mars 2007, la cour d’assises condamna chacun des requérants au paiement d’une amende de 440 livres turques (TRY)[2] (soit environ 233 EUR suivant le taux de change en vigueur à l’époque pertinente), en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. Elle précisa que l’arrêt était définitif. Elle formula notamment les considérations suivantes :
« (...) il ressort du contenu de l’écrit intitulé « Message de remerciement au peuple » que les déclarations de Zübeyir Aydar, président du PKK/Kongra-Gel, organisation illégale terroriste, à propos des effets de la fête de Newroz ont été publiées. [M. Aydar] y déclarait : « Le Newroz de l’année 2004 a été célébré sérieusement dans quatre parties du Kurdistan ainsi que partout où se trouvaient les Kurdes ; le soutien au peuple exercé par notre leader M. Abdullah Öcalan ainsi que la campagne en faveur de la liberté qu’il avait engagée ont atteint leur apogée grâce à cette fête de Newroz ». Le contenu de ladite déclaration est de nature à inciter le peuple à recourir à des méthodes terroristes et violentes et ne relève pas de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention (...) »
16. Le même jour, les requérants se pourvurent en cassation. Invoquant l’article 10 de la Convention, ils alléguaient en particulier que la procédure pénale dirigée à leur encontre portait atteinte à leur droit à la liberté d’expression.
17. Le 20 avril 2007, la cour d’assises rejeta leur demande de pourvoi. Elle indiquait que, en vertu de l’article 305 § 1 du code de procédure pénale, lorsque l’amende infligée n’excédait pas 2 000 TRY, le jugement était définitif.
18. Le 24 février 2010, la cour d’assises, examinant l’affaire à la suite de l’arrêt du 26 novembre 2009 dans lequel la Cour constitutionnelle avait supprimé les termes « les propriétaires » qui figuraient à l’article 6 de la loi no 3713, conclut à la suspension de l’exécution de la condamnation de M. Gürbüz.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
19. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce figurent dans les arrêts Bayar et Gürbüz c. Turquie (no 37569/06, §§ 12-13, 27 novembre 2012) et Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010).
EN DROIT
I. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT
20. Dans les observations qu’il a formulées dans le cadre de neuf Requêtes communiquées avec la présente Requête, le Gouvernement demande à la Cour de les déclarer toutes irrecevables pour non-respect de la règle des six mois énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention. Il soutient en effet que les requérants n’ont pas introduit la présente Requête dans un délai de six mois après le prononcé de l’arrêt par la cour d’assises. À cet égard, il précise que, en vertu selon lui de l’article 305 du code de procédure pénale, les amendes inférieures à deux milliards de livres turques ne sont pas susceptibles de pourvoi en cassation et que, par conséquent, la décision judiciaire interne à prendre en compte est l’arrêt rendu par la cour d’assises.
Le Gouvernement conteste également la qualité de victime de M. Gürbüz.
21. En l’espèce, la Cour note que la date de la décision définitive est le 8 mars 2007 et que la Requête en question a été introduite le 26 juin 2007. Dès lors, elle considère que les requérants ont respecté le délai de six mois et qu’il y a lieu d’écarter l’exception du Gouvernement.
22. Eu égard à l’exception préliminaire concernant l’absence de qualité de victime de M. Gürbüz, la Cour observe que l’exécution de la condamnation de ce dernier a été suspendue par une décision rendue ultérieurement par la cour d’assises à la suite de la modification de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 (paragraphe 18 ci-dessus). Cela étant, elle estime qu’une telle décision de suspension de la condamnation ne change rien au fait que M. Gürbüz a été précédemment condamné par la cour d’assises. Partant, la Cour rejette l’exception du Gouvernement tirée de l’absence de qualité de victime dans le chef de M. Gürbüz.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
23. Les requérants allèguent que leur condamnation a enfreint leur droit à la liberté d’expression. Ils invoquent à cet égard l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (...)
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime. (...) »
24. Le Gouvernement conteste la thèse des requérants.
25. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
26. La Cour note qu’il ne prête pas à controverse entre les parties que l’ingérence de l’État défendeur en l’espèce, consistant en l’inculpation des requérants pour les infractions précitées, était prévue par la loi et poursuivait un but légitime, en l’occurrence le maintien de la sûreté publique, la défense de l’ordre et la prévention du crime au sens de l’article 10 § 2 de la Convention (Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 45, 6 juillet 2010). Elle souscrit à l’appréciation des parties sur ce point et observe que le différend porte sur la question de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».
27. La Cour rappelle avoir conclu, dans des affaires soulevant des questions semblables à celles de la présente espèce, à la violation de l’article 10 de la Convention (Gözel et Özer, précité, § 64, Bayar c. Turquie (nos 1-8), nos 39690/06, 40559/06, 48815/06, 2512/07, 55197/07, 55199/07, 55201/07 et 55202/07, §§ 34- 35, 25 mars 2014). Elle examinera la présente affaire à la lumière de cette jurisprudence.
28. Elle relève en l’espèce que l’article litigieux rapportait une déclaration de M. Zübeyir Aydar, président du Kongra-Gel. Dans cette déclaration, M. Aydar remerciait les personnes qui avaient participé à la fête organisée à l’occasion de Newroz.
29. La Cour porte une attention particulière aux termes employés dans cet article et au contexte de sa publication, en tenant compte des circonstances qui entouraient le cas soumis à son examen, en particulier des difficultés liées à la lutte contre le terrorisme (Sürek c. Turquie (no 4) [GC], no 24762/94, § 58, 8 juillet 1999). Elle constate que, pris dans son ensemble, ce texte ne contenait aucun appel à la violence, à la résistance armée ou au soulèvement, et qu’il ne constituait pas un discours de haine, ce qui est à ses yeux l’élément essentiel à prendre en considération.
30. Ayant examiné les motifs avancés par les juges nationaux pour condamner le requérant (paragraphe 15 ci-dessus), la Cour conclut qu’ils ne sauraient être considérés, en tant que tels, comme suffisants pour justifier l’ingérence faite dans le droit des requérants à la liberté d’expression. Par conséquent, elle ne voit pas de raison de s’écarter de la conclusion à laquelle elle est parvenue dans son arrêt Gözel et Özer (précité).
31. Partant, il y a eu en l’espèce violation de l’article 10 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION
32. Les requérants soutiennent en outre que leur cause n’a pas été entendue dans un délai raisonnable et qu’ils n’ont disposé d’aucune voie de recours interne pour contester la durée de la procédure pénale engagée contre eux, pour faire valoir leur grief tiré de l’article 10 et pour se plaindre de l’impossibilité qui leur aurait été faite d’introduire un pourvoi en cassation. Ils invoquent les articles 6 et 13 de la Convention, ainsi libellés en leurs parties pertinentes en l’espèce :
Article 6
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur le grief relatif à la durée de la procédure
33. Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de la procédure pénale engagée contre eux ainsi que de l’absence d’une voie de recours interne pour la contester.
34. La Cour souligne qu’un nouveau recours en indemnisation a été instauré en Turquie à la suite de l’application de la procédure d’arrêt pilote dans l’affaire Ümmühan Kaplan c. Turquie (no 24240/07, 20 mars 2012). Elle rappelle que, dans sa décision Turgut et autres c. Turquie (no 4860/09, 26 mars 2013), elle a déclaré irrecevable une nouvelle Requête, faute pour les requérants d’avoir épuisé les voies de recours internes, en l’occurrence le nouveau recours. Pour ce faire, elle a considéré notamment que ce nouveau recours était, a priori, accessible et susceptible d’offrir des perspectives raisonnables de redressement pour les griefs relatifs à la durée de la procédure.
35. La Cour rappelle également que, dans son arrêt pilote Ümmühan Kaplan (précité, § 77), elle a précisé notamment qu’elle pourra poursuivre, par la voie de la procédure normale, l’examen des Requêtes de ce type déjà communiquées au Gouvernement. Elle note en outre que le Gouvernement n’a pas soulevé en l’espèce d’exception portant sur ce nouveau recours. À la lumière de ce qui précède, la Cour décide de poursuivre l’examen de la présente Requête.
36. S’agissant de l’examen du grief tiré de la durée de la procédure diligentée à l’encontre des requérants, la Cour estime que la période à considérer a débuté le 26 mars 2004, date de l’acte d’accusation (paragraphe 6 ci-dessus) et qu’elle a pris fin le 8 mars 2007, date de la décision définitive (paragraphe 15 ci-dessus). La période en question a donc duré plus de trois ans. La Cour note que le jugement de première instance condamnant les justiciables à une amende de 440 livres turques (TRY) n’était pas susceptible de pourvoi en cassation et qu’il est devenu définitif à la date de son prononcé.
37. La Cour considère que les délais écoulés entre les décisions rendues au cours de la procédure considérée dans sa globalité ne sont pas excessifs. En outre, elle ne constate aucune période de latence devant les juridictions, lesquelles ont régulièrement procédé à divers actes de procédure jusqu’au prononcé de l’arrêt. Elle estime en conséquence que la durée litigieuse ne saurait passer pour déraisonnable. Ce grief est donc manifestement mal fondé et doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
38. Quant à la période ultérieure à l’égard de M. Gürbüz, la Cour observe que la décision du 24 février 2010 par laquelle la cour d’assises (paragraphe 18 ci-dessus) a conclu à la suspension de l’exécution de la condamnation de M. Gürbüz apparaît comme étant une simple application de la modification de l’article 6 de la loi no 3713. Par conséquent, elle n’aperçoit pas de raison particulière de s’écarter de la conclusion à laquelle elle est parvenue ci-dessus (paragraphe 37 ci-dessus).
39. Quant au grief tiré de l’article 13 de la Convention, la Cour rappelle que celui-ci exige un recours effectif pour les seules plaintes que l’on peut estimer « défendables » au regard de la Convention (voir, entres autres, Powell et Rayner c. Royaume-Uni, 21 février 1990, § 31, série A no 172).
40. Eu égard à ses conclusions ci-dessus quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphes 33-37 ci-dessus), la Cour estime que les allégations des requérants sur ce point ne sauraient être considérées comme un grief défendable au regard de la Convention. Dès lors, elle ne relève aucune apparence de violation de l’article 13 de la Convention à cet égard. Il s’ensuit que ce grief est également manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejeté conformément à l’article 35 § 4.
B. Sur le grief relatif à l’impossibilité alléguée d’introduire un pourvoi en cassation
41. Invoquant l’article 13 de la Convention, les requérants soutiennent également que leur condamnation ne peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation. Ils se plaignent par ailleurs de l’absence de recours interne effectif propre à redresser leurs griefs tirés de l’article 10 de la Convention. La Cour observe que les parties ont soumis à cet égard leurs observations sur la recevabilité et sur le fond. La Cour note que les dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention doivent être considérées comme lex specialis par rapport à celles de l’article 13. Partant, elle estime nécessaire d’examiner ces griefs sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
42. Le Gouvernement conteste la thèse des requérants.
43. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
44. La Cour rappelle que, dans maintes affaires soulevant des questions semblables à celles de la présente espèce concernant l’impossibilité d’introduire un pourvoi en cassation contre un jugement de première instance, elle a conclu à la violation de l’article 6 de la Convention (Bayar et Gürbüz, précité, § 49).
45. En l’espèce, elle estime que les requérants ont subi une entrave disproportionnée à leur droit d’accès à un tribunal et que, dès lors, le droit à un tribunal que garantit l’article 6 § 1 de la Convention a été atteint dans sa substance même. Par conséquent, elle ne voit pas de raison de s’écarter de la conclusion à laquelle elle est parvenue dans son arrêt Bayar et Gürbüz (précité).
46. Partant, il y a eu violation de l’article 6 de la Convention à cet égard.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
47. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
48. Le représentant des requérants a présenté une demande globale au titre de l’article 41 dans le cadre de neuf autres Requêtes communiquées simultanément avec la présente Requête. Les demandes qui concernent les requérants de la présente espèce sont les suivantes :
- 30 000 euros (EUR) (M. Gürbüz) et 10 000 EUR (M. Bayar) pour le préjudice matériel que les intéressés estiment avoir subi en raison de leur condamnation ;
- 20 000 EUR au titre du préjudice moral pour chacun d’entre eux ;
- 7 200 EUR pour frais et dépens. À l’appui de cette demande, ils ont communiqué à la Cour une liste détaillée des travaux et prestations fournis par leur avocat devant la Cour.
49. Le Gouvernement conteste les montants réclamés.
50. En ce qui concerne le dommage matériel, la Cour relève que l’amende de 440 TRY infligée à M. Bayar (paragraphe 15) est la conséquence directe de la violation constatée sur le terrain de l’article 10 de la Convention. Il y a donc lieu d’ordonner le remboursement intégral à l’intéressé de la somme qu’il a acquittée à ce titre. Par conséquent, la Cour alloue à M. Bayar la somme de 233 EUR pour préjudice matériel.
51. Alors que M. Gürbüz a été condamné à une peine d’amende de 440 TRY, la cour d’assises a conclu, le 24 février 2010, à la suspension de l’exécution de sa condamnation après avoir réexaminé l’affaire à la suite de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 26 novembre 2009 (paragraphe 18 ci-dessus). Dès lors, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’octroyer cette somme à M. Gürbüz au titre du dommage matériel.
52. En ce qui concerne le dommage moral, la Cour estime que l’on peut considérer que les circonstances de l’espèce ont causé aux requérants un certain désarroi. Statuant en équité en vertu de l’article 41 de la Convention, elle alloue 1 300 EUR à chacun des requérants à titre de réparation de leur dommage moral.
53. S’agissant de la demande déposée pour frais et dépens, compte tenu des documents dont elle dispose et de ses critères en la matière, la Cour estime raisonnable d’accorder aux requérants, conjointement, la somme de 500 EUR à ce titre.
54. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la Requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 de la Convention (pour autant qu’il porte sur l’impossibilité d’introduire un pourvoi en cassation contre le jugement de première instance) et celui de l’article 10 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention à raison de l’impossibilité pour les requérants de former un pourvoi en cassation contre le jugement de première instance ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
i. 233 EUR (deux cent trente-trois euros), à M. Bayar, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel,
ii. 1 300 EUR (mille trois cents euros) à chacun des requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
iii. 500 EUR (cinq cents euros), conjointement aux deux requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour la totalité des frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 février 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Abel Campos András
Sajó
Greffier adjoint Président