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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ROLIM COMERCIAL, S.A. v. PORTUGAL - 16153/09 - Chamber Judgment [2015] ECHR 18 (13 January 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/18.html
Cite as: [2015] ECHR 18

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    ANCIENNE DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE ROLIM COMERCIAL, S.A. c. PORTUGAL

     

    (Requête no 16153/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

    (Satisfaction équitable)

     

     

     

    STRASBOURG

     

    13 janvier 2015

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Rolim Comercial, S.A. c. Portugal,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Dragoljub Popović,
              András Sajó,
              Nebojša Vučinić,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller,
              Jon Fridrik Kjølbro, juges,
    et de Abel Campos, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 décembre 2014,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 16153/09) dirigée contre la République portugaise et dont une société anonyme de droit portugais, Rolim Comercial, S.A. (« la requérante »), a saisi la Cour le 23 mars 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Par un arrêt du 16 avril 2013 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé qu’en expropriant le terrain appartenant à la requérante sans un acte formel de transfert de propriété et sans l’attribution d’une indemnisation, les autorités nationales avaient violé le principe de la légalité et porté atteinte au droit de la requérante au respect de ses biens, emportant ainsi une violation de l’article 1 du Protocole no 1 (Rolim Comercial, S.A. c. Portugal, n16153/09, §§ 67-68, 16 avril 2013).

    3.  En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, la requérante réclamait 3 733 811,14 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’elle avait subi ainsi que 100 000 EUR pour les frais et dépens devant les juridictions nationales et devant la Cour.

    4.  La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et la requérante à lui soumettre par écrit, dans les six mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 74, et point 4 du dispositif).

    5.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations.

    Le droit interne pertinent

    1.  Sur les intérêts légaux

    6.  L’arrêté ministériel (Portaria) no 339/87 du 24 avril 1987 a fixé le taux d’intérêt légal à 15 %. Il est passé à 10 % en vertu de l’arrêté ministériel no 1171/95 du 25 septembre 1995 puis à 7 % à partir de l’arrêté ministériel no 263/99 du 12 avril 1999. Il est de 4 % depuis l’arrêté ministériel no 291/03 du 8 avril 2003.

    2.  Sur le taux d’inflation

    7.  Selon l’institut national de statistique (Instituto nacional de estatísticas- INE), le facteur d’actualisation correspondant à l’indice des prix à la consommation a été de 1,61537391419998 entre avril 1994 et avril 2013.

    EN DROIT

    8.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage matériel

    1.  Thèse des parties

    9.  La requérante réclame un montant pour le préjudice matériel subi en raison de l’expropriation et de l’occupation illégitime de ses terrains jusqu’à l’arrêt prononcé à l’issue de la procédure devant le tribunal d’Oeiras. Pour la valeur du terrain, elle estime qu’il faudra prendre en compte l’année où elle a pris connaissance de son occupation, soit 1994. Elle rappelle que les juridictions internes ont considéré qu’à cette époque 50 appartements auraient pu être construits sur le terrain en cause et qu’en moyenne un appartement était alors vendu pour le prix de 7 000 000 escudos portugais (ci-après « PTE »). Elle en déduit que la valeur du terrain en 1994 était de 350 000 000 PTE, soit 1 745 792, 64 euros (ci-après « EUR »). En tenant compte de l’indice des prix à la consommation, ce montant correspond à 3 032 592, 15 EUR en 2012. Pour l’occupation du terrain, entre 1994 et 2009, elle réclame 994 009,25 EUR, somme correspondant à la différence entre la valeur du terrain en 1994 et la valeur du terrain en 2009, année où s’est terminée la procédure interne.

    10.  Le Gouvernement conteste le montant réclamé par la requérante pour le dommage matériel, le jugeant excessif et disproportionné par rapport à la valeur réelle du terrain en cause. Il souligne qu’aucune expertise n’a été ordonnée dans le cadre de la procédure interne afin de déterminer la valeur du terrain au moment de l’expropriation. En l’occurrence, il note que les juridictions internes ne se sont jamais prononcées sur le montant de l’indemnité d’expropriation à octroyer à la requérante, celle-ci n’ayant d’ailleurs pas introduit d’action à cette fin. Présentant à l’appui une expertise réalisée le 2 octobre 2013 par un expert à la cour d’appel de Lisbonne, le Gouvernement accepte qu’on puisse tenir compte de l’année 1994 pour déterminer la valeur du terrain en question même si l’expropriation est survenue en juin 1991. En effet, présentant la valeur cadastrale de 429, 01 EUR en 1991, le terrain a été valorisé après son classement en zone urbaine en 1994. En partant de la capacité de construction à cette époque, le rapport d’expertise estime la valeur du terrain en 1994 à 32 505 000 PTE, soit le montant arrondi de 162 130 EUR. Compte tenu de l’indice des prix à la consommation, entre la période de juin 1991, date de l’expropriation de fait, et juillet 2013, date du rapport, ce montant mis à jour correspond à 317 943 EUR. Au demeurant, le Gouvernement accepte que des intérêts soient dus pour le retard dans la fixation et le paiement de l’indemnisation d’expropriation, les intérêts devront toutefois être appliqués au montant à l’année 1994.

    2.  Appréciation de la Cour

    11.  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).

    12.  Les États contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt de la Cour constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux États contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 246-247, CEDH 2006-V, I.R.S. et autres c. Turquie (satisfaction équitable), no 26338/95, § 21, 31 mai 2005, et Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 200-I).

    13.  En ce qui concerne la présente affaire, la Cour rappelle que, dans son arrêt au principal, elle s’est exprimée en ces termes (§ 67) :

    « En l’absence d’un acte formel de transfert de propriété, la Cour estime (...) que la situation de la requérante ne saurait être considérée comme « prévisible » et comme répondant à l’exigence de « sécurité juridique » (...), l’ingérence litigieuse n’est pas compatible avec le principe de légalité et, par conséquent, elle a enfreint le droit de la requérante au respect de ses biens. Une telle conclusion dispense la Cour de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de sauvegarde des droits individuels. »

    14.  S’agissant du dommage matériel, elle avait considéré (§ 73) :

    « Vu la violation constatée de l’article 1 du Protocole no 1 et l’occupation irréversible du terrain, la Cour considère que la meilleure forme de réparation consiste dans l’octroi par l’État d’une indemnité pour le dommage matériel subi. Elle rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], nº 58858/00, 22 décembre 2009, la Grande Chambre a jugé opportun de revoir la jurisprudence Papamichalopoulos et autres c. Grèce (article 50), 31 octobre 1995, série A no 330-B en adoptant une nouvelle approche concernant les critères dindemnisation dans les affaires d’« expropriation indirecte ». Elle a ainsi considéré que lindemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois déduite la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des terrains. »

    15.  En suivant ces critères, le préjudice matériel subi par la requérante doit être calculé en faisant la somme de la valeur du terrain mise à jour à la date de l’arrêt au principal et des intérêts légaux permettant de compenser le retard du paiement de l’indemnisation depuis la dépossession du terrain. La somme additionnelle réclamée par la requérante au titre du dommage matériel visant à réparer l’occupation illégitime du terrain doit dès lors être rejetée.

    16.  La Cour note que les parties s’accordent pour déterminer la valeur du terrain à l’année 1994 même si l’expropriation a de fait eu lieu en juin 1991.

    17.  Avec le Gouvernement, la Cour constate ensuite qu’aucune expertise n’a été ordonnée dans le cadre de la procédure interne afin de déterminer la valeur du terrain lors de l’expropriation. Le seul rapport d’expertise permettant de déterminer la valeur du terrain est celui produit par le Gouvernement à l’appui de ses observations, la requérante n’en ayant présenté aucun. Les allégations de la requérante à ce sujet n’étant étayées par aucun rapport technique, la Cour estime qu’il y a lieu de tenir compte du rapport d’expertise présenté par le Gouvernement qui estime que la valeur du terrain en 1994 était de 162 130 EUR (voir paragraphe 10 ci-dessus).

    18.  Pour compenser les effets de l’inflation, le rapport d’expertise actualise ce montant en considérant la période allant de juin 1991, date où l’expropriation effectivement a eu lieu, et juillet 2013, date de remise du rapport. Dans un souci de précision et de cohérence, la Cour estime toutefois qu’il y a lieu de prendre en considération la période allant d’avril 1994, date où la requérante a pris connaissance de l’expropriation et avril 2013, date de l’arrêt au principal. La Cour note que l’indice des prix à la consommation hors habitation pour cette période était de 1,61537391419998 (voir paragraphe 7 ci-dessus), la somme mise à jour est donc de 261 900,57 EUR.

    19.  Il reste maintenant à calculer les intérêts. Conformément à la pratique de la Cour pour ce type d’affaire, ces intérêts doivent correspondre à l’intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué (Guiso-Gallisay, précité, § 105). La requérante ayant été expropriée de sa propriété en juin 1991, il y a lieu de calculer les intérêts légaux à partir de cette date. Ceux-ci devront néanmoins se reporter à la valeur initiale du terrain, soit 429,01 EUR, entre juin 1991 et le 25 avril 1994, puis à partir de cette date, à la valeur du terrain après son classement en zone urbaine, soit 162 130 EUR. Le montant total des intérêts s’élève ainsi à 202 942,66 EUR.

    20.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime raisonnable d’allouer à la requérante la somme 464 843 EUR pour le dommage matériel.

    B.  Dommage moral

    21.  La requérante n’a pas formulé de demande au titre du dommage moral subi. Partant, il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

    C.  Frais et dépens

    22.  La requérante demande le remboursement des frais et dépens à hauteur de 100 000 EUR pour les procédures engagées au niveau interne et devant la Cour.

    23.  Renvoyant à ses observations présentées dans le cadre de la procédure au principal, le Gouvernement estime que seuls pourront être considérés les frais et dépens effectivement engagés par la requérante.

    24.  La Cour rappelle que, pour avoir droit à l’allocation des frais et dépens en vertu de l’article 41 de la Convention, la partie lésée doit les avoir réellement et nécessairement exposés. En particulier, l’article 60 § 2 du règlement prévoit que toute prétention présentée au titre de l’article 41 de la Convention doit être chiffrée, ventilée par rubrique et accompagnée des justificatifs nécessaires, faute de quoi la Cour peut rejeter la demande, en tout ou en partie.

    25.  En l’espèce, la Cour constate que la demande de remboursement des frais et dépens présentée par la requérante au cours de la procédure ne satisfait manifestement pas à ces exigences, les sommes indiquées étant dépourvues de toute pièce justificative et ne permettant pas d’établir la nature exacte des services reçus et leur nécessité objective dans la procédure devant la Cour. La Cour estime dès lors qu’il n’y a pas lieu d’octroyer à la requérante de somme au titre des frais et dépens.

    D.  Intérêts moratoires

    26.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 464 843 EUR (quatre cent soixante-quatre mille huit cent quarante-trois euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    2.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 janvier 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

        Abel Campos                                                                    Guido Raimondi
    Greffier Adjoint                                                                        Président


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