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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ADRIAN RADU v. ROMANIA - 26089/13 - Chamber Judgment (French Text) [2015] ECHR 353 (07 April 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/353.html
Cite as: [2015] ECHR 353

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE ADRIAN RADU c. ROUMANIE

     

    (Requête no 26089/13)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    7 avril 2015

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Adrian Radu c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Luis López Guerra, président,
              Ján Šikuta,
              Dragoljub Popović,
              Kristina Pardalos,
              Johannes Silvis,
              Valeriu Griţco,
              Iulia Antoanella Motoc, juges,
    et de Stephen Phillips, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 mars 2015,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 26089/13) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Adrian Radu (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 avril 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me A. Grigoriu, avocat à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

    3.  Le requérant se plaint en particulier d’une violation de l’article 3 de la Convention en raison de ses conditions de détention à la prison de Giurgiu.

    4.  Le 2 septembre 2013, le grief concernant les conditions matérielles de détention a été communiqué au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant est né en 1971. D’après les informations fournies par le requérant en janvier 2015, il est actuellement incarcéré à la prison de Jilava.

    A.  Les conditions de détention telles que décrites par le requérant

    6.  Dans son formulaire de requête envoyé le 21 mai 2013, le requérant, qui était à l’époque détenu à la prison de Giurgiu, s’est plaint de « la torture psychique et physique des personnes incarcérées, en raison du manque d’espace suffisant, de la surpopulation carcérale, de l’absence de nourriture (...) et de l’absence d’eau potable ».

    7.  Dans ses observations écrites, le requérant a dénoncé des conditions de détention en se référant au système pénitentiaire roumain et en mentionnant uniquement la prison de Giurgiu. Il précisait qu’il était placé dans une cellule de 17,65 m² avec cinq autres détenus et qu’il ne disposait pas d’espace pour déposer sa nourriture. Il indiquait qu’il avait dénoncé cette situation, en précisant dans sa plainte que, dans une autre cellule, les détenus bénéficiaient de l’espace de 4 m² requis pour chaque détenu, conformément à l’arrêté du ministère de la Justice no 433/C/2010, et que le directeur de la prison avait répondu que la construction d’une nouvelle prison était nécessaire pour permettre à chaque détenu de bénéficier de l’espace prévu par l’arrêté précité.

    8.  Dans ces mêmes observations, le requérant s’est plaint en outre de ses conditions de transport au cours de sa détention, sans plus de précisions.

    B.  Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement

    9.  Le requérant était détenu à la prison de Giurgiu depuis le 21 janvier 2009. Au cours de sa détention dans cet établissement pénitentiaire, il a été, pour de courtes périodes, hospitalisé ou transféré dans une autre prison, afin de pouvoir participer aux audiences des tribunaux nationaux.

    10.  À la prison de Giurgiu, le requérant a été successivement placé dans huit cellules différentes, mesurant chacune 17,65 m². Chacune de ces cellules était pourvue de six lits, d’une salle de bains de 4,01 m², de trois chevets, d’un portemanteau, d’un meuble pour la télévision, d’une grande table et d’un banc. L’aération et l’éclairage des cellules se faisaient de manière naturelle par une fenêtre mesurant 150 sur 180 cm. Les cellules étaient dotées également d’éclairage artificiel. La salle de bains était pourvue d’un lavabo, d’une étagère, d’un miroir, d’un WC, d’un support pour le savon, d’un support pour le papier hygiénique et d’une douche.

    11.  Le requérant a reçu des repas spécifiques pour les personnes atteintes de diabète, préparés et contrôlés selon les normes légales.

    12.  Le requérant a bénéficié également d’une promenade quotidienne de deux heures dans une cour intérieure mesurant environ 1 400 m². Il a participé aussi à plusieurs programmes éducationnels et psychologiques organisés dans le cadre de la prison.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

    13.  Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce, ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« le CPT ») rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines ainsi que la jurisprudence fournie par le Gouvernement sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).

    14.  Dans son rapport publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires de Roumanie, le CPT précisa :

    « § 70 : (...)  le Comité est très gravement préoccupé par le fait que le manque de lits demeure un problème constant non seulement dans les établissements visités mais également à l’échelon national, et ce, depuis la première visite en Roumanie en 1995. Il est grand temps que des mesures d’envergure soient prises afin de mettre un terme définitif à cette situation inacceptable. Le CPT en appelle aux autorités roumaines afin qu’une action prioritaire et décisive soit engagée afin que chaque détenu hébergé dans un établissement pénitentiaire dispose d’un lit.

    En revanche, le Comité se félicite que, peu après la visite de juin 2006, la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules ait été amenée de 6 m3 (ce qui revenait à une surface de plus ou moins 2 m² par détenu) à 4 m² ou 8 m3. Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires en vue de faire respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. »

    15.  Dans son dernier rapport publié le 24 novembre 2011, à la suite de sa visite effectuée du 5 au 16 septembre 2010 dans plusieurs établissements pénitentiaires, le CPT a conclu que le taux de surpopulation des établissements pénitentiaires restait un problème majeur en Roumanie. Selon les statistiques fournies par les autorités roumaines, les quarante-deux établissements pénitentiaires du pays, d’une capacité totale de 16 898 places, comptaient 25 543 détenus au début de l’année 2010 et 26 971 détenus en août 2010, et le taux d’occupation était très élevé (150 % ou plus) dans la quasi-totalité de ces établissements.

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    16.  Le requérant se plaint des conditions matérielles de détention qu’il a subies. Il invoque à cet égard l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur l’objet de la requête

    17.   Le Gouvernement souligne que le requérant ne mentionne pas tous les centres pénitentiaires dans lesquels il a été détenu, mais se réfère uniquement à la prison de Giurgiu. En conséquence, il estime que l’examen de la Cour devrait porter uniquement sur ce centre pénitentiaire.

    18.  La Cour note qu’en effet les observations écrites du requérant concernent uniquement les conditions matérielles subies à la prison de Giurgiu. Dans ces conditions, l’examen qu’elle fera sur le terrain de l’article 3 de la Convention se limitera à ce seul centre de détention. Par ailleurs, la Cour examinera l’ensemble de la période pendant laquelle le requérant y a été incarcéré, bien qu’il ait été transféré pour de courtes périodes à l’hôpital ou dans une autre prison afin de lui permettre de participer aux audiences des tribunaux nationaux (voir, mutatis mutandis, Ciucă c. Roumanie, no 34485/09, § 39, 5 juin 2012, Toma Barbu c. Roumanie, no 19730/10, § 62, 30 juillet 2013, et Tirean c. Roumanie, no 47603/10, § 38, 28 octobre 2014).

    19.  Par ailleurs, la Cour relève que, dans ses observations écrites, le requérant se plaint pour la première fois de ses conditions de transport de la prison vers les tribunaux nationaux et qu’il produit plusieurs articles de journaux décrivant les conditions déplorables de transport des détenus de différentes prisons. La Cour considère que ses allégations sur ce point constituent un nouveau grief qui ne saurait être examiné dans le cadre de la présente requête et que, le cas échéant, il sera loisible au requérant d’introduire une nouvelle requête à cet égard.

    B.  Sur la recevabilité

    20.  Le Gouvernement allègue que les affirmations du requérant présentent un caractère général et que l’intéressé n’a pas soulevé de grief véritable, au sens de l’article 47 du règlement de la Cour (« le règlement »), quant à la présumée surpopulation carcérale ou à la prétendue absence de nourriture ou d’eau potable. À cet égard, invoquant les affaires Lalić c. Slovénie ((déc.), no 5711/10, 27 septembre 2011) et Stanivuk c. Slovénie ((déc.), no 6948/10, 30 avril 2013), le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas expliqué comment les conditions dénoncées par lui l’avaient affecté personnellement, d’autant plus qu’il n’aurait pas soumis à la Cour le moindre commencement de preuve. Dans ces conditions, aux yeux du Gouvernement, le grief est non étayé et il doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé.

    21.  Le requérant indique qu’il a dénoncé, dans le formulaire de requête, un état de surpopulation carcérale et une absence de nourriture et d’eau potable qui, à son avis, constituaient une violation de l’article 3 de la Convention, son grief étant ainsi, à ses yeux, suffisamment caractérisé. Il cite à l’appui de ses arguments les conclusions de la Cour dans l’affaire Constantin Tudor c. Roumanie (no 43543/09, §§ 55-57, 18 juin 2013), dans laquelle la Cour aurait accepté d’examiner le grief d’un requérant, tiré de la violation de l’article 3 de la Convention en raison de mauvaises conditions de détention, consistant en un simple renvoi à un autre arrêt rendu en la matière par elle. Le requérant ajoute que les mauvaises conditions matérielles de détention à la prison de Giurgiu sont prouvées par les différents arrêts de violation rendus par la Cour relativement à cette prison.

    22.  La Cour constate que le requérant ne s’est pas borné à se plaindre de conditions matérielles de détention de manière générale, mais qu’il a précisé quels éléments particuliers il voulait dénoncer, à savoir un état de surpopulation carcérale et une absence de nourriture et d’eau potable. En outre, eu égard à la manière dont le grief est formulé, il apparaît que l’intéressé s’estime directement affecté. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la requête, telle qu’initialement formulée par le requérant, n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Relevant par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

    C.  Sur le fond

    23.  Le requérant réitère sa position selon laquelle les conditions matérielles de sa détention ont enfreint l’article 3 de la Convention. À cet égard, il renvoie aux arrêts rendus par la Cour dans lesquels elle a conclu à la violation de cet article à raison des conditions matérielles de détention à la prison de Giurgiu.

    24.  Se référant à la description des conditions de détention fournie par lui, le Gouvernement soutient que les autorités nationales ont effectué toutes les diligences nécessaires pour se conformer aux normes exigées en matière de conditions de détention et qu’elles continueront à améliorer les conditions de détention du requérant. Il indique que le requérant a bénéficié d’un espace personnel de 3,39 m² dans sa cellule (y compris la salle de bains) à la prison de Giurgiu.

    25.  La Cour rappelle que, lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément essentiel à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention (Ciucă, précité, § 41, et Pavalache c. Roumanie, no 38746/03, § 94, 18 octobre 2011).

    26.  Faisant application du principe susmentionné à la présente affaire, la Cour se penchera sur le facteur qui est primordial en l’espèce, à savoir l’espace personnel dont le requérant disposait à la prison de Giurgiu.

    27.  En l’espèce, la Cour observe que, selon les données disponibles au dossier, le requérant disposait d’un espace personnel de 2,94 m². Cet espace était, en réalité, encore plus réduit du fait de la présence de mobilier (voir, mutatis mutandis, Iamandi c. Roumanie, no 25867/03, §§ 59 et 60, 1er juin 2010). La Cour conclut que le requérant a vécu pendant plusieurs années dans une grande promiscuité au sein de la prison précitée. Une telle situation de surpopulation n’a pu qu’accroître les difficultés des autorités et des détenus à maintenir un niveau d’hygiène correct (voir, mutatis mutandis, Ion Ciobanu c. Roumanie, no 67754/10, § 42, 30 avril 2013).

    28.  Pour la Cour, au vu de l’état de surpopulation carcérale et de la durée de la détention du requérant, les conditions de détention subies par ce dernier à la prison de Giurgiu ont par conséquent dépassé le seuil de gravité requis pour l’application de l’article 3 de la Convention.

    29.  Par ailleurs, la Cour rappelle avoir déjà conclu dans de nombreuses affaires à la violation de l’article 3 de la Convention à raison principalement du manque d’espace individuel suffisant et de mauvaises conditions d’hygiène corporelle dans la prison de Giurgiu, et ce pendant une période correspondant à celle pendant laquelle le requérant y a été incarcéré (Flamînzeanu précité § 92, Bădilă c. Roumanie, no 31725/04, § 76, 4 octobre 2011, Ţicu c. Roumanie, no 24575/10, § 62, 1er octobre 2013, et Marian Toma c. Roumanie, no 48372/09, § 33, 17 juin 2014).

    30.  Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner, de surcroît, les autres allégations du requérant concernant les conditions de sa détention.

    31.  Partant, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison de la surpopulation carcérale.

    II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    32.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    33.  Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice qu’il dit avoir subi.

    34.  Le Gouvernement soutient d’emblée que le requérant ne précise pas à quel titre il réclame le montant précité et que, dans ces conditions, il a enfreint les dispositions de l’article 60 § 2 du règlement. Il ajoute que, si la Cour interprétait la somme réclamée comme une demande de réparation du préjudice moral, celui-ci serait suffisamment compensé par un constat de violation, et il estime que le montant demandé est, en tout état de cause, excessif.

    35.  Eu égard à sa jurisprudence en la matière, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant la somme de 10 000 EUR au titre du préjudice moral.

    B.  Frais et dépens

    36.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, ne demande pas le remboursement de frais et dépens supplémentaires.

    C.  Intérêts moratoires

    37.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention, en ce qui concerne les conditions matérielles de détention subies par le requérant à la prison de Giurgiu ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 avril 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

      Stephen Phillips                                                                 Luis López Guerra
            Greffier                                                                               Président


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