BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?

No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!



BAILII [Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback]

European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MONGELLI AND OTHERS v. ITALY - 40205/02 - Committee Judgment (French text) [2015] ECHR 493 (19 May 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/493.html
Cite as: [2015] ECHR 493

[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]


     

     

    QUATRIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE MONGELLI ET AUTRES c. ITALIE

     

    (Requête no 40205/02)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    19 mai 2015

     

     

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Mongelli et autres c. Italie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :

              Päivi Hirvelä, présidente,
              Ledi Bianku,
              Nona Tsotsoria, juges,
    et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 avril 2015,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 40205/02) dirigée contre la République italienne et dont 7 ressortissants de cet État, MM. Giuseppe, Francesco di Paola Maria, Concetta, Gaetano Maria Innocenzo, Concetta Maria Mongelli, Giovanna Severino et Lucia Scichilone sont des ressortissants italiens (« les requérants »), ont saisi la Cour le 28 octobre 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Les requérants ont été représentés par Me A. Anfuso Alberghina, avocat à Caltagirone. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora, son ancien coagent M. N. Lettieri, et sa coagente Mme P. Accardo.

    3.  Le 30 mars 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    4.  Le 12 février 2007, M. Giuseppe Mongelli décéda.

    5.  Le 15 janvier 2009, Mme Lucia Scichilone décéda.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    6.  Les requérants sont nés respectivement en 1916, 1951, 1942, 1959, 1958, 1920, 1925 et résident à Niscemi.

    A.  L’occupation d’urgence du terrain et les procédures y relatives

    7.  Les requérants étaient propriétaires d’un terrain sis à Niscemi d’environ 16.000 mètres carrés.

    8.  Par deux arrêtés du 24 juin 1973 et du 5 avril 1977, la municipalité autorisa l’occupation d’urgence d’une partie du terrain des requérants, pour une période maximale de cinq ans, en vue de son expropriation, pour permettre à l’Institut autonome de gestion des HLM (« IACP ») de procéder à la construction des habitations à loyer modéré.

    9.  Les requérants introduisirent un recours devant le tribunal administratif de Catane (« T.A.R. »), faisant valoir que les arrêtés autorisant l’occupation du terrain étaient entaché de nullité. Par un jugement du 19 mars 1984, le tribunal administratif annula tous les actes de la procédure d’occupation du terrain. L’administration attaqua ledit jugement devant le Conseil de justice administrative pour la Sicile. Par un arrêt du 27 janvier 1989, le Conseil de justice rejeta le recours de l’administration.

    10.  Entre-temps, le 17 janvier 1984, les requérants introduisirent devant le tribunal de Caltagirone une action en dommages-intérêts à l’encontre de la municipalité et du IACP. Ils faisaient valoir que l’occupation du terrain était illégale, étant donné que celle-ci s’était poursuivie au-delà de la période autorisée, sans mise en œuvre d’une procédure d’expropriation et versement d’une indemnité et demandaient un dédommagement pour la perte du terrain. De plus, les requérants faisaient valoir que l’occupation du terrain en vue de son expropriation était illégale, puisque, conformément au jugement du T.A.R., les actes de la procédure d’occupation étaient inefficaces.

    11.  Des trente audiences fixées entre le 5 avril 1984 et le 6 juin 2001, six ne se tinrent pas pour des raisons non précisées, deux furent renvoyées en raison de l’absence de l’expert, une au motif que ce dernier n’avait pas déposé son rapport, une d’office, cinq à la demande des parties, dont quatre afin d’examiner les rapports d’expertise, deux concernèrent la constitution des parties dans la procédure, quatre le dépôt de mémoires et documents, cinq l’expertise, trois la présentation des conclusions, une les plaidoiries.

    12.  Par un jugement du 2 février 2002, le tribunal affirma que le terrain était passé à l’administration par effet de l’expropriation indirecte et condamna l’administration ainsi que le IACP à payer aux requérants une indemnité calculée selon la loi no 662 de 1996 entre-temps entrée en vigueur, à savoir 958 450 354 ITL (494 998 EUR), plus 453 514 795 ITL (234 221 EUR) pour indemnité d’occupation. Ces sommes devaient être réévaluées et assorties d’intérêts à partir de 1999. En outre, elles étaient soumises à un impôt à la source de 20%, prévu par la loi no 413 de 1991.

    13.  Le 25 février 2003, l’administration attaqua le jugement du tribunal devant la cour d’appel de Catane.

    14.  Entre-temps, le 25 mai 2005 les requérants introduisirent un recours afin de contester l’application de l’impôt prévu par la loi no 413 de 1991 devant la commission tributaire provinciale de Caltanissetta. L’issue de cette procédure n’est pas connue.

    15.  Par un arrêt déposé au greffe le 7 juin 2010, la cour d’appel de Catane estima qu’il s’agissait en l’espèce d’une expropriation illégitime ab initio, au motif que l’arrêté d’occupation n’était pas conforme à la loi. La cour d’appel souligna que, à la lumière des arrêts no 348 et 349 de 2007 de la Cour constitutionnelle déclarant l’inconstitutionnalité de l’article 5 bis du décret-loi no 333 du 11 juillet 1992, tel que modifié par la loi no 662 de 1996, l’expropriation indirecte était contraire à l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour, et entraînent l’obligation pour l’administration publique de verser aux intéressés un dédommagement à hauteur de la valeur vénale du terrain exproprié sur la base de la nouvelle expertise ordonnée par la cour. Dès lors, la cour d’appel accorda aux requérants un dédommagement de 459 485,81 EUR plus réévaluation et intérêts.

    B.  La procédure « Pinto »

    16.  À une date non précisée en 2003, les requérants saisirent la cour d’appel de Messine au sens de la loi « Pinto », demandant à être dédommagés pour la durée excessive de la procédure devant le tribunal de Caltagirone.

    17.  Par une décision du 5 juin 2003, dont le texte fut déposé au greffe le 25 juillet 2003, la cour d’appel conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et accorda 4 000 EUR à chaque requérant pour dommage moral, et 1 818 EUR conjointement pour frais et dépens.

    18.  Il ressort du décret de la cour d’appel que cette décision fut notifiée au ministère de la Justice le 6 octobre 2003. La décision devint ainsi définitive le 6 décembre 2003.

    19.  À une date non précisée en 2004, les requérants entamèrent une procédure d’exécution devant le tribunal de Caltanissetta afin d’obtenir le paiement de l’indemnisation octroyée par la cour d’appel.

    20.  Le 18 mai 2004, le juge de l’exécution assigna aux requérants les sommes objet de leur saisie.

    21.  Les requérants reçurent lesdites sommes le 27 juillet 2004.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    22.  Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l’arrêt Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009 (§§ 16-48).

    23.  En particulier, quant aux derniers développements intervenus en droit interne, la Cour note que par les arrêts nos 348 et 349 du 22 octobre 2007, la Cour Constitutionnelle a jugé que la loi interne doit être compatible avec la Convention dans l’interprétation donnée par la jurisprudence de la Cour et, par conséquent, a déclaré inconstitutionnel l’article 5 bis du décret-loi no 333 du 11 juillet 1992, tel que modifié par la loi no 662 de 1996.

    24.  La Cour Constitutionnelle, dans l’arrêt no 349, a relevé que le niveau insuffisant d’indemnisation prévu par la loi de 1996 était contraire à l’article 1 du Protocole no 1 et par conséquent à l’article 117 de la Constitution italienne, lequel prévoit le respect des obligations internationales.

    25.  Suite aux arrêts de la Cour constitutionnelle, des modifications législatives sont intervenues en droit interne. L’article 2/89 e) de la loi de finances no 244 de 2007 a établi que dans un cas d’expropriation indirecte le dédommagement doit correspondre à la valeur vénale des biens, aucune réduction n’étant admise.

    26.  Cette disposition est applicable à toutes les procédures en cours au 1er janvier 2008, sauf celles où la décision sur l’indemnité d’expropriation ou sur le dédommagement a été acceptée ou est devenue définitive.

    27.  Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto » figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], n64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006-V).

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

    28.  Les requérants allèguent qu’ils ont été privés de leur terrain de manière incompatible avec l’article 1 du Protocole no 1 ainsi libellé :

    « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

    Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

    29.  Les requérants se plaignent du caractère inadéquat du montant accordé par le tribunal à titre d’indemnité d’expropriation, en raison de l’application à leur cause des lois no 662 de 1996 et no 431 de 1991.

    30.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

    Sur la recevabilité

    31.  Le Gouvernement observe que les requérants ont obtenu de la cour d’appel de Catane un dédommagement correspondant à la valeur vénale du terrain exproprié. De l’avis du Gouvernement, les requérants ne sauraient plus se prétendre « victimes » des faits qu’ils dénoncent.

    32.  La Cour rappelle avoir déjà examiné des exceptions similaires dans d’autres affaires concernant des expropriations indirectes. Dans ces affaires, elle avait conclu que le simple fait que le requérant ait reçu une indemnisation correspondant à la valeur vénale du terrain exproprié ne suffit pas en soi à lui retirer la qualité de « victime », bien que cela puisse jouer un rôle sur le terrain de l’article 41 (De Angelis et autres c. Italie, no 68852/01, § 57, 21 décembre 2006 ; Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, § 62, CEDH 2000-VI ; De Sciscio c. Italie, no 176/04, § 53, 20 avril 2006). Une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à retirer la qualité de «victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir Guerrera et Fusco c. Italie, no 40601/98, § 53, 3 avril 2003 ; Amuur c. France du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 846, § 36).

    33.  En l’espèce, la Cour estime devoir examiner la qualité de victime du requérant à la lumière du changement de législation intervenu à la suite des arrêts de la Cour Constitutionnelle nos 348 et 349 du 22 octobre 2007. Elle rappelle qu’il appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser une violation alléguée de la Convention. À cet égard, la question de savoir si un requérant peut se prétendre victime du manquement allégué se pose à tous les stades de la procédure au regard de la Convention et implique essentiellement pour la Cour de se livrer à un examen ex post facto de la situation de la personne concernée (Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, §§ 70-72, CEDH 2006-V).

    34.  La Cour réaffirme qu’il lui appartient tout d’abord de vérifier s’il y a eu reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la Convention (Cocchiarella c. Italie précité, § 84).

    35.  Elle relève que par ses arrêts nos 348 et 349 de 2007, la Cour Constitutionnelle italienne a déclaré l’inconstitutionnalité de l’article 5 bis du décret-loi no 333 du 11 juillet 1992, tel que modifié par la loi no 662 de 1996, puisque contraire à l’article 1 du Protocole no 1, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour. Par la suite, la loi de finances no 244 de 2007 a établi que les propriétaires expropriés doivent obtenir un dédommagement correspondant à la valeur entière du bien, aucune réduction n’étant plus admise.

    36.  En faisant application de ces principes, la cour d’appel de Catane a estimé en substance que l’expropriation indirecte du terrain des requérants était contraire à l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour, et entraînait une violation du droit de propriété des requérants et une obligation pour l’administration de réparer la violation. La cour d’appel condamna dès lors l’administration à verser aux requérants une indemnisation correspondant à la valeur vénale du terrain, plus réévaluation et intérêts.

    37.  La Cour estime que les juridictions internes ont constaté en substance la violation du droit de propriété des requérants. En outre, elle considère que le redressement reconnu par la cour d’appel de Catane, conforme aux critères de calcul établis par la Cour dans l’arrêt Guiso Gallisay (précité, § 105), constitue un redressement approprié et suffisant.

    38.  A la lumière de ces considérations, les requérants ne peuvent plus se prétendre victimes de la violation alléguée au sens de l’article 34 de la Convention (voir Armando Iannelli c. Italie, no 24818/03, 12 février 2013 ; Holzinger c. Autriche (no 1), no 23459/94, § 21, CEDH 2001-I).

    39.  Par conséquent, ce grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejetée en vertu de l’article 35 § 4.

    40.  En ce qui concerne le grief portant sur la réduction du montant de l’indemnité d’expropriation en raison de l’application de l’impôt prévu par la loi no 413 de 1991, la Cour note que les requérants ont omis de l’informer de l’issue de la procédure devant les juridictions fiscales.

    41.  Par conséquent, même à supposer que les requérants aient épuisé les voies de recours internes, la Cour estime que ce grief n’est pas suffisamment étayé. Partant, ce grief doit lui aussi être déclaré irrecevable en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN RAISON DU DÉFAUT D’ÉQUITÉ DE LA PROCÉDURE

    42.  Les requérants se plaignent également de l’application à leur cause de la loi no 662 de 1996, entrée en vigueur en cours de procédure et de ses répercussions sur le dédommagement sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, qui, dans ses parties pertinentes, se lit ainsi :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    43.  La Cour estime que ce grief est étroitement lié à celui tiré de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention, examiné ci-dessus, et qu’il doit par conséquent être déclaré irrecevable étant incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3.

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN RAISON DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

    44.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de la procédure devant le tribunal de Caltagirone et notamment de l’insuffisance du remède « Pinto ». L’article 6 § 1 dans ses parties pertinentes se lit ainsi:

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ».

    45.  La Cour note tout d’abord que les requérants ont soulevé le grief tiré de la durée de celle-ci devant la cour d’appel compétente au sens de la loi « Pinto ». Toutefois, elle remarque que les requérants ont introduit ce grief devant la Cour le 20 août 2004, alors que la décision de la cour d’appel de Messine est devenue définitive le 6 décembre 2003.

    46.  Il s’ensuit que ce grief est tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

    IV.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 6 § 1 ET 1 DU PROTOCOLE No 1 EN raison DU RETARD DANS LE PAIEMENT DE L’INDEMNISATION « PINTO »

    47.  Invoquant les articles 6 § 1 et 1 du Protocole no 1, les requérants se plaignent du retard mis par les autorités nationales à se conformer à la décision « Pinto » et de ce qu’ils ont été obligés d’introduire une procédure d’exécution. L’article 6 § 1 et l’article 1 du Protocole no 1 sont cités aux paragraphes 42 et 28 ci-dessus.

    A.  Sur la recevabilité

    48.  Le Gouvernement considère, tout d’abord, que les requérants ne sont plus « victimes » de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention car le retard litigieux a été compensé par l’octroi d’intérêts moratoires et, le cas échéant, de frais et dépens encourus dans la procédure d’exécution forcée.

    49.  À l’appui, le Gouvernement avance des arguments que la Cour a déjà rejetés, en dernier lieu, dans l’arrêt Belperio et Ciarmoli c. Italie (n  7932/04, 21 décembre 2010).

    50.  N’apercevant aucun motif de déroger à cette approche, la Cour rejette l’exception soulevée par le Gouvernement et considère que les requérants peuvent toujours se prétendre « victimes », au sens de l’article 34 de la Convention.

    51.  Ensuite, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, en ce que les requérants n’ont pas intenté une deuxième procédure « Pinto » pour se plaindre du retard dans le paiement de la somme Pinto.

    52.  La Cour a déjà considéré à plusieurs reprises (voir, notamment, Simaldone c. Italie, no 22644/03, § 44, 31 mars 2009) qu’exiger du requérant un nouveau recours « Pinto » pour se plaindre de la durée de l’exécution de la décision « Pinto » reviendrait à enfermer le requérant dans un cercle vicieux où le dysfonctionnement d’un remède l’obligerait à en entamer un autre. Une telle conclusion serait déraisonnable et constituerait un obstacle disproportionné à l’exercice efficace par les requérants de son droit de recours individuel, tel que défini à l’article 34 de la Convention (voir, l’arrêt Pedicini et autres c. Italie [comité], no 48117/99, § 30, 25 septembre 2012). Dès lors, il y a lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

    53.  Le Gouvernement soulève, enfin, une exception tirée de l’absence de préjudice important pour les requérants, au motif qu’il a obtenu des intérêts moratoires pour le retard dans le paiement de la somme Pinto et, en tout état de cause, qu’ils auraient pu saisir le juge national pour obtenir la compensation due pour la durée excessive de la procédure d’exécution.

    54.  Le Gouvernement se réfère au texte de l’article 35 § 3 b) de la Convention, tel que modifié par le Protocole no 14, selon lequel la Cour peut déclarer une requête irrecevable lorsque « le requérant n’a subi aucun préjudice important, sauf si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige un examen de la requête au fond et à condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n’a pas été dûment examinée par un tribunal interne ».

    55.  Pour ce qui est de la notion de « préjudice important », la Cour tient à souligner qu’il ne découle pas automatiquement du fait que les juridictions internes auraient reconnu, puis accordé une réparation pour violation de la Convention, qu’il n’y aurait pas de « préjudice » dans le chef des requérants, comme semble le soutenir le Gouvernement défendeur. En effet, l’évaluation au sujet de l’absence d’un tel « préjudice » ne se réduit pas à une estimation purement économique.

    56.  La Cour rappelle qu’afin de vérifier si la violation d’un droit atteint le seuil minimum de gravité, il y a lieu de prendre en compte notamment les éléments suivants : la nature du droit prétendument violé, la gravité de l’incidence de la violation alléguée dans l’exercice d’un droit ou les conséquences éventuelles de la violation sur la situation personnelle du requérant. Dans l’évaluation de ces conséquences, la Cour examinera, en particulier, l’enjeu de la procédure nationale ou son issue (voir, Giusti c. Italie, no 13175/03, § 34, 18 octobre 2011 ; Gagliardi c. Italie [comité], no 29385/03, § 45, 16 juillet 2013).

    57.  La Cour relève qu’en l’espèce, les requérants se plaignent du retard dans le paiement d’une somme « Pinto ». Elle relève, ensuite, que la somme Pinto a été payée un an après le dépôt au greffe de la décision de la cour d’appel, ce qui dépasse de six mois le délai pour l’exécution des décisions Pinto qui a été considéré comme acceptable par la Cour (Gagliardi, précité, Cocchiarella, précité, § 89; Simaldone, précité, § 48).

    Enfin, la Cour note que le retard concerne le paiement d’une somme de 28 000 EUR (4 000 EUR pour chaque requérant) accordée par la cour d’appel Pinto en raison de la durée excessive (18 ans pour un degré) de la procédure portant sur l’expropriation illégitime du terrain des requérants.

    58.  Compte tenu de la durée du retard dans le paiement, du montant de la somme Pinto et du fait qu’il s’agit d’une somme accordée afin de réparer une violation de la Convention, la Cour estime qu’il y a lieu de rejeter l’exception du Gouvernement.

    59.  La Cour relève que ce grief, ainsi que celui tiré de l’article 1 du Protocole no 1, ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité et, par conséquent, elle les déclare recevables.

    B.  Sur le fond

    60.  La Cour constate que la somme octroyée a été versée plus de six mois après le dépôt de la décision « Pinto » au greffe de la cour d’appel de Messine. A la lumière des critères établis dans les arrêts Simaldone et Gaglione et autres (précités), la Cour considère que ce retard constitue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

    61.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief formulé par les requérants sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 (Follo et autres c. Italie, no 28433/03, 28434/03, 28442/03, 28445/03 et 28451/03, § 30, 31 janvier 2012).

    V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION QUANT AU MANQUE D’EFFICACITÉ DU REMÈDE PRÉVU PAR LA « LOI PINTO »

    62.  Invoquant l’article 13 de la Convention, les requérants se plaignent du retard des autorités nationales à se conformer à la décision « Pinto », ce qui rendrait inefficace cette voie de recours.

    63.  Au vu de la jurisprudence Simaldone (précité, § 84) et Gaglione (précité, § 47), la Cour estime qu’il y a lieu de déclarer ce grief irrecevable pour défaut manifeste de fondement au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

    VI.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    64.  Aux termes de larticle 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage moral

    65.  Les requérants réclament, au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi, 20 000 EUR chacun.

    66.  Le Gouvernement n’a pas présenté d’observations sur ce point.

    67.  Compte tenu de la solution adoptée dans l’arrêt Gaglione et autres, précité, et statuant en équité, la Cour considère opportun d’accorder une somme forfaitaire de 200 EUR à chaque requérant à titre de dommage moral découlant de la violation constatée.

    B.  Frais et dépens

    68.  Justificatifs à l’appui, les requérants demandent également 206 698,72 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

    69.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Can et autres c. Turquie, no 29189/02, § 22, 24 janvier 2008). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).

    70.  La Cour ne doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d’allouer un montant de 5 000 EUR aux requérants conjointement pour l’ensemble des frais exposés.

    C.  Intérêts moratoires

    71.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du retard dans le paiement de l’indemnisation « Pinto » et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois, les sommes suivantes :

    i)  200 EUR (deux cents euros), à chaque requérant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  5 000 EUR (cinq mille euros), conjointement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 mai 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

         Fatoş Aracı                                                                         Päivi Hirvelä
    Greffière adjointe                                                                       Président


BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/493.html