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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> LEBEDINSCHI v. THE REPUBLIC OF MOLDOVA - 41971/11 - Chamber Judgment (French text) [2015] ECHR 581 (16 June 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/581.html
Cite as: [2015] ECHR 581

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE LEBEDINSCHI c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

     

    (Requête no 41971/11)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    16 juin 2015

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Lebedinschi c. République de Moldova,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Josep Casadevall, président,
              Luis López Guerra,
              Ján Šikuta,
              Kristina Pardalos,
              Johannes Silvis,
              Valeriu Griţco,
              Branko Lubarda, juges,
    et de Stephen Phillips, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 mai 2015,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 41971/11) dirigée contre la République de Moldova et dont un ressortissant de cet État, M. Adrian Lebedinschi (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 juin 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par M. M. Burlacu. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. L. Apostol.

    3.  Le requérant allègue que les décisions rendues par les tribunaux nationaux dans son affaire civile ne sont pas suffisamment motivées, en violation de l’article 6 de la Convention. Il soutient également que le refus des tribunaux de lui allouer l’indemnité unique de perte de capacité de travail a porté atteinte à son droit au respect des biens garanti par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

    4.  Le 23 août 2011, la Cour a décidé de réserver à cette requête un traitement prioritaire en vertu de l’article 41 du règlement de la Cour.

    5.  Le 29 novembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    6.  Le requérant est né en 1976 et réside à Chișinău.

    7.  Au moment des faits, le requérant était commissaire adjoint de police à Chişinău.

    8.  La nuit du 1er novembre 2008, le requérant se rendit sur les lieux d’un accident de la route. Il y fut fauché par une voiture.

    9.  Par la suite, le requérant fut hospitalisé d’urgence avec le diagnostic de « démembrement incomplet de la jambe gauche tiers moyen supérieur, fracture ouverte type III A comminutive tiers inférieur de la jambe droite, contusion du corde et des poumons, syndrome du stress pulmonaire et choc traumatique de deuxième degré ». À cause des lésions subies, le membre inférieur gauche du requérant fut amputé au niveau du tiers inférieur du fémur et sur la jambe droite fut mis en place un appareil d’Ilizarov (fixateur externe).

    10.  Le 9 septembre 2009, la commission médicale-militaire centrale du ministère des Affaires intérieures (« le Ministère ») estima que le requérant était inapte pour le service dans la police. Elle établit également que les traumatismes de l’intéressé étaient survenus dans l’exercice de ses fonctions.

    11.  Le 17 septembre 2009, le requérant fut licencié de son poste occupé au sein du Ministère.

    12.  À une date non spécifiée, les autorités reconnurent le droit du requérant à l’indemnité unique d’assurance, due aux agents de police blessés dans l’exercice de leurs fonctions. Le 5 octobre 2009, elles versèrent à l’intéressé la somme de 36 655,35 lei moldaves (MDL) (environ 2 200 euros (EUR) à l’époque des faits) au titre de cette indemnité.

    13.  Le 11 novembre 2009, le requérant engagea une action contre le Ministère tendant principalement à la révision à la hausse du montant de l’indemnité perçue.

    14.  Le 29 mars 2010, le requérant modifia en partie ses prétentions et demanda le versement de l’indemnité unique de perte de capacité de travail, en application des dispositions du règlement relatif au paiement par les entreprises, organisations et institutions de l’indemnité unique de perte de capacité de travail ou de décès de l’employé à la suite d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle (« le Règlement ») (paragraphe 20 ci-dessous). Il réclamait la somme de 571 000 MDL (environ 34 300 EUR à l’époque des faits) au titre de cette indemnité.

    15.  Par un arrêt du 5 octobre 2010, la cour d’appel de Chişinău rejeta intégralement l’action du requérant. Elle estima que le montant de l’indemnité unique d’assurance avait correctement été calculé par les autorités. Quant à l’indemnité unique de perte de capacité de travail, la cour d’appel jugea que le requérant n’y avait pas droit. À cet égard, elle fit référence au paragraphe 4 du Règlement aux termes duquel les dispositions de ce texte n’étaient pas applicables aux agents de police, à l’exception des personnes embauchées par contrat.

    16.  Par une lettre du 10 novembre 2010, le Ministère informa le requérant que les agents de police dont il faisait partie étaient embauchés par contrat individuel de travail.

    17.  Le 10 novembre 2010, le Ministère délivra également une attestation au requérant confirmant, entre autres, que ce dernier avait exercé ses fonctions au sein du Ministère sur des bases contractuelles.

    18.  Le 15 novembre 2010, le requérant forma un recours contre l’arrêt de la cour d’appel. Il indiquait que, le 1er octobre 1993, il avait signé un contrat de travail avec le Ministère pour une période de neuf ans, dix mois et vingt-deux jours, et que, le 22 août 2005, un nouveau contrat individuel de travail avait été signé pour une période de cinq ans. Le requérant faisait la distinction entre le personnel avec lequel le Ministère signait un contrat de travail, dont il faisait partie, et les personnes embauchées sans contrat, à savoir les militaires des troupes des carabiniers et les fonctionnaires ayant passé un concours pour la fonction publique. Il soutenait dès lors que les dispositions du Règlement étaient applicables à son égard. Il arguait enfin que l’indemnisation unique d’assurance qui lui avait été versée était une prestation sociale différente de l’indemnisation unique de perte de capacité de travail.

    19.  Par un arrêt définitif du 16 février 2011, la Cour suprême de justice rejeta le recours du requérant comme mal fondé et confirma l’arrêt de l’instance inférieure. Elle ne répondit pas au moyen du requérant tiré de l’existence d’une relation contractuelle avec le Ministère.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    20.  Les dispositions pertinentes du règlement relatif au paiement par les entreprises, organisations et institutions de l’indemnisation unique de perte de capacité de travail ou de décès de l’employé à la suite d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle, adopté par la décision du Gouvernement du 11 août 1993, sont ainsi libellées :

    « 4.  Le présent règlement ne s’applique pas aux militaires de l’armée de la République de Moldova, aux agents du ministère des Affaires intérieures et des services de renseignements (excepté les personnes embauchées sur la base d’un contrat de travail ou d’un accord).

    (...)

    7.  Le montant de l’indemnité unique pour les employés qui se sont vus attribuer un degré de perte de capacité de travail à la suite d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle est égal au salaire moyen mensuel valable en République de Moldova le mois qui précède la perte de capacité de travail multiplié par chaque point de pourcentage de perte de capacité de travail (...). »

    21.  Les dispositions pertinentes de la loi sur la police du 18 décembre 1990, en vigueur à l’époque des faits, se lisaient comme suit :

    « Article 19. Le personnel de la police

    (...)

    L’accession aux postes au sein (...) de la police peut être effectuée soit sur concours, soit sur contrat, conformément aux modalités établies par le ministère des Affaires intérieures. (...) »

    22.  Les dispositions pertinentes, en vigueur à l’époque des faits, du code de procédure civile du 30 mai 2003 étaient ainsi rédigées :

    « Article 400. Les motifs pour former un recours et pour infirmer une décision

    1.  Les parties et les autres participants au procès sont en droit de former un recours lorsque :

    a)  les circonstances qui revêtent de l’importance pour l’examen au fond de l’affaire n’ont pas été intégralement constatées et élucidées ;

    (...)

    d)  les normes de droit matériel ou de droit procédural ont été méconnues ou appliquées d’une manière erronée.

    (...)

    Article 410. Les limites de l’examen de l’affaire [portée devant l’instance de recours]

    1)  Lors de l’examen de l’affaire, l’instance de recours vérifie, dans les limites du recours formé, et sur la base des éléments du dossier et des nouveaux écrits, la justesse de l’application et de l’interprétation des normes de droit matériel et procédural. (...) »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

    23.  Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, le requérant se plaint de la motivation insuffisante des décisions rendues par la cour d’appel de Chișinău le 5 octobre 2010 et par la Cour suprême de justice le 16 février 2011. La Cour estime qu’en l’espèce le grief du requérant appelle un examen sur le seul terrain de l’article 6 de la Convention. Cette disposition, dans ses passages pertinents, est libellée comme suit :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    A.  Sur la recevabilité

    24.  Le Gouvernement soutient que ce grief est manifestement mal fondé. Il argue également que, compte tenu du fait que le requérant a perçu d’autres prestations sociales, ce dernier n’a pas la qualité de victime.

    25.  Le requérant s’oppose à ces thèses.

    26.  La Cour note d’emblée que le requérant invoque une atteinte à son droit à un procès équitable dans le cadre de la procédure interne qu’il a initiée aux fins d’obtenir, entre autres, le paiement de l’indemnité unique de perte de capacité de travail. Dans ces circonstances, elle estime que le fait pour le requérant d’avoir éventuellement bénéficié d’autres prestations sociales n’a aucune incidence sur l’équité de la procédure interne litigieuse. Par conséquent, il y a lieu de rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement relative au défaut de qualité de victime du requérant.

    27.  Par ailleurs, la Cour considère, à la lumière des observations des parties, que ce grief soulève des questions de fait et de droit qui appellent un examen au fond. Elle conclut donc que celui-ci n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et rejette l’exception préliminaire du Gouvernement formulée à cet égard.

    28.  Constatant enfin que ce grief ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

    B.  Sur le fond

    29.  Le requérant allègue que la procédure interne a été inéquitable à cause du refus non motivé des tribunaux nationaux d’appliquer à son égard les dispositions du Règlement et de lui octroyer l’indemnité unique de perte de capacité de travail. Il estime que, à partir du moment où il a fourni la preuve d’avoir été embauché par contrat par le Ministère, les juridictions internes devaient lui reconnaître les bénéfices de l’indemnité en question. Il déplore l’absence de réponse de la part des tribunaux nationaux relativement au moyen tiré de son statut de contractuel.

    30.  Le Gouvernement considère que le grief du requérant a principalement trait à l’application et à l’interprétation de la législation interne et il rappelle que cette tâche incombe, en premier lieu, aux instances judiciaires nationales. Il soutient également que les juridictions internes ont motivé à suffisance leurs décisions. Il considère que la cour d’appel de Chișinău a répondu aux arguments du requérant et que le Cour suprême de justice, agissant en tant qu’instance de recours, n’était pas tenue de motiver sa décision. Pour ce qui est plus précisément du moyen du requérant tiré de l’existence d’un rapport contractuel avec le Ministère, il rappelle que l’article 6 de la Convention n’oblige pas les instances judiciaires de répondre de façon détaillée à chaque argument des parties au procès. Il argue enfin que le procès dans son ensemble a été équitable.

    31.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, les juridictions internes doivent motiver leurs décisions (Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 61, série A no 288). L’étendue du devoir de motivation peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce (Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, § 29, série A no 303-A). Si l’article 6 § 1 de la Convention ne peut se comprendre comme exigeant des tribunaux d’apporter une réponse détaillée à chaque argument soulevé, il doit néanmoins ressortir de la décision que les questions essentielles de la cause ont été traitées (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 91, CEDH 2010).

    32.  Par ailleurs, la Cour rappelle que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Néanmoins, un État qui se dote de juridictions de cette nature a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de l’article 6 (voir, parmi d’autres, Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, § 25, série A no 11, et Erfar-Avef c. Grèce, no 31150/09, § 39, 27 mars 2014).

    33.  En l’espèce, la Cour relève que la cour d’appel de Chișinău rejeta la prétention du requérant relativement au paiement de l’indemnité unique de perte de capacité de travail au motif que les dispositions du Règlement n’étaient pas applicables aux agents de police, hormis le personnel embauché par contrat. Dans son recours devant la Cour suprême de justice, le requérant articula d’une manière suffisamment claire et précise un moyen tiré de son statut de contractuel qu’il étayait par des preuves. La Cour remarque également que, selon le droit procédural applicable à l’époque des faits, la Haute juridiction devait apprécier des éléments de fait et de droit (paragraphe 22 ci-dessus), au moins dans la mesure où ceux-ci étaient invoqués dans le recours.

    34.  La Cour observe que le moyen tiré du statut de contractuel du requérant était pertinent et décisif. Si la Cour suprême de justice l’avait jugé fondé, elle aurait dû accueillir la prétention de l’intéressé tendant au paiement de l’indemnité unique de perte de capacité de travail.

    35.  Il reste à la Cour de rechercher si, en l’occurrence, le silence de la Cour suprême de justice par rapport au moyen susmentionné du requérant peut raisonnablement s’interpréter comme un rejet implicite. Elle relève que la question de savoir si le requérant pouvait tirer avantage de l’exception selon laquelle les dispositions du Règlement étaient applicables au personnel contractuel se distingue juridiquement et logiquement de celle de savoir si, en règle générale, le texte litigieux s’applique ou non aux agents de police. Elle exigeait donc une réponse spécifique et explicite. La Cour suprême est restée en défaut de le faire et il est impossible de savoir si celle-ci a simplement négligé le moyen tiré du statut de contractuel ou bien a voulu le rejeter et, dans cette dernière hypothèse, pour quelles raisons.

    36.  À la lumière de ce qui précède, la Cour juge que la procédure n’a pas été équitable et que, par conséquent, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

    37.  Le requérant dénonce une violation de son droit au respect de ses biens. Il invoque l’article 1 du Protocole no 1, qui dans ses passages pertinents est ainsi libellé :

    « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. (...) »

    Sur la recevabilité

    38.  Le requérant soutient que le refus des tribunaux nationaux de lui octroyer l’indemnité unique de perte de capacité de travail, à la suite d’un procès contraire à l’article 6 § 1 de la Convention, a porté atteinte à son droit au respect des biens.

    39.  Le Gouvernement estime que le requérant ne peut pas prétendre avoir eu une « espérance légitime » de se voir reconnaitre le droit à l’indemnité susmentionnée. Il relève que le requérant s’est vu attribuer l’indemnité unique d’assurance en bénéficiant des dispositions spéciales applicables aux policiers et argue que, dans ces conditions, celui-ci n’avait pas droit à l’indemnité unique de perte de capacité de travail prévue par les dispositions générales. Il affirme que les dispositions du Règlement s’appliquent aux personnes embauchées par contrat par le Ministère, n’ayant pas le statut d’agents de police.

    40.  La Cour rappelle que la Convention ne garantit pas en tant que tel un droit d’acquérir des biens. Un requérant ne peut se plaindre de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 que dans la mesure où les décisions incriminées se rapportent à ses « biens », au sens de cette disposition. La notion de « biens » peut recouvrir tant des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété. En revanche, une créance conditionnelle s’éteignant du fait de la non-réalisation de la condition légale ne peut être considérée comme un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (Slivenko et autres c. Lettonie (déc.) [GC], no 48321/99, § 121, CEDH 2002-II (extraits), et Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 35, CEDH 2004-IX).

    41.  La Cour souligne à cet égard qu’une « espérance légitime » ne constitue un « bien » que si un tel intérêt patrimonial présente une base suffisante en droit interne, par exemple lorsqu’il est confirmé par une jurisprudence bien établie des tribunaux (Kopecký, précité, § 52). Cependant, on ne saurait conclure à l’existence d’une « espérance légitime » lorsqu’il y a controverse sur la façon dont le droit interne doit être interprété et appliqué et que les arguments développés par le requérant à cet égard sont en définitive rejetés par les juridictions nationales (Kopecký, précité, § 50, et Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 65, CEDH 2007-I). Comme la Cour l’a énoncé à de multiples reprises, il y a une différence entre un simple espoir, aussi compréhensible soit-il, et une espérance légitime, qui doit être de nature plus concrète et se fonder sur une disposition légale ou avoir une base jurisprudentielle solide en droit interne (Von Maltzan et autres c. Allemagne (déc.) [GC], nos 71916/01, 71917/01 et 10260/02, § 112, CEDH 2005-V).

    42.  La Cour rappelle que tous les principes qui s’appliquent généralement aux affaires concernant l’article 1 du Protocole no 1 gardent toute leur pertinence dans le domaine des prestations sociales. En particulier, ladite clause n’impose aucune restriction à la liberté pour les États contractants de décider d’instaurer ou non un régime de protection sociale ou de choisir le type ou le niveau des prestations censées être accordées au titre de pareil régime (Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 77, CEDH 2009, et Stummer c. Autriche [GC], no 37452/02, § 82, CEDH 2011). En revanche, dès lors qu’un État contractant met en place une législation prévoyant le versement automatique d’une prestation sociale - que l’octroi de cette prestation dépende ou non du versement préalable de cotisations -, cette législation doit être considérée comme engendrant un intérêt patrimonial relevant du champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1 pour les personnes remplissant ses conditions (Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 54, CEDH 2005-X ; et Carson et autres c. Royaume-Uni [GC], no 42184/05, § 64, CEDH 2010).

    43.  En l’espèce, la Cour est appelée à déterminer s’il existait un intérêt patrimonial sur le fondement duquel le requérant pouvait prétendre avoir l’espérance légitime de se voir reconnaître le droit à l’indemnité unique de perte de capacité de travail, prévue par le Règlement.

    44.  Elle note que, selon le paragraphe 4 du Règlement, les dispositions de ce texte ne sont pas applicables aux agents du Ministère, à l’exception des « personnes embauchées sur la base d’un contrat de travail ou d’un accord ».

    45.  La Cour observe que les parties divergent sur la façon dont les dispositions pertinentes en l’espèce devraient être interprétées et appliquées. Elle fait remarquer que le paragraphe 4 du Règlement est libellé d’une manière concise et générale. En effet, l’exception qu’il met en place pourrait être interprétée soit d’une manière restrictive bénéficiant au seul personnel contractuel du Ministère qui n’a pas le statut d’agent de police - thèse défendue par le Gouvernement -, soit d’une façon plus large en s’appliquant également aux agents de police ayant signé un contrat de travail avec le Ministère - thèse avancée par le requérant.

    46.  La Cour rappelle à cet égard que, pour engendrer une « espérance légitime », une disposition légale doit déterminer les règles applicables à une créance. Si les conditions légales à remplir et les autres paramètres de la créance ne sont pas clairement définis, la disposition légale en question ne peut pas servir, à elle seule, de base sur laquelle une « espérance légitime » pourrait venir se greffer (Klaus et Iouri Kiladzé c. Georgie, no 7975/06, § 58-60, 2 février 2010)

    47.  La Cour rappelle également qu’il incombe au premier chef aux autorités nationales, et singulièrement aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne (Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, § 105, CEDH 2003-X; et Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 86, CEDH 2005-VI). Elle jouit d’une compétence limitée pour vérifier le respect du droit interne, surtout si aucun élément du dossier ne lui permet de conclure que les autorités ont fait une application manifestement erronée, ou aboutissant à des conclusions arbitraires, des dispositions légales en cause (Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 108, CEDH 2000-I). En l’espèce, la Cour note avoir conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’absence de réponse spécifique de la part de la Cour suprême de justice relativement au moyen du requérant tiré du statut de contractuel. Cependant, elle ne peut pas spéculer sur l’issue de cette procédure, quand bien même la Cour suprême aurait répondu au moyen du requérant. Partant, elle ne saurait estimer que le rejet de l’action du requérant par les tribunaux internes était arbitraire.

    48.  La Cour remarque également que, selon les éléments en sa possession, il n’existe pas de jurisprudence interne reconnaissant le droit à l’indemnité unique de perte de capacité de travail aux agents de police se trouvant dans une situation similaire à celle du requérant.

    49.  À la lumière de ce qui précède, elle ne peut donc conclure, dans la présente affaire, à l’existence en faveur du requérant d’un intérêt patrimonial suffisamment établi pour être exigible.

    50.  La Cour en déduit que le requérant ne peut pas se prévaloir d’un « bien » tel qu’envisagé par l’article 1 du Protocole no 1. Il s’ensuit que le grief tiré de cet article est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    51.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    52.  Le requérant réclame 728 312 lei moldaves (MDL) (environ 47 300 euros (EUR) à l’époque où la prétention a été formulée devant la Cour) au titre du préjudice matériel. Cette somme comprend le montant de l’indemnité unique de perte de capacité de travail que les autorités internes ont refusé de lui octroyer, plus les intérêts moratoires.

    Il demande également 50 000 MDL (environ 3 200 EUR à l’époque où la prétention a été formulée devant la Cour) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

    53.  Le Gouvernement estime que le préjudice matériel n’a aucun lien de causalité avec les griefs soulevés devant la Cour. Il considère en outre que le montant du préjudice moral est excessif et non étayé.

    54.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée de l’article 6 § 1 de la Convention et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant l’intégralité de la somme réclamée au titre du préjudice moral, soit 3 200 EUR.

    B.  Frais et dépens

    55.  Le requérant demande également 25 000 MDL (environ 1 600 EUR à l’époque où la prétention a été formulée devant la Cour ) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 700 EUR pour ceux engagés devant la Cour. Il fournit une facture justifiant le paiement de la somme de 25 000 MDL à l’avocat qui l’a représenté devant les instances nationales. Il présente également un contrat avec son représentant devant la Cour aux termes duquel il s’est engagé à payer 700 EUR d’honoraires à ce dernier.

    56.  Le Gouvernement estime ces prétentions excessives et non étayées.

    57.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant l’intégralité de la somme réclamée, à savoir 2 300 EUR tous frais confondus.

    C.  Intérêts moratoires

    58.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

    i)  3 200 EUR (trois mille deux cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  2 300 EUR (deux mille trois cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 juin 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

      Stephen Phillips                                                                  Josep Casadevall
            Greffier                                                                               Président

     


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