BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
European Court of Human Rights |
||
You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> AKINNIBOSUN v. ITALY - 9056/14 - Chamber Judgment (French Text) [2015] ECHR 697 (16 July 2015) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/697.html Cite as: [2015] ECHR 697 |
[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]
QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE AKINNIBOSUN c. ITALIE
(Requête no 9056/14)
ARRÊT
STRASBOURG
16 juillet 2015
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Akinnibosun c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Päivi Hirvelä, présidente,
Guido Raimondi,
Ledi Bianku,
Nona Tsotsoria,
Paul Mahoney,
Krzysztof Wojtyczek,
Faris Vehabović, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière
adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 juin 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 9056/14) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant nigérian, M. Eyitope Akinnibosun (« le requérant »), a saisi la Cour le 30 décembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me L. Garrisi, avocat à Lecce. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme E. Spatafora et par son coagent M. Gianluca Mauro Pellegrini.
3. Le 20 février 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
5. De nationalité nigériane, le requérant prit la mer depuis la Libye, où il vivait avec sa femme et ses deux enfants, à bord d’une embarcation sur laquelle il emmena sa fille A., née en 2006. Il arriva en Italie en septembre 2008.
6. Une fois sur le territoire italien, il introduisit une demande de protection internationale. À une date non précisée, la Commission territoriale de reconnaissance du statut de réfugié lui délivra un permis de séjour pour raisons humanitaires.
7. Le requérant et sa fille furent accueillis par la municipalité de Trepuzzi. Insérés dans un projet pour la protection des réfugiés, ils bénéficièrent d’une aide matérielle, psychologique et d’une assistance juridique.
8. Au cours de cette période, les services sociaux commencèrent à surveiller de près le rapport entre le requérant et l’enfant. Les premiers rapports déposés faisaient état d’une relation difficile entre eux deux.
9. En avril 2009, les services sociaux déposèrent un rapport sur la situation de A. Ce rapport décrivait une enfant en détresse et une relation difficile entre le requérant et sa fille. Selon la psychiatre qui avait rencontré l’enfant en 2008, celle-ci souffrait d’un stress post-traumatique, elle se sentait abandonnée et avait besoin d’être aidée. Quant au requérant, les services sociaux remarquèrent qu’il avait une difficulté relationnelle avec l’enfant.
10. Le 2 avril 2009, soupçonné de faire partie d’une association de malfaiteurs en vue de pratiquer le trafic de clandestins, le requérant fut arrêté. Il fut placé en détention préventive.
11. Entre-temps, le 18 avril 2009, le tribunal pour enfants de Lecce (ci-après « le tribunal ») décida de placer la fille du requérant dans un foyer à Ostuni.
12. Le 6 juin 2009, les services sociaux déposèrent un autre rapport, qui indiquait que l’enfant se réveillait la nuit en criant et soulignait qu’elle avait besoin de la présence d’un adulte afin d’être rassurée.
13. Par un décret du 21 janvier 2010, le tribunal suspendit l’autorité parentale du requérant, nomma un tuteur, et décida le placement de l’enfant dans une famille d’accueil.
14. Par un arrêt du 7 juillet 2011, le requérant fut acquitté et remis en liberté.
15. Une fois libéré, le requérant demanda à pouvoir rencontrer sa fille.
A. La procédure portant sur le droit de visite
16. Le 23 février 2012, un test ADN fut effectué pour vérifier le lien entre le requérant et l’enfant. Les résultats du test démontraient apparemment qu’il y avait un lien génétique entre les deux.
17. Le 17 mai 2012, A. fut entendue par le tribunal pour enfants. Elle reconnut le requérant sur une photo, en le désignant comme « le papa qu’elle avait avant et qui parlait anglais » ; elle ne s’opposa pas à une éventuelle rencontre.
18. Par un décret du 19 juillet 2012, le tribunal autorisa les rencontres entre le requérant et sa fille : une première rencontre devait avoir lieu en présence des services sociaux.
19. Le 30 juillet 2012 eut lieu la première rencontre entre A. et le requérant, en présence des services sociaux.
20. Le 17 août 2012, les services sociaux déposèrent un rapport sur le déroulement de la rencontre. Ce rapport donnait entre autres les informations suivantes :
- Le psychologue avait trouvé l’enfant très tendue. À la vue du requérant, l’enfant était d’abord sortie de la salle ; ensuite, elle avait accepté la présence du requérant. Le psychologue avait ensuite rencontré l’enfant et la famille d’accueil, et avait constaté que l’enfant ne voulait plus rencontrer son père biologique. Elle se souvenait de la traversée en mer, et de ce que son père n’avait pas pris soin d’elle.
21. Le 16 janvier 2013, le requérant demanda au tribunal à pouvoir à nouveau rencontrer sa fille.
22. Dans un rapport déposé le 18 février 2013, les services sociaux indiquèrent avoir été informés par la famille d’accueil :
- qu’à la suite de la rencontre avec le requérant, l’enfant était devenue agitée, et avait eu des épisodes d’énurésie nocturne ;
- que l’enfant affirmait ne pas vouloir rencontrer le requérant.
Les services sociaux informèrent également le tribunal :
- que depuis juillet 2012, ils n’avaient plus eu de nouvelles du requérant ;
- que c’était seulement en janvier 2013, par le biais de son avocat, que celui-ci avait demandé une autre rencontre avec l’enfant.
23. Par un décret déposé au greffe le 26 avril 2013, le tribunal rejeta la demande du requérant et révoqua le décret précédent quant à l’organisation des rencontres.
Dans ses motifs, le tribunal releva que d’après les informations reçues par les services sociaux, après le déroulement de la rencontre l’enfant était très agitée et stressée à l’idée de revoir son père. Pour justifier sa décision, le tribunal estima :
- que le requérant était dans l’impossibilité de s’occuper de son enfant ;
- que le fait qu’il n’avait pas de projet pour l’avenir rendait les rencontres préjudiciables pour l’enfant ;
- qu’il n’était par ailleurs pas possible d’envisager pour le requérant une possibilité de récupérer ses compétences parentales.
24. Le 22 mai 2013, le requérant interjeta appel de cette décision, en demandant parallèlement que son exécution soit suspendue. Il soutenait :
- que la suspension de son droit de visite aurait des conséquences irréparables, car l’interruption de tout contact entraînerait la coupure du lien entre lui et sa fille ;
- qu’il n’y avait aucune situation d’abandon de l’enfant de sa part, mais seulement une situation de détresse, causée par la pauvreté qui l’empêchait d’exercer son rôle de parent.
25. Par une décision du 2 août 2013, la cour d’appel de Lecce rejeta tout d’abord la demande de suspension de l’exécution du décret du tribunal.
26. Dans ses motifs, la cour d’appel observa que la décision de suspendre les rencontres était motivée par le rapport des services sociaux qui avaient assisté à la rencontre, rapport dont il ressortait selon elle :
- que les services sociaux avaient constaté une situation de tension de l’enfant envers son père et un stress montré par l’enfant à la suite de la rencontre ;
- que l’enfant avait refusé de parler de son père biologique ;
- que les responsables de l’association auprès de laquelle le requérant et l’enfant avaient été placés avant son arrestation avaient fait état d’épisodes supposés de maltraitance.
27. Toujours à l’appui du rejet de la demande de suspension du décret, la cour d’appel releva et considéra en outre :
- que lors de son audition, le 21 novembre 2011, où il avait affirmé que sa fille devait vivre avec lui au motif qu’il était son père et que la famille d’accueil n’était pas sa vraie famille, le requérant avait souligné qu’il n’était pas disposé à prendre en considération d’autres solutions concernant le placement de sa fille ;
- que cette attitude montrait qu’il s’intéressait plutôt à la satisfaction de ses besoins qu’à ceux de son enfant ;
- que A. était bien insérée dans la famille d’accueil.
28. Par une autre décision du 11 octobre 2013, la cour d’appel se prononça sur le fond de l’affaire. Dans ses motifs, elle réitéra en partie ses précédentes considérations, en soulignant également :
- que le requérant s’était montré non coopératif avec les services sociaux ;
- qu’à la suite de la rencontre avec son père, A. avait manifesté une régression dans son comportement.
29. La cour considéra en outre :
- que le requérant n’avait pas la possibilité d’assurer à sa fille une vie stable, tant du point de vue affectif que par manque de moyens financiers ;
- qu’il n’avait aucun projet pour l’avenir ;
- que son comportement ne visait pas à garantir à sa fille des conditions de vie adéquates.
30. À l’argument du requérant selon lequel il n’y avait pas eu d’enquête avant la décision de suspendre les rencontres, la cour répondit :
- qu’un rapport avait été déposé par les services sociaux à la suite de la rencontre ;
- que le requérant avait été entendu par le tribunal.
31. Quant à la possibilité de faire rentrer l’enfant au Nigéria, la cour l’écarta, considérant que A. n’avait presque aucun souvenir de sa mère et de sa sœur.
En conclusion, pour la cour d’appel, la décision de suspendre les rencontres était la seule à prendre dans l’intérêt de la mineure. Par conséquent, elle confirma la décision du tribunal pour enfants et suspendit le droit de visite du requérant.
32. En septembre 2013 et janvier 2014, le requérant envoya deux lettres à l’enfant.
Dans la première lettre, le requérant, après avoir dit à sa fille qu’il l’aimait, lui demandait de bien travailler à l’école, de bien étudier les langues et les coutumes des autres pays, il lui disait qu’il était en train de chercher du travail, qu’il pensait toujours à elle, et de ne pas oublier qu’elle avait une famille ailleurs.
Dans la deuxième lettre, il lui disait qu’il avait envie de la revoir et de l’embrasser, mais qu’il craignait de lui faire peur. Il lui demandait de bien se conduire avec la famille d’accueil et de bien travailler à l’école, et lui disait qu’il cherchait un travail, mais qu’étant étranger la situation était difficile pour lui.
B. La procédure portant sur l’adoption de l’enfant
33. Par une décision du 23 janvier 2014, le tribunal pour enfants de Lecce déclara l’enfant adoptable.
Dans ses motifs, après avoir vérifié qu’il était établi que le requérant était bien le père biologique de l’enfant et que la mère n’était pas connue, le tribunal rappela et considéra tout d’abord :
- que pendant la détention, le requérant s’était opposé à ce que sa fille soit déclarée adoptable, et avait demandé qu’elle soit renvoyée auprès de sa grand-mère au Nigeria ;
- qu’ensuite, une fois libéré, il avait demandé à pouvoir la rencontrer ;
- qu’il avait ainsi démontré qu’il la considérait comme une propriété sans prendre en considération l’intérêt de l’enfant.
34. Le tribunal considéra en outre :
- qu’en décidant d’emmener l’enfant avec lui en Italie, le requérant avait fait un choix qui n’était pas sans conséquences pour elle ;
- que, selon les services sociaux, la relation entre le requérant et sa fille était déjà difficile lors de l’arrivée en Italie en 2009 ;
- que le requérant n’était pas en mesure de s’occuper de sa fille et de comprendre ses besoins ;
Le tribunal nota également que dans les deux lettres que le requérant avait envoyées à sa fille, il ne faisait pas mention de ce qu’il souhaitait en obtenir à nouveau la garde.
35. En conclusion, le tribunal retint que le requérant n’était pas en mesure de s’occuper de A. et que cette dernière se trouvait en état d’abandon. Il déclara donc celle-ci adoptable.
36. Le requérant interjeta appel de ce jugement. Il demanda à l’instance supérieure :
- de révoquer la déclaration d’adoptabilité ;
- de confirmer le placement temporaire de l’enfant dans la famille d’accueil, pour le temps nécessaire au rétablissement d’un équilibre entre lui et sa fille ;
- d’ordonner aux services sociaux de mettre en place un projet de soutien pour qu’il puisse renouer des liens avec sa fille.
Le requérant invoquait la Convention, affirmant avoir subi une ingérence illégitime dans sa vie familiale et ne pas avoir été aidé par les structures publiques.
En outre, il contestait la situation d’abandon de l’enfant.
37. Enfin, il faisait valoir qu’il avait reçu de la cour d’appel de Catane, à titre d’indemnisation pour « détention injuste » une somme de 193 608,322 EUR, et qu’il avait trouvé un travail.
38. Par un arrêt du 14 novembre 2014, la cour d’appel rejeta le recours du requérant et confirma l’adoptabilité de l’enfant.
Dans ses motifs, la cour jugea que le tribunal avait motivé sa décision de façon logique et correcte sur tous les points controversés, en énonçant notamment :
- que, bien avant l’arrestation du requérant, il y avait eu des problèmes entre lui et sa fille, comme les services sociaux l’avaient souligné ;
- que le requérant ne montrait pas un attachement particulier envers sa fille, et qu’ils avaient des difficultés relationnelles entre eux ;
- que le requérant avait montré un profil autoritaire (littéralement : de « père-patron » (padre padrone)), en ce qu’il avait déclaré avec insistance à plusieurs reprises que les enfants appartiennent aux parents, ce qui témoignait d’une attitude non coopérative de sa part envers les services sociaux.
39. La cour reprocha également au requérant de ne pas avoir donné des renseignements précis sur la date de naissance de l’enfant et sur l’identité de la mère.
Pour la cour, il convenait par ailleurs d’écarter l’argument selon lequel la décision attaquée créait une coupure du lien entre l’enfant et la famille d’origine : selon elle, le lien qui les unissait était fragile, nocif et douloureux pour l’enfant, comme les services sociaux l’avaient souligné dans leurs rapports déposés en 2009.
40. Se référant à la seule rencontre qui avait eu lieu entre le requérant et A. et aux rapports déposés par les services sociaux, qui faisaient état d’une situation psychologique difficile pour l’enfant à la suite de ladite rencontre, la cour considéra :
- que la déclaration d’adoptabilité n’avait rompu aucun lien familial, puisque l’enfant, interrogée par les services sociaux, avait refusé de se référer à son père biologique et à son expérience passée ;
- que l’enfant se trouvait donc dans un état d’abandon, le père ne pouvant assurer les soins nécessaires.
41. Au sujet de l’article 14 de la Convention, soulevé par le requérant, la cour estima :
- qu’il n’était pas possible pour les services sociaux de mettre en œuvre un projet de rapprochement tel que sollicité par lui, tant en raison de son indisponibilité que du vécu de l’enfant ;
- que bien que le requérant eût un travail stable et un logement, le lien familial faisait toujours défaut, compte tenu de ce que l’état psychique de l’enfant avait empiré à chaque fois qu’on lui parlait de son père biologique, ainsi qu’à l’occasion de la seule rencontre ayant eu lieu entre eux.
42. Cet arrêt de la cour d’appel est devenu définitif, le requérant ne s’étant pas pourvu en cassation.
43. À une date non précisée, l’enfant a été adoptée.
C. Le recours en réparation pour détention injuste
44. Le 7 avril 2014, la cour d’appel de Catane a octroyé au requérant 193 608 EUR pour la détention injustement subie entre le 2 avril 2009 et le 7 juillet 2011.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
45. La loi no 184 du 4 mai 1983 avait déjà apporté d’amples changements dans le domaine de l’adoption. Avec les modifications supplémentaires introduites par la loi no 149 de 2001, ses dispositions se présentent comme suit.
Article 1
« Le mineur a le droit d’être élevé dans sa propre famille. »
Article 2
« Le mineur qui est resté temporairement sans environnement familial adéquat peut être confié à une autre famille, si possible comprenant des enfants mineurs, ou à une personne seule, ou à une communauté de type familial, afin de lui assurer subsistance, éducation et instruction. Dans le cas où un placement familial adéquat n’est pas possible, il est permis de placer le mineur dans un institut d’assistance public ou privé, de préférence dans la région de résidence du mineur. »
Article 5
« La famille ou la personne à laquelle le mineur est confié doivent lui assurer subsistance, éducation et instruction (...) en tenant compte des indications du tuteur et en observant les prescriptions de l’autorité judiciaire. Dans tous les cas, la famille d’accueil exerce la responsabilité parentale en ce qui concerne les rapports avec l’école et les institutions sanitaires nationales. La famille d’accueil doit être entendue dans les procédures de placement ou de déclaration d’adoptabilité. »
Article 7
« L’adoption est possible au bénéfice des mineurs déclarés adoptables. »
Article 8
« Le tribunal des affaires d’enfants peut déclarer en état d’adoptabilité, même d’office, (...) les mineurs en situation d’abandon du fait de l’absence de toute assistance morale ou matérielle de la part des parents ou de la famille tenus [d’une obligation en ce sens], sauf si le manque d’assistance est dû à une cause de force majeure de caractère transitoire. »
La « situation d’abandon » subsiste, précise l’article 8, même si les mineurs se trouvent dans un institut d’assistance ou s’ils ont été placés auprès d’une famille.
Enfin, toujours selon l’article 8, il n’y a pas de force majeure si les parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de s’en occuper refusent les mesures d’assistance publique proposées et si ce refus est considéré par le juge comme injustifié.
La situation d’abandon peut être signalée à l’autorité publique par tout particulier ou être relevée d’office par le juge. Pour les fonctionnaires publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance, la dénonciation de l’état d’abandon d’un mineur est même une obligation. Par ailleurs, les instituts d’assistance doivent informer régulièrement l’autorité judiciaire de la situation des mineurs qu’ils accueillent (article 9).
Article 10
« Le tribunal peut ordonner, jusqu’au placement préadoptif du mineur dans la famille d’accueil, toute mesure temporaire dans l’intérêt du mineur, y compris, le cas échéant, la suspension de l’autorité parentale, la suspension des fonctions de tuteur ou la nomination d’un tuteur temporaire. »
Les articles 11 à 14 prévoient une instruction visant à éclaircir la situation du mineur afin d’établir si ce dernier se trouve en état d’abandon. En particulier, l’article 11 dispose que lorsque, au cours de l’enquête, il ressort que l’enfant n’a de rapports avec aucun membre de sa famille jusqu’au quatrième degré, le tribunal peut le déclarer adoptable, sauf s’il existe une demande d’adoption au sens de l’article 44.
À l’issue de la procédure prévue par ces derniers articles, si l’état d’abandon au sens de l’article 8 persiste, le tribunal des affaires d’enfants déclare le mineur adoptable dans les cas suivants : a) les parents ou les autres membres de la famille ne se sont pas présentés au cours de la procédure ; b) leur audition a démontré la persistance du manque d’assistance morale et matérielle ainsi que l’incapacité des intéressés à y remédier ; c) les prescriptions imposées en application de l’article 12 n’ont, par la faute des parents, pas été exécutées.
Article 15
« La déclaration d’état d’adoptabilité est prononcée par le tribunal des affaires d’enfants siégeant en chambre du conseil par une décision motivée, après audition du ministère public, du représentant de l’institut auprès duquel le mineur a été placé ou de son éventuelle famille d’accueil, du tuteur et du mineur lui-même s’il est âgé de plus de douze ans ou, en dessous de cet âge, si son audition est nécessaire. »
Article 17
« L’opposition à la décision déclarant un mineur adoptable doit être déposée dans un délai de trente jours à partir de la date de la communication à la partie requérante.
L’arrêt de la cour d’appel qui déclare l’état d’adoptabilité peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation dans un délai de 30 jours à partir de la date de la notification pour les motifs prévus aux numéros 3, 4, 5 du premier alinéa de l’article 360 du code de procédure civil.e »
Article 19
« Pendant la procédure visant à la déclaration d’adoptabilité, l’exercice de l’autorité parentale est suspendu. »
L’article 20 prévoit enfin que l’état d’adoptabilité cesse au moment où le mineur est adopté ou si ce dernier devient majeur. Par ailleurs, la déclaration d’adoptabilité peut être révoquée, d’office ou sur demande des parents ou du ministère public, si les conditions prévues par l’article 8 ont entre-temps disparu. Cependant, si le mineur a été placé dans une famille à titre préadoptif (« affidamento preadottivo ») au sens des articles 22 à 24, la déclaration d’adoptabilité ne peut pas être révoquée.
L’article 22 § 8 prévoit que le tribunal pour enfants contrôle le bon déroulement du placement préadoptif avec la collaboration du juge des tutelles, des services sociaux et des experts. En cas de difficultés, le tribunal convoque, même séparément, la famille d’accueil et le mineur en présence, le cas échéant, d’un psychologue pour en vérifier les raisons. Si nécessaire, il peut ordonner des mesures de soutien psychologique.
L’article 25 prévoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur l’adoption qu’après l’expiration d’un délai minimum d’un an après la déclaration d’adoptabilité ; la décision sur l’adoption est prise en chambre du conseil.
L’arrêt de la cour d’appel qui ordonne l’adoption peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation dans un délai de 30 jours à partir de la date de sa notification, pour les motifs prévus au numéro 3 du premier alinéa de l’article 360 d) du code de procédure civile.
Article 44
De l’adoption dans certains cas particuliers.
« 1. Lorsque les conditions énoncées à l’alinéa 1 de l’article 7 ne sont pas réunies (mineurs qui n’ont pas encore été déclarés adoptables), les mineurs peuvent néanmoins être adoptés :
a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqu’au sixième degré ou un rapport stable et durable préexistant, lorsque le mineur est orphelin de père ou de mère ;
b) par le conjoint dans le cas où le mineur est l’enfant même adoptif de l’autre conjoint ;
c) quand le mineur est dans l’état indiqué à l’article 3, alinéa 1 de la loi no 104 du 5 février 1992 et qu’il est orphelin de père et de mère ;
d) quand l’impossibilité de procéder à un placement en vue de l’adoption a été constatée.
2. Dans les cas visés à l’alinéa 1, l’adoption est possible même en présence d’enfants légitimes.
3. Dans les cas visés à l’alinéa 1 a), c) et d), l’adoption est ouverte non seulement aux [couples mariés] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas mariées. Si l’adoptant/e est marié/ée et n’est pas séparé/ée [de corps], l’adoption ne peut être décidée qu’à la suite d’une demande des deux époux.
4. Dans les cas visés à l’alinéa 1 a) et d), l’âge de l’adoptant doit dépasser d’au moins dix-huit ans l’âge de ceux qu’il entend adopter. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
46. Le requérant allègue le non-respect de sa vie familiale, reprochant aux autorités, qui ont d’abord interdit tout contact avec sa fille, et ensuite engagé la procédure visant à son adoption, de ne pas avoir pris les mesures appropriées afin de maintenir un quelconque lien avec elle. Il fait valoir que les autorités se sont bornées à prendre acte de ses difficultés économiques et sociales, sans l’aider à les surmonter au moyen d’une assistance sociale ciblée. Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention.
47. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime approprié d’examiner les griefs soulevés par le requérant uniquement sous l’angle de l’article 8, lequel exige que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence soit équitable et respecte, comme il se doit, les intérêts protégés par cette disposition (Moretti et Benedetti c. Italie, no 16318/07, § 27, 27 avril 2010 ; Havelka et autres c. République tchèque, no 23499/06, §§ 34-35, 21 juin 2007 ; Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 56, CEDH 2002-I ; Wallová et Walla c. République tchèque, no 23848/04, § 47, 26 octobre 2006 ; Zhou c. Italie, no 33773/11, § 28, 21 janvier 2014).
L’article 8 de la Convention prévoit :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
48. Le Gouvernement conteste la thèse du requérant.
A. Sur la recevabilité
49. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention, et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Partant, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
50. Le requérant expose que, dès son arrivée en Italie, il s’est trouvé, bien malgré lui, arrêté et impliqué dans un procès pénal, qui s’est ultérieurement soldé par son acquittement ; et que c’est ce procès qui l’a conduit à passer une longue période séparé de sa fille.
Faisant toutefois remarquer qu’il a envoyé à l’enfant plusieurs lettres, il y voit la preuve que le lien affectif n’était pas rompu.
51. Il explique :
- que si le déroulement de la seule rencontre autorisée avec A. avait, certes, été difficile, l’attitude de l’enfant envers lui à la fin de cette rencontre était devenue positive ;
- qu’il n’avait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans ;
- que les juridictions internes n’ont jamais œuvré en faveur d’un rapprochement père-fille par le biais d’un soutien psychologique ou d’une médiation familiale ;
- qu’au contraire, elles ont préféré couper leur lien, en faisant d’abord référence à sa situation économique et ensuite à des considérations concernant sa personnalité ;
Ainsi, conclut-il, les autorités l’ont d’abord emprisonné à tort puis l’ont empêché de construire un lien avec sa fille.
52. Le requérant déplore qu’aucune action visant à l’aider à exercer son rôle de parent n’ait été envisagée. Au demeurant, souligne-t-il, ses compétences parentales n’ont jamais été évaluées par un expert.
Il estime par ailleurs que les faits s’analysent en une discrimination sur la base de sa situation économique et de son statut d’étranger.
53. Le Gouvernement, de son côté, explique que depuis l’arrivée du requérant et de sa fille en Italie, les autorités ont pris les mesures nécessaires pour protéger l’enfant.
Ainsi, tous deux ont été accueillis par la municipalité de Trepuzzi et y ont été insérés dans un projet pour la protection des réfugiés. C’est seulement en avril 2009, quand le requérant a été arrêté, que l’enfant a été placée dans un institut avant d’être, en janvier 2010, placée dans une famille d’accueil. L’enfant a pu voir le requérant une seule fois, en juillet 2012.
54. Durant la période antérieure à l’arrestation du requérant, la relation entre ce dernier et l’enfant a été surveillée par les responsables du projet : selon ces derniers, il n’y avait pas un lien fort entre l’enfant et le requérant.
Pour le Gouvernement, tous les efforts faits par les services sociaux étaient vains, car le requérant n’était pas coopératif. Selon lui, ce qui intéressait le requérant était surtout d’obtenir un permis de séjour et une aide matérielle.
55. Le Gouvernement explique également :
- qu’une fois acquitté et libéré, le requérant a certes demandé à renouer des liens avec l’enfant, mais n’a jamais donné les renseignements nécessaires sur la manière dont il aurait pu s’en occuper ;
- que le requérant refusait de prendre en compte que l’enfant ne voulait pas le voir et ne se souvenait pas de lui, et a donné l’image d’un père autoritaire (padre padrone : « père-patron »), comme cela a été ensuite reconnu par les juridictions internes.
56. De plus, le Gouvernement fait valoir :
- que le requérant a déménagé dans un lieu inconnu et que, pendant plusieurs mois, il n’a donné aucune nouvelle et n’a pas essayé de contacter les services sociaux pour avoir des nouvelles de l’enfant ;
- que c’est au vu des rapports des services sociaux depuis 2008, qui indiquaient que le requérant n’était pas en mesure d’exercer son rôle de père, que la cour d’appel de Lecce a refusé d’autoriser de nouveaux contacts entre le requérant et sa fille ;
- que l’enfant vivait depuis 2010 dans une famille d’accueil dans laquelle elle était bien intégrée.
Pour le Gouvernement, le requérant n’est pas une victime d’une violation de l’article 8, mais se trouve simplement devant les conséquences de son propre manque de coopération avec les juridictions aux fins d’un rapprochement entre lui et sa fille.
57. Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs décisions dans l’intérêt de l’enfant.
Selon lui, c’est à tort que le requérant affirme qu’il n’y a pas eu d’expertise technique au sujet de l’enfant ou des capacités parentales du requérant. D’une part, la cour d’appel a fondé sa décision sur les conclusions du contrôle effectué pendant plusieurs années sur l’enfant et le requérant. D’autre part, les juridictions internes ont dû évaluer si toutes les conditions prévues par la loi étaient remplies afin de déclarer l’enfant adoptable.
58. Enfin, le Gouvernement objecte que c’est le requérant lui-même qui a décidé, sans scrupules, d’emmener sa fille avec lui dans une traversée de la Méditerranée en bateau, la séparant ainsi du reste de sa famille, afin d’obtenir plus facilement un permis de séjour en Italie. L’enfant, écrit-il, « a failli mourir en mer, à cause de la décision prise par le requérant » tandis que « les autorités italiennes ont pris soin d’elle et [lui ont donné] un avenir ».
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
59. La Cour constate à titre liminaire qu’il n’est pas contesté que la déclaration d’adoptabilité de A. constitue une ingérence dans l’exercice du droit du requérant au respect de sa vie familiale. Elle rappelle qu’une telle ingérence n’est compatible avec l’article 8 que si elle remplit les conditions cumulatives d’être prévue par la loi, de poursuivre un but légitime, et d’être nécessaire dans une société démocratique. La notion de nécessité implique que l’ingérence se fonde sur un besoin social impérieux et qu’elle soit notamment proportionnée au but légitime recherché (voir, Gnahoré c. France, no 40031/98, § 50, CEDH 2000-IX, Couillard Maugery c. France, no 64796/01, § 237, 1er juillet 2004, et Pontes c. Portugal, no 19554/09, §74, 10 avril 2012).
60. La Cour rappelle qu’au-delà de la protection contre les ingérences arbitraires, l’article 8 met à la charge de l’État des obligations positives inhérentes au respect effectif de la vie familiale. Ainsi, là où l’existence d’un lien familial se trouve établie, l’État doit en principe agir de manière à permettre à ce lien de se développer (voir, Olsson c. Suède (no 2), 27 novembre 1992, § 90, série A no 250). La frontière entre les obligations positives et négatives découlant de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise, mais les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents, en tenant compte toutefois de ce que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la considération déterminante qui, selon sa nature et sa gravité, peut l’emporter sur celui du parent (Kearns c. France, no 35991/04, § 79, 10 janvier 2008). Notamment, l’article 8 ne saurait autoriser un parent à voir prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de l’enfant (voir Johansen c. Norvège, 7 août 1996, § 78, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, et Gnahoré, précité, § 59). Ainsi, en matière d’adoption, la Cour a déjà admis qu’il puisse être de l’intérêt du mineur de favoriser l’instauration de liens affectifs stables avec ses parents nourriciers (Johansen, précité, § 80, et Kearns, précité, § 80).
61. La Cour constate également que, dans l’hypothèse des obligations négatives comme dans celle des obligations positives, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (voir W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, § 60, série A no 121), qui varie selon la nature des questions en litige et la gravité des intérêts en jeu. En particulier, la Cour exige que des mesures aboutissant à briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliquées que dans des circonstances exceptionnelles, c’est-à-dire uniquement dans les cas où les parents se sont montrés particulièrement indignes (Clemeno et autres c. Italie, no 19537/03, § 60, 21 octobre 2008), ou lorsqu’elles sont justifiées par une exigence primordiale touchant l’intérêt supérieur de l’enfant (voir Johansen, précité, § 84 ; P., C. et S. c. Royaume-Uni, no 56547/00, § 118, CEDH 2002-VI). Cette approche peut toutefois être écartée en raison de la nature de la relation parent-enfant, lorsque le lien est très limité (Söderbäck c. Suède, 28 octobre 1998, §§ 30-34, Recueil 1998-VII).
62. Il appartient à chaque État contractant de se doter d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect des obligations positives qui lui incombent en vertu de l’article 8 de la Convention et à la Cour de rechercher si, dans l’application et l’interprétation des dispositions légales applicables, les autorités internes ont respecté les garanties voulues par l’article 8, en tenant notamment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (voir, mutatis mutandis, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 141, CEDH 2010, K.A.B. c. Espagne, no 59819/08, § 115, 10 avril 2012).
63. À cet égard et s’agissant de l’obligation pour l’État d’arrêter des mesures positives, la Cour n’a cessé de dire que l’article 8 implique le droit pour un parent à des mesures propres à le réunir avec son enfant et l’obligation pour les autorités nationales de les prendre (voir, par exemple, Eriksson, § 71, série A no 156, et Margareta et Roger Andersson c. Suède, 25 février 1992, § 91, série A no 226-A ; P.F. c. Pologne, no 2210/12, § 55, 16 septembre 2014). Dans ce genre d’affaire, le caractère adéquat d’une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre (Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 83, 6 décembre 2007 ; Zhou c. Italie, précité, § 48).
b) Application de ces principes
64. La Cour considère que le point décisif en l’espèce consiste donc à savoir si, avant de supprimer le lien de filiation, les autorités nationales ont pris toutes les mesures nécessaires et adéquates que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles pour que l’enfant puisse mener une vie familiale normale avec son père.
65. La Cour rappelle qu’il existe un large consensus - y compris en droit international - autour de l’idée que dans toutes les décisions concernant des enfants, leur intérêt supérieur doit primer (Neulinger et Shuruk, précité, § 135).
66. La Cour note que les autorités italiennes ont pris en charge le requérant et sa fille depuis leur arrivée en Italie par bateau.
À cet égard, la Cour ne peut pas prendre en compte l’argument du Gouvernement selon lequel le requérant aurait emmené sa fille en Italie afin d’obtenir plus facilement un permis de séjour. En l’absence d’éléments objectifs dans le dossier qui accréditeraient l’idée que le but du requérant était d’utiliser l’enfant pour obtenir plus facilement un permis de séjour en Italie, elle ne saurait spéculer sur les motivations du requérant et sur son choix de quitter la Libye avec sa fille alors âgée de deux ans.
67. À leur arrivée en Italie en février 2009, le requérant et sa fille furent insérés dans un projet pour l’accueil des réfugiés. Ils furent accueillis dans un centre et les services sociaux surveillèrent la situation de l’enfant, qui semblait être désorientée à la suite de certaines expériences vécues dans le passé.
68. Le 2 avril 2009, le requérant fut arrêté et l’enfant fut transférée dans un foyer. Elle était traumatisée et se réveillait en pleurant la nuit. C’est pourquoi il fut décidé de la placer en famille d’accueil, afin de lui offrir un environnement stable.
69. La Cour note que pendant sa détention, le requérant, a exprimé son intérêt pour l’enfant, et une fois acquitté, a demandé à la rencontrer. Il a reconnu que l’enfant vivait dans un environnement serein et qu’il était nécessaire, de son côté, qu’il trouve un travail.
70. La seule rencontre autorisée avec l’enfant, qui a eu lieu le 30 juillet 2012, connut un déroulement difficile, en raison probablement du fait que le requérant n’avait plus vu sa fille depuis trois ans alors qu’il s’agissait d’une enfant en bas âge (paragraphes 19-20 ci- dessus). Ensuite le requérant déménagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois mois, avant de redemander une rencontre avec l’enfant.
La Cour note qu’aucune expertise psychologique visant à vérifier la capacité du requérant à exercer son rôle de parent n’a eu lieu et que s’il est vrai que plusieurs rapports sur l’état psychologique de l’enfant ont été déposés devant les juridictions internes, la décision de rompre le lien parent-enfant s’est fondée de manière exclusive sur les rapports des services sociaux, qui avaient observé le requérant lors de son arrivée en Italie en 2009 et lors de la seule et unique rencontre avec l’enfant.
71. De plus, s’il est vrai que les rapports déposés par les services sociaux après la rencontre (§§ 20-23) faisaient état d’une situation difficile pour l’enfant, la Cour relève toutefois également que lesdits rapports ne se fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les experts, mais se référaient en grande partie aux affirmations de la famille d’accueil de l’enfant.
72. Le 23 janvier 2014, le tribunal a décidé de déclarer l’enfant adoptable. Le tribunal a jugé que le requérant n’était pas en mesure de s’occuper de l’enfant et de comprendre ses besoins. Il a en outre noté que dans les deux lettres qu’il avait envoyées à sa fille, le requérant n’avait pas exprimé l’intention d’en obtenir à nouveau la garde. Le tribunal a également reproché au requérant d’avoir emmené sa fille en Italie avec lui. Il n’a pas estimé nécessaire d’ordonner une expertise pour vérifier si le requérant était capable d’exercer son rôle parental ou si sa relation avec l’enfant était marquée par un déficit affectif.
73. La cour d’appel a confirmé le jugement du tribunal. Elle n’a pas pris en considération l’évolution de la situation du requérant, ni estimé elle non plus nécessaire d’ordonner une expertise sur les capacités parentales du requérant, mais a néanmoins jugé que ce dernier n’était pas en mesure d’exercer son rôle de père, en se fondant essentiellement sur les rapports que les services sociaux avaient préparés en 2009. La cour d’appel a retenu que le requérant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant que, une fois sorti de prison, il avait affirmé à plusieurs reprises qu’il n’était pas prêt à prendre en considération d’autres solutions concernant le placement de sa fille, en déclarant que « les enfants appartiennent aux parents ». Selon la cour d’appel, la déclaration d’adoptabilité n’avait elle-même rompu aucun lien familial, étant donné que l’enfant, en réponse aux questions des services sociaux, avait refusé de se référer à son père biologique et à son expérience passée. À ses yeux, l’enfant se trouvait donc dans un état d’abandon, le père ne pouvant pas assurer les soins nécessaires.
74. La Cour estime tout d’abord que les autorités nationales n’ont pas suffisamment œuvré afin de faciliter les contacts entre A. et le requérant.
Elle rappelle que dans des cas si délicats et complexes, la marge d’appréciation laissée aux autorités nationales compétentes varie selon la nature des questions en litige et la gravité des intérêts en jeu. Si les autorités jouissent d’une grande latitude pour apprécier la nécessité de prendre en charge un enfant, en particulier lorsqu’il y a urgence, la Cour doit néanmoins avoir acquis la conviction que dans l’affaire en question, il existait des circonstances justifiant le retrait de l’enfant. Il incombe à l’État défendeur d’établir que les autorités ont évalué avec soin l’incidence qu’aurait sur les parents et l’enfant la mesure d’adoption, et envisagé d’autres solutions que la prise en charge de l’enfant avant de mettre pareille mesure à exécution (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 166, CEDH 2001-VII ; Kutzner, précité).
75. La Cour le répète avec force : dans les affaires de ce type, l’intérêt de l’enfant doit passer avant toute autre considération. Elle rappelle également qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle des autorités nationales compétentes quant aux mesures qui auraient dû être prises, car ces autorités sont, en effet, en principe mieux placées pour procéder à une telle évaluation, du fait notamment qu’elles sont en contact direct avec le contexte de l’affaire et les parties impliquées. Elle doit cependant contrôler, sous l’angle de la Convention, les décisions que lesdites autorités ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation.
76. La Cour note qu’après la séparation d’avec le requérant, l’enfant a été placée dans une famille d’accueil, dans laquelle elle s’est bien insérée. Toutefois, la Cour relève qu’une fois le requérant libéré après avoir été acquitté, à aucun moment les juridictions internes n’ont envisagé des mesures moins radicales que l’orientation de A. vers l’adoption afin d’éviter l’éloignement définitif et irréversible de l’enfant de son père, mesure pouvant aller contre l’intérêt supérieur de l’enfant.
77. En outre, en ce qui concerne l’absence de liens entre le requérant et sa fille, raison sur laquelle la cour d’appel s’est appuyée pour déclarer l’enfant en état d’abandon, la Cour note que les autorités compétentes étaient responsables de la situation de rupture familiale qui s’est installée entre le 2 avril 2009, date de l’arrestation du requérant, et le 7 juillet 2011, date de sa libération.
78. La Cour rappelle également que le fait qu’un enfant puisse être accueilli dans un cadre plus propice à son éducation ne saurait en soi justifier qu’on le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques ; pareille ingérence dans le droit des parents, au titre de l’article 8 de la Convention, à jouir d’une vie familiale avec leur enfant doit encore se révéler « nécessaire » en raison d’autres circonstances (K. et T. c. Finlande [GC], précité, § 173).
79. La Cour note qu’à la différence de la plupart des affaires que la Cour a eu l’occasion d’examiner, en l’espèce il n’a pas été démontré que l’enfant avait été exposée à des situations de violence ou de maltraitance (voir, a contrario, Dewinne c. Belgique (déc.), no 56024/00, 10 mars 2005 ; Zakharova c. France (déc.), no 57306/00, 13 décembre 2005), ni à des abus sexuels (voir, a contrario, Covezzi et Morselli c. Italie, no 52763/99, § 104, 9 mai 2003). Les tribunaux n’ont pas non plus constaté en l’occurrence de déficits affectifs (voir, a contrario, Kutzner, précité, § 68), ou encore un état de santé inquiétant ou un déséquilibre psychique des parents (voir, a contrario, Bertrand c. France (déc.), no 57376/00, 19 février 2002 ; Couillard Maugery c. France, précité, § 261).
80. Dans la présente affaire, la prise en charge de l’enfant du requérant a été ordonnée au motif que le requérant n’était pas en mesure de prendre soin d’elle et qu’un retour auprès de lui aurait été nuisible pour l’enfant. Toutefois, la Cour note que la séparation entre le requérant et l’enfant a été provoquée par l’arrestation du requérant ; que, trois ans après, le requérant a été acquitté ; et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir l’enfant qu’une seule fois. C’est à la suite de cette unique rencontre, sans avoir ordonné aucune expertise au sujet du requérant ni tenté de mettre en place un quelconque parcours de rapprochement entre le requérant et l’enfant, qu’elles ont jugé qu’il n’était pas capable d’exercer son rôle parental.
La Cour relève encore qu’à sa sortie de prison le requérant a demandé tout de suite à rencontrer sa fille, lui a adressé des lettres et a fait les démarches juridiques nécessaires pour exercer son droit de visite. Elle estime donc qu’on ne saurait considérer que le requérant se désintéressait de sa fille, comme les juridictions internes l’ont affirmé. La Cour ne perd pas de vue qu’à sa sortie de prison le requérant était sans travail et n’avait pas de domicile fixe.
81. La Cour doute du caractère adéquat des éléments sur lesquels les autorités se sont appuyées pour conclure que le requérant n’était pas en mesure d’exercer son rôle parental et qu’il était dangereux pour l’enfant. La Cour est d’avis qu’avant d’ouvrir une procédure d’adoptabilité, les autorités auraient dû prendre des mesures concrètes pour permettre à l’enfant de renouer des liens avec son père ; et cela d’autant plus que le requérant avait passé trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille, dont les deux années passées en détention.
82. La Cour réaffirme que le rôle des autorités de protection sociale est précisément d’aider les personnes en difficulté, de les guider dans leurs démarches et de les conseiller, entre autres, quant aux différents types d’allocations sociales disponibles, aux possibilités d’obtenir un logement social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficultés (Saviny c. Ukraine, no 39948/06, § 57, 18 décembre 2008 ; R.M.S. c. Espagne no 28775/12, § 86, 18 juin 2013). Dans le cas des personnes vulnérables, les autorités doivent faire preuve d’une attention particulière et doivent leur assurer une protection accrue (B. c. Roumanie (no 2), no 1285/03, §§ 86 et 114, 19 février 2013 ; Todorova c. Italie, no 33932/06, § 75, 13 janvier 2009, Zhou, précité, §§ 58-59).
83. En l’espèce, la Cour est d’avis que la nécessité, qui était primordiale, de préserver autant que possible le lien entre le requérant et sa fille n’a pas été dûment prise en considération - sachant que l’intéressé se trouvait par ailleurs en situation de vulnérabilité, compte tenu de ce qu’il était étranger et venait de sortir de prison après deux ans de détention injuste, puisqu’il a été acquitté.
La Cour note que la décision de rompre le lien familial n’ait été précédée d’une évaluation sérieuse et attentive de la capacité du requérant à exercer son rôle de parent, et notamment d’aucune expertise psychologique, et qu’aucune tentative de sauvegarder le lien n’ait été envisagée. Les autorités n’ont pas déployé des efforts adéquats pour préserver le lien familial entre le requérant et sa fille et en favoriser le développement. Les autorités judiciaires se sont bornées à prendre en considération l’existence de certaines difficultés, alors que celles-ci auraient pu, selon toute vraisemblance, être surmontées au moyen d’une assistance sociale ciblée. Le requérant ne s’est vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa fille : en effet aucun expert n’a été mandaté pour évaluer ses compétences ou son profil psychologique. De plus, une seule rencontre a été autorisée avec l’enfant. Aucun parcours de rapprochement ou de thérapie familiale n’a été envisagé. Au demeurant, aucune explication convaincante pouvant justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requérant et sa fille n’a été fournie par le Gouvernement.
84. Eu égard à ces considérations et nonobstant la marge d’appréciation de l’État défendeur en la matière, la Cour conclut que les autorités italiennes, en envisageant que la solution d’une rupture du lien familial, n’ont pas déployé des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit du requérant à vivre avec son enfant, élément de son droit au respect de sa vie familiale, garanti par l’article 8. Il y a donc eu violation de cette disposition.
85. Compte tenu de ce que l’enfant a désormais été adoptée, la Cour précise que ce constat de violation ne saurait être compris comme obligeant l’État à remettre la mineure à l’intéressé.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
87. Le requérant réclame 500 000 euros (EUR) au titre du préjudice qu’il aurait subi du fait de la violation de l’article 8.
88. Le Gouvernement estime cette somme excessive.
89. En tenant compte des circonstances de l’espèce et de son constat selon lequel les autorités italiennes n’ont pas déployé des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit du requérant à vivre avec son enfant, méconnaissant ainsi l’article 8 de la Convention, la Cour considère que l’intéressé a subi un préjudice moral qui ne saurait être réparé par le seul constat de violation. Elle estime, toutefois, que la somme réclamée est excessive. Eu égard à l’ensemble des éléments dont elle dispose et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle estime qu’il convient de fixer la somme à allouer à l’intéressé pour ledit préjudice moral à 32 000 EUR.
B. Frais et dépens
90. Justificatifs à l’appui, le requérant demande également 29 335,61 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
91. Le Gouvernement conteste ce montant.
92. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
93. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 32 000 EUR (trente-deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Fatoş Aracı Päivi Hirvelä
Greffière adjointe Présidente