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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> PEIDIS v. GREECE - 728/13 - Committee Judgment (French Text) [2015] ECHR 708 (16 July 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/708.html
Cite as: [2015] ECHR 708

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE PEIDIS c. GRÈCE

     

    (Requête no 728/13)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    16 juillet 2015

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Peidis c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :

              Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Linos-Alexandre Sicilianos, juges,
    et de André Wampach, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 juin 2015,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 728/13) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Zacharias Peidis (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 décembre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Mes K. Tsitselikis et A. Spathis, avocats à Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par la déléguée de son agent, Mme M. Yermani, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État.

    3.  Le requérant allègue une violation de l’article 3 de la Convention, en raison de ses conditions de détention dans les locaux du commissariat de police de Katerini.

    4.  Le 30 janvier 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant est né en 1959. Il est actuellement incarcéré à la prison de Thessalonique.

    A.  L’arrestation et la détention du requérant

    6.  Accusé de fraude fiscale, le requérant fut arrêté le 1er août 2012 et détenu provisoirement du 2 août au 20 septembre 2012 au commissariat de police de Katerini. Le jour même de l’arrestation, le procureur près la cour d’appel de Thessalonique demanda au directeur de la prison de Thessalonique d’accueillir le requérant. Le 2 août 2012, le directeur en question informa le commissariat de police de Katerini qu’il ne lui était pas possible d’autoriser l’admission du requérant dans ladite prison, faute d’espace. Il précisait que le requérant pourrait y être admis dès qu’une place se libérerait.

    7.  Le 17 septembre 2012, le requérant aurait déposé une requête, sur le fondement de l’article 572 du code de procédure pénale, auprès du procureur près le tribunal correctionnel de Katerini. Dans cette requête, il se serait plaint de ses conditions de détention et aurait notamment soutenu qu’il occupait une cellule de 25 m² partagée avec neuf autres personnes.

    8.  Après avoir été sollicité au sujet de cette plainte par l’avocat du requérant, ledit procureur indiqua ne pas avoir reçu la requête susmentionnée.

    9.  Le 18 septembre 2012, l’avocat du requérant saisit le procureur près la cour d’appel de Thessalonique d’une plainte administrative par laquelle il mettait en cause le comportement du procureur près le tribunal correctionnel de Katerini.

    10.  Le 20 septembre 2012, le requérant fut transféré à la prison de Thessalonique.

    B.  Les conditions de détention selon la version du requérant

    11.  Le requérant allègue que, pendant la période litigieuse, il est resté confiné dans une cellule de 25 m² avec neuf autres détenus et que cette cellule était mal éclairée et mal aérée. Il ajoute qu’il lui était impossible de marcher ou de se livrer à une activité physique. Il précise aussi qu’une somme de 5,87 euros (EUR) lui était allouée par jour et qu’elle ne suffisait pas pour se nourrir correctement.

    C.  Les conditions de détention selon la version du Gouvernement

    12.  Le Gouvernement soutient que le requérant a été détenu dans une pièce de 32 m² qui était reliée par un couloir de 9 m² à une salle d’eau de 4,50 m² dotée d’une toilette et d’une douche. Il indique que cette pièce comportait treize lits et que le nombre des détenus l’ayant occupée a fluctué pendant la période en cause sans jamais dépasser treize. Il ajoute que cette pièce disposait d’une fenêtre de 0,90 m x 0,40 m, de quatre lampes et d’un ventilateur.

    13.  Par ailleurs, il précise qu’une somme de 5,87 EUR allouée aux détenus permet à ces derniers de se procurer une nourriture suffisante auprès de deux restaurants, lesquels pratiquent selon lui pour les prisonniers des tarifs inférieurs à ceux demandés à leurs clients habituels.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    14.  Le droit interne pertinent mentionné dans la présente affaire est exposé dans l’arrêt Kavouris et autres c. Grèce (no 73237/12).

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    15.  Le requérant allègue que ses conditions de détention dans les locaux du commissariat de police de Katerini n’étaient pas compatibles avec l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    16.  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que, à compter du 20 septembre 2012, la détention du requérant dans les locaux du commissariat de police de Katerini et dans les conditions dénoncées par l’intéressé a pris fin. Il estime par conséquent que la réparation du dommage que celui-ci dit avoir subi dans ces locaux consisterait en le seul octroi d’une indemnité. Or, il indique que le requérant a omis d’introduire une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil combiné avec les articles 2 § 1 (respect et protection de la valeur de la personne humaine) et 7 § 2 (interdiction de la torture) de la Constitution, des articles 7 (interdiction de la torture) et 10 (traitement des détenus) de la loi no 2462/1997 ratifiant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et de l’article 3 (interdiction de la torture) du décret législatif no 53/1974 ratifiant la Convention. Il ajoute que l’intéressé a aussi omis d’introduire une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 précité combiné avec les articles 66 § 4, 66 § 5 d), 90 § 3 b), 91 § 1 et 92 §§ 6 et 7 du décret présidentiel no 141/1991 relatif aux compétences des organes du ministère de l’Ordre public, ainsi qu’avec les articles 2 et 3 du décret présidentiel no 254/2004 portant code de déontologie des fonctionnaires de police.

    17.  Le Gouvernement invoque, en outre et de manière extensive, l’article 66 § 6 du décret présidentiel no 141/1991, lequel interdit la détention des prévenus et des condamnés dans les commissariats de police excepté pendant le temps absolument nécessaire à leur transfert en prison ou lorsque leur transfert immédiat vers une prison n’est pas possible. Se référant à la jurisprudence de la haute cour administrative, il soutient que la ratio legis de cette disposition est la même que celle de l’article 1050 § 2 du code de procédure civile dont la violation peut, à ses dires, donner lieu à des dommages-intérêts en application de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil (arrêts nos 2893/2008 et 1215/2010 du Conseil d’État).

    18.  Le requérant affirme que les autorités n’ont réagi à sa requête du 17 septembre 2012 que lorsque son avocat a menacé le procureur près le tribunal correctionnel de Katerini de poursuites. Il soutient, en outre, que le recours indemnitaire de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil n’est pas un recours effectif étant donné que ce recours présupposerait un acte illégal des autorités et que de surcroît il ne permettrait pas d’obtenir une amélioration des conditions de détention. Il déclare qu’une procédure en dommages-intérêts durerait de longues années et que cela ne se concilierait pas avec la rapidité de réaction qu’exige une souffrance causée par des conditions de détention inhumaines.

    19.  En l’espèce, la Cour note que le requérant a été transféré à la prison de Thessalonique le 20 septembre 2012, ce transfert ayant mis fin à la situation dont il se plaint sous l’angle de l’article 3 de la Convention. En saisissant la Cour le 24 décembre 2012, il ne visait de toute évidence pas à empêcher la continuation de sa détention dans des conditions inhumaines et dégradantes, mais à obtenir de la Cour un constat postérieur de violation de cette disposition et, le cas échéant, une indemnité pour le dommage moral qu’il estime avoir subi.

    20.  La Cour a eu à plusieurs reprises l’occasion de se prononcer sur l’exception relative au non-épuisement des voies de recours internes dans des affaires aux conditions similaires à celles de la présente espèce (voir, en particulier, Kavouris et autres, précité, no 73237/12, et Lici c. Grèce, no 69881/12). Elle l’a toujours rejetée au motif que, en l’état actuel de la jurisprudence nationale, le recours indemnitaire fondé sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil combiné avec les articles invoqués par le Gouvernement n’offrait pas au moment des faits un redressement approprié.

    21.  La Cour ne voit aucune raison de s’écarter de cette conclusion en l’espèce. Elle relève seulement que l’article 66 § 6 du décret no 141/1991 ne pourrait pas non plus servir de base à une action indemnitaire étant donné que cet article prévoit expressément comme exception le cas de l’impossibilité de transférer immédiatement un prévenu dans une prison. Or, elle note que, dans la présente affaire, le requérant se trouvait précisément dans ce cas.

    22.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

    B.  Sur le fond

    23.  Le Gouvernement soutient que les conditions de détention du requérant dans les locaux du commissariat de police de Katerini étaient convenables, pour les raisons exposées ci-après : à ses dires, la surface de la pièce dans laquelle celui-ci a été placé était de 32 m², cet espace était prévu pour accueillir treize personnes et a été occupé au total - d’après le requérant lui-même - par dix détenus, et l’intéressé serait resté provisoirement dans ce commissariat afin d’éviter des conditions pires caractérisées - aux yeux du Gouvernement - par la surpopulation de la prison de Thessalonique. Il considère que, à supposer même que les conditions de détention eussent été inhumaines et dégradantes, la cause génératrice des maux du requérant avait disparu dès la saisine des autorités par celui-ci. Sur ce dernier point, il précise que l’intéressé a été transféré à la prison de Thessalonique deux jours après le dépôt de sa plainte auprès du procureur près la cour d’appel de Thessalonique et il en conclut que la saisine dudit procureur a entraîné le résultat souhaité.

    24.  Le requérant, se prévalant de l’arrêt Siasios et autres c. Grèce (no 30303/07, 4 juin 2006), indique que la Cour a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de détention dans les locaux du commissariat de police de Katerini. Il soutient que, pendant les quarante-neuf jours qu’a duré son incarcération, il n’avait ni la possibilité de faire quelques pas à l’extérieur ni celle d’avoir un repas ayant une valeur nutritionnelle adéquate. Il ajoute qu’il vivait dans un espace personnel ayant une surface comprise entre 3 à 4 m² et dans des conditions de saleté extrêmes.

    La Cour relève qu’elle a déjà eu à connaître, à plusieurs reprises, d’affaires relatives aux conditions d’emprisonnement dans des locaux de police de personnes mises en détention provisoire ou détenues en vue de leur expulsion, et qu’elle a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention dans ces affaires (Siasios et autres, précité, no 30303/07, 4 juin 2009, Vafiadis c. Grèce, no 24981/07, 2 juillet 2009, Shuvaev c. Grèce, no 8249/07, 29 octobre 2009, Tabesh c. Grèce, no 8256/07, 26 novembre 2009, Efremidi c. Grèce, no 33225/08, 21 juin 2011, et Aslanis c. Grèce, no 36401/10, 17 octobre 2013). Mises à part les déficiences particulières quant à la détention des intéressés dans chacune des affaires précitées - ayant notamment trait à la surpopulation, au manque d’espace extérieur pour se promener, à l’insalubrité et à la qualité de la restauration -, la Cour a fondé son constat de violation de l’article 3 de la Convention sur la nature même des commissariats de police, lesquels sont des lieux destinés à accueillir des personnes pour une courte durée. Ainsi, des durées de détention provisoire au sein des commissariats de police comprises entre deux et trois mois ont été considérées comme contraires à l’article 3 de la Convention (Siasios et autres, § 32, Vafiadis, §§ 35-36, Shuvaev, § 39, Tabesh, § 43, Efremidi, § 41, et Aslanis § 39, précités).

    25.  En l’espèce, la Cour note que le requérant a été détenu dans les locaux du commissariat de police de Katerini du 2 août au 20 septembre 2012, soit quarante-neuf jours.

    26.  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente, dans la présente cause, de celle à laquelle elle est parvenue dans les différentes affaires précitées. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention.

    II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    27.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    28.  Le requérant réclame 5 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi.

    29.  Le Gouvernement estime que la somme précitée est excessive.

    30.  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant la totalité de la somme demandée au titre du préjudice moral.

    B.  Frais et dépens

    31.  Le requérant demande également 1 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

    32.  Le Gouvernement estime que cette somme est également excessive. Il soutient de plus que la facture présentée par le requérant n’est pas datée et qu’il ne s’agit pas d’une facture certifiée par les autorités fiscales. Pour ces raisons, il estime qu’elle ne devrait pas être prise en compte.

    33.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, et compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 500 EUR pour la procédure devant elle et l’accorde au requérant.

    C.  Intérêts moratoires

    34.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

    i.  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

    ii.  1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens,

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 juillet 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    André Wampach                                                  Mirjana Lazarova Trajkovska
      Greffier adjoint                                                                  Présidente


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