BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
European Court of Human Rights |
||
You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MOINESCU v. ROMANIA - 16903/12 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Third Section)) French Text [2015] ECHR 798 (15 September 2015) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/798.html Cite as: [2015] ECHR 798 |
[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]
TROISIÈME SECTION
AFFAIRE MOINESCU c. ROUMANIE
(Requête no 16903/12)
ARRÊT
STRASBOURG
15 septembre 2015
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Moinescu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall,
président,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 août 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 16903/12) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Dumitru Moinescu (« le requérant »), a saisi la Cour le 15 mars 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me L. Constantin, avocat à Constanţa. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant allègue en particulier ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable, en raison de sa condamnation pénale par la juridiction de recours en l’absence d’administration directe des preuves alors qu’il avait été acquitté par les tribunaux inférieurs sur le fondement des mêmes éléments.
4. Le 11 mars 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1952 et réside à Medgidia.
A. Les événements du 9 avril 2006
6. Le 9 avril 2006, vers 7 heures du matin, une rixe eut lieu entre deux groupes de personnes dans une boîte de nuit de Medgidia. L’établissement et deux véhicules garés à proximité subirent des dégâts importants. La police dut intervenir pour rétablir l’ordre.
Alors que les agents de police étaient encore sur place et que les témoignages des victimes et des témoins oculaires étaient recueillis, le requérant, qui était le maire de la ville à l’époque, et L.B., le chef de la police locale, pénétrèrent dans les lieux. Le requérant discuta avec quelques personnes présentes et avec le gérant de l’établissement.
7. Sur demande du requérant, des agents du service municipal spécialisé se déplacèrent sur les lieux pour dégager et nettoyer les trottoirs avoisinants.
8. Le requérant se rendit ensuite dans les locaux de la mairie, qui se trouvaient à proximité. Là, il eut une réunion avec I.N., son conseiller pour la minorité rom, et I.A., le frère de ce dernier, qui avait été impliqué dans la rixe. Ils furent rejoints dans un premier temps par le gérant du club et par deux autres personnes qui avaient assisté à la rixe. Ultérieurement se présenta L.B., le chef de la police locale, qui remit au requérant l’enregistrement vidéo de la rixe réalisé par un agent de la police routière qui se trouvait sur place. Les discussions portèrent sur les modalités de réparation des dégâts.
9. La police judiciaire, qui s’était saisie de l’affaire, décida de procéder à une perquisition au domicile de la famille N., dont faisaient partie I.N. et I.A., et délivra également des mandats de comparution pour plusieurs membres de cette famille.
10. Vers 15 heures, plusieurs agents de police se rendirent au domicile de la famille N. et arrêtèrent plusieurs de ses membres en vertu des mandats de comparution susmentionnés. Alors que la perquisition était en cours, le requérant fit son apparition dans la cour de l’immeuble. Son apparition coïncida avec le rassemblement de plusieurs personnes devant l’immeuble qui vociféraient et dénonçaient un comportement abusif de la part de la police, à laquelle ils prêtaient d’enquêter uniquement sur les membres de la famille N. et non sur les membres du groupe adverse. Le requérant demanda à l’agent de police qui dirigeait les opérations de lui présenter le mandat autorisant la perquisition. Après avoir pris lecture du mandat, le requérant s’adressa à la foule rassemblée en indiquant : « Tout est en règle ! ».
11. Vers 19 h 30, alors que l’audition des personnes placées en garde à vue était en cours, le requérant se rendit au siège du parquet et demanda à rencontrer le procureur qui supervisait l’enquête. Après s’y être dans un premier temps refusée, la procureure Z.P. accepta, devant son insistance, de le rencontrer dans un bureau.
B. La procédure pénale engagée contre le requérant
12. À une date non précisée, des poursuites pénales furent ouvertes contre huit personnes du chef d’ « outrage aux bonnes mœurs troublant l’ordre public », délit puni par l’article 321 du code pénal, et du chef de « destruction [de biens] », délit puni par l’article 217 du code pénal. Le requérant et L.B. furent, quant à eux, poursuivis du chef de « recel de malfaiteur », délit puni par l’article 264 § 1 du code pénal. Le requérant fut représenté par un avocat de son choix tout au long de la procédure.
13. Par un réquisitoire du 3 mai 2006, le parquet renvoya en jugement les huit personnes accusées d’outrage et de destruction de biens et disjoignit les poursuites concernant le requérant et L.B.
14. Par une décision définitive du 12 juin 2007, la cour d’appel de Constanţa reconnut les huit personnes en question coupables des délits reprochés et les condamna à des peines de prison d’un an ou de un an et quatre mois, selon les cas.
15. Par une décision du 13 juillet 2006, le parquet rendit un non-lieu pour les faits reprochés à L.B.
16. Au cours des poursuites contre le requérant, le parquet entendit vingt-cinq témoins.
17. Par un réquisitoire du 11 mars 2008, le parquet, représenté par la procureure Z.P., mit le requérant en accusation et le renvoya en jugement du chef de recel de malfaiteur, l’accusant d’avoir entravé l’enquête ouverte quant à la rixe du 9 avril 2006 (a îngreunat şi zădărnicit urmărirea pénală).
18. L’affaire fut inscrite au rôle du tribunal de première instance de Medgidia. Le tribunal entendit vingt-et-un témoins, ainsi que le requérant, qui clama son innocence.
19. Par un jugement du 18 mai 2010, le tribunal de première instance de Medgidia prononça l’acquittement du requérant. Dans ses motifs, le tribunal retint :
- qu’il ne ressortait pas des déclarations des témoins que le requérant avait entravé ou essayé d’entraver l’enquête menée quant à la rixe du 9 avril 2006 ;
- que sa présence sur les lieux de la rixe immédiatement après les événements, ou la réunion au siège de la mairie, ou encore sa présence lors de la perquisition effectuée au domicile de la famille N., avaient comme but la médiation du conflit et se rapportaient à la réparation des dégâts causés après la rixe ainsi qu’au nettoyage effectué par les services de la mairie ;
- qu’il ne ressortait d’aucun élément de preuve que le requérant avait essayé d’intimider le procureur ou de le déterminer à accomplir ou non certains actes lors de leur rencontre au siège du parquet, et que, dès lors, cette rencontre n’avait pas mis en péril l’enquête pénale en cours ;
- qu’il convenait en tout état de cause d’écarter des éléments à charge les déclarations du procureur, qui ne pouvaient être utilisées en l’espèce étant donné sa qualité de procureur chargé de l’enquête pénale.
20. Ce jugement fut confirmé, sur appel du parquet, par un arrêt du tribunal départemental de Constanţa du 11 mai 2011.
21. Le parquet forma un pourvoi en recours contre cet arrêt.
22. Les débats eurent lieu le 4 octobre 2011 devant la cour d’appel de Constanţa. L’avocat du requérant demanda que le pourvoi soit rejeté et déposa des conclusions écrites. Le requérant déclina l’invitation de la cour d’appel à faire une déclaration. Il eut l’occasion de s’exprimer en dernier et clama à nouveau son innocence. Aucune autre preuve ne fut administrée au stade dudit recours.
23. Par un arrêt définitif du 7 octobre 2011, la cour d’appel de Constanţa condamna le requérant à six mois de prison avec sursis pour recel de malfaiteur. Pour ce faire, la cour d’appel jugea :
- que les tribunaux inférieurs avaient commis une « grave erreur de fait », au terme d’un examen tronqué des pièces du dossier ;
- que les éléments du dossier montraient que le requérant avait apporté de l’aide aux personnes impliquées dans la rixe du 9 avril 2006, en ordonnant aux agents du service municipal de salubrité de nettoyer les lieux, alors que ceux-ci n’avaient pas encore été examinés par la police judiciaire ;
- qu’il s’était également immiscé dans l’enquête par son comportement intimidant à l’égard de l’agent de police qui dirigeait la perquisition, duquel il avait exigé qu’il lui présentât le mandat autorisant la perquisition, et par sa rencontre avec le procureur chargé de l’enquête ;
- que par ses actions, le requérant « avait essayé d’obtenir des renseignements quant au déroulement de l’enquête, en contournant la voie légale lui permettant d’obtenir des informations d’intérêt public et sans justifier d’un intérêt concret, et qu’il avait agi ainsi dans le but d’intimider les autorités judiciaires et d’entraver l’enquête ».
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
24. Les dispositions du code de procédure pénale définissant à l’époque des faits l’étendue de la compétence et des pouvoirs de la juridiction saisie d’un pourvoi en « recours » sont décrites dans l’affaire Găitănaru c. Roumanie (no 26082/05, §§ 17-18, 26 juin 2012).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
25. Le requérant allègue une violation de son droit à un procès équitable dans le cadre de la procédure pénale à son encontre, en raison de sa condamnation pénale par la juridiction de recours en l’absence d’administration directe des preuves alors qu’il avait été acquitté par les tribunaux inférieurs sur le fondement des mêmes éléments. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
A. Sur la recevabilité
26. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il fait valoir que le requérant n’a pas demandé à la juridiction de recours saisie de son affaire d’examiner de nouveaux éléments de preuve et notamment de procéder à une nouvelle audition des témoins. Selon lui, le requérant pouvait utilement faire usage de cette possibilité, soit par l’intermédiaire de son avocat, soit directement, étant donné qu’il a été entendu en personne par cette juridiction.
27. Le requérant estime qu’il a épuisé les voies de recours internes et que l’exception du Gouvernement doit être rejetée. Il argue qu’il n’avait aucun intérêt à proposer une nouvelle administration des preuves dans l’instance d’examen du pourvoi en recours du parquet, étant donné qu’il avait été acquitté par les tribunaux inférieurs.
28. À cet égard, la Cour rappelle qu’elle a déjà statué dans des affaires similaires sur l’argument soulevé par le Gouvernement consistant à dire que le requérant n’a lui-même jamais demandé à la juridiction de recours d’entendre des témoins. Dans ces affaires, elle a jugé que la juridiction de recours était tenue de prendre d’office des mesures en ce sens, nonobstant l’absence de sollicitation expresse du requérant (Găitănaru, précité, § 34, Manolachi c. Roumanie, no 36605/04, § 50, 5 mars 2013, et Hanu c. Roumanie, no 10890/04, § 38, 4 juin 2013). De plus, en l’espèce, la Cour note que l’on ne saurait reprocher au requérant un manque d’intérêt pour son procès (a contrario, Bragadireanu c. Roumanie, no 22088/04, § 110, 6 décembre 2007). Il convient dès lors de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.
29. Constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
30. Le requérant fait valoir que la juridiction de recours a statué en se fondant uniquement sur le dossier de première instance, contenant les dépositions des témoins, alors que ce même dossier lui avait valu d’être acquitté en première instance et en appel.
31. Le Gouvernement ne voit rien de contraire aux exigences d’un procès équitable dans la condamnation du requérant. Il fait valoir :
- que le requérant a été représenté tout au long de la procédure ; qu’il a pu poser des questions aux témoins à charge et présenter des témoins à décharge dans les mêmes conditions que l’accusation ; que, par conséquent, le principe de l’égalité des armes a été respecté ;
- que le requérant a pu présenter ses conclusions sur le fond de l’affaire, et que rien ne le contraignait à limiter ses commentaires à la recevabilité du pourvoi en recours du parquet (le Gouvernement cite a contrario l’affaire Popa et Tănăsescu c. Roumanie, no 19946/04, § 51, 10 avril 2012).
32. Le Gouvernement allègue en outre que la question principale que la juridiction de recours avait à connaître concernait la qualification juridique des faits, qui avaient déjà été établis par le tribunal de premier ressort principalement sur la base des témoignages. À son avis, la juridiction de recours était parfaitement en droit d’apprécier si les actions du requérant pouvaient être qualifiées d’aide apportée à plusieurs personnes en vue d’entraver l’enquête pénale qui venait d’être ouverte à leur encontre, et cela sans être tenue de rouvrir d’office l’administration des preuves. Par ailleurs, l’élément principal de la défense du requérant devant les tribunaux inférieurs portait déjà sur cette qualification juridique. Enfin, le Gouvernement considère qu’à la différence de l’affaire Găitănaru (précitée, § 31), dans le cas présent, l’acquittement du requérant par les juridictions inférieures n’avait pas pour motif l’insuffisance des preuves, mais trouvait sa cause dans une interprétation juridique différente.
2. Appréciation de la Cour
33. La Cour rappelle que les modalités d’application de l’article 6 de la Convention aux procédures d’appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s’agit : il convient de tenir compte de l’ensemble de la procédure interne et du rôle dévolu à la juridiction d’appel dans l’ordre juridique national. Lorsqu’une audience publique a eu lieu en première instance, l’absence de débats publics en appel peut se justifier par les particularités de la procédure en question, eu égard à la nature du système d’appel interne, à l’étendue des pouvoirs de la juridiction d’appel, à la manière dont les intérêts du requérant ont réellement été exposés et protégés devant elle, et notamment à la nature des questions qu’elle avait à trancher (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996-I).
34. En outre, la Cour a déclaré que, lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité de la procédure, décider de ces questions sans appréciation directe des témoignages présentés en personne soit par l’accusé qui soutient qu’il n’a pas commis l’acte tenu pour une infraction pénale (voir, parmi d’autres exemples, Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 32, série A no 134, Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, § 55, CEDH 2000-VIII, Dondarini c. Saint-Marin, no 50545/99, § 27, 6 juillet 2004 et Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, § 27, 10 mars 2009) soit par les témoins ayant déposé pendant la procédure (Găitănaru, précité, § 35 et Hogea c. Roumanie, no 31912/04, § 54, 29 octobre 2013).
35. La Cour rappelle également que la recevabilité des preuves relève au premier chef des règles du droit interne : c’est en principe aux juridictions nationales qu’il revient d’apprécier les éléments recueillis par elles. La mission confiée à la Cour par la Convention consiste seulement à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I). Ainsi, la Cour a énoncé que s’il incombe en principe au juge national de décider de la nécessité ou de l’opportunité de citer un témoin, des circonstances exceptionnelles pourraient toutefois la conduire à conclure à l’incompatibilité avec l’article 6 de la non-audition d’une personne comme témoin (Bricmont c. Belgique, 7 juillet 1989, § 89, série A no 158).
36. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe tout d’abord que la cour d’appel de Constanţa a fait des démarches afin que le requérant puisse être entendu en personne mais qu’elle l’a condamné sans entendre de nouveau les témoins entendus par la juridiction de première instance et dont les dépositions avaient amené celle-ci, comme la juridiction d’appel ensuite, à l’acquitter (paragraphe 19-20 ci-dessus).
À cet égard, la Cour note qu’elle a déjà constaté, dans des affaires similaires, que dans le système judiciaire roumain la compétence des juridictions saisies par la voie du pourvoi en « recours » n’était pas limitée aux seules questions de droit. En effet, elle a constaté que la procédure applicable dans ce cadre était une procédure complète qui suivait les mêmes règles qu’une procédure au fond et que la juridiction de recours pouvait décider, soit de confirmer l’acquittement du requérant prononcé par l’instance inférieure, soit de déclarer celui-ci coupable au terme d’une appréciation complète de la question de la culpabilité ou de l’innocence de l’intéressé, en administrant le cas échéant de nouveaux moyens de preuve (Dănilă c. Roumanie, no 53897/00, § 38, 8 mars 2007, Găitănaru, précité, § 30, Manolachi, précité, § 46 et Văduva c. Roumanie, no 27781/06, § 43, 25 février 2014).
37. En l’espèce, la cour d’appel de Constanţa s’est prévalue de cette dernière possibilité, mais sans examiner de nouveaux éléments de preuve. Or la Cour note que les juridictions de première instance et d’appel avaient jugé qu’il ne ressortait pas des déclarations des témoins que le requérant avait entravé ou essayé d’entraver l’enquête menée quant à la rixe du 9 avril 2006 dans les moments précis identifiés au cours des poursuites (paragraphes 19-20 ci-dessus). En revanche, la cour d’appel a jugé, sur la base des mêmes éléments de preuve, que par ses actions, le requérant « avait essayé d’obtenir des renseignements quant au déroulement de l’enquête, en contournant la voie légale lui permettant d’obtenir des informations d’intérêt public et sans justifier d’un intérêt concret, et cela dans le but d’intimider les autorités judiciaires et d’entraver l’enquête » (paragraphe 23 ci-dessus).
38. De l’avis de la Cour, en se livrant à une telle analyse la cour d’appel ne s’est pas limitée à la simple appréciation d’une question de droit - ou plus précisément, de celle de la qualification juridique des faits, comme le soutient le Gouvernement - mais bel et bien à une nouvelle interprétation des faits, donnant une nouvelle connotation aux actions du requérant. Ce qui a eu pour conséquence d’aggraver sa situation, en fondant sa condamnation à une peine de prison.
39. Qui plus est, pour se prononcer ainsi, la cour d’appel a procédé à une nouvelle interprétation des témoignages figurant au dossier, dont elle n’avait pas entendu elle-même les auteurs. Elle a ainsi pris le contre-pied des jugements des tribunaux inférieurs, qui avaient relaxé le requérant sur la base, notamment, des dépositions de ces témoins faites lors des audiences tenues devant eux. S’il appartenait à la juridiction de recours d’apprécier les divers éléments de preuve, il n’en demeure pas moins que le requérant a été reconnu coupable sur la base des mêmes témoignages qui avaient suffisamment fait douter les premiers juges du bien-fondé de l’accusation à son encontre pour motiver son acquittement. Dans ces conditions, l’omission de la cour d’appel d’entendre les témoins en question avant de déclarer le requérant coupable a sensiblement réduit l’effectivité des droits de la défense (Găitănaru, précité, § 32, Văduva, précité, § 50 et, mutatis mutandis, Lacadena Calero c. Espagne, no 23002/07, § 49, 22 novembre 2011).
40. Ces éléments permettent à la Cour de conclure que la condamnation du requérant pour recel de malfaiteur, prononcée en l’absence d’une audition directe des témoins, alors qu’il avait été acquitté par les deux juridictions inférieures, doit être regardée comme contraire aux exigences d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
41. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
42. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint en outre de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable. Il expose que la motivation de la juridiction de recours a été lapidaire ; que les poursuites pénales ont été conduites par la procureure Z.P., qu’il aurait essayé d’intimider selon l’arrêt de la cour d’appel de Constanţa ; et que, compte tenu de la médiatisation de son procès et des intérêts politiques locaux liés à sa qualité de maire, la cour d’appel de Constanţa ne présentait pas l’impartialité requise. Enfin, il dénonce la durée prétendument déraisonnable de la procédure pénale engagée à son encontre.
43. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention. La Cour conclut donc que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
44. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
45. Le requérant réclame 50 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi en raison de sa condamnation pénale contraire à l’article 6 § 1 de la Convention.
46. Le Gouvernement soutient que la demande du requérant n’est pas fondée. En outre, il estime excessif le montant sollicité. En revanche, il estime que le constat de violation opéré vaut en soi satisfaction équitable. Enfin, le Gouvernement est d’avis que la réouverture du procès pénal en vertu des dispositions du code de procédure pénale représente un moyen approprié de redresser l’éventuelle violation constatée.
47. La Cour estime que le requérant a subi un préjudice moral du fait de la violation constatée de l’article 6 § 1 de la Convention et qu’il y a lieu de lui octroyer 3 000 EUR à ce titre.
48. En outre, la Cour rappelle que lorsqu’un particulier, comme en l’espèce, a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente en principe un moyen approprié de remédier à la violation constatée (Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003 et Tahir Duran c. Turquie, no 40997/98, § 23, 29 janvier 2004). À cet égard, elle note que l’article 465 du nouveau code de procédure pénale, entré en vigueur le 1er février 2014, permet la révision d’un procès sur le plan interne lorsque la Cour a constaté la violation des droits et libertés fondamentaux d’un requérant (Mischie, précité, § 50).
B. Frais et dépens
49. Le requérant n’a pas présenté de demande de remboursement des frais et dépens encourus pendant la procédure.
C. Intérêts moratoires
50. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention pour autant qu’il concerne la condamnation pénale du requérant sur la base des mêmes preuves qui avaient été jugées insuffisantes par les juridictions inférieures, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration du délai ci-dessus indiqué et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 septembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Marialena
Tsirli Josep Casadevall
Greffière adjointe Président