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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> COMPANHIA AGRICOLA DA APARICA, SA v. PORTUGAL - 12474/12 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section)) French Text [2015] ECHR 958 (29 October 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/958.html
Cite as: [2015] ECHR 958

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE COMPANHIA AGRÍCOLA DA APARIÇA, SA c. PORTUGAL

     

    (Requête no 12474/12)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

    STRASBOURG

     

     

    29 octobre 2015

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Companhia Agrícola da Apariça, SA c. Portugal,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

              András Sajó, président,
              Mirjana Lazarova Trajkovska,
              Julia Laffranque,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Linos-Alexandre Sicilianos,
              Erik Møse,
              Dmitry Dedov, juges,
    et de Søren Nielsen, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 octobre 2015,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 12474/12) dirigée contre la République portugaise et dont une société de cet État, Companhia Agrícola da Apariça, SA (« la requérante ») a saisi la Cour le 24 février 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  La requérante a été représentée par Me J. A. Fernandes de Barros, avocat à Lisbonne. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.

    3.  La requérante alléguait que la fixation et le paiement tardifs d’une indemnisation consécutive à l’expropriation temporaire de propriétés agricoles lui appartenant avaient porté atteinte à son droit au respect de ses biens.

    4.  Le 7 mai 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  La requérante est une société de droit portugais ayant son siège à Lisbonne.

    6.  La requérante était propriétaire de plusieurs terrains, d’une superficie totale de 6 953,9 hectares, lesquels firent l’objet d’une expropriation en 1975 dans le cadre de la politique relative à la réforme agraire.

    7.  La législation pertinente en la matière prévoyait que les propriétaires pouvaient, sous certaines conditions, exercer leur droit de « réserve » (direito de reserva) sur une partie des terrains afin d’y poursuivre leurs activités agricoles. Elle prévoyait par ailleurs l’indemnisation des intéressés. Le montant, le délai et les conditions de paiement d’une telle indemnisation restaient à définir.

    8.  La requérante exerça son droit de réserve. Ainsi, au 6 avril 2009, la requérante avait récupéré l’ensemble de ses terrains à l’exception de 605 hectares.

    9.  Pour la perte définitive des 605 hectares, l’État attribua à la requérante une indemnisation de 30 784 296 escudos portugais (PTE) soit 153 551,42 euros (EUR).

    10.  S’agissant de la privation temporaire des terrains, par un arrêté ministériel conjoint de la ministre de l’Agriculture et de la secrétaire d’État au Trésor du 29 juillet 2011 et 14 décembre 2011, respectivement, l’indemnisation définitive fut fixée à 414 985 988 PTE, soit 2 069 941, 38 EUR, majorée d’intérêts qui restaient à fixer. De cette somme devaient être déduits 82 445 248 PTE (soit 411 235,16 EUR) et 139 399 PTE (soit 695,32 EUR) qui avaient déjà été payés à la requérante à titre d’indemnisation provisoire et par rapport au solde de compte courant à la date de l’expropriation.

    11.  Le 17 janvier 2012, l’indemnisation majorée de 1 707 468,83 EUR, à titre d’intérêts fut versée à la requérante.

    12.  À une date non précisée, la requérante contesta l’indemnisation d’expropriation qui lui avait été octroyée devant le tribunal administratif et fiscal de Beja (procédure interne no 81/12). Cette procédure est toujours pendante.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    13.  L’arrêt Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal (nos 29813/96 et 30229/96, CEDH 2000-I) décrit, en ses paragraphes 31 à 37, le droit et la pratique internes pertinents en matière de réforme agraire. Il convient d’ajouter que le Tribunal constitutionnel a confirmé sa jurisprudence en la matière (arrêt Almeida Garrett précité, § 37) par son arrêt no 85/03/T du 12 février 2003.

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

    14.  La requérante allègue que le montant de l’indemnisation définitive d’expropriation lui ayant été versé au niveau interne ne saurait correspondre à une « juste indemnisation » et se plaint du retard dans la fixation et le paiement de celle-ci. Elle invoque l’article 1 du Protocole nº 1 à la Convention, ainsi libellé :

    « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

    Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

    A.  Sur la recevabilité

    15.  En ce qui concerne le grief portant sur le montant de l’indemnisation fixé au niveau interne, la Cour rappelle d’emblée ne pas être compétente pour examiner les questions directement liées à la privation de propriété, ni, a fortiori, celles relatives au montant des indemnisations, lesquels se trouvent en dehors de sa compétence ratione temporis (Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres précité, §§ 43 et 48).

    16.  À l’exception de ce qui précède, la Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    17.  Les parties conviennent que la fixation et le paiement tardif de l’indemnisation d’expropriation a porté atteinte au droit de la requérante au respect de ses biens garanti par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

    18.  Pour sa part, la Cour rappelle qu’elle a déjà été appelée à examiner des affaires similaires, s’agissant de la politique d’indemnisation des nationalisations et expropriations ayant eu lieu au Portugal en 1975 (voir l’arrêt Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres précité et, en dernier lieu, Ramos Ferreira et autres c. Portugal, nos 23321/11, 71007/11 et 71014/11, 16 juillet 2013). Dans toutes ces affaires, elle a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole n1, considérant que les intéressés avaient eu à supporter une charge spéciale et exorbitante ayant rompu le juste équilibre devant régner entre, d’une part, les exigences de l’intérêt général et, d’autre part, la sauvegarde du droit au respect des biens.

    19.  La Cour n’aperçoit pas de motifs justifiant de s’écarter de cette jurisprudence dans les présentes affaires.

    20.  Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

    II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    21.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    22.  La requérante réclame 2 002 806,15 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’elle aurait subi.

    23.  Le Gouvernement conteste cette prétention, la jugeant surévaluée. Il estime que des sommes considérables ont déjà été octroyées au niveau interne à la requérante pour compenser le retard pris par les autorités pour payer l’indemnité d’expropriation et qu’elle peut encore se voir octroyer des intérêts supplémentaires si elle obtient gain de cause devant le tribunal administratif et fiscal de Beja. Le Gouvernement demande donc à la Cour de fixer la somme au titre du dommage matériel en équité et d’attribuer concrètement la somme de 350 000 EUR, en suivant la pratique qu’elle a adopté dans des affaires similaires, citant notamment les arrêts Sociedade Agrícola Herdade da Palma, S.A. c. Portugal, no 31677/04, 10 juillet 2007, Herdade da Comporta - Actividades Agro Silvícolas e Turísticas, S.A., v Portugal, no 41453/02, 10 juillet 2007, Companhia Agrícola da Barrosinha S.A. c. Portugal, no 21513/05, 15 janvier 2008, Companhia Agricola Cortes e Valbom S.A. c. Portugal, no 24668/05, 30 septembre 2008 et Passanha Braamcamp Sobral c. Portugal, no 10145/07, 12 avril 2011.

    24.   La Cour relève, conformément à sa jurisprudence constante en la matière, que la requérante a pu subir un préjudice matériel, correspondant à la différence entre les intérêts à recevoir aux termes de la législation pertinente et la dépréciation monétaire au Portugal pendant la période concernée, qui a débuté le 9 novembre 1978, date de l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard du Portugal, et s’est terminée à la date de mise à disposition de la requérante de l’indemnisation en cause. En effet, les sommes que la requérante devait recevoir n’ont pas été mises à sa disposition dans les délais prévus par la législation interne pertinente et le taux d’intérêt moratoire était trop faible par rapport à la dépréciation de la monnaie pendant la période concernée (voir Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal (satisfaction équitable), nos 29813/96 et 30229/96, §§ 22 et 23, 10 avril 2001).

    25.  En outre le caractère adéquat d’un dédommagement risque de diminuer si le paiement de celui-ci fait abstraction d’éléments susceptibles d’en réduire la valeur, tel l’écoulement d’un laps de temps considérable, il est convient donc de l’assortir d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps s’étant écoulé depuis la dépossession du terrain (voir, mutatis mutandis, Scordino c. Italie (no 1) [GC], n36813/97, § 258, CEDH 2006-V).

    26.  En l’espèce, comme l’observe le Gouvernement, la Cour constate que des sommes importantes ont effectivement été octroyées au niveau interne. Cela étant, elles apparaissent être à la mesure des propriétés concernées par l’expropriation. En effet, il s’agit de vastes propriétés dont la requérante a été privée pendant au moins 34 ans.

    27.  Eu égard à la pratique de la Cour dans ce type d’affaires et, notamment l’affaire Ramos Ferreira et autres, précitée, la Cour juge raisonnable de dédommager le préjudice matériel de la requérante moyennant lapplication dun taux dintérêt compensatoire annuel de 6 %, pour la période entre le 9 novembre 1978 et la date de paiement de l’indemnisation interne, sur le montant au principal de cette même indemnisation interne, telle que fixée par l’arrêté ministériel conjoint de la ministre de l’Agriculture et de la secrétaire d’État au Trésor du 29 juillet 2011 et 14 décembre 2011 (voir, parmi d’autres, Costa Capucho et autres c. Portugal, 15723/05, § 19, 15 janvier 2008, Sousa Carvalho Seabra c. Portugal, no 25025/05, § 20, 16 décembre 2008). À la somme ainsi obtenue doit être ensuite déduit le montant versé à la requérante à titre d’intérêts et de subventions diverses, tels que calculés aux termes de la législation interne pertinente par les services compétents de l’administration.

    28.  La Cour décide ainsi d’allouer la somme de 2 001 508,99 EUR pour le préjudice matériel subi. Étant donné que la procédure engagée par la requérante devant le tribunal administratif et fiscal de Beja est toujours pendante (voir ci-dessus paragraphe 12), il appartiendra aux juridictions portugaises, le cas échéant, de prendre en considération les sommes reçues à ce titre dans le cadre de la procédure devant la Cour.

    B.  Frais et dépens

    29.  La requérante demande également 2 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

    30.  Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

    31.  Conformément à sa pratique dans ce type d’affaires et en tenant compte des documents soumis par la requérante, la Cour décide d’octroyer à titre de frais et dépens la somme forfaitaire de 2 000 EUR.

    C.  Intérêts moratoires

    32.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR

    1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable pour autant qu’elle concerne le retard dans la fixation et le paiement de l’indemnisation définitive, et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

     

    3.  Dit, par six voix contre une,

    a)  que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

    i)  2 001 508,99 EUR (deux millions mille cinq cent huit euros et quatre-vingt-dix-neuf centimes), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

    ii)  2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 octobre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

       Søren Nielsen                                                                        András Sajó
            Greffier                                                                               Président


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