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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> AMADOU v. GREECE - 37991/11 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section)) French Text [2016] ECHR 148 (04 February 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/148.html Cite as: [2016] ECHR 148 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE AMADOU c. GRÈCE
(Requête no 37991/11)
ARRÊT
STRASBOURG
4 février 2016
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Amadou c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Mirjana Lazarova Trajkovska,
présidente,
Guido Raimondi,
Ledi Bianku,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Paul Mahoney,
Aleš Pejchal, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 janvier 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 37991/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant gambien, M. Khan Amadou (« le requérant »), a saisi la Cour le 11 mai 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me I.-M. Tzeferakou, avocate au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par la déléguée de son agent, Mme M. Germani, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État.
3. Le requérant allègue en particulier une violation des articles 3 et 5 § 4 de la Convention.
4. Le 3 juin 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1974.
A. La procédure relative à l’expulsion et la détention du requérant
6. Le 31 juillet 2010, le requérant entra en Grèce, dans la région d’Evros. Le même jour, il fut arrêté par la police des frontières d’Orestiada et y fut amené pour l’enregistrement de son identité. Le directeur de la Direction de police d’Orestiada ordonna la mise en détention provisoire du requérant pour une période maximale de trois jours, jusqu’à l’adoption de la décision de son expulsion (décision no 9135/1-A/2320-ρ’).
7. À une date non précisée, le requérant fut renvoyé devant le procureur près le tribunal correctionnel d’Orestiada pour entrée illégale dans le territoire.
8. Le 3 août 2010, le directeur de la Direction de police d’Orestiada ordonna l’expulsion du requérant et son maintien en détention pour une période ne pouvant pas dépasser six mois (décision no 9135/1-A/2320-ρζ). La décision constatait que le requérant n’avait pas déposé d’objections contre la décision d’expulsion dans un délai de quarante-huit heures et qu’il risquait de fuir.
9. Le requérant fut placé en détention dans les locaux de la police des frontières de Fylakio. Il prétend qu’aucun interprète n’était présent et les détenus, comme le requérant, n’étaient pas informés des raisons et de la durée de leur détention. Aucune information n’était donnée concernant les droits des détenus et la procédure d’asile.
10. Le 24 août 2010, l’avocate du requérant lui rendit visite au centre de rétention de Fylakio.
11. Le 1er septembre 2010, par l’intermédiaire de son avocate, le requérant soumit une demande de révocation de la décision ordonnant son expulsion et sa détention devant le ministre de la Protection du citoyen par l’intermédiaire du directeur de police de Macédoine de l’Est et de Thrace. Il affirma qu’en cas d’expulsion il pouvait faire l’objet de persécution pour des raisons politiques dans son pays d’origine et que son expulsion immédiate n’était pas possible. Il souligna que les conditions de détention à Fylakio étaient inacceptables et contraires à l’article 3 de la Convention. Il dénonça notamment le surpeuplement, les mauvaises conditions d’hygiène ainsi que le fait qu’il n’y avait aucune possibilité de s’exposer au soleil et de se promener.
12. Le 6 septembre 2010, l’avocate du requérant saisit le Médiateur de la République, avec notification au Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, dénonçant notamment les conditions de détention du requérant dans le centre de rétention de Fylakio, ainsi que l’absence des garanties procédurales, ce qui rendait impossible l’exercice des recours prévus par la loi. Elle sollicitait son intervention afin de faire lever la détention du requérant et l’informait que dans les centres de rétention de la région d’Evros la majorité des détenus n’avaient pas la possibilité d’être représentés par un avocat.
13. Le 9 septembre 2010, le directeur de police de Macédoine de l’Est et de Thrace rejeta la demande de révocation de la décision ordonnant l’expulsion et la détention du requérant. Il admit notamment que l’expulsion pouvait s’effectuer, que celui-ci disposait d’une pièce d’identité gambienne et que les ressortissants gambiens étaient, en règle générale, amenés par les autorités grecques à l’ambassade de leur pays à Athènes, afin que celle-ci leur fournisse des documents de voyage. Il précisa aussi que le requérant avait la possibilité d’introduire un recours contre cette décision devant le tribunal administratif compétent (décision no 40022/10/594013). Il ressort du dossier qu’un tel recours ne fut pas introduit.
14. Le 10 septembre 2010, le tribunal correctionnel d’Orestiada le condamna à trois mois d’emprisonnement et une amende de 1 500 euros pour entrée illégale dans le territoire (arrêt no 1391/2010).
15. Le 11 septembre 2010, le requérant fut transféré à la Direction des étrangers de la région d’Attique et par la suite au centre de rétention d’Aspropyrgos.
16. Le 22 septembre 2010, par l’intermédiaire du Conseil grec pour les réfugiés, il déposa une demande d’asile.
17. Le 12 novembre 2010, il fut remis en liberté.
18. Le 22 novembre 2010, les autorités lui accordèrent la carte de demandeur d’asile (récépissé no 116123). Le requérant allègue que pendant sa détention, ainsi que lors du dépôt de sa demande d’asile et de sa libération, il n’a pas été informé de son droit de déposer une demande des conditions d’accueil (αίτηση για παροχή υλικών συνθηκών υποδοχής). Au contraire, les autorités lui demandèrent de déclarer obligatoirement une adresse de séjour.
19. Le 24 novembre 2010, le requérant déclara être sans abri. Se prévalant de son indigence, il demanda au ministère de la Solidarité sociale de lui trouver une structure d’accueil, ou de bénéficier d’une assistance matérielle et financière, conformément au décret présidentiel no 220/2007. Il ressort du dossier que les autorités ne répondirent pas à cette demande.
20. Le requérant allègue qu’à partir de sa libération, il séjourna à Athènes sans domicile fixe et sans pouvoir bénéficier d’une structure d’accueil. Il prétend qu’il vécut comme un sans-abri, s’installant dans la rue ou dans des bâtiments désaffectés. Il n’avait accès ni à de la nourriture, ni à de l’eau potable, ni à des toilettes.
21. Le 8 février 2011, le requérant eut un entretien en vue de l’obtention de l’asile devant la Service d’Asile Politique de la Direction des étrangers d’Attique.
22. Le 13 mars 2012, sa demande d’asile fut rejetée. Cette décision lui fut notifiée le 24 mai 2012.
23. Le même jour, le requérant introduisit un recours contre cette décision. Il ressort du dossier que ce recours était pendant devant la commission des recours de deuxième degré au moins jusqu’au 3 décembre 2013, date du dépôt des observations de l’intéressé devant la Cour.
B. Les conditions de détention du requérant
1. La version du requérant
24. Dans le centre de rétention de Fylakio, le requérant était entassé dans une cellule avec cent cinquante autres personnes. En général, les cellules étaient sales, sans chaises ni tables, les détenus n’avaient ni linge de lit, ni produit d’hygiène personnelle. Il n’y avait pas d’eau chaude et les toilettes étaient bouchées en permanence. Le requérant était obligé de rester toute la journée dans sa cellule et il n’y avait aucune possibilité de promenade ou d’une quelconque forme de divertissement.
25. Des conditions similaires régnaient dans le centre de rétention d’Aspropyrgos.
2. La version du Gouvernement
26. Le Gouvernement décrit les centres de rétention dans lesquelles le requérant a séjourné comme suit.
27. Le centre de rétention de Fylakio fonctionnait, à l’époque des faits, comme lieu de premier accueil et lieu de détention. Le centre disposait de sept chambrées, d’une capacité totale de 374 personnes. Dans chaque chambrée, il y avait un téléphone à carte. Les sanitaires étaient en nombre suffisant, ce nombre étant proportionnel à la capacité de chaque dortoir. À intervalles réguliers, des désinfections étaient effectuées par une entreprise privée et les murs étaient repeints. Le chauffage était assuré par un système de chauffage central et une chaudière permettait l’approvisionnement en eau chaude 24 heures sur 24. La sortie des détenus dans la cour était effectuée par dortoir et durait une heure chaque jour. Des soins médicaux étaient dispensés par le Centre de contrôle et de prévention des maladies (KE.EL.P.NO.). Lorsque les détenus avaient besoin de soins plus spécifiques, ils étaient transférés aux hôpitaux de Didymoteicho et d’Alexandroupoli. L’alimentation des détenus était assurée par les soins de la préfecture de l’Évros, qui avait conclu un contrat avec une société de restauration. Les détenus recevaient trois repas par jour et toutes les portions pesaient de 450 à 500 grammes. Le sandwich pesait 200 grammes et chaque détenu recevait avec le déjeuner un pain de 350 grammes. Dans le cas où certains détenus estimaient que la quantité ne leur suffisait pas, ils pouvaient demander des sandwiches supplémentaires. Le fonctionnement du centre a été suspendu du 8 mars au 25 mai 2012 pour des travaux de rénovation, afin d’améliorer les conditions de détention.
28. Le centre de répression de l’immigration clandestine d’Aspropyrgos disposait de deux étages d’une surface habitable de 240 m² chacun. Chaque étage disposait de quatre dortoirs, pouvant accueillir respectivement 21, 20, 20 et 10 personnes. Pour l’hygiène personnelle des détenus, il y avait 10 WC et 8 douches par étage. À chaque étage, il existait un espace qui servait de cour intérieure. Cet espace était à la disposition des détenus, soit pour utiliser les téléphones à carte qui s’y trouvaient soit pour s’informer sur leurs droits et les procédures existantes au moyen de brochures en plusieurs langues. Les détenus recevaient trois repas par jour. Des soins médicaux étaient dispensés, au besoin, dans les hôpitaux publics.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
29. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC] (no 30696/09, CEDH 2011), Bygylashvili c. Grèce (no 58164/10, 25 septembre 2012), Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, 2 mai 2013), Horshill c. Grèce (no 70427/11, 1er août 2013), Khuroshvili c. Grèce (no 58165/10, 12 décembre 2013) et B.M. c. Grèce (no 53608/11, 19 décembre 2013).
III. LES RAPPORTS DES INSTANCES INTERNATIONALES
A. Les constats du rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants
30. Lors de sa visite au centre de rétention de Fylakio, le 12 octobre 2010, le rapporteur spécial, M. Manfred Nowak, a constaté que le centre, d’une capacité de 379 personnes en accueillait 486. Il lui fut reporté que, pendant certaines périodes, le nombre des détenus s’élevait à plus de 550. En raison de la surpopulation, le centre était dans un très mauvais état à la date de la visite. Il n’y avait pas assez de lits et les détenus étaient obligés de les partager ou de dormir par terre. Les lits, les couvertures et les oreillers étaient très sales. Les installations sanitaires et les murs étaient aussi sales et l’eau coulait hors des douches et des toilettes. Les cellules étaient humides et les sols sales. Plusieurs lampes du plafond étaient cassées et il n’y avait pas de lumière naturelle. Il y avait peu d’espace entre les lits pour permettre aux détenus de circuler. Les détenus n’avaient pas non plus accès à l’extérieur du bâtiment.
31. La cellule semi ouverte où étaient reçus les nouveaux arrivants était dans un état encore pire. Les toilettes étaient bouchées et l’eau et les excréments stagnaient dans l’espace de la salle d’eau. Les détenus déféquaient dans le couloir de la salle d’eau et l’eau sale coulait dans les dortoirs et créait une odeur nauséabonde. Plusieurs nouveaux arrivants préféraient dormir à l’extérieur.
B. Les constats du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT)
32. Suite à sa visite en Grèce, du 20 au 27 février 2007, le CPT notait dans son rapport du 8 février 2008 que le centre de répression de l’immigration clandestine d’Aspropyrgos comportait huit cellules sur deux étages et accueillait 110 personnes. Les cellules étaient sombres, mal aérées et très sales et la lumière naturelle et l’éclairage étaient insuffisants. L’accès aux produits d’hygiène personnelle était limité. Aucune cellule n’offrait plus de 3 m² d’espace par détenu. Aucune possibilité d’exercice physique ou d’autre activité n’était offerte aux détenus.
33. À la suite de sa visite en Grèce du 20 au 27 janvier 2011, le CPT, dans son rapport publié le 10 janvier 2012, relevait (paragraphe 13 du rapport) que la conception des centres de rétention pour étrangers irréguliers ne se conformait pas aux standards du CPT, élaborés déjà en 1997. La conception, entre autres, des centres d’Aspropyrgos et de Fylakio était totalement inappropriée, en raison notamment du fait qu’il y avait des barreaux du sol au plafond, ce qui excluait toute intimité et que la communication avec les gardiens se faisait à travers les barreaux. D’autres défauts étaient le manque d’entretien des bâtiments (notamment les sanitaires), le mauvais éclairage et la mauvaise ventilation, l’insuffisance des produits pour l’hygiène personnelle et le nettoyage, l’impossibilité d’avoir des vêtements de rechange, le manque d’information aux détenus, le manque d’accès à de l’exercice physique et l’insuffisance de la nourriture. La situation était aggravée par la surpopulation existante dans la plupart de ces centres et en particulier par rapport aux conditions d’hygiène et à l’accès aux soins médicaux.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION DU FAIT DES CONDITIONS DE dÉtention DU REQUÉRANT
34. Le requérant se plaint de ses conditions de détention dans les centres de rétention de Fylakio et d’Aspropyrgos. Il invoque l’article 3 de la Convention, disposition ainsi libellée :
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
1. Non-respect du délai de six mois
35. Le Gouvernement excipe du non-respect du délai de six mois, en soutenant notamment que la requête a été introduite le 19 août 2011, date figurant sur le tampon d’accusé de réception apposé par le greffe de la Cour, soit plus de six mois après mise en liberté du requérant, le 12 novembre 2010.
36. La Cour rappelle que, selon la pratique en vigueur ainsi que sa jurisprudence constante, sauf l’existence de circonstances justifiant de décider autrement, la date à prendre en considération pour déterminer quand la Cour est saisie au sens de l’article 34 de la Convention est la date de la communication de la première lettre du requérant exposant - fût-ce sommairement - l’objet des griefs qu’il entend soulever (article 48 § 5 du règlement de la Cour tel qu’en vigueur à l’époque des faits - voir, parmi beaucoup d’autres, Papageorgiou c. Grèce, 22 octobre 1997, § 32, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, et Richard Roy Allan c. Royaume-Uni (déc.), no 48539/99, 28 août 2001), et non la date figurant sur le tampon d’accusé de réception apposé par le greffe de la Cour sur le formulaire de la requête (Korkmaz c. Turquie (déc.), no 42589/98, 5 septembre 2002).
37. En l’occurrence, la Cour note, d’une part, que le requérant a été libéré le 12 novembre 2010, et, d’autre part, qu’il a exposé ses conditions de détention dans sa première lettre, transmise à la Cour le 11 mai 2011, donc dans le délai prévu par l’article 35 § 1 de la Convention. Il s’ensuit que l’exception soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.
2. Non-épuisement des voies de recours internes
38. Le Gouvernement soutient, en premier lieu, que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes car il n’a pas formé d’objections devant le président du tribunal administratif à l’encontre de sa détention, comme le lui permettait l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005. Quant à la saisine par lui du Médiateur et du ministre de la Protection du citoyen (voir paragraphes 11 et 12 ci-dessus), le Gouvernement soutient que ces derniers n’avaient pas le pouvoir d’ordonner la levée de la détention du requérant.
39. Le Gouvernement ajoute que le requérant a aussi omis d’introduire une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, combiné d’une part, avec l’article 3 de la Convention et, d’autre part, avec les dispositions applicables aux étrangers qui font l’objet d’une décision administrative d’expulsion (notamment les articles 66 § 4, 66 § 5 d), 90 § 3 b), 91 § 1 et 92 §§ 6 et 7 du décret présidentiel no 141/1991 relatif aux compétences des organes du ministère de l’Ordre public, ainsi que les articles 2 et 3 du décret présidentiel no 254/2004 portant code de déontologie des fonctionnaires de police).
40. Le requérant rétorque qu’il a fait tout ce qui pouvait être raisonnablement exigé de lui pour satisfaire à la condition de l’épuisement des voies de recours internes.
41. En ce qui concerne les principes généraux régnant l’application de la règle de l’épuisement des voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §§ 65-69, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, et Vučković et autres c. Serbie [GC], no 17153/11, §§ 69-77, 25 mars 2014).
42. La Cour note, en premier lieu, que le 6 septembre 2010 l’avocate du requérant a saisi le Médiateur de la République pour se plaindre, entre autres, des conditions de détention au centre de rétention de Fylakio. Le requérant a également soumis une demande de révocation de la décision ordonnant son expulsion et sa détention devant le directeur de police de Macédoine de l’Est et de Thrace, dans laquelle il soutenait, entre autres, que les conditions de détention à Fylakio étaient inacceptables et contraires à l’article 3 de la Convention. Cette demande a été rejetée, sans aucune analyse des conditions de détention du requérant. La Cour constate que les positions des parties divergent quant au point de savoir si cette demande aurait pu aboutir à la levée de la détention du requérant. Elle observe cependant qu’en introduisant cette demande, ainsi que la plainte devant le Médiateur de la République, le requérant a porté à l’attention des autorités internes les conditions de détention auxquelles il était soumis (voir, Aarabi c. Grèce, no 39766/09, § 35, 2 avril 2015).
43. En outre, et de manière générale, la Cour note qu’à l’époque des faits, la loi no 3386/2005 permettait aux tribunaux d’examiner la décision de détenir un migrant irrégulier sur le seul fondement du risque de fuite ou de menace pour l’ordre public. Ladite loi ne donnait pas compétence aux tribunaux pour examiner les conditions de vie dans les centres de rétention pour étrangers irréguliers et pour ordonner la libération de ceux-ci pour cause de mauvaises conditions de détention (A.A. c. Grèce, no 12186/08, § 47, 22 juillet 2010 ; Ahmade c. Grèce, no 50520/09, § 85, 25 septembre 2012, Aarabi, précité, § 36). Partant, un recours de la part du requérant avec ce contenu n’aurait aucune chance d’aboutir.
44. La Cour estime, en outre, qu’à la différence d’affaires précédentes où elle a déjà conclu à l’irrecevabilité des requêtes faute pour les requérants d’avoir épuisé les voies de recours que leur offrait le droit interne (voir Vaden c. Grèce, no 35115/03, §§ 30-33, 29 mars 2007, et Tsivis c. Grèce, no 11553/05, §§ 18-20, 6 décembre 2007), dans la présente affaire le requérant ne se plaint pas uniquement de sa situation personnelle mais il allègue être personnellement affecté par les conditions prévalant dans l’enceinte des locaux de détention en cause (voir, mutatis mutandis, Lica c. Grèce, no 74279/10, 17 juillet 2012). La Cour rappelle qu’elle a déjà considéré en ce genre de cas, qui concernaient les prisons, que les recours indiqués par le Gouvernement ne suffisaient pas à eux seuls à remédier à la situation dénoncée (Lica, précité, § 38). Ce constat s’applique mutatis mutandis dans la présente affaire, concernant, elle, les conditions de détention dans les centres de rétention de Fylakio et d’Aspropyrgos.
45. Quant au recours indemnitaire indiqué par le Gouvernement, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’action en dommages-intérêts prévue à l’article 105 précité ne constitue pas un recours effectif en matière de rétention d’étrangers en voie d’expulsion (S.D. c. Grèce, no 53541/07, 11 juin 2009 ; Tabesh c. Grèce, no 8256/07, 26 novembre 2009 ; A.A. c. Grèce précité ; R.U. c. Grèce, no 2237/08, 7 juin 2011 ; A.F. c. Grèce, no 53709/11, 13 juin 2013 ; De los Santos et de la Cruz c. Grèce, nos 2134/12 et 2161/12, 26 juin 2014). Elle rejette donc l’exception soulevée par le Gouvernement à ce titre.
3. Conclusion
46. La Cour constate que le grief concernant les conditions de détention aux centres de Fylakio et d’Aspropyrgos n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
47. Le Gouvernement renvoie à sa version concernant les conditions de détention dans les centres de rétention en cause (voir paragraphes 26-28 ci-dessus) et affirme que les conditions de détention du requérant n’étaient ni inhumaines ni dégradantes.
48. Le requérant se réfère à sa version concernant les conditions de détention, ainsi qu’aux rapports des instances internationales à ce sujet (voir paragraphes 24-25 ci-dessus).
2. Appréciation de la Cour
49. En ce qui concerne les principes généraux concernant l’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 90-94, CEDH 2000-XI ; Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 67-68, CEDH 2001-III ; Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002-VI ; Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 97, 24 janvier 2008 ; Tabesh, précité, §§ 34-37; Rahimi c. Grèce, no 8687/08, §§ 59-62, 5 avril 2011 ; R.U. c. Grèce, précité , §§ 54-56, A.F. c. Grèce, précité ; de los Santos et de la Cruz, précité, § 43).
50. La Cour rappelle de même qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention, à plusieurs reprises, dans des affaires contre la Grèce relatives aux conditions de détention d’étrangers dans les centres de rétention de Fylakio et d’Aspropyrgos, concernant des périodes en 2010 et 2011 (Mahammad et autres c. Grèce, no 48352/12, 15 janvier 2015, F.H. c. Grèce, no 78456/11, 31 juillet 2014, Khuroshvili c. Grèce, no 58165/10, 12 décembre 2013).
51. En l’espèce la Cour note que le requérant a été détenu du 31 juillet 2010 au 11 septembre 2010 dans le centre de rétention de Fylakio et du 11 septembre 2010 au 12 novembre 2010 dans le centre de répression de l’immigration clandestine d’Aspropyrgos, soit pendant une période de quatre mois environ.
52. Compte tenu des constats auxquels elle est parvenue dans les arrêts précités et de ceux contenus dans les rapports des différentes institutions internationales qui se sont rendues dans ces centres au cours de la période en cause (paragraphes 29-33 ci-dessus), la Cour considère que le requérant a été détenu dans des conditions de surpopulation et d’hygiène incompatibles avec l’article 3 de la Convention et qui ont constitué à son endroit un traitement dégradant.
53. Il y a donc eu violation de l’article 3 de la Convention à cet égard.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION DU FAIT DES CONDITIONS D’EXISTENCE DU REQUÉRANT
54. Le requérant se plaint également de la situation de dénuement total dans laquelle il s’est trouvé depuis sa mise en liberté.
A. Sur la recevabilité
55. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
56. Le Gouvernement affirme, en premier lieu, que la demande du requérant d’assistance matérielle et financière n’a pas été accueillie, en raison du fait qu’à l’époque des faits le programme y relatif n’avait pas été mis en œuvre. En ce qui concerne sa demande de logement, le requérant a été inscrit sur une liste d’attente. Or, il n’a pas été possible de lui trouver un hébergement, en raison du nombre de personnes ayant déposé une telle demande et compte tenu du fait que priorité était donnée aux personnes faisant partie des groupes plus vulnérables. Toutefois, selon le Gouvernement, le fait que la demande du requérant n’a pas été accueillie ne saurait conduire à la violation de l’article 3. À la différence de l’affaire M.S.S c. Grèce, en l’occurrence, il n’existait aucun élément prouvant que le requérant se trouvait « dans un état de misère absolue ». Qui plus est, le Gouvernement estime que tout demandeur d’asile n’a pas droit au logement et à l’assistance financière, qui ne peuvent être accordés que lorsque les demandes d’asile sont défendables, ce qui n’était pas le cas du requérant. Le Gouvernement note à cet égard que les autorités n’ont pas fait preuve d’inactivité en ce qui concernait l’examen de la demande d’asile du requérant, qui a été promptement examinée et rejetée. Il ajoute que l’esprit du décret présidentiel no 220/2007 et de la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 (directive européenne Accueil) n’est pas d’octroyer une aide financière à tous les demandeurs d’asile, d’autant plus que la Grèce faisait face à des difficultés financières.
57. Le requérant rétorque que le Gouvernement ne conteste pas le fait qu’il n’a jamais bénéficié d’une assistance matérielle ou d’un logement. Il souligne que selon le décret présidentiel 220/2007 et la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003, la seule condition à remplir afin de bénéficier de cette assistance est l’absence de moyens suffisants, qui permettraient aux demandeurs d’asile de maintenir un niveau de vie suffisant pour assurer leur santé et leur subsistance. Dès lors, l’argument du Gouvernement selon lequel seuls les étrangers présentant une demande d’asile défendable devraient bénéficier de l’assistance matérielle ne trouve pas de base dans le droit interne et européen. En tout état de cause, le requérant soutient que sa demande d’asile, qui est toujours pendante devant les commissions de recours de deuxième degré, est bien fondée. Il réitère également les conditions dans lesquelles il a vécu après sa mise en liberté et affirme qu’il a fait tout ce qui pouvait être raisonnablement exigé de lui pour informer les autorités de sa situation déplorable. Or, après l’introduction de sa demande auprès du ministère de la Solidarité sociale, les autorités n’ont jamais contesté le fait qu’il ne disposait pas de moyens suffisants. Toutefois, elles sont restées passives et n’ont même pas répondu à sa demande. Il soutient enfin que le fait que le programme d’assistance matérielle n’était pas opérationnel à l’époque des faits ne saurait lui être reproché.
2. Appréciation de la Cour
58. La Cour rappelle qu’elle s’est déjà penchée sur les conditions d’existence en Grèce des demandeurs d’asile, livrés à eux-mêmes et vivant de longs mois dans une situation de dénuement extrême, dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce (précité). Dans cet arrêt (ibidem, § 263), la Cour s’est prononcée ainsi :
« (...) compte tenu des obligations reposant sur les autorités grecques en vertu de la directive européenne Accueil (...), la Cour est d’avis qu’elles n’ont pas dûment tenu compte de la vulnérabilité du requérant comme demandeur d’asile et doivent être tenues pour responsables, en raison de leur passivité, des conditions dans lesquelles il s’est trouvé pendant des mois, vivant dans la rue, sans ressources, sans accès à des sanitaires, ne disposant d’aucun moyen de subvenir à ses besoins essentiels. La Cour estime que le requérant a été victime d’un traitement humiliant témoignant d’un manque de respect pour sa dignité et que cette situation a, sans aucun doute, suscité chez lui des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à conduire au désespoir. Elle considère que de telles conditions d’existence, combinées avec l’incertitude prolongée dans laquelle il est resté et l’absence totale de perspective de voir sa situation s’améliorer, ont atteint le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention. »
59. La Cour estime que ces considérations sont également pertinentes dans les circonstances de la présente espèce. Elle observe que le requérant a demandé, le 24 novembre 2010, au ministère de Solidarité sociale de lui trouver une structure d’accueil, ou de bénéficier d’une assistance matérielle et financière. Cependant, il ressort du dossier qu’aucune réponse n’a été donnée, alors que les autorités ne pouvaient ignorer qu’il était sans domicile en Grèce. À cet égard, elle prend acte du fait que le Gouvernement admet qu’il était « provisoirement impossible » de trouver un hébergement au requérant, en raison, entre autres, du grand nombre de personnes qui avaient déposé une telle demande.
60. Par ailleurs, la Cour relève, d’une part, qu’il existe en Grèce peu de places dans les centres d’accueil pour faire face à l’hébergement de dizaines de milliers de demandeurs d’asile et, d’autre part, que l’accès au marché du travail comporte des obstacles administratifs mais aussi pratiques dus à l’absence de tout réseau de soutien et au contexte général de crise économique (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 258 et 261).
61. Dans ces conditions, la Cour estime en l’occurrence que, compte tenu des obligations reposant sur les autorités grecques en vertu de la directive Accueil (voir, M.S.S., précité, § 263), seul un examen diligent de la demande d’asile du requérant aurait pu mettre un terme à la situation dans laquelle il s’est trouvé. Or, elle observe que la demande déposée le 22 septembre 2010 était pendante encore au moins jusqu’au 3 décembre 2013, date du dépôt des observations de l’intéressé devant elle.
62. Il s’ensuit que le requérant s’est retrouvé, par le fait des autorités, dans une situation dégradante contraire à l’article 3 de la Convention. Dès lors, il y a eu également violation de cette disposition au regard de ce grief.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
63. Le requérant se plaint également de l’inefficacité du contrôle juridictionnel de la détention, et notamment du fait que, pendant sa détention il lui a été impossible, faute d’information et d’assistance, de saisir une juridiction qui se serait prononcée sur la légalité de cette détention.
A. Sur la recevabilité
1. Sur le respect du délai de six mois
64. En premier lieu, le Gouvernement excipe du non-respect du délai de six mois, en réitérant ces arguments concernant la recevabilité de l’article 3 de la Convention.
65. La Cour renvoie à ses considérations concernant l’article 3 de la Convention (voir paragraphes 36-37) et rejette l’exception du Gouvernement.
2. Sur l’épuisement des voies des recours internes
66. En second lieu, le Gouvernement allègue que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes, en réitérant ces arguments concernant la recevabilité de l’article 3 de la Convention. En particulier, il relève que l’intéressé n’a pas déposé d’objections auprès du président du tribunal administratif contre sa détention. Il allègue notamment qu’en vertu de l’article 76 de la loi no 3386/2005, le juge administratif avait le pouvoir de contrôler la légalité de la détention des personnes qui se trouvent sous écrou en vue de leur expulsion. En ce sens, le Gouvernement soumet à la Cour des décisions adoptées par des présidents des tribunaux administratifs acceptant des objections contre la détention et affirme que ce recours est effectif au sens de l’article 5 § 4 et que des griefs tirés des conditions de détention pouvaient être soulevés. Il ajoute que le requérant a omis d’introduire une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil.
67. La Cour note que les deux exceptions présentées au titre du non-épuisement se confondent en réalité avec la substance du grief énoncé par le requérant sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention et décide de les joindre au fond. Par ailleurs, elle constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
68. Le Gouvernement soutient que le requérant ne se plaint pas que l’ordre juridique grec n’offre pas un recours pour contester la légalité de la détention, mais admet l’existence des objections contre la détention, prévus par l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005. Il affirme que ce recours est effectif au sens de l’article 5 § 4 et qu’il est susceptible de conduire à l’examen de la légalité de la détention et, s’il y a lieu, à sa levée. Il allègue qu’en se plaignant, en premier lieu, qu’il n’a reçu aucune information sur ce recours et, en second lieu, qu’il n’avait pas de ressources financières afin d’engager un avocat privé, le requérant tente de justifier le fait que des objections contre sa détention n’ont pas été formulées. Le Gouvernement ajoute que le requérant n’a pas été privé de représentation juridique, car il avait autorisé deux avocates à protéger ses intérêts.
69. Le requérant rétorque qu’à l’époque des faits l’article 76 de la loi no 3386/2005 ne lui permettait pas de contester la légalité de sa détention. Il réitère pour l’essentiel ses arguments relatifs à l’épuisement des voies des recours internes au regard de l’article 3.
2. Appréciation de la Cour
70. En ce qui concerne l’action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, la Cour renvoie à ses considérations concernant l’article 3 de la Convention (voir paragraphe 45) et rejette l’exception du Gouvernement.
71. Quant aux principes généraux régissant l’application de l’article 5 § 4 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001-II, S.D. c. Grèce, précité, 11 juin 2009, A.A. c. Grèce, précité, et Herman et Serazadishvili c. Grèce, no 26418/11 et 45884/11, § 71, 24 avril 2014).
72. En l’espèce la Cour note, tout d’abord, qu’en ce qui concerne les objections qu’un étranger peut formuler à l’encontre de la décision ordonnant sa détention en vue de son expulsion, le quatrième paragraphe de l’article 76 de la loi no 3386/2005 prévoyait, à l’époque des faits, que le tribunal administratif pouvait examiner la décision de la détention uniquement sur le terrain du risque de fuite ou de danger pour l’ordre public. La Cour a, à plusieurs reprises, considéré que cette formulation était empreinte d’ambiguïté dans la mesure où, tel qu’il était rédigé, l’article 76 § 4 n’accordait pas expressément au juge le pouvoir d’examiner la légalité du renvoi qui constituait, selon le droit grec, le fondement juridique de la détention (voir, R.U. c. Grèce, précité, § 103 ; A.A. c. Grèce, précité, § 73 ; Tabesh, précité, § 62 ; S.D. c. Grèce, précité, § 73, Herman et Serazadishvili, précité , § 73 et A.E. c. Grèce, no 46673/10, § 60, 27 novembre 2014).
73. Il est vrai qu’en vertu de la loi no 3900/2010 le paragraphe 4 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 a été modifié et prévoit désormais que le juge compétent « se prononce aussi sur la légalité de la détention ou de sa prolongation », ce qui inclut aussi les conditions matérielles de détention. Or, la Cour note que la loi no 3900/2010 est entrée en vigueur le 1er janvier 2011, tandis qu’en l’occurrence la détention, mise en cause au titre du grief tiré de l’article 5 § 4, s’est déroulée entre les mois de juillet et novembre 2010. Partant, les conclusions auxquelles la Cour est déjà parvenue dans la jurisprudence précitée quant à l’effectivité des objections devant le président du tribunal administratif sont aussi valables dans la présente affaire (voir Herman et Serazadishvili, précité, § 72).
74. La Cour considère que ces insuffisances du droit interne à l’époque des faits quant à l’effectivité du contrôle juridictionnel de la mise en détention aux fins d’expulsion ne peuvent se concilier avec les exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. Elle rejette donc les objections soulevées par le Gouvernement au titre du non-épuisement des voies de recours internes et conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
75. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
76. Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.
77. Le Gouvernement estime que la somme réclamée est excessive et arbitraire et affirme que le constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.
78. La Cour considère que le requérant a souffert un préjudice moral, du fait de la violation de ses droits garantis par les articles 3 et 5 § 4 de la Convention. Ce préjudice moral ne se trouve pas suffisamment compensé par les constats de violation. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant la somme de 10 000 EUR pour préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
B. Frais et dépens
79. La Cour note que le requérant ne présente aucune demande de remboursement des frais et dépens. Elle ne lui accorde donc aucune somme à ce titre.
C. Intérêts moratoires
80. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Joint au fond l’exception du Gouvernement tirée du défaut d’épuisement des voies de recours internes et la rejette ;
2. Déclare la requête recevable ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention dans les centres de rétention de Fylakio et d’Aspropyrgos ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions d’existence du requérant après sa mise en liberté ;
5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
6. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 février 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
André Wampach Mirjana
Lazarova Trajkovska
Greffier adjoint Président