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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> KARTELIS AND OTHERS v. GREECE - 53077/13 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section Committee)) French Text [2016] ECHR 16 (07 January 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/16.html
Cite as: [2016] ECHR 16

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE KARTELIS ET AUTRES c. GRÈCE

     

    (Requête no 53077/13)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

     

    7 janvier 2016

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Kartelis et autres c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :

    Ledi Bianku, président,
    Linos-Alexandre Sicilianos,
    Aleš Pejchal, juges,
    et de André Wampach, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 décembre 2015,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 53077/13) dirigée contre la République hellénique et dont vingt-huit ressortissants de différentes nationalités (« les requérants »), dont les noms figurent en annexe, ont saisi la Cour le 16 août 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Les requérants ont été représentés par Mes E.-L. Koutra et X. Moïsidou, avocates à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, M. K. Georghiadis, assesseur au Conseil juridique de l’Etat.

    3.  Le 7 avril 2014, les griefs concernant les articles 3 et 13 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du Règlement de la Cour.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    4.  Les requérants furent tous détenus dans la prison de Diavata de Thessalonique, en tant que prévenus ou en tant que condamnés.

    5.  Parmi eux, le requérant no 10 fut transféré à la prison de Kassandra le 1er août 2013, les requérants nos 14, 17 et 25 furent mis en liberté, les deux premiers le 18 janvier 2013 et le troisième le 11 avril 2013.

    6.  Les requérants furent placés dans des chambrées où ils disposaient de moins de 3 m² d’espace personnel. Chaque chambrée avait une seule toilette fermée par un rideau. À défaut d’eau chaude, les détenus utilisaient l’eau chaude qui coulait des radiateurs. Le chauffage était insuffisant et les détenus avaient très froid surtout la nuit. Les conditions d’hygiène étaient tellement rudimentaires que tous les détenus étaient atteints de psoriasis. L’air dans les cellules était irrespirable en raison de la fumée des cigarettes. Les prévenus n’étaient pas séparés des condamnés.

    7.  Le Gouvernement ne présente pas d’observations sur les conditions de détention dans la prison de Diavata.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    8.  Pour le droit et la pratique internes pertinents, se référer à la décision Chatzivasiliadis c. Grèce (no 51618/12, §§ 17-21, 26 novembre 2013).

    III.  LES CONSTATS DES INSTANCES NATIONALES ET INTERNATIONALES

    A.  Les constats du médiateur de la République

    9.  Dans un rapport du 31 juillet 2014, établi à la suite de sa visite du 2 juillet 2013, le médiateur de la République notait que la prison de Diavata avait une capacité de 360 détenus, mais à la date de la visite elle en accueillait 597. Il soulignait que les cellules ayant une capacité de 4 détenus, en accueillait dix et celles conçues pour un détenu en accueillait 4.

    10.  Le chauffage et la fourniture d’eau chaude semblaient insuffisants d’après les informations fournies par les détenus. Le personnel pénitentiaire évoqua l’insuffisance des crédits pour la réalisation des travaux pour le chauffage, l’approvisionnement en eau et l’évacuation des eaux, mais aussi pour couvrir les frais de fonctionnement et d’entretien.

    11.  La prison ne disposait pas de réfectoire et les repas étaient distribués en cellule et consommés sur les lits.

    12.  Un des plus grands problèmes de la prison consistait en la réduction considérable de son budget, notamment en ce qui concernait la nourriture de détenus. Quant aux besoins en vêtements de détenus et en produits d’hygiène corporelle, un effort était fait pour que les coûts soient pris en charge par un fonds de solidarité. Toutefois, les sommes obtenues étaient particulièrement modiques et ne suffisaient pas à couvrir les besoins basiques de détenus.

    13.  Dans ses conclusions, le médiateur soulignait que la prison était confrontée à un grand problème de surpopulation. En dépit des efforts déployés pour en atténuer les effets, la situation dans les chambrées et les cellules était particulièrement difficile, voire étouffante, en raison du grand nombre de détenus et, par conséquent, des mauvaises conditions d’hygiène et de l’absence de ventilation.

    B.  Les constats du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT)

    14.  Dans son rapport du 5 juillet 2013, établi à la suite de sa visite du 4 au 16 avril 2013, le CPT relevait que la prison de Diavata, d’une capacité officielle de 250 détenus, en accueillait 590. La prison dispose de 53 cellules mesurant chacune 24 m² et accueillant chacune 10 détenus, de 10 cellules de 11 m² chacune et accueillant chacune 4 détenus et de 3 cellules où séjournent 34 détenues femmes. L’accès à la lumière naturelle et l’aération dans les cellules sont satisfaisants et il y a quelques tabourets. Les salles d’eau contiennent quatre toilettes ainsi qu’un évier qui sert aussi pour laver le linge et faire la vaisselle.

    EN DROIT

    I.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION

    15.  Les requérants se plaignent de leurs conditions de détention dans la prison de Diavata. Ils allèguent une violation de l’article 3 de la Convention à cet égard. Invoquant l’article 13, les requérants se plaignent également de l’absence d’un recours effectif pour se plaindre de leurs conditions de détention. Ces articles sont ainsi libellés :

    Article 3

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    Article 13

    « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

    A.  En ce qui concerne les requérants nos 1-9, 11-13, 15-16, 18-24, et 26-28

    16.  Le 1er octobre 2015, la Cour a reçu la déclaration de règlement amiable signée par le Gouvernement qui déclare s’engager à verser les sommes suivantes : à chacun des requérants Romanos Kartelis, Emmanouil Pipiliaris et Alexandros Tsakiris la somme de 5 500 EUR (cinq mille cinq cents euros), à chacun des requérants Agron Ibrahimi et Zoran Novcovic la somme de 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), à chacun des requérants Piro Naci, Yosif Rashgev et Muhammad Yaqoub la somme de 7 500 EUR (sept mille cinq cents euros), à chacun des requérants Dimitar Kolichev et Nazam - Ahmad Sajjad - Sleem la somme de 8 200 EUR (huit mille deux cents euros), à chacun des requérants Shake Festim et Fidan Dzhambazov la somme de 8 400 EUR (huit mille quatre cents euros), à chacun des requérants Georgios Pasios et Anguel Radev la somme de 9 200 EUR (neuf mille deux cents euros), à chacun des requérants Bledar Duli et Martin Panchevski la somme de 10 000 EUR (dix mille euros), à Ivan Kostadinov la somme de 9 600 EUR (neuf mille six cents euros), à Hamidov Dambre la somme de 9 300 EUR (neuf mille trois cents euros), à Mamadou - Lamine Balde la somme de 9 000 EUR (neuf mille euros), à Dylaver Bixi la somme de 8 600 EUR (huit mille six cents euros), à Bozhidar Shalev la somme de 8 000 EUR (huit mille euros), à Konstantinos Karafyllis la somme de 7 600 EUR (sept mille six cents euros), à Evaggelos Toparlakis la somme de 6 000 EUR (six mille euros) et à Lazaros Bakas la somme de 4 500 EUR (quatre mille cinq cents euros).

    17.  Ces sommes couvriront tout préjudice moral, ainsi que les frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par ces requérants. Les requérants devront renoncer à toute autre prétention à l’encontre de la Grèce à propos des faits à l’origine de leur requête. Lesdites sommes seront versées dans les trois mois suivant la date de la notification de la décision de la Cour. À défaut de règlement dans ledit délai, le Gouvernement s’engage à verser, à compter de l’expiration de celui-ci et jusqu’au règlement effectif de la somme en question, un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage. Ce versement vaudra règlement définitif de l’affaire.

    18.  Le 5 octobre 2015, les requérants se sont déclarés prêts à accepter la proposition du règlement amiable du Gouvernement à condition que les sommes proposées soient versées sur le compte bancaire de leur représentante.

    19.  La Cour prend acte du règlement amiable auquel sont parvenues les parties. Elle estime que celui-ci s’inspire du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la Convention et ses protocoles et n’aperçoit par ailleurs aucun motif justifiant de poursuivre l’examen de la requête. Elle considère, en outre, que le Gouvernement doit verser les sommes ci-dessus directement sur le compte bancaire indiqué par les avocates des intéressés (voir, Taggatidis et autres c. Grèce, no 2889/09, § 34, 11 octobre 2011).

    20.  En conséquence, il convient de rayer l’affaire du rôle en ce qui concerne les requérants susmentionnés.

    B.  En ce qui concerne les requérants nos 14, 17 et 25

    21.  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour autant qu’elle a été introduite par les requérants Mirdjan Kovaci, Odai Obed et Georgi Todorov pour non-épuisement des voies de recours internes : ces requérants, ayant été libérés avant la date de l’introduction de leur requête à la Cour, ils auraient dû engager une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil.

    22.  Les requérants contestent l’effectivité de l’action fondée sur l’article 105 précité et soulignent que le Gouvernement ne fournit aucun arrêt des tribunaux internes qui aurait accepté d’accorder à un détenu (même s’il a été libéré avant la saisine de la Cour) une indemnité pour violation de l’article 3 de la Convention. En outre, cette procédure est très onéreuse et risque de durer plusieurs années. Les requérants invoquent à l’appui de leurs thèses les arrêts Adamantidis c. Grèce (no 10587/10, 17 avril 2014), de los Santos et de la Cruz c. Grèce (no 2134/12 et 2161/12, 26 juin 2014), A.L.K. c. Grèce (no 63542/11, 11 décembre 2014), Koutalidis c. Grèce (no 18785/13, 27 janvier 2014 ) et Mohamad c. Grèce (no 70586/11, 11 décembre 2014 ) dans lesquels, la Cour a rejeté l’exception du Gouvernement fondée sur l’article 105 précité.

    23.  La Cour rappelle que dans son arrêt A.F. c. Grèce (no 53709/11, §§ 55-60, 13 juin 2013) elle a estimé qu’il convenait d’examiner si les dispositions d’un texte législatif ou réglementaire susceptibles d’être invoquées aux fins d’une action en application de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil étaient rédigées en termes suffisamment précis et garantissaient des droits « justiciables » (Chatzivasiliadis c. Grèce (déc.), no 51618/12, § 32, 26 novembre 2013). Suite à cet examen, elle a estimé que la situation peut être différente entre une personne qui a été détenue dans des conditions qu’elle estime contraires à l’article 3 de la Convention et qui saisit la Cour après sa mise en liberté et un individu qui la saisit alors qu’il est toujours détenu dans les conditions qu’il dénonce (ibid. § 30). Dans cette décision, la Cour a conclu qu’ un requérant qui saisit la Cour d’un grief relatif aux conditions de détention après avoir été mis en liberté et sans avoir au préalable engagé l’action de l’article 105 précité ne se conforme pas à l’exigence de l’épuisement des voies de recours internes (voir, parmi d’autres, Nikolaos Athanasiou et autres c. Grèce, no 36546/10, §§ 69-70, 23 octobre 2013)

    24.  En l’espèce, la Cour observe que les requérants Kovaci, Obed et Todorov ont été mis en liberté le premier et le deuxième le 18 janvier 2013 et le troisième le 11 avril 2013. En saisissant la Cour le 16 août 2013, ils ne visaient de toute évidence pas à empêcher la continuation de leur détention dans des conditions inhumaines ou dégradantes, mais à obtenir un constat postérieur de violation de l’article 3 de la Convention par la Cour et, le cas échéant, une indemnité pour le dommage moral qu’ils estiment avoir subi.

    25.  La Cour relève que les requérants étaient détenus à la prison de Diavata et étaient ainsi soumis aux dispositions du code pénitentiaire. À cet égard, la présente affaire se distingue donc des affaires Adamantidis, de los Santos et de la Cruz, A.L.K. et Mohamad invoqués par les requérants et qui concernaient les conditions de détention dans les commissariats de police et les centres de rétention dans lesquels le code pénitentiaire ne s’applique pas. Elle se distingue aussi de l’affaire Koutalidis, également invoquée par les requérants, dans laquelle la requête avait été introduite alors que la personne était encore en détention.

    26.  Les principaux griefs de ces requérants concernant leurs conditions de détention, formulés devant la Cour, portent notamment sur la surpopulation régnant dans cette prison, sur des problèmes d’hygiène et sur une insuffisance de nourriture. Or de l’avis de la Cour, les articles 21, 25 et 32 du code pénitentiaire garantissent en ces domaines des droits subjectifs et pouvant être invoqués devant les juridictions. L’action indemnitaire fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil combiné avec les articles susmentionnés du code pénitentiaire, et également avec l’article 3 de la Convention qui est directement applicable dans l’ordre juridique interne, constituait ainsi une voie de recours qui aurait dû être intentée par ces requérants.

    27.  Il s’ensuit que la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, pour autant qu’elle concerne les requérants précités.

    C.  En ce qui concerne le requérant no 10

    1.  Article 3 de la Convention

    a)  Sur la recevabilité

    28.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes faute pour ce requérant d’avoir introduit une action sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil.

    29.  Le requérant combat cette thèse et souligne que l’action précitée est dépourvue de toute efficacité.

    30.  La Cour réitère que l’action de l’article 105 précité constitue un recours purement indemnitaire qui permettrait à une personne de demander et d’obtenir réparation lorsque celle-ci une fois mise en liberté souhaiterait se plaindre de ses conditions de détention dans la prison où elle était détenue. Toutefois, ce recours ne permet pas à l’intéressé d’obtenir un terme à sa détention. Il lui manque donc le caractère préventif dans le sens de l’arrêt Ananyev et autres c. Russie (no 42525/07 et 60800/08, § 98, 10 janvier 2012).

    31.  Or, lorsque le requérant no 10 a saisi la Cour le 16 août 2013, en même temps que les autres requérants, il ne se trouvait pas en liberté comme les requérants nos 14, 17 et 25, mais transféré à la prison de Kassandra pour poursuivre sa peine. L’action de l’article 105 ne lui serait donc d’aucune utilité.

    32.  La Cour rejette alors l’exception du Gouvernement pour autant qu’elle vise ce requérant.

    b)  Sur le fond

    33.  Le Gouvernement ne présente pas d’observations sur le bien-fondé du grief de ce requérant.

    34.  Le requérant renvoie à sa version des conditions de détention ainsi qu’aux constats du médiateur de la République et du CPT.

    35.  En ce qui concerne les conditions matérielles de détention et notamment la surpopulation dans les prisons, la Cour renvoie aux principes ressortant de sa jurisprudence tels qu’elle les a répétés dans ses arrêts Ananyev et autres (précité, §§ 139 à 159) et Tzamalis et autres c. Grèce (no 15894/09, §§ 38-40, 4 décembre 2012). Elle rappelle aussi que, lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention (voir, en ce sens, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, 7 avril 2005).

    36.  S’agissant en particulier de ce dernier facteur, la Cour relève que, lorsqu’elle a été confrontée à des cas de surpopulation flagrante, elle a jugé que cet élément, à lui seul, pouvait suffire pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention. En règle générale, il s’agissait de cas où l’espace personnel accordé à un requérant était inférieur à 3 m² (Kantyrev c. Russie, no 37213/02, §§ 50-51, 21 juin 2007, Andreï Frolov c. Russie, no 205/02, §§ 47-49, 29 mars 2007, Kadiķis c. Lettonie, no 62393/00, § 55, 4 mai 2006, Melnik c. Ukraine, no 72286/01, § 102, 28 mars 2006). En revanche, lorsque le manque d’espace n’était pas aussi flagrant, la Cour a pris en considération d’autres aspects concernant les conditions matérielles de détention pour apprécier la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention. Ainsi, même dans les cas où un requérant disposait dans une cellule d’un espace personnel plus important, compris entre 3 m² et 4 m², la Cour a néanmoins conclu à la violation de l’article 3 en prenant en compte l’exiguïté combinée avec, par exemple, l’absence établie de ventilation et d’éclairage appropriés (Vlassov c. Russie, no 78146/01, § 84, 12 juin 2008, Babouchkine c. Russie, no 67253/01, § 44, 18 octobre 2007, Trepachkine c. Russie, no 36898/03, § 94, 19 juillet 2007, et Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 70-72, CEDH 2001-III).

    37.  La Cour note que dans son rapport établi suite à sa visite du 2 juillet 2013, le médiateur de la République soulignait que la prison de Diavata était confrontée à un grand problème de surpopulation et que la situation dans les cellules et les chambrées était particulièrement difficile : les cellules ayant une capacité de 4 détenus, en accueillait dix et celles conçues pour un détenu en accueillait 4. Il relevait que la prison avait une capacité de 360 détenu, mais à la date de la visite elle en accueillait 597. En outre, le chauffage et la fourniture d’eau chaude semblaient insuffisants et le personnel pénitentiaire a évoqué l’insuffisance des crédits pour la réalisation des travaux pour le chauffage, l’approvisionnement en eau et l’évacuation des eaux, mais aussi pour couvrir les frais de fonctionnement et d’entretien. Enfin, la prison ne disposait pas de réfectoire et les repas étaient distribués en cellule et consommés sur les lits.

    38.  De son côté, dans son rapport établi suite à sa visite du 4 au 7 avril 2013, le CPT notait que la prison disposait notamment de 53 cellules mesurant chacune 24 m² et accueillant chacune 10 détenus, ainsi que de 10 cellules de 11 m² chacune et accueillant chacune 4 détenus.

    39.  Dans ces conditions et en l’absence d’indications de la part du Gouvernement concernant les conditions de détention de ce requérant, la Cour juge approprié de fonder son appréciation sur l’allégation de celui-ci selon laquelle son espace personnel dans sa cellule était nettement inférieur à 3 m². Cette constatation dispense la Cour d’examiner les autres aspects de la détention du requérant.

    40.  La Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne le requérant no 10.

    2.  Article 3 combiné avec l’article 13 de la Convention

    41.  Invoquant les articles 3 et 13 combinés de la Convention, le requérant se plaint qu’il ne disposait pas d’un recours effectif pour se plaindre de ses conditions de détention.

    42.  Le Gouvernement ne présente pas d’observation par rapport à ce grief.

    43.  S’agissant des conditions de détention, la Cour a conclu dans certaines affaires (Vaden c. Grèce, no 35115/03, §§ 30-33, 29 mars 2007 et Tsivis c. Grèce, no 11553/05, §§ 18-20, 6 décembre 2007) que les requérants n’avaient pas épuisé les voies de recours internes, faute d’avoir utilisé les recours prévus à l’article 572 du code de procédure pénale (saisine du procureur chargé de l’exécution des peines et de l’application des mesures de sécurité) et à l’article 6 de la loi no 2776/1999 (saisine du procureur superviseur de la prison et saisine du conseil disciplinaire de la prison). Dans ces affaires, les requérants se plaignaient de circonstances particulières qui les affectaient personnellement en tant qu’individus et auxquelles ils estimaient que les autorités pénitentiaires pouvaient mettre un terme en prenant les mesures appropriées. En revanche, elle a affirmé à plusieurs reprises que, dans la mesure où le requérant allègue être personnellement affecté par les conditions générales de détention dans la prison, comme en l’occurrence, les recours prévus aux articles 6 et 572 précités ne seraient d’aucune utilité (voir, parmi beaucoup d’autres, Papakonstantinou c. Grèce, no 50765/11, § 51, 13 novembre 2014).

    44.  La Cour ne voit aucune raison de s’écarter dans la présente affaire de sa jurisprudence constante à cet égard.

    45.  Il y a donc eu violation de l’article 3 combiné avec l’article 13 de la Convention.

    II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    46.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    47.  Le requérant no 10 réclame 24 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi en raison de la violation de l’article 3 et 9 000 EUR en raison de celle de l’article 13. Il demande aussi que ces sommes soient versées directement au compte bancaire indiqué par ses représentantes.

    48.  Le Gouvernement soutient que la somme réclamée est excessive et que le constat de violation constituerait une satisfaction suffisante, compte tenu notamment du fait que le requérant travaillait dans la prison de sorte qu’il passait l’essentiel de la journée en dehors de sa cellule. Le gouvernement invite aussi la Cour à rejeter la demande du versement direct de la somme sur le compte des représentants.

    49.  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant no 10 6 000 EUR au titre du préjudice moral, somme à verser directement sur le compte bancaire indiqué par ses représentantes.

    B.  Frais et dépens

    50.  Le requérant no 10 demande également 1 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, en affirmant qu’il a conclu avec ses conseils un accord concernant les honoraires de ceux-ci, qui se rapprocherait d’un accord de quota litis. Il demande aussi que ces sommes soient versées directement au compte bancaire indiqué par ses conseils.

    51.  Le Gouvernement soutient que les prétentions du requérant, outre qu’elles sont excessives, ne sont pas accompagnées des justificatifs nécessaires permettant de les calculer de manière précise. En outre, pour autant que le requérant se réfère à des honoraires futurs qu’il devrait s’acquitter sur la base de l’accord quota litis conclu avec ses conseil, il s’agit de frais et dépens hypothétiques dont la réalité ne peut pas être établie.

    52.  La Cour note que le requérant ne fournit pas copie de l’accord dont il s’agit, mais elle ne doute pas qu’en introduisant la requête et en présentant des observations, les conseils du requérant lui ont fourni l’assistance juridique nécessaire. Elle estime donc raisonnable de lui accorder 600 EUR à ce titre. Cette somme sera versée directement sur le compte bancaire indiqué par ses représentantes.

    C.  Intérêts moratoires

    53.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Décide de rayer la requête du rôle, en ce qui concerne les requérants nos 1-9, 11-13, 15-16, 18-24, et 26-28 ;

     

    2.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de articles 3 et 13 à l’égard du requérant no 10 et irrecevable à l’égard des requérants nos 14, 17 et 25 ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à l’égard du requérant no 10 ;

     

    4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à l’égard du requérant no 10 ;

     

    5.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant no 10, dans les trois mois, les sommes suivantes, à verser directement sur le compte bancaire indiqué par ses avocates :

    i)  6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  600 EUR (six cents euros), plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 janvier 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    André Wampach Ledi Bianku
      Greffier adjoint
    Président


     

    ANNEXE

    1.        Romanos KARTELIS, ressortissant grec né le 27/12/1967

    2.        Lazaros BAKAS, ressortissant grec né le 11/12/1975

    3.        Mamadou-Lamine BALDE, ressortissant guinéen né le 04/01/1987

    4.        Dylaver BIXI, ressortissant albanais né le 07/02/1977

    5.        Hamidov DAMBRE, ressortissant burkinabé né le 01/01/1971

    6.        Bledar DULI, ressortissant albanais né le 20/07/1982

    7.        Fidan DZHAMBAZOV, ressortissant bulgare né le 20/11/1974

    8.        Shake FESTIM, ressortissant albanais né le 31/10/1977

    9.        Agron IBRAHIMI, ressortissant albanais né le 18/02/1969

    10.    Savvas KAMBOURIS, ressortissant grec né le 31/08/1986

    11.    Konstantinos KARAFYLLIS, ressortissant grec né le 01/08/1978

    12.    Dimitar KOLICHEV, ressortissant bulgare né le 11/09/1962

    13.    Ivan KOSTADINOV, ressortissant bulgare né le 13/05/1983

    14.    Mirdjan KOVACI, ressortissant albanais né le 21/02/1991

    15.    Piro NACI, ressortissant albanais né le 21/02/1970

    16.    Zoran NOVCOVIC, ressortissant serbe né le 05/08/1977

    17.    Odai OBED, ressortissant syrien né le 01/01/1987

    18.    Martin PANCHEVSKI, ressortissant de l’ex République yougoslave de Macédoine né le 04/03/1982

    19.    Georgios PASIOS, ressortissant grec né le 01/12/1988

    20.    Emmanouil PIPILIARIS, ressortissant grec né le 15/05/1944

    21.    Anguel RADEV, ressortissant bulgare né le 19/07/1967

    22.    Yosif RASHGEV, ressortissant bulgare né le 22/12/1979

    23.    Nazam-Ahmad SAJJAD-SLEEM, ressortissant pakistanais né le 01/01/1984

    24.    Bozhidar SHALEV, ressortissant bulgare né le 05/07/1960

    25.    Georgi TODOROV, ressortissant bulgare né le 15/04/1945

    26.    Evaggelos TOPARLAKIS, ressortissant grec né le 08/02/1987

    27.    Alexandros TSAKIRIS, ressortissant grec né le 03/03/1981

    28.    Muhammad YAQOUB, ressortissant pakistanais né le 01/01/1987


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