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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> IGOSHIN v. RUSSIA - 21062/07 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Third Section)) French Text [2016] ECHR 552 (21 June 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/552.html Cite as: [2016] ECHR 552 |
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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE IGOSHIN c. RUSSIE
(Requête no 21062/07)
ARRÊT
STRASBOURG
21 juin 2016
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Igoshin c. Russie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Luis López Guerra,
président,
Helena Jäderblom,
Helen Keller,
Johannes Silvis,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková, juges,
et
de Stephen Phillips, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 mai 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 21062/07) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Nikolay Nikolayevich Igoshin (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 avril 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par M. I. Kalyapin, Mme O. Sadovskaïa et M. R. Lemaître, juristes du « Comité contre la torture », organisation non gouvernementale sise à Nijniy Novgorod. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. G. Matiouchkine, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.
3. Le requérant allègue, en particulier, avoir été soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention alors qu’il se trouvait entre les mains de la police.
4. Le 14 janvier 2013, le grief tiré de l’article 3 de la Convention relatif aux mauvais traitements qui auraient été subis par l’intéressé après son arrestation et à l’absence d’une enquête effective a été communiqué au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1982. Il purge actuellement sa peine d’emprisonnement dans la colonie pénitentiaire IK-8, dans la région d’Orenbourg.
A. Les mauvais traitements allégués et l’enquête y afférente
6. Selon l’intéressé, le 11 février 2004, à 20 heures, soupçonné de meurtre et de cambriolage, il a été arrêté par des policiers et conduit au commissariat de police du district Dzerjinski d’Orenbourg (région d’Orenbourg).
7. Selon le Gouvernement, il est impossible d’identifier l’heure de l’arrivée du requérant au commissariat, car tous les registres pertinents auraient été détruits en 2013.
8. Le même jour, à 23 heures, le procès-verbal d’arrestation du requérant fut dressé et celui-ci fut informé de ses droits en tant que suspect. À ce moment-là, un avocat, V., invité par les policiers, fut admis aux fins de représentation du requérant.
9. Selon le requérant, dans l’intervalle entre sa présentation au commissariat, qui serait survenue à 20 heures, et la rédaction du procès-verbal à 23 heures, des policiers l’ont sévèrement battu dans le but de lui extorquer des aveux - ce que le Gouvernement conteste. L’intéressé indique que les policiers l’ont frappé avec leurs pieds et leurs mains ainsi qu’avec une bouteille remplie d’eau à la tête, aux jambes et au niveau des lombaires. De même, il allègue que les policiers l’ont torturé avec du courant électrique, en utilisant les électrodes d’un appareil téléphonique, et qu’ils l’ont aussi asphyxié en plaçant un sac plastique autour de sa tête.
10. Après minuit, à la suite d’une séance de torture qualifiée de longue par lui, le requérant se serait senti abattu et aurait finalement signé un procès-verbal d’interrogatoire dressé par l’enquêteur M. sans même prendre connaissance de son contenu. Le requérant aurait alors dit à l’avocat V. qu’il niait toute implication dans l’infraction incriminée. L’avocat aurait transmis ce message aux policiers et serait parti.
11. Toujours selon le requérant, les policiers se sont remis à le frapper, de manière intermittente, jusqu’à son placement au centre de détention temporaire (изолятор временного содержания) (ci-après « l’IVS »), qui a eu lieu le 13 février 2004, à 1 h 35.
12. À l’admission à l’IVS d’Orenbourg, une aide-médecin examina le requérant et consigna dans le registre tenu sur place une ancienne fracture de l’index droit et un hématome cicatrisé sur le dos.
1. L’audience relative à la mise en détention provisoire du requérant
13. Le 13 février 2004, à l’audience du tribunal du district Dzerjinski d’Orenbourg saisi d’une demande de mise en détention provisoire, le requérant revint sur ses aveux faits après son arrestation, arguant qu’ils avaient été extorqués sous la torture. Le tribunal ordonna la détention provisoire du requérant. Le 16 février 2004, ce dernier fut transféré à la maison d’arrêt d’Orenbourg (IZ-56/1).
14. Lors de son séjour à la maison d’arrêt, le 17 février 2004, le requérant sollicita une assistance médicale. Le médecin A. l’examina et constata les lésions corporelles suivantes : des hématomes de couleur bleu-jaune dans la zone de la crête iliaque droite, sur la ligne axillaire antérieure entre la cinquième côte et la sixième côte, dans la région axillaire droite, ainsi que dans la zone périorbitaire droite, et une égratignure sur la cheville gauche. Le médecin situa l’apparition de ces lésions à deux à trois jours avant l’examen. Il consigna ces lésions dans le registre médical tenu par la maison d’arrêt sous le numéro 26 et dressa un acte d’examen médical. De même, l’officier S. de la maison d’arrêt dressa un procès-verbal à ce sujet et expliqua que tous les documents (son procès-verbal et l’acte d’examen médical) seraient soumis à l’attention du procureur du district Dzerjinski d’Orenbourg.
2. L’enquête préliminaire relative aux mauvais traitements allégués
15. Afin de vérifier l’allégation de mauvais traitements formulée par le requérant, le procureur du district Dzerjinski d’Orenbourg procéda à une enquête préliminaire. Le 17 mars 2004, il ordonna une expertise médicolégale. Le médecin légiste P. du bureau régional de médecine légale effectua cette expertise en se fondant sur l’extrait du registre de l’IVS du 13 février 2004. Dans son rapport d’expertise no 1555 du 22 mars 2004, le médecin légiste constata que, selon les documents médicaux, le requérant présentait un hématome cicatrisé sur le dos. L’expert indiqua qu’il lui était impossible de déterminer la date d’apparition de cette lésion eu égard à une insuffisance de description de celle-ci. Le médecin indiqua par ailleurs qu’une radiographie de l’index était nécessaire pour confirmer la fracture de ce doigt et décrire celle-ci.
16. À plusieurs reprises, notamment par des décisions des 31 mars, 19 août et 20 septembre 2004 et des 16 mai et 14 juillet 2005 (ces décisions n’ont pas été versées au dossier constitué devant la Cour), le service du procureur du district Dzerjinski d’Orenbourg refusa l’ouverture d’une instruction pénale. Toutes ces décisions furent par la suite annulées par le procureur de district, lequel ordonna des compléments d’enquête. L’enquête préliminaire diligentée par le procureur se poursuivit.
17. Entre-temps, le 11 avril 2005, le juge J. de la cour régionale d’Orenbourg, saisi de l’examen des accusations dirigées contre le requérant, avait pris une décision aux fins de contrôle de l’allégation de mauvais traitements. Le 6 mai 2005, le procureur de district avait également refusé l’ouverture d’une instruction pénale. Le 12 août 2005, le procureur régional annula cette dernière décision, ainsi que celle du 14 juillet 2005, et ordonna un complément d’enquête.
18. Par une décision du 9 septembre 2005, l’enquêteur L. du bureau du procureur régional d’Orenbourg refusa d’ouvrir une instruction pénale en application de l’article 24 § 1 (2) du code de procédure pénale. L’enquêteur interrogea les policiers du commissariat de police Dzerjinski d’Orenbourg accusés par le requérant, ainsi que des fonctionnaires du service du procureur de ce district. Toutes ces personnes nièrent l’allégation formulée par le requérant et affirmèrent que ce dernier avait avoué les faits reprochés de son plein gré, en présence d’un avocat.
19. S’agissant des lésions corporelles du requérant, l’enquêteur releva, d’une part, que, selon le certificat médical, à son admission à l’IVS d’Orenbourg, le 13 février 2004, le requérant présentait une ancienne fracture de l’index droit et un hématome cicatrisé sur le dos. L’enquêteur nota que, aux dires du requérant, l’hématome avait été occasionné dans des circonstances étrangères à l’arrestation, à savoir en raison de la chute d’un toboggan. Il évoqua le rapport de l’expertise médicolégale no 1555, pratiquée le 22 mars 2004 (paragraphe 15 ci-dessus), selon laquelle la date d’apparition de cet hématome ne pouvait être établie, eu égard à l’absence de description de cette lésion dans le certificat. L’enquêteur conclut que le rapport du médecin légiste confirmait les explications du requérant selon lesquelles l’hématome était apparu dans des circonstances étrangères à l’arrestation de l’intéressé. Il conclut également que, même en admettant la version de mauvais traitements infligés par des policiers les 11 et 12 février 2004, la cicatrisation de l’hématome dans un délai si court paraissait invraisemblable.
20. L’enquêteur constata d’autre part que le lendemain de l’admission du requérant dans la maison d’arrêt, le 17 février 2004, à 14 h 30, certaines lésions - notamment des contusions du visage, du thorax, du bassin et une égratignure sur la cheville gauche - avaient été consignées dans le registre des examens médicaux primaires par le médecin A. L’enquêteur confronta ces données avec celles consignées dans la fiche médicale du requérant tenue par la maison d’arrêt et releva que selon cette fiche, lors de l’examen médical de l’intéressé ayant eu lieu le 19 février 2004, aucune lésion n’avait été constatée. L’enquêteur conclut que la disparition des lésions dans un délai si court était impossible.
L’enquêteur conclut que l’allégation du requérant était dénuée de tout fondement.
B. Le procès pénal dirigé contre le requérant
21. Le 10 janvier 2006, le juge J., saisi de l’affaire pénale dirigée contre le requérant, ordonna une expertise médicolégale. Dans le rapport d’expertise du 13 janvier 2006, le médecin légiste T. du bureau régional de médecine légale, se fondant sur le rapport d’expertise médicolégale no 1555 du 22 mars 2004 et sur l’acte médical du 17 février 2004, constata les lésions suivantes : des hématomes de couleur bleu-jaune dans la zone de la crête iliaque droite, sur la ligne axillaire antérieure entre la cinquième côte et la sixième côte, dans la région axillaire droite, ainsi que dans la zone périorbitaire droite, et une égratignure sur la cheville gauche. Selon le médecin légiste, ces lésions avaient pu être causées aussi bien par des coups administrés par des objets contondants que par contact volontaire avec de tels objets. En outre, le médecin légiste situa l’apparition de ces lésions à trois à cinq jours avant le 17 février 2004, date de l’examen par le médecin de la maison d’arrêt. En ce qui concernait l’égratignure sur la cheville gauche et l’hématome sur le dos, l’expert ne put établir la date d’apparition de ces lésions. En outre, il constata que, d’après le dossier médical du requérant, la fracture d’une phalange d’un doigt de la main droite avait été occasionnée en 2003.
22. Examinant les accusations portées contre le requérant, la cour régionale d’Orenbourg se pencha, entre autres, sur l’allégation de mauvais traitements subis au commissariat de police formulée par l’intéressé. Elle établit que les documents médicaux dressés lors de l’admission du requérant à l’IVS (le 13 février 2004) et à la maison d’arrêt (le 16 février 2004) indiquaient la présence d’une ancienne fracture de l’index droit et d’un hématome cicatrisé sur le dos. La cour régionale remarqua que ces documents ne contenaient aucune information quant aux lésions corporelles décrites par le médecin A. le 17 février 2004. Elle releva que, après être passé aux aveux les 12 et 13 février 2004, le requérant avait été reconduit à l’IVS, où aucune lésion corporelle n’avait été identifiée. Elle cita l’aide-médecin qui avait examiné le requérant le 13 février 2004, selon laquelle l’intéressé ne s’était pas plaint de mauvais traitements et avait affirmé que l’hématome avait été le résultat d’une chute de toboggan survenue trois jours avant l’admission à l’IVS. La cour régionale établit en outre que le requérant n’avait quitté l’IVS qu’une seule fois, le 13 février 2004, pour être interrogé en qualité de prévenu et qu’à son retour à l’IVS il ne présentait pas de lésions autres que celles constatées lors de son admission dans cet établissement le même jour. La cour régionale souligna que, après cette date, le requérant avait quitté l’IVS le 16 février 2004 pour être transféré à la maison d’arrêt. Elle releva que, lors de son admission dans celle-ci, aucun acte relevant des lésions n’avait été dressé, ce qui signifiait l’absence de nouvelles lésions, précisant qu’en cas contraire le requérant n’aurait pu être admis à la maison d’arrêt. Eu égard à ces considérations, la cour régionale remit en cause le rapport du médecin A. et souligna que les doutes pesant sur ce document se trouvaient confortés par le fait que deux jours après l’examen par ce médecin, le 19 février 2004, le requérant avait été examiné par un thérapeute et un dermatologue qui n’avaient pas relevé les lésions corporelles constatées par leur confrère.
23. De plus, la cour régionale constata que les photographies en couleurs du requérant, faites le jour de l’admission de ce dernier à la maison d’arrêt, ne contenaient aucun signe objectif démontrant l’existence des lésions corporelles susmentionnées. Ainsi, la cour régionale écarta le rapport établi par le médecin A., un certificat délivré par la maison d’arrêt daté du 13 décembre 2005 et une déposition faite par un témoin, S., attestant de la présence des lésions corporelles en question le jour de l’admission à la maison d’arrêt. Par conséquent, elle rejeta l’allégation de mauvais traitements, la considérant comme dénuée de tout fondement.
24. Le 3 mai 2006, la cour régionale condamna le requérant à une peine de vingt-trois ans d’emprisonnement pour les faits incriminés.
25. Le requérant se pourvut en cassation, en se plaignant, entre autres, d’avoir subi des mauvais traitements au commissariat de police immédiatement après son arrestation.
26. Le 27 octobre 2006, la Cour suprême de Russie, statuant en cassation, confirma la décision de la cour régionale.
C. Le procès dirigé contre le médecin A.
27. Le 21 février 2008, le tribunal du district Leninski d’Orenbourg condamna le médecin A. pour faux témoignage. Le tribunal établit que les données relatives aux lésions corporelles consignées par ce médecin dans son rapport étaient fausses étant donné les conclusions auxquelles était arrivée la cour régionale. Le 4 mars 2008, le jugement de cette juridiction acquit l’autorité de la chose jugée.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
28. Les dispositions du code de procédure pénale russe relatives à l’enquête préliminaire, à l’ouverture de l’instruction pénale et à l’examen judiciaire des recours formés sur le fondement de l’article 125 du même code contre les décisions des autorités chargées de l’instruction sont décrites dans l’arrêt Lyapin c. Russie (no 46956/09, § 99, 24 juillet 2014).
29. Les dispositions pertinentes en l’espèce relatives aux pouvoirs du tribunal en cas de découverte de violations de la loi sont résumées dans l’arrêt Zayev c. Russie (no 36552/05, §§ 60-63, 16 avril 2015)
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
30. Le requérant allègue avoir été sévèrement battu alors qu’il se trouvait entre les mains de la police. Il se plaint d’une absence d’enquête effective sur cette allégation. Il invoque à cet égard l’article 3 et l’article 13 de la Convention. La Cour estime que, dans les circonstances de la présente espèce, ce grief tel qu’il est formulé par le requérant appelle un examen sur le terrain du seul article 3 de la Convention, qui se lit comme suit :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur l’allégation de mauvais traitements
1. Les thèses des parties
31. Le Gouvernement conteste la thèse du requérant. Il estime que les mauvais traitements allégués n’ont pas eu lieu, précisant que le dossier pénal ne contient pas d’éléments de preuve portant sur de tels traitements. Le Gouvernement fait observer qu’au moment de son arrestation le requérant présentait deux lésions, à savoir une fracture de l’index droit et un hématome sur le dos. Il indique que ces lésions ont été constatées par un aide-médecin de l’IVS dans un local où les policiers n’auraient pas eu accès et qu’il n’y a aucune information relative à une éventuelle pression exercée sur l’aide-médecin.
32. Le requérant soutient qu’il a été soumis à des mauvais traitements après son arrestation, le 11 février 2004. Il indique que cette allégation est confirmée par le rapport du médecin A., en date du 17 février 2004, consignant de multiples lésions corporelles alors qu’il n’en aurait pas présenté avant son arrivée au commissariat de police, à l’exception de la fracture de son index droit.
33. Le requérant déclare par ailleurs que l’aide-médecin de l’IVS a omis de consigner toutes les lésions dans le registre car l’examen médical se serait déroulé en présence des policiers.
34. Il affirme en outre que le médecin légiste ayant pratiqué les deux expertises médicolégales a fondé ses rapports uniquement sur les documents médicaux sans l’avoir examiné.
2. L’appréciation de la Cour
a) Sur la recevabilité
35. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
b) Sur le fond
36. La Cour rappelle que les personnes en garde à vue sont en situation de vulnérabilité et que les autorités ont le devoir de les protéger. Par conséquent, lorsqu’un individu est placé en garde à vue alors qu’il se trouve en bonne santé et que l’on constate qu’il est blessé au moment de sa libération, il incombe à l’État de fournir une explication plausible sur l’origine des blessures (Oleg Nikitine c. Russie, no 36410/02, § 44, 9 octobre 2008).
37. Pour apprécier les preuves, la Cour a généralement adopté jusqu’ici le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » (Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 161, série A no 25).
38. La Cour observe qu’en l’espèce les parties sont en désaccord tant sur le nombre et la localisation des lésions corporelles du requérant que sur les circonstances ayant été à l’origine de ces blessures.
39. La Cour relève que le requérant a présenté deux rapports d’expertise médicolégale (paragraphes 15 et 21 ci-dessus), reflétant deux versions des faits opposées. Selon le requérant, seul le rapport de l’examen médical du 17 février 2004 est complet et prouve les mauvais traitements dénoncés. Selon le Gouvernement, qui conteste cette thèse, à son arrivée au commissariat de police, le requérant présentait déjà les lésions identifiées par la suite à l’IVS.
40. La Cour relève que cette contradiction entre les deux rapports a fait l’objet de l’enquête effectuée au niveau interne par le procureur (paragraphes 19 et 20 ci-dessus) et par la cour régionale d’Orenbourg (paragraphe 22 ci-dessus).
Elle prend note des arguments avancés par ces instances nationales, exposés ci-après :
- s’agissant de la divergence entre les lésions constatées avant et après le rapport du 17 février 2004, la cour régionale et le procureur ont indiqué que le requérant n’avait présenté ces lésions ni le 13 février 2004, lors de l’examen à l’IVS, ni le 19 février 2004, lors de l’examen médical à la maison d’arrêt par les médecins spécialistes, et ils ont considéré que la cicatrisation des hématomes dans un délai si court était invraisemblable ;
- la cour régionale a relevé que, après son admission à l’IVS, le requérant était sorti une seule fois de cet établissement, dans la journée du 13 février 2004, pour être interrogé en tant que prévenu et que, à son retour à l’IVS après cet interrogatoire, il n’avait pas de lésions corporelles ;
- la cour régionale a relevé l’absence de toute mention des lésions corporelles lors de l’admission du requérant à la maison d’arrêt le 16 février 2004 ;
- la cour régionale a observé l’absence de lésions visibles sur les photographies en couleurs du requérant, faites le jour de l’admission de ce dernier à la maison d’arrêt.
41. La Cour observe ainsi que les autorités nationales, se fondant sur ces arguments, ont écarté le rapport du médecin A.
42. Elle relève également que, en réponse à ces arguments dans ses observations devant elle, le requérant a objecté que l’aide-médecin de l’IVS avait omis de consigner toutes les lésions car l’examen médical se serait déroulé en présence des policiers (paragraphe 33 ci-dessus).
43. La Cour note à cet égard que, selon la cour régionale, lors de sa réadmission à l’IVS dans la même journée, le requérant ne présentait toujours pas de lésions corporelles et qu’il n’a pas allégué que des policiers étaient présents lors de ce second examen. La Cour remarque en outre que le requérant est demeuré à l’IVS pendant quatre jours et qu’il ne s’est pas plaint de son état de santé et n’a pas non plus demandé la consignation d’autres lésions.
44. La Cour relève que, pour le reste, le requérant n’a formulé aucune objection ni aucun autre commentaire quant aux conclusions de l’enquête nationale.
45. Or la Cour est d’avis que les arguments développés par les autorités nationales pour écarter le rapport du médecin A. sont convaincants. Elle relève de surcroît que ledit rapport a été considéré comme un faux en écriture et que ce médecin a été condamné au pénal pour faux témoignage (paragraphe 27 ci-dessus). Dans ces conditions, elle ne saurait admettre ce rapport à titre de preuve. S’agissant du rapport d’expertise du 13 janvier 2006 (paragraphe 21 ci-dessus), la Cour observe, citant le requérant en personne, que le médecin légiste a fondé son rapport uniquement sur les documents médicaux, notamment sur le rapport mis en doute, sans avoir examiné l’intéressé (paragraphe 34 ci-dessus). Par conséquent, elle ne saurait non plus admettre ce rapport à titre de preuve.
46. Ainsi, la Cour prend en considération l’extrait du registre de l’IVS faisant état de l’hématome cicatrisé sur le dos et de l’ancienne fracture de l’index droit, notant à cet égard que le requérant a reconnu que cette dernière lésion était antérieure à son arrestation (paragraphe 32 ci-dessus).
47. La Cour relève que l’aide-médecin a estimé que l’hématome était cicatrisé et, se fondant sur les dires de l’intéressé, a situé son apparition à trois jours avant l’examen (paragraphes 19 et 22 ci-dessus). Même en admettant la version du requérant selon laquelle cette explication avait été donnée par crainte de représailles, la Cour observe l’incohérence de cette thèse. En effet, confrontant les données médicales avec cette dernière, la Cour observe que la description des mauvais traitements telle que présentée par le requérant (paragraphe 9 ci-dessus) ne correspond pas à la lésion constatée.
48. En premier lieu, la Cour observe que cette description, très brève, est formulée en termes généraux, ce qui l’empêche d’examiner plus en détail le mécanisme d’apparition de la lésion.
49. En second lieu, elle note que les documents médicaux présentés ne permettent pas de situer la lésion en question sur le corps du requérant : si l’intéressé affirme avoir été frappé au niveau des lombaires, la localisation de la lésion - à savoir sur le dos - reste imprécise. La Cour constate ainsi que tant le descriptif de l’hématome que celui des mauvais traitements ne permettent pas d’établir une correspondance entre le premier et les seconds.
50. En troisième lieu, la Cour relève qu’aucune lésion n’a été constatée aux endroits où le requérant allègue avoir été frappé - par exemple, sur la tête et les jambes (paragraphe 9 ci-dessus). Eu égard au descriptif des mauvais traitements dénoncés - surtout la durée (plusieurs heures) et l’intensité de ceux-ci (paragraphes 9, 10. et 11 ci-dessus) -, la Cour ne saurait concevoir comment ces traitements auraient pu causer les lésions mineures constatées sur la personne du requérant.
51. Enfin, la Cour note que, de son côté, ce dernier n’a présenté aucune explication à ces incohérences.
52. Aussi la Cour est-elle d’avis que les éléments produits par le requérant ne lui permettent pas d’établir au-delà de tout doute raisonnable que celui-ci a subi les mauvais traitements allégués.
53. En raison de l’absence d’éléments probants suffisants, la Cour considère ne pas être en mesure d’affirmer avec un degré de certitude en accord avec sa propre jurisprudence que le requérant a été soumis après son arrestation aux mauvais traitements allégués. En conséquence, la Cour conclut à la non violation de l’article 3 de la Convention dans son volet matériel.
B. Sur l’effectivité de l’enquête
1. Les thèses des parties
54. Le Gouvernement estime que l’enquête présentait l’effectivité requise. Il considère qu’elle a été rapide puisque le service du procureur aurait engagé l’enquête le jour même du dépôt de la plainte, lequel aurait été effectué le 26 février 2004. Il n’est cependant pas en mesure d’indiquer la durée de cette enquête, les décisions de non-lieu ayant été annulées à maintes reprises et des compléments d’enquête ayant été ordonnés. Le Gouvernement déclare que cette enquête n’a permis de déceler aucune lésion corporelle sur la personne du requérant. Il affirme que les enquêteurs ont effectué tous les actes d’enquête nécessaires pour vérifier l’allégation de ce dernier, dont des interrogatoires des policiers et des fonctionnaires du service du procureur impliqués dans l’incident.
55. S’agissant de la qualité de l’enquête, le requérant soutient que celle- ci n’a pas été effective au sens des critères élaborés par la jurisprudence de la Cour. Plus particulièrement, il indique que l’enquête n’a été ouverte que le 22 mars 2004 alors qu’il avait formulé ses doléances le 13 février 2004 lors de l’audience du tribunal statuant sur sa mise en détention provisoire. L’intéressé soutient que l’enquête préliminaire, dont la durée n’aurait normalement pas dû excéder trois jours, s’est enlisée et a duré un an et demi. Enfin, il indique que cette enquête n’a jamais abouti à l’ouverture de l’instruction pénale régie par l’article 146 du code de procédure pénale.
56. S’agissant du rôle joué par le juge dans la prévention des mauvais traitements au stade du placement en détention provisoire, le Gouvernement indique que la décision en matière de placement en détention est réglementée par l’article 108 du code de procédure pénale et est prise à la suite d’un examen en audience publique avec la participation du suspect et de son avocat. Il ajoute que le suspect a ainsi la possibilité de formuler une plainte au sujet d’éventuels mauvais traitements, tant par écrit que verbalement sur le fondement de l’article 141 du code de procédure pénale. Il précise que, dans ce dernier cas, la plainte est inscrite au procès-verbal de l’audience, en application de l’article 259 § 3 (6) du code de procédure pénale, et est transmise ultérieurement aux autorités compétentes pour contrôle. Le Gouvernement indique aussi que, en particulier, selon le paragraphe 2.3 de l’instruction relative au travail du greffe des tribunaux de district du 29 avril 2003 (« l’instruction no 36 » ; voir la partie « le droit et la pratique internes pertinents »), pareille plainte est inscrite dans le registre de la correspondance entrante et doit être transmise pour examen aux autorités compétentes et que l’absence éventuelle de réaction à une telle plainte s’analyse en une inertie illégale des autorités.
57. En l’occurrence, le Gouvernement reconnaît que le requérant a fait une déclaration devant le tribunal de district saisi d’une demande de mise en détention pour dénoncer les mauvais traitements allégués. Toutefois, selon le Gouvernement, le tribunal n’a pas informé les autorités compétentes en vue de l’ouverture d’une instruction pénale au motif qu’il n’y avait aucune donnée objective et évidente, comme, par exemple, des lésions corporelles visibles à l’appui de cette allégation.
2. L’appréciation de la Cour
a) Sur la recevabilité
58. La Cour vient de conclure à la non violation du volet matériel de l’article 3 (paragraphe 53 ci-dessus). Cela n’empêche pas que le grief tiré du volet procédural soit déclaré recevable. En effet, même si la commission de mauvais traitements par des agents de l’État n’est pas établie devant la Cour, il demeure possible que le requérant ait soutenu de manière défendable, au moment des faits et au moment de déposer une plainte à cet égard, avoir subi de tels traitements, et qu’eu égard à une telle allégation il y eut une obligation d’enquêter sur les faits (voir, par exemple, Lopata c. Russie, no 72250/01, § 125, 13 juillet 2010, Aleksey Borisov c. Russie, no 12008/06, §§ 61, 73 et 75, 16 juillet 2015, Beristain Ukar c. Espagne, no 40351/05, § 42, 8 mars 2011 et Alpar c. Turquie, no 22643/07, § 42, 26 janvier 2016).
59. La Cour estime qu’il en est ainsi en l’espèce. En premier lieu, la Cour note qu’à la première occasion - à savoir le 13 février 2004 lors de l’audience du tribunal concernant la mise en détention - le requérant a fait une déclaration pour dénoncer les mauvais traitements qu’il disait avoir subis (paragraphe 12 ci-dessus), mais que le tribunal n’a donné aucune suite à cette plainte (paragraphe 57 ci-dessus). Elle n’est ainsi pas convaincue par la position du Gouvernement selon laquelle le juge n’était pas tenu de communiquer ces doléances aux autorités compétentes au motif qu’il n’y avait pas de lésions visibles sur le corps de l’intéressé. À cet égard, la Cour relève au contraire que, lorsqu’une plainte verbale est formulée à l’audience du tribunal, il y a une obligation au regard du droit interne de soumettre ce cas à l’attention des autorités chargées de l’enquête (paragraphe 56 ci-dessus).
60. En second lieu, la Cour constate que quelques jours plus tard, à savoir le 17 février 2004, le médecin A. a dressé un rapport consignant les lésions observées sur la personne du requérant. Elle note que les documents pertinents ont été ensuite soumis par l’officier S. de la maison d’arrêt à l’attention du procureur du district Dzerjinski d’Orenbourg (paragraphe 14 ci-dessus).
61. La Cour estime que l’allégation de mauvais traitements faite le 13 février 2004 à l’audience du tribunal et étayée, quelques jours plus tard, par un rapport médical aurait dû aboutir à une obligation d’enquêter, ne serait-ce que pour dissiper le doute pesant sur sa véracité. Elle estime dès lors que ces deux éléments, pris ensemble, permettent de considérer le grief porté devant elle comme défendable, déclenchant ainsi une obligation pour les autorités de conduire une enquête effective au sens de l’article 3 de la Convention.
62. Le grief tiré du volet procédural de l’article 3 ne saurait donc, dans les circonstances de la présente affaire, être déclaré manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Constatant que ce grief ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
b) Sur le fond
63. La Cour considère que, lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi, aux mains de la police ou d’autres services comparables de l’État, de graves sévices illicites et contraires à l’article 3 de la Convention, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l’État par l’article 1 de la Convention de « reconnaître à toute personne relevant de [sa] juridiction, les droits et libertés définis (...) [dans la] Convention », requiert, par implication, qu’il y ait une enquête officielle effective (Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, § 116, CEDH 2015).
64. Certes, il ne s’agit pas d’une obligation de résultat, mais de moyens : l’enquête ne doit pas nécessairement arriver à la conclusion qui coïncide avec la version des faits présentée par le plaignant. Toutefois, elle doit être effective en ce sens qu’elle doit permettre d’identifier et - le cas échéant - de sanctionner les responsables (Armani Da Silva c. Royaume-Uni [GC], no 5878/08, § 257, 30 mars 2016), ce qui suppose notamment qu’elle permette de déterminer si la force utilisée pouvait ou non être justifiée dans les circonstances de l’espèce.
65. Pour qu’une enquête relative à une allégation de mauvais traitements puisse passer pour effective, elle doit être approfondie. Cela signifie que les autorités doivent entreprendre des démarches appropriées pour établir ce qui s’est passé et qu’elles ne doivent pas se fier à des conclusions hâtives et mal fondées pour motiver leurs décisions à l’issue de l’enquête et notamment pour clôturer celle-ci (Markaryan c. Russie, no 12102/05, § 55, 4 avril 2013). Les autorités doivent avoir pris les mesures raisonnables dont elles disposaient pour obtenir les preuves relatives aux faits en question, y compris, entre autres, la déclaration détaillée de la victime présumée au sujet de ces allégations, les dépositions des témoins oculaires, les expertises et, le cas échéant, les certificats médicaux complémentaires propres à fournir un compte rendu complet et précis des blessures et une analyse objective des constatations médicales, notamment de la cause des blessures. Toute déficience de l’enquête affaiblissant sa capacité à établir la cause des blessures ou les responsabilités risque de ne pas répondre à cette norme (Davitidze c. Russie, no 8810/05, § 100, 30 mai 2013).
66. En outre, une exigence de célérité et de diligence raisonnables est implicite dans ce contexte. Une réponse rapide des autorités, lorsqu’il s’agit d’enquêter sur des allégations de mauvais traitements, peut généralement être considérée comme essentielle pour préserver la confiance du public dans le principe de la légalité et pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux (Bouyid, précité, § 121).
67. Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour observe que les autorités russes se sont limitées à une enquête préliminaire. Examinant cette enquête, elle constate, en premier lieu, que seule une instruction pénale, régie par l’article 146 du code de procédure pénale, aurait été une réponse adéquate à l’allégation de mauvais traitements puisqu’elle aurait permis de déployer toutes les mesures d’instruction prévues par ledit code, tels - entre autres - les interrogatoires, les confrontations, les identifications, les reconstitutions et les expertises. La Cour souligne avoir récemment jugé que le refus des autorités internes d’ouvrir une instruction pénale au sujet d’un grief défendable de mauvais traitements subis entre les mains de la police est révélateur d’un manquement de l’État à son obligation de conduire une enquête effective prévue par l’article 3 de la Convention (Lyapin, précité, §§ 133-140). En l’occurrence, la Cour ne voit aucune raison d’aboutir à un constat différent.
68. En second lieu, la Cour estime que l’enquête préliminaire en question n’a pas été prompte. En effet, bien qu’avertie presque immédiatement de l’incident (paragraphe 14, 15 et 55 ci-dessus), l’autorité chargée de l’enquête, laissant passer un mois, a tardé à ordonner la première expertise médicolégale du requérant (paragraphe 15 ci-dessus), prenant ainsi le risque de voir les lésions corporelles disparaître. La Cour observe en outre que le médecin légiste n’a pas examiné le requérant et qu’il a fondé son rapport uniquement sur les documents médicaux (paragraphe 34 ci-dessus). Ce sont précisément ces circonstances - et notamment le retard susmentionné - qui permettent d’expliquer la disparition des éventuelles lésions et l’incertitude quant à la présence de celles-ci et qui, par conséquent, ont abouti à compromettre le résultat de l’enquête.
69. Aussi ces manquements ont-ils causé une perte de temps précieux et compliqué l’instruction ultérieure portant sur l’allégation du requérant (voir, pour un raisonnement similaire, Ablyazov c. Russie, no 22867/05, § 58, 30 octobre 2012, et Ryabtsev c. Russie, no 13642/06, § 82, 14 novembre 2013).
70. Compte tenu des éléments qui précèdent, la Cour pour conclut que l’instruction pénale menée à la suite de l’allégation du requérant n’a pas été effective et a emporté violation de l’article 3 de la Convention dans son volet procédural.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
71. Enfin, le requérant se plaint de l’application, selon lui erronée, des lois nationales et de l’appréciation des preuves opérées par la justice nationale. Il invoque à cet égard l’article 6 de la Convention.
72. S’agissant des autres griefs soulevés, eu égard au contenu du dossier et pour autant qu’ils relèvent de sa compétence, la Cour estime que ces griefs ne révèlent pas de violations des droits consacrés par la Convention et ses Protocoles.
73. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
74. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
75. Le requérant réclame 35 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi.
76. Se référant aux arrêts Samoïlov c. Russie (no 64398/01, 2 octobre 2008) et Gladychev c. Russie (no 2807/04, 30 juillet 2009), le Gouvernement estime que la somme réclamée par le requérant est excessive. Il est d’avis que, si la Cour conclut à la violation de la Convention, ce constat constituera en soi une satisfaction équitable suffisante.
77. Eu égard aux circonstances de la présente espèce et au constat de violation de l’article 3 de la Convention dans son seul volet procédural, la Cour considère que l’intéressé a subi une détresse, une frustration et un sentiment d’injustice qui ne sauraient être réparés par le seul constat de violation. Elle estime toutefois que la somme réclamée est excessive. Eu égard à l’ensemble des éléments dont elle dispose, la Cour alloue au requérant 5 000 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
78. Le requérant demande également 2 062,50 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il sollicite aussi le remboursement des frais postaux, qui s’élèveraient à 3 227,90 roubles russes.
79. Le Gouvernement estime que cette somme est déraisonnable et excessive. En outre, il indique que le requérant n’a présenté aucun décompte fiable confirmant l’étendue du travail accompli par ses représentants. Il considère enfin que les frais de représentation du requérant au niveau national ne doivent pas être remboursés car ils n’auraient aucun rapport avec la procédure devant la Cour.
80. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour juge raisonnable un montant de 1 100 EUR. La Cour accorde donc cette somme au requérant au titre des frais et dépens pour la procédure devant elle.
C. Intérêts moratoires
81. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention dans son volet matériel ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention dans son volet procédural ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
i. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
ii. 1 100 EUR (mille cent euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 juin 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stephen Phillips Luis López Guerra
Greffier Président