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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> TATO MARINHO DOS SANTOS COSTA ALVES DOS SANTOS AND FIGUEIREDO v. PORTUGAL - 9023/13 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section)) French Text [2016] ECHR 573 (21 June 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/573.html Cite as: [2016] ECHR 573 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE TATO MARINHO DOS SANTOS COSTA ALVES DOS SANTOS ET FIGUEIREDO c. PORTUGAL
(Requêtes nos 9023/13 et 78077/13)
ARRÊT
STRASBOURG
21 juin 2016
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Tato Marinho dos Santos Costa Alves dos Santos et Figueiredo c. Portugal,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Nona Tsotsoria,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek,
Egidijus Kūris,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 mai 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 9023/13 et 78077/13) dirigées contre la République portugaise et dont deux ressortissantes de cet État, Mmes Sofia Tato Marinho dos Santos Costa Alves dos Santos, et Maria da Luz Figueiredo (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 9 janvier 2013 et le 5 décembre 2013 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérantes ont été représentées par Mes R. S. Alves et A. G. Pereira, avocats à Lisbonne. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.
3. Les requérantes dénoncent l’iniquité des procédures disciplinaires diligentées à leur encontre. La première requérante se plaint que l’étendue de l’examen de l’affaire par la Cour suprême de justice a été insuffisante, du fait en particulier de l’impossibilité de modifier par voie de recours l’établissement des faits par le Conseil supérieur de la magistrature. La seconde requérante se plaint du manque d’indépendance et d’impartialité de la formation de la Cour suprême de justice, étant donné que les juges qui y siègent relèvent, eux-aussi, des pouvoirs disciplinaires du CSM.
4. Le 16 février 2015, les griefs concernant le défaut d’accès à un tribunal (requête no 9023/13) et le manque d’impartialité de la section du contentieux de la Cour suprême de justice (requête no 78077/13) ont été communiqués au Gouvernement et la requête no 78077/13 a été déclarée irrecevable pour le surplus, conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. La première requérante est née en 1975 et réside à Loures.
6. La seconde requérante est née en 1963 et réside à Lisbonne.
A. La requête no 9023/13
7. Le 6 juillet 2010, le Conseil supérieur de la magistrature (Conselho Superior da Magistratura), ci-après « CSM », décida l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de la première requérante, alors juge au tribunal du travail de Lisbonne.
8. Le 8 novembre 2010, le juge de la cour d’appel chargé de l’instruction de l’affaire forma les réquisitions à l’encontre de la requérante, à laquelle il était reproché un manquement à ses devoirs de poursuite de l’intérêt général et de zèle, pouvant donner lieu à une sanction allant de l’avertissement à la révocation.
9. Le 13 décembre 2010, celle-ci présenta son mémoire en défense.
10. Le 20 septembre 2011, l’assemblée plénière du CSM imposa à la requérante une peine disciplinaire de 25 jours-amende, correspondant à 25 jours de salaire, pour violation de ses devoirs de poursuite de l’intérêt général et de zèle.
11. Dans sa décision du 20 septembre 2011, l’assemblée plénière du CSM considéra que la requérante avait enfreint son devoir de convoquer des audiences dans les dossiers à sa charge dans le plus bref délai et qu’elle manquait de productivité.
12. Le 31 octobre 2011, la requérante forma un recours devant la section du contentieux de la Cour suprême de justice (Secção do Contencioso do Supremo Tribunal de Justiça) contestant la peine disciplinaire appliquée. Dans son mémoire en recours, la requérante invoqua la pleine juridiction de la Cour suprême de justice, demandant le réexamen des faits qui avaient été considérés comme établis. La requérante y invoqua que le CSM n’avait pas dûment apprécié tous les moyens et documents déposés par elle, faisant valoir notamment :
- que le nombre d’audiences, prétendument tenues par la requérante, retenu par le CSM dans la décision condamnatoire était manifestement erroné, celle-ci ayant présidé à un nombre supérieur d’audiences ;
- que le nombre de jugements rédigés par la requérante retenu par le CSM était lui aussi inférieur à la productivité réelle de la requérante.
13. Par un arrêt du 5 juillet 2012, la Cour suprême de justice rejeta à l’unanimité l’appel de la requérante. Elle considéra qu’il ne lui incombait pas de faire un réexamen des faits, sa tâche se bornant à rechercher si la décision du CSM était entachée par un raisonnement contradictoire ou d’arbitraire. Se penchant sur le moyen du défaut d’examen des documents soumis par la requérante, la Cour suprême de justice statua que ce moyen ne mettait pas en cause la suffisance des preuves mais que la requérante avait uniquement attaqué l’appréciation et l’établissement des preuves par le CSM. À une date non précisée, les autorités procédèrent à la mise en œuvre de la peine disciplinaire à l’encontre de la première requérante.
14. Dans ses parties pertinentes, l’arrêt de la Cour suprême de justice du 5 juillet 2012 se lit comme suit :
« D’emblée, il faut dire que le pouvoir d’appréciation portant sur l’établissement des faits de cette cour se borne à l’examen des vices de la matière factuelle. Elle ne saurait réexaminer les éléments de la preuve afin de former un nouveau verdict sur les faits.
C’est-à-dire : il est du ressort de la Cour suprême non pas la formulation d’un nouveau jugement portant sur l’appréciation des preuves mais uniquement l’appréciation de la validité et de la légalité des preuves, d’une part, et du caractère raisonnable et de la cohérence des faits établis, d’autre part. Dans ce domaine, il lui incombe donc de rechercher des contradictions, des insuffisances de la preuve, des erreurs manifestes dans son examen. Ce sont là les erreurs de fait dont cette Cour suprême peut connaître. Elle ne peut pas, et on le réitère, réexaminer la preuve recueillie pour former un jugement autonome à son égard.
Il s’agit là de la thèse uniformément adoptée par cette section.
(...)
Il ressort des faits allégués par la requérante qu’elle s’oppose à l’appréciation [du CSM] sur les preuves, or cette appréciation échappe au contrôle de cette Cour suprême. Elle n’invoque point de contradictions ou d’incohérences dans l’établissement des faits. On constate tout simplement un désaccord de la requérante au regard de l’établissement des faits avérés. Et son désaccord face à l’absence d’appréciation d’autres faits qui, à son avis, méritaient l’examen par le CSM, notamment ceux allégués par la défense.
En conclusion, ce que la requérante combat en vérité c’est l’appréciation portant sur les faits par [le CSM]. Toutefois, et on le réitère, cette appréciation n’est pas soumise au contrôle [de la Cour suprême de justice].
(...)
Cette Cour suprême a les compétences pour apprécier le respect du principe de la proportionnalité [par le CSM], qui est enfreint lorsque la sanction se montre inadéquate ou excessive eu égard aux faits établis.
(...) »
B. La requête no 78077/13
15. Par un arrêt du 7 juin 2011, l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature appliqua à la seconde requérante, alors juge au tribunal du travail de Lisbonne, une peine disciplinaire de 50 jours-amende, correspondant à 50 jours de salaire, pour violation de ses devoirs de poursuite de l’intérêt général, de zèle, de loyauté et d’information.
16. À une date non précisée, la seconde requérante forma un appel contre cet arrêt devant la section du contentieux de la Cour suprême de justice, contestant les faits considérés comme établis. Elle attaquait notamment l’établissement des faits par le CSM concernant son taux de productivité. Par le biais de documents statistiques, la seconde requérante faisait valoir que cette instance disciplinaire n’avait pas pris en compte que certaines sections du tribunal du travail de Lisbonne avaient été supprimées par la loi et que, par conséquent, la requérante et les autres juges de ce tribunal étaient surmenés, affectant ainsi son taux de productivité. Elle alléguait en outre l’inconstitutionnalité de l’article 168 § 1 de la loi no 21/85 du 30 juillet 1985 relative au statut des magistrats de l’ordre judiciaire au motif que l’article 212 § 3 de la Constitution exigeait l’attribution aux juridictions administratives la compétence de statuer sur les relations administratives. La seconde requérante allégua de surcroît que l’attribution de compétence à la Cour suprême de justice pour connaître des recours attaquant les décisions du CSM mettait en cause son droit à un tribunal impartial, compte tenu du fait que les juges de la Cour suprême de justice étaient, eux-aussi, soumis à la juridiction disciplinaire du CSM.
17. Le 15 décembre 2011, la section du contentieux de la Cour suprême de justice confirma la décision du 7 juin 2011. Elle considéra que la nomination des juges siégeant à la section du contentieux de la Cour suprême de justice obéissait à des critères objectifs établis par la loi. Elle estima que l’article 212 § 3 de la Constitution n’imposait pas la saisine des tribunaux administratifs pour tout litige portant sur une relation administrative (rejetant l’invocation de l’inconstitutionnalité de l’article 168 § 1 de la loi relative au statut des magistrats de l’ordre judiciaire). Enfin, elle jugea que la section du contentieux de la Cour suprême de justice ne pouvait pas faire un réexamen des faits établis en première instance.
18. S’agissant du réexamen des faits de la cause établis par le CSM, l’arrêt du 15 décembre 2011 se lit comme suit :
« (...) [I]l n’est pas du ressort de la section du contentieux de la Cour suprême de justice d’examiner les critères quantitatifs et qualitatifs portant sur des jugements techniques discrétionnaires, ayant trait à un mode particulier d’organisation, de fonctionnement et de gestion internes du [CSM], tels le caractère adéquat, le volume de travail, la productivité ou les exigences concrètes de performance quantitative de la [requérante] (...). »
(...)
« Pour ce qui est du refus de dépôt au dossier des statistiques de la Direction générale de l’administration de la justice (...), les faits décrits dans les réquisitions (...), portant sur la productivité de la [requérante] (...), ont eu lieu entre le 1er septembre 2006 et le 31 décembre 2009 et pas le 12 avril 2010 (...).
Or, la [requérante] voulait mettre en cause les statistiques officielles, découlant par ailleurs du traitement informatique [des données de la justice] (...) »
Dès lors, le refus d’inviter la Direction générale de l’administration de la justice à déposer les éléments demandés par la [requérante] n’a pas représenté une omission d’un acte important pour la défense, susceptible d’invalider la présente procédure disciplinaire. »
19. À une date non précisée, la requérante forma un recours en inconstitutionnalité devant le Tribunal constitutionnel, invoquant l’inconstitutionnalité des paragraphes 1 et 2 de l’article 168 de la loi no 21/85 du 30 juillet 1985 relative au statut des magistrats de l’ordre judiciaire.
20. Le 12 juin 2013, le Tribunal constitutionnel prononça un arrêt de rejet. Il fit valoir que le législateur pouvait, sous certaines conditions, soumettre des litiges portant sur des relations administratives à des juridictions non administratives. Il estima que le fait que les juges qui forment la section du contentieux de la Cour suprême de justice sont soumis au pouvoir disciplinaire du CSM ne remet pas en cause leur impartialité. D’une part, ces juges n’ont pas à suivre des consignes du CSM, d’autre part leur nomination est effectuée par le président de la Cour suprême de justice (et du CSM) compte tenu de leur ancienneté et parmi chacune des sections de la Cour suprême de justice. À une date non précisée, les autorités procédèrent à la mise en œuvre de la peine disciplinaire à l’encontre de la requérante.
La partie pertinente de l’arrêt du 12 juin 2013, citant l’arrêt no 277/11 du Tribunal constitutionnel, se lit comme suit :
« (...)
Le fait que les juges qui composent la section du contentieux de la Cour suprême de justice pour connaître des recours attaquant les décisions du Conseil supérieur de la magistrature, notamment sur le terrain disciplinaire, sont soumis à la gestion et à la discipline de cet organe ne saurait être objectivement envisagé comme étant un facteur susceptible d’influer sur leurs décisions dans ce type d’affaires.
Les rapports entre cet organe et les juges ne sont pas des rapports de subordination, les juges jouissant non seulement d’une indépendance face aux autres pouvoirs de l’État mais aussi d’une « indépendance interne », leur gestion et discipline étant attribués au CSM en vertu de dispositions abstraites fixées au préalable.
Dès lors, la circonstance que la décision attaquée soit rendue par le CSM ne saurait soumettre à caution la possibilité de ces juges de trancher les affaires disciplinaires hors de toute influence étrangère à la loi et à la justice.
Le fait que ces juges, à l’exception du vice-président de la section du contentieux de la Cour suprême de justice, soient désignés par le président ne remet pas en cause leur impartialité, du fait que leur désignation est faite par le président en vertu d’un critère objectif et lié par la loi : il doit être désigné un juge de chacune des quatre sections [de la Cour suprême de justice] en fonction de leur ancienneté. Les juges désignés sont les juges les plus anciens de chacune de ces sections.
Le président de la Cour suprême de justice et, par inhérence, du Conseil supérieur de la magistrature, ne fait pas de sélection à sa guise des juges qui composent cette section, les conditions régissant leur désignation étant établies dans la loi sans aucune marge d’appréciation. Aussi, l’impartialité de ces juges vis-à-vis du Conseil supérieur de la magistrature ou de son président ne saurait soulever aucun doute.
Compte tenu des considérations précédentes, l’attribution à une section de la Cour suprême de justice des pouvoirs pour apprécier les recours attaquant les décisions du CSM, notamment en matière de discipline, n’enfreint pas les principes constitutionnels invoqués par la [requérante], en particulier le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et par un tribunal impartial. »
21. Le Tribunal constitutionnel considéra également que le principe de la présomption d’innocence valait en général dans le domaine disciplinaire mais que les garanties maximales de la défense n’étaient pas applicables dans les procédures disciplinaires.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
22. La Constitution établit la composition du Conseil supérieur de la magistrature, composé de dix-sept membres, comme suit :
Article 218
« 1. Le Conseil supérieur de la magistrature, sous la présidence du Président de la Cour suprême de justice, est composé des membres suivants :
a) deux nommés par le Président de la République ;
b) sept élus par l’Assemblée de la République ;
c) sept juges élus par les juges (...)
(...) ».
Le règlement (Regimento) de l’Assemblée de la République no 1/2007 du 20 août 2007 se lit comme suit dans sa partie pertinente :
Article 257
« L’assemblée de la République procède à l’audition des candidats aux postes suivants (...) dont la nomination est de son ressort :
(...)
e) sept membres du Conseil supérieur de la magistrature ».
Le règlement du Conseil supérieur de la magistrature, publié le 27 avril 1993 dans le journal officiel (Diário da República), se lit comme suit dans sa partie pertinente :
Article 12
« 1. Les délibérations sont prises à la majorité des voix, avec la présence de la majorité du nombre légal des membres du Conseil supérieur de la magistrature, le président disposant d’une voix prépondérante.
(...) »
23. Les dispositions pertinentes de la loi no 21/85 du 30 juillet 1985, relative au statut des magistrats de l’ordre judiciaire (Estatuto dos Magistrados Judiciais), se lisent comme suit :
Article 85
« 1. Les magistrats sont soumis aux peines suivantes :
a) l’avertissement ;
b) l’amende ;
c) la mutation ;
d) la suspension de l’exercice ;
e) l’inactivité ;
f) la retraite anticipée ;
g) la révocation. »
Article 87
« L’amende est fixée en jours, pouvant aller de 5 à 90 jours. »
Article 92
« La peine d’amende est applicable aux situations de négligence ou de manque d’intérêt par le respect des devoirs inhérents au poste. »
Article 102
« L’amende est mise en œuvre par le prélèvement dans le salaire du magistrat du montant correspondant au nombre de jours appliqué. »
Article 110
« (...)
2. (...) [L]a procédure disciplinaire est écrite et ne dépend d’aucune formalité, hormis l’audience avec la possibilité de défense de l’accusé. »
Article 111
« Il incombe au Conseil supérieur de la magistrature l’instauration de procédures disciplinaires contre les juges. »
Article 113
« 1. La procédure disciplinaire est confidentielle jusqu’à la décision finale (...).
2. Sous demande motivée de l’accusé, [le CSM] peut lui remettre des copies du dossier pourvu qu’elles soient utiles à la défense d’intérêts légitimes. »
Article 115
« (...)
2. Le [juge] instructeur peut rejeter une demande d’audition de témoins (...) dès lors qu’il considère suffisantes les preuves produites. »
Article 120
« Pendant le délai imparti pour la présentation de la défense, l’accusé, son défenseur commis d’office ou son conseil peuvent consulter le dossier dans les locaux [du CSM]. »
Article 131
« Les normes régissant le statut des fonctionnaires (...) sont applicables à titre subsidiaire, aussi bien que le code pénal, le code de procédure pénale (...) »
Article 137
« 1. Le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le président de la Cour suprême de justice et composé des membres suivants :
a) Deux désignés par le Président de la République ;
b) Sept élus par le Parlement ;
c) Sept élus parmi et par les magistrats.
2. Le poste de membre du Conseil supérieur de la magistrature ne peut pas être refusé par les juges. »
Article 138
« 1. Le vice-président du Conseil supérieur de la magistrature est le juge mentionné à l’alinéa 2 de l’article 141 et il exerce ses fonctions à plein temps.
(...) »
Article 141
« 1. L’élection des membres indiqués à l’alinéa c) de l’article 137 § 2 s’effectue à partir de listes établies par un minimum de 20 électeurs.
2. Les listes incluent un suppléant par rapport à chaque candidat effectif, chaque liste devant comporter un juge de la Cour suprême de justice, deux juges de la cour d’appel et un juge de chaque district judiciaire.
(...) »
Article 153
« 1. Il incombe au Président du Conseil supérieur de la magistrature de :
a) représenter le Conseil ;
b) exercer les fonctions déléguées par le Conseil, avec possibilité de subdélégation au président adjoint ;
c) recevoir le serment du président adjoint, des inspecteurs judiciaires et du secrétaire ;
d) diriger et coordonner les services d’inspection ;
e) élaborer, sous proposition du secrétaire, des circulaires ;
f) exercer les autres fonctions attribuées par la loi.
2. Le président peut déléguer au vice-président la compétence pour recevoir le serment des inspecteurs judiciaires et du secrétaire, aussi bien que les compétences prévues à l’alinéa d) et e). »
Article 168
« 1. Les décisions du Conseil supérieur de la magistrature sont susceptibles de recours devant la Cour suprême de justice.
2. Aux fins de l’examen du recours cité au paragraphe précédent, la Cour suprême de justice fonctionne par le biais d’une formation constituée du plus ancien de ses vice-présidents, disposant d’une voix prépondérante, et d’un juge de chacune des sections, chacun nommé annuellement et successivement compte tenu de son ancienneté.
(...)
5. Les fondements du recours sont ceux prévus par la loi pour attaquer les actes du Gouvernement. »
Article 178
« Les normes régissant les recours contentieux formés devant la Cour administrative suprême sont applicables à titre subsidiaire. »
(...) »
24. L’article 3 § 2 de la loi no 58/2008 du 9 septembre 2008 régissant la discipline des fonctionnaires dispose:
« (...)
2. Les devoirs généraux des fonctionnaires sont :
a) le devoir de poursuite de l’intérêt général ;
(...)
d) le devoir d’information ;
e) le devoir de zèle ;
(...)
g) le devoir de loyauté ;
(...) »
25. Le recours attaquant une décision du Conseil supérieur de la magistrature devant la section du contentieux de la Cour suprême de justice a pour objet l’annulation de la décision du CSM. Dans un arrêt du 15 décembre 2011, la section du contentieux de la Cour suprême de justice a considéré que ce recours était une « action administrative spéciale » (ação administrativa especial) par laquelle l’intéressé demande l’annulation, la déclaration de la nullité ou de l’inexistence juridique de l’acte administratif attaqué. Cette formation a considéré ce qui suit :
« (...)
La sauvegarde judiciaire des droits des administrés en vertu de l’article 268 § 4 de la Constitution supposant l’annulation de tout acte administratif censé leur porter préjudice, quelle que soit sa forme, doit être conforme à l’article 3 du code de procédure devant les tribunaux administratifs et fiscaux, selon lequel « dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs, les tribunaux administratifs contrôlent la compatibilité de l’action de l’administration avec les dispositions et les principes juridiques qui la lient et non pas en fonction d’une appréciation d’opportunité ».
D’une part, on voit en cette nouvelle disposition un élargissement des compétences des tribunaux administratifs eu égard à la législation précédente mais, d’autre part, les pouvoirs de pleine juridiction dorénavant octroyés ne sauraient faire oublier les limitations inhérentes à la sauvegarde des pouvoirs discrétionnaires de l’administration. Or, les pouvoirs du CSM échappent au contrôle du tribunal lorsque [l’organe disciplinaire] statue sur une conduite prétendument incompatible avec le devoir de diligence d’un magistrat.
Sous une autre perspective, conduisant néanmoins au même résultat, l’instance du recours doit, sur la base d’une légalité au sens large, contrôler le respect de l’article 266 § 2 de la Constitution, en vertu duquel l’administration doit exercer ses pouvoirs respectant, entre autres, le principe de la proportionnalité, constituant en des termes simples une prohibition de l’excès (proibição do excesso). »
Dans un arrêt du 21 mars 2013, la Cour suprême de justice a statué comme suit sur la nature du contrôle exercé sur les décisions du CSM en matière disciplinaire :
« La suffisance des preuves et de l’établissement des faits qui motivent une décision punitive dans le cadre d’une procédure disciplinaire peuvent faire l’objet d’un recours contentieux (...)
Cependant, le contrôle de la suffisance des preuves ne constitue pas, dans le cadre d’un recours contentieux, un réexamen de celles-ci mais une appréciation de [l’éventuel] caractère raisonnable et de la cohérence du rapport entre, d’une part, les faits que l’entité administrative a établis et, d’autre part, les preuves sur la base de son verdict (...).
La Cour suprême de justice ne procède pas au contrôle de l’examen et de l’appréciation des preuves. Elle se borne, dans une démarche de légalité, à apprécier la régularité de l’indication, du recueil et de la production des preuves. (...)
Il lui sied uniquement, compte tenu des preuves retenues dans le dossier, d’apprécier le caractère raisonnable du verdict final et de contrôler si l’entité administrative a examiné les faits recueillis par l’accusateur et les faits apportés par la défense, motivant dûment ce verdict.
(...) »
III. LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS
26. Les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, adoptés par le septième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à Milan du 26 août au 6 septembre 1985, et confirmés par l’Assemblée générale dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985 se lisent ainsi dans ses parties pertinentes :
« (...)
Mesures disciplinaires, suspension et destitution
17. Toute accusation ou plainte portée contre un juge dans l’exercice de ses fonctions judiciaires et professionnelles doit être entendue rapidement et équitablement selon la procédure appropriée. Le juge a le droit de répondre, sa cause doit être entendue équitablement. La phase initiale de l’affaire doit rester confidentielle, à moins que le juge ne demande qu’il en soit autrement.
(...)
19. Dans toute procédure disciplinaire, de suspension ou de destitution, les décisions sont prises en fonction des règles établies en matière de conduite des magistrats.
20. Des dispositions appropriées doivent être prises pour qu’un organe indépendant ait compétence pour réviser les décisions rendues en matière disciplinaire, de suspension ou de destitution. Ce principe peut ne pas s’appliquer aux décisions rendues par une juridiction suprême ou par le pouvoir législatif dans le cadre d’une procédure quasi judiciaire. »
27. La Charte européenne sur le statut des juges (Direction des affaires juridiques du Conseil de l’Europe, 8-10 juillet 1998, DAJ/DOC (98)23), en ses extraits pertinents, le chapitre 5 intitulé « Responsabilité », est ainsi libellé :
« 5.1. Le manquement par un juge ou une juge à l’un des devoirs expressément définis par le statut ne peut donner lieu à une sanction que sur la décision, suivant la proposition, la recommandation ou avec l’accord d’une juridiction ou d’une instance comprenant au moins pour moitié des juges élus, dans le cadre d’une procédure à caractère contradictoire où le ou la juge poursuivis peuvent se faire assister pour leur défense. L’échelle des sanctions susceptibles d’être infligées est précisée par le statut et son application est soumise au principe de proportionnalité. La décision d’une autorité exécutive, d’une juridiction ou d’une instance visée au présent point prononçant une sanction est susceptible d’un recours devant une instance supérieure à caractère juridictionnel. »
28. La Commission de Venise, dans son rapport sur l’indépendance du système judiciaire - Partie I : L’indépendance des juges, du 12-13 mars 2010 (CDL-AD (2010) 004), a adopté la conclusion suivante :
« (...)
« 6. Les conseils de la magistrature, ou les juridictions disciplinaires, devraient jouer un rôle déterminant dans les procédures disciplinaires. Il devrait être possible de faire appel des décisions des instances disciplinaires.
(...) »
29. La Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres aux États membres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités (adoptée par le Comité des Ministres le 17 novembre 2010, lors de la 1098e réunion des Délégués des Ministres) se lit comme suit dans ses parties pertinentes :
« (...)
Chapitre IV - Conseils de la justice
26. Les conseils de la justice sont des instances indépendantes, établies par la loi ou la Constitution, qui visent à garantir l’indépendance de la justice et celle de chaque juge et ainsi promouvoir le fonctionnement efficace du système judiciaire.
28. Les conseils de la justice devraient faire preuve du plus haut niveau de transparence envers les juges et la société, par le développement de procédures préétablies et la motivation de leurs décisions.
Chapitre VII - Devoirs et responsabilités
(...)
Responsabilité et procédures disciplinaires
(...)
69. Une procédure disciplinaire peut être exercée à l’encontre des juges qui ne s’acquittent pas de leurs obligations de manière efficace et adéquate. Cette procédure devrait être conduite par une autorité indépendante ou un tribunal avec toutes les garanties d’un procès équitable et accorder aux juges le droit d’exercer un recours contre la décision et la sanction. Les sanctions disciplinaires devraient être proportionnelles à la faute commise.
(...) »
EN DROIT
I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES
30. Compte tenu de la similarité factuelle et juridique des requêtes, la Cour décide de les joindre, comme le lui permet l’article 42 § 1 du règlement.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
31. Les requérantes allèguent que les juridictions internes ont violé leurs droits au réexamen des faits établis par le Conseil supérieur de la magistrature et à une décision par un tribunal indépendant et impartial, respectivement, tels que prévus par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...), par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »
A. Sur la recevabilité
1. Les thèses des parties
32. Le Gouvernement combat l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention sous ses volets civil et pénal.
33. Pour ce qui est de l’applicabilité du volet civil de cette disposition, il fait valoir que seule est en jeu une peine disciplinaire d’amende correspondant à 25 jours sans traitement, s’agissant de la première requérante et de 50 jours sans traitement, s’agissant de la seconde requérante, pour violation de devoirs prescrits par le statut des juges. En l’espèce la possibilité pour les requérantes de continuer à exercer leurs activités professionnelles n’a jamais été en péril, des peines de révocation des requérantes n’ayant jamais été envisagées par les juridictions. La peine appliquée à chacune des requérantes est la deuxième la moins sévère, étant applicable aux situations de négligence ou de manque d’intérêt pour le respect des devoirs du poste. Pour le Gouvernement, il s’ensuit que l’enjeu de l’espèce ne constituait pas un droit de caractère civil.
34. Pour ce qui est de l’applicabilité du volet pénal de l’article 6 § 1, le Gouvernement met en exergue qu’en l’espèce la peine infligée à chacune des requérantes était une peine disciplinaire classique ayant trait à la violation par des juges de devoirs portant sur leur diligence professionnelle. Il en conclut que l’article 6 § 1 de la Convention ne tient pas à s’appliquer en l’espèce.
35. Premièrement, la première requérante soutient que l’application d’une amende en l’espèce prétendument pour négligence ou pour manque d’intérêt pour le respect des devoirs du poste met en jeu la réputation et la dignité professionnelles d’un juge, ce qui représente un droit de caractère civil. Deuxièmement, elle fait valoir que l’existence d’une peine disciplinaire d’amende enregistrée peut entraver son avancement de carrière.
36. La seconde requérante estime que l’application d’une amende découlant de la prétendue violation de ses devoirs professionnels en tant que juge est une peine grave et qui met en cause sa dignité professionnelle.
37. Les requérantes concluent ainsi à l’applicabilité en l’espèce de l’article 6 § 1 de la Convention sous son volet civil.
2. L’appréciation de la Cour
a) Sur l’application du volet civil de l’article 6 § 1
38. En ce qui concerne tout d’abord l’applicabilité de l’article 6 à la procédure judiciaire en cause, la Cour rappelle que cette disposition s’applique sous son volet civil aux « contestations » relatives à des « droits » de « caractère civil » que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne, qu’ils soient ou non protégés de surcroît par la Convention. Il doit s’agir d’une contestation réelle et sérieuse, qui peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice. De plus, l’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisant pas à faire entrer en jeu l’article 6 § 1 (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 74, 15 octobre 2009, et Boulois c. Luxembourg [GC], no 37575/04, § 90, CEDH 2012).
39. En l’espèce, la procédure litigieuse portait sur la contestation par les requérantes d’une décision du CSM leur appliquant des sanctions à l’issue d’une procédure disciplinaire. En ce qui concerne tout d’abord l’existence d’un « droit », la Cour accepte que les procédures litigieuses étaient déterminantes pour les droits des requérantes dans la mesure où celles-ci auraient pu aboutir, si les juridictions internes avaient fait droit à leurs recours, à l’annulation des peines disciplinaires appliquées par le CSM.
40. Quant au caractère « civil » d’un tel droit au sens de l’article 6, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, les litiges opposant l’État à ses fonctionnaires entrent en principe dans le champ d’application de l’article 6, sauf si deux conditions cumulatives sont remplies. En premier lieu, le droit interne de l’État concerné doit avoir expressément exclu l’accès à un tribunal pour le poste ou la catégorie de salariés en question. En second lieu, cette dérogation doit reposer sur des motifs objectifs liés à l’intérêt de l’État (Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], no 63235/00, § 62, CEDH 2007-IV).
41. En l’espèce, force est de constater que la première de ces conditions ne se trouve pas remplie. Le droit interne prévoit en effet la possibilité pour les personnes ayant un intérêt à agir d’introduire un recours judiciaire devant la Cour suprême de justice pour contester la légalité de la décision du CSM de punir disciplinairement un juge (paragraphe 23 ci-dessus). Cette possibilité était applicable au cas des requérantes, qui ont effectivement introduit un tel recours en vertu de l’article 168 de la loi no 21/85 du 30 juillet 1985. La première condition du test Vilho Eskelinen n’est donc pas remplie et, partant, l’article 6 trouve à s’appliquer dans son volet civil (Olujić c. Croatie, no 22330/05, §§ 31-45, 5 février 2009, et Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, § 91, CEDH 2013).
42. Cette disposition exigeait par conséquent que les requérantes aient accès à un tribunal qui statue sur la contestation concernant leurs droits et obligations de caractère civil dans le respect des garanties de l’article 6 § 1. La Cour rappelle toutefois que la conclusion quant à l’applicabilité de l’article 6 ne préjuge en rien de la réponse à la question de savoir comment les diverses garanties attachées à cet article, notamment s’agissant de l’étendue du contrôle requis des tribunaux nationaux, doivent s’appliquer à un litige qui, comme en l’espèce, concerne des fonctionnaires (Vilho Eskelinen et autres, précité, § 64).
b) Sur l’application du volet pénal de l’article 6 § 1
43. Compte tenu de l’applicabilité du volet civil de l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour ne juge pas nécessaire d’examiner si le volet pénal de cette disposition tient à s’appliquer en l’espèce. Elle décide donc de ne pas connaître des griefs tirés dudit volet pénal.
3. Conclusion
44. La Cour constate que les griefs tirés de l’étendue du contrôle exercé par la Cour suprême de justice, et de l’indépendance et de l’impartialité des juridictions ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle les déclare donc recevables.
B. Sur le fond
1. Les thèses des requérantes
45. La première requérante dit qu’elle a voulu démontrer devant la section du contentieux de la Cour suprême de justice qu’elle avait conduit un plus grand nombre d’audiences que ne le retenait le CSM et qu’elle n’avait pas prolongé l’attente concernant les audiences à convoquer. Elle estime que la Cour suprême, sur le fondement d’un principe de non-ingérence dans les pouvoirs discrétionnaires de l’administration, a refusé le réexamen des faits établis par le CSM à cet égard. Elle affirme en outre que n’était nullement en cause en l’espèce un réexamen de décisions octroyant à l’administration une large marge d’appréciation.
46. La seconde requérante fait valoir que la circonstance que les juges de la section du contentieux de la Cour suprême de justice relèvent des pouvoirs disciplinaires du CSM est une violation de la procédure équitable au sens du § 1 de l’article 6 de la Convention. Elle estime que l’attribution de compétences à une section ad hoc de la Cour suprême de justice, pour connaître d’un recours formé par un juge attaquant une condamnation disciplinaire de caractère administratif, enfreint le principe de l’impartialité objective au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
2. La thèse du Gouvernement
47. Le Gouvernement soutient, concernant l’étendue des pouvoirs de la section du contentieux de la Cour suprême de justice, qu’il ne sied pas à la haute juridiction d’empiéter sur les pouvoirs discrétionnaires de l’administration. Comme l’a dit la Cour suprême de justice dans son arrêt du 15 décembre 2011, il est en principe défendu au tribunal, dans le domaine de l’activité du CSM, de contrôler le pouvoir discrétionnaire de cet organe disciplinaire. De surcroît, la Cour suprême de justice ne réexamine pas les preuves : elle se borne à contrôler leur suffisance pour justifier les conclusions tirées par le Conseil supérieur de la magistrature, c’est-à-dire, le caractère raisonnable du verdict sur l’établissement des faits (arrêt de la Cour suprême de justice du 21 mars 2013).
3. L’appréciation de la Cour
a) Sur la requête no 9023/13
48. Eu égard du grief soulevé par la première requérante, le droit interne prévoit en l’espèce la possibilité d’obtenir, au moyen d’un recours en annulation, le contrôle judiciaire de la légalité de la décision du CSM d’infliger une peine disciplinaire à un juge. La Cour doit donc vérifier si la procédure à laquelle la première requérante a eu accès a respecté les exigences de l’article 6 de la Convention.
49. La Cour rappelle d’emblée qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, parmi d’autres, Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, § 49, 20 octobre 2011). La Cour n’est pas une instance d’appel des juridictions nationales et il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par ces juridictions, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I). De même, il ne lui revient pas, en principe, de comparer les diverses décisions rendues, même dans des litiges de prime abord voisins ou connexes, par des tribunaux dont l’indépendance s’impose à elle (Nejdet Şahin et Perihan Şahin, précité, § 50). Dès lors, dans la présente espèce, il n’appartient pas à la Cour, dans le contexte de l’article 6, de rechercher si la décision du CSM de punir la première requérante était régulière en droit interne. La tâche de la Cour consistera à vérifier si la requérante a eu accès à un tribunal répondant aux exigences de l’article 6 et, plus particulièrement, si la Cour suprême de justice a opéré un contrôle juridictionnel d’une étendue suffisante.
50. Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 § 1, le « tribunal » visé par cette disposition doit avoir compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi (Terra Woningen B.V. c. Pays-Bas, 17 décembre 1996, § 52, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, Chevrol c. France, no 49636/99, § 77, CEDH 2003-III, et I.D. c. Bulgarie, no 43578/98, § 45, 28 avril 2005). L’article 6 exige par ailleurs que les juridictions internes indiquent de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent. Sans exiger une réponse détaillée à chaque argument du plaignant, cette obligation présuppose que la partie à une procédure judiciaire puisse s’attendre à une réponse spécifique et explicite aux moyens décisifs pour l’issue de la procédure en cause (voir, parmi d’autres, Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, §§ 29-30, série A no 303-A).
51. Dans la présente espèce, la Cour suprême de justice était compétente pour contrôler la légalité de la décision litigieuse par laquelle le CSM avait appliqué une amende à la première requérante. Dans le cadre du contrôle de légalité, elle pouvait contrôler la validité des preuves, la suffisance et la cohérence de l’établissement des faits, aussi bien que le caractère raisonnable et proportionnel de la décision punitive. La haute juridiction pouvait ainsi annuler la décision pour plusieurs motifs d’illégalité liés aux exigences de procédure ou de fond prévues par la loi et renvoyer le dossier au CSM afin qu’il se prononce de nouveau en conformité avec les directives que la Cour suprême de justice aurait pu formuler concernant les irrégularités éventuellement constatées. En droit portugais, la Cour suprême de justice n’était pas compétente pour procéder au réexamen de l’établissement des faits par le CSM. En particulier, la Cour suprême de justice ne pouvait pas non plus revoir la peine appliquée mais uniquement décider si elle était adéquate à l’infraction et si elle n’était pas disproportionnée à son égard (paragraphes 13, 17 et 25 ci-dessus).
52. La présente affaire doit donc être rapprochée des situations dans lesquelles les juridictions nationales n’avaient pas été en mesure ou avaient refusé d’examiner une question centrale du litige parce qu’elles s’estimaient liées par les constatations de fait ou de droit des autorités administratives et ne pouvaient procéder à un examen indépendant de ces questions (Terra Woningen B.V., précité, §§ 46 et 50-55, Obermeier c. Autriche, 28 juin 1990, §§ 66-70, série A no 179, Tsfayo c. Royaume-Uni, no 60860/00, § 48, 14 novembre 2006, Chevrol, précité, § 78, I.D. c. Bulgarie, précité, §§ 50-55, Capital Bank AD c. Bulgarie, no 49429/99, §§ 99-108, CEDH 2005-XII (extraits), et Fazliyski c. Bulgarie, no 40908/05, § 59, 16 avril 2013).
53. En l’espèce, la question qui se pose est celle de savoir si la Cour suprême de justice a effectué un contrôle d’une étendue suffisante sur le pouvoir disciplinaire exercé par le CSM. La première requérante conteste les faits tels qu’ils ont été établis par le CSM. Elle affirme qu’elle a eu une productivité supérieure à celle retenue par l’organe disciplinaire (paragraphe 12 ci-dessus). Il s’agissait d’un point de fait essentiel pour l’aboutissement de la procédure disciplinaire diligentée à son encontre. En conséquence de la jurisprudence uniforme de la section du contentieux de la Cour suprême de justice (paragraphe 13 ci-dessus), la première requérante n’a jamais eu la possibilité de voir la haute juridiction réexaminer ce fait décisif (Tsfayo, précité, § 48). De ce fait, la Cour note que la Cour suprême de justice s’était limitée à un simple contrôle de légalité sur le terrain de l’établissement des faits (voir, a contrario, A. Menarini Diagnostics S.r.l. c. Italie, no 43509/08, § 64, 27 septembre 2011). Il ressort de la manière dont la Cour suprême de justice est parvenue à sa décision dans l’affaire de la première requérante ainsi que de l’objet du litige qu’elle n’a pas dûment examiné un important argument avancé par l’intéressée (voir, mutatis mutandis, Oleksandr Volkov, précité, § 127).
54. Pour ce qui est du contrôle en matière de droit, la Cour note que, aux yeux de la Cour suprême de justice, les pouvoirs du CSM échappent au contrôle du tribunal lorsque l’organe disciplinaire statue sur une conduite prétendument incompatible avec le devoir de diligence d’un magistrat. Elle remarque que l’instance du recours contrôle, sur la base d’une légalité au sens large, le respect de l’article 266 § 2 de la Constitution, en vertu duquel l’administration doit exercer ses pouvoirs respectant, entre autres, le principe de la prohibition de l’excès (paragraphe 25 ci-dessus). La Cour conclut que la Cour suprême de justice a une conception restrictive de l’étendue de ses propres pouvoirs de contrôle de l’activité disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature.
55. La pratique judiciaire développée dans ce domaine est révélatrice et par ailleurs commune aux deux requérantes (paragraphes 13, 17 et 25 ci-dessus). Les considérations précédentes indiquent donc en fait que les conséquences juridiques découlant du contrôle fait par la Cour suprême de justice de ces questions sont limitées, et ne font que renforcer les doutes de la Cour quant à sa capacité de régler la question de manière effective et de procéder à un contrôle suffisant de l’affaire (voir, mutatis mutandis, Oleksandr Volkov, précité, § 126).
56. La Cour considère donc que le contrôle qu’a fait la Cour suprême de justice dans l’affaire de la première requérante n’était pas suffisant. Partant, il y a eu violation de l’article 6 de la Convention en raison d’un contrôle d’une portée insuffisante par la Cour suprême de justice.
b) Sur la requête no 78077/13
57. S’agissant du grief tiré par la seconde requérante du manque d’indépendance et d’impartialité de la Cour suprême de justice, la Cour estime qu’il doit être examiné sous l’angle plus général de l’étendue du contrôle opéré par cette juridiction sur le pouvoir disciplinaire du CSM. La Cour a déjà jugé que le contrôle effectué par la Cour suprême de justice était insuffisant dans le cas de la première requérante (paragraphes 48-56 ci-dessus). Pareille conclusion s’impose également en l’espèce. En effet, la Cour note que la pratique judiciaire consistant à considérer que les pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature échappent à l’instance judiciaire de contrôle lorsque l’organe administratif disciplinaire statue sur une conduite prétendument incompatible avec le devoir de diligence d’un magistrat est solidement ancrée dans la jurisprudence de la haute juridiction (paragraphe 25 ci-dessus). De ce fait, et en l’absence d’autres éléments pouvant l’emmener à conclure différemment, la Cour considère que le contrôle opéré par la Cour suprême de justice dans l’affaire de la seconde requérante n’était pas suffisant.
58. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison d’un contrôle d’une portée insuffisante par la Cour suprême de justice.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
59. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
60. La première requérante réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi. Elle réclame 2 618 EUR au titre du préjudice matériel subi du fait de l’amende qui lui a été infligée.
61. La seconde requérante réclame un montant non chiffré au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi. Elle réclame une somme non chiffrée au titre du préjudice matériel subi du fait de l’amende qui lui a été infligée.
62. Le Gouvernement combat ces prétentions. Pour lui, la somme demandée par la première requérante au titre du dommage moral est exagérée et, s’agissant du dommage matériel qu’auraient subi les requérantes, il fait valoir qu’il n’existe pas de lien entre l’éventuel non-respect des règles du procès équitable et la condamnation de celles-ci au versement d’une amende civile.
63. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué par les requérantes et rejette leurs demandes. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à chacune des requérantes 7 800 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
64. La première requérante demande également 255 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et un montant non chiffré pour ceux engagés devant la Cour. La seconde requérante demande 6 407 EUR au titre d’honoraires de son conseil et la somme de 3 876 EUR au titre des frais de justice devant la Cour suprême de justice et le Tribunal constitutionnel.
65. Le Gouvernement s’oppose à la demande de la seconde requérante. Pour ce qui est des frais de justice et des honoraires, il n’aperçoit aucun fondement pour la demande d’indemnisation, faisant valoir que la seconde requérante confond l’objet de la procédure interne et celui de la requête devant la Cour.
66. La Cour rappelle que, pour avoir droit à l’allocation des frais et dépens en vertu de l’article 41 de la Convention, la partie lésée doit les avoir réellement et nécessairement exposés. En particulier, l’article 60 § 2 du règlement prévoit que toute prétention présentée au titre de l’article 41 de la Convention doit être chiffrée, ventilée par rubrique et accompagnée des justificatifs nécessaires, faute de quoi la Cour peut rejeter la demande, en tout ou en partie. En outre, les frais et dépens ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie (satisfaction équitable) [GC], no 71243/01, § 50, CEDH 2014).
67. Pour ce qui est de la demande concernant les frais de la première requérante, étant donné que leur réalité n’est pas établie, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu d’en accorder le remboursement.
68. Par ailleurs, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour décide d’allouer à la seconde requérante 5 876 EUR, tous frais de procédure confondus, somme à compléter de tout montant éventuellement dû à titre d’impôt.
C. Intérêts moratoires
69. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Décide, à l’unanimité, de joindre les requêtes ;
2. Déclare, à l’unanimité, les requêtes recevables ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’insuffisance du contrôle réalisé par la section du contentieux de la Cour suprême de justice dans les procédures disciplinaires diligentées à l’encontre des requérantes ;
4. Dit, à l’unanimité,
a) que l’État défendeur doit verser aux requérantes, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 7 800 EUR (sept mille huit cents euros) à chacune des requérantes, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 5 876 EUR (cinq mille huit cent soixante-seize euros) à la seconde requérante, plus tout montant pouvant être dû par elle à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette, par six voix contre une, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 juin 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Marialena
Tsirli András Sajó
Greffière Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Kūris.
A.S.
M.T.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DU JUGE KURIS
(Traduction)
J’ai voté contre le point 5 du dispositif. Les raisons de mon désaccord avec la majorité sont, mutatis mutandis, similaires à celles que j’ai exposées dans mon opinion partiellement dissidente jointe à l’arrêt rendu dans l’affaire Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal, nos 55391/13, 57728/13 et 74041/13, 21 juin 2016.