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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> URUN v. TURKEY - 36618/06 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Second Section)) French Text [2016] ECHR 816 (04 October 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/816.html Cite as: CE:ECHR:2016:1004JUD003661806, ECLI:CE:ECHR:2016:1004JUD003661806, [2016] ECHR 816 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ÜRÜN c. TURQUIE
(Requête no 36618/06)
ARRÊT
STRASBOURG
4 octobre 2016
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ürün c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Julia Laffranque,
présidente,
Işıl Karakaş,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 septembre 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 36618/06) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet État, Mme Güler Ürün (« la requérante »), a saisi la Cour le 7 septembre 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante a été représentée par Mes D. Bayır et M. Avcı, avocates à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le 11 décembre 2009, la Cour a décidé de communiquer les griefs tirés de l’article 6 de la Convention au Gouvernement. Puis, le 14 avril 2015, elle a également décidé de communiquer le grief tiré de l’article 5 de la Convention.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. La requérante est née le 9 janvier 1986 et réside à Istanbul.
5. Le 6 octobre 1998, elle participa avec un groupe d’élèves à une manifestation pour protester contre le manque d’enseignants dans leur école.
Le procès-verbal d’incident et de saisie dressé à 17 heures décrit les événements comme suit : la police avait été alertée, vers 16 heures, de la tenue d’une manifestation et était intervenue sur les lieux ; les agents de police avaient aperçu un groupe de quinze à vingt élèves, âgés de 14 ans environ, portant des pancartes et scandant des slogans ; après avoir procédé à l’identification de six élèves, dont la requérante, les agents avaient saisi les pancartes avant de laisser les élèves repartir. Il est précisé que le procès‑verbal a été rédigé aux fins de l’enquête à mener.
6. À une date non précisée, la requérante fut entendue par le procureur de la République. Le procès-verbal de son audition ne figure pas dans le dossier.
7. Le 14 mai 1999, le procureur de la République près le tribunal pour enfants d’Istanbul, se fondant sur la loi no 2911 sur les réunions et manifestations publiques, inculpa la requérante du chef de participation à une manifestation illégale.
8. Lors de la première audience tenue devant le tribunal pour enfants, la requérante et ses amis démentirent le caractère illégal de leur action. La requérante ne donna aucune explication concernant son interpellation par la police. L’un des élèves indiqua que des filles avaient été conduites au commissariat tandis qu’une élève précisa que la police les avait simplement tous dispersés.
9. Le 1er mars 2000, le tribunal pour enfants acquitta la requérante au motif que l’élément intentionnel de l’infraction reprochée faisait défaut. Concernant le déroulement des faits, il considéra comme établi que, après la saisie de leur pancarte par la police, les élèves s’étaient dispersés sans opposer de résistance. N’ayant pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation, ce jugement devint définitif le 9 mars 2000.
10. Le 26 mai 2000, se fondant sur la loi no 466 en vigueur à l’époque des faits, la requérante saisit la cour d’assises d’Eyüp d’une action en indemnisation pour détention illégale. Elle affirma qu’elle avait été arrêtée et placée en garde à vue au commissariat avant d’être relâchée au bout de deux ou trois heures. Au cours de sa garde à vue, elle aurait été interrogée en méconnaissance de la loi, sans que ses proches eussent été informés. Elle se plaignit de l’illégalité de son arrestation et de sa garde à vue, et précisa que les faits qui lui étaient reprochés n’étaient pas constitutifs d’une infraction dès lors que, selon elle, elle avait simplement fait usage de sa liberté de manifester.
11. La cour d’assises désigna une de ses membres comme juge rapporteure pour instruire le dossier. Nonobstant la notification d’une citation à comparaître, la requérante et son avocat ne se présentèrent pas à l’audience organisée par la juge rapporteure.
12. Le 18 mai 2001, la cour d’assises rejeta la demande d’indemnisation de la requérante, estimant que l’intéressée n’avait pas été placée en garde à vue ni en détention provisoire, mais qu’elle avait été conduite au commissariat pour un contrôle d’identité puis relâchée.
13. Le 26 septembre 2002, la Cour de cassation cassa l’arrêt de première instance, suivant en cela l’avis écrit du procureur général, qui ne fut pas notifié à la requérante ou à son avocat. Elle estima que la juridiction de première instance avait omis de vérifier les allégations de la requérante quant à son placement en garde à vue.
14. Le 7 novembre 2002, la cour d’assises désigna à nouveau une de ses membres comme juge rapporteure aux fins de l’instruction du dossier. Le même jour, la juge rapporteure invita les parties à comparaître devant elle à une certaine date d’audience. Il ressort du dossier que ni la requérante ni son avocat ne comparurent devant la juge rapporteure.
15. Le 30 janvier 2003, la direction de la sûreté informa la cour d’assises que, d’après leurs recherches, la requérante avait pu repartir après un simple contrôle d’identité sur les lieux de l’incident et qu’elle n’avait pas été conduite au commissariat. Elle joignit à sa lettre le procès-verbal d’incident.
16. Le 18 avril 2003, statuant sur dossier et à la lumière du rapport préparé par la juge rapporteure, la cour d’assises rejeta la demande de la requérante au motif que la police l’avait interpellée, qu’elle avait saisi ses pancartes et qu’elle l’avait relâchée après avoir procédé à son identification sur place sans l’avoir conduite au commissariat.
17. Le 27 mai 2003, la requérante se pourvut en cassation. Elle précisa que le fait pour une personne d’être retenue par la police, en quelque lieu que ce fût, et de faire l’objet d’une identification devait être considéré comme une arrestation.
18. Le 15 décembre 2005, la Cour de cassation confirma ce jugement, suivant en cela l’avis du procureur général, qui ne fut pas notifié à la requérante ou à son avocat.
19. Le 10 mars 2006, le représentant de la requérante ne se trouvant pas à l’adresse indiquée, l’arrêt, augmenté de la mention « a déménagé », fut notifié à l’élu du quartier.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
20. L’article 1er de la loi no 466 (abrogée) sur l’octroi d’indemnités aux personnes illégalement arrêtées ou détenues, était libellé comme suit en ses parties pertinentes en l’espèce :
« Seront compensés par l’État les dommages subis par toute personne :
1. arrêtée ou placée en détention dans des conditions et circonstances non conformes à la Constitution et aux lois ;
(...)
6. qui, après avoir été arrêtée ou placée en détention conformément à la loi, aura bénéficié d’un non-lieu (...), d’un acquittement ou d’un jugement la dispensant d’une peine ; (...) »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
21. La requérante se plaint de la durée de la procédure devant les juridictions administratives ainsi que d’un manque d’équité de cette procédure. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi rédigé en ses parties pertinentes en l’espèce :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la durée de la procédure
22. La requérante se plaint d’une durée excessive de la procédure d’indemnisation.
23. Le Gouvernement combat cette thèse.
24. La Cour fait observer qu’un nouveau recours en indemnisation a été instauré en Turquie à la suite de l’application de la procédure d’arrêt pilote dans l’affaire Ümmühan Kaplan c. Turquie (no 24240/07, 20 mars 2012). Elle rappelle que, dans sa décision Turgut et autres c. Turquie (no 4860/09, 26 mars 2013), elle a déclaré irrecevable une nouvelle requête, faute pour les requérants d’avoir épuisé les voies de recours internes, en l’occurrence le nouveau recours. Pour ce faire, elle a considéré notamment que ce nouveau recours était, a priori, accessible et susceptible d’offrir des perspectives raisonnables de redressement pour les griefs relatifs à la durée de la procédure.
25. La Cour rappelle également que, dans son arrêt pilote Ümmühan Kaplan (précité, § 77), elle a précisé notamment qu’elle poursuivrait, par la voie de la procédure normale, l’examen des requêtes de ce type qui avaient été communiquées au Gouvernement avant la date d’adoption de l’arrêt pilote en question. Elle note en outre que le Gouvernement n’a pas soulevé dans le cadre de la présente affaire une exception portant sur ce nouveau recours. À la lumière de ce qui précède, la Cour décide donc de poursuivre l’examen de la présente requête.
26. Constatant par ailleurs que le grief en question n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle le déclare recevable.
27. La Cour note que la période à prendre en considération a commencé le 26 mai 2000 et qu’elle s’est terminée le 15 décembre 2005 par l’arrêt de la Cour de cassation. En conséquence, la procédure a duré environ cinq ans et sept mois pour deux degrés de juridiction.
28. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000‑VII).
29. La Cour rappelle ensuite avoir conclu à maintes reprises dans des affaires soulevant des questions semblables à celle de la présente espèce à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, entre autres, Mehmet Yolcu c. Turquie, no 33200/05, § 26-30, 15 novembre 2012, Şevket Kürüm et autres c. Turquie, no 54113/08, § 61-67, 25 novembre 2014, et Sodan c. Turquie, no 18650/05, § 66-69, 2 février 2016). En l’espèce, après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument convaincant pouvant la mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime que la durée de la procédure litigieuse est excessive et qu’elle n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ».
30. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention de ce chef.
B. Sur l’équité de la procédure
31. La requérante dénonce une violation de son droit à un procès équitable à deux égards : premièrement, elle se plaint de l’absence d’audience publique dans le cadre de la procédure relative à sa demande d’indemnisation ; deuxièmement, elle se plaint de n’avoir pas eu la possibilité de répondre à l’avis écrit que le procureur général a soumis à la Cour de cassation.
32. La Cour rappelle que, aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive.
Selon la pratique de la Cour, telle qu’en vigueur à la date d’introduction de la présente requête, le cours du délai de six mois était interrompu par la première lettre du requérant exposant – même sommairement – l’objet de la requête (voir, parmi d’autres, Griechische Kirchengemeinde München und Bayern E.V. c. Allemagne (déc.), no 52336/99, 18 septembre 2007). Pour un grief nouveau présenté pour la première fois dans le formulaire de requête, postérieurement à une première lettre envoyée à la Cour, le cours du délai de six mois n’était interrompu que par l’envoi de ce formulaire de requête (Adam et autres c. Allemagne (déc.), no 290/03, 1er septembre 2005, et Cornea c. Roumanie (déc.), no 13755/03, 15 mai 2012). La Cour rappelle également que le simple fait qu’un requérant a invoqué l’article 6 dans sa requête ne vaut pas invocation de tous les griefs ultérieurs formulés en application de cette disposition lorsqu’aucune indication n’a été donnée à l’origine quant à la base factuelle et à la nature de la violation alléguée (Allan c. Royaume‑Uni (déc.), no 48539/99, 28 août 2001, et Zervakis c. Grèce (déc.), no 64321/01, 17 octobre 2002).
33. En l’espèce, la Cour note que la requérante lui a adressé le 7 septembre 2006, par télécopie, une première lettre dans laquelle elle se plaignait d’une durée excessive de la procédure d’indemnisation, sans présenter un quelconque grief tiré de l’absence d’équité de la procédure. Ce n’est que dans le formulaire de requête envoyé le 30 décembre 2006 que l’intéressée a présenté pour la première fois ses griefs tirés du manque d’équité de la procédure, soit plus de six mois après la décision interne définitive qui a été notifiée le 10 mars 2006.
34. Il s’ensuit que ce grief est tardif et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION
35. Invoquant l’article 13 de la Convention, la requérante soutient que, malgré le caractère selon elle illégal de son arrestation, elle ne dispose pas d’un recours interne effectif lui permettant d’obtenir une indemnité et de contester cette mesure. Elle se plaint à cet égard d’une appréciation erronée, par la cour d’assises, des faits soumis à son examen, et reproche à celle‑ci d’avoir rejeté sa demande en se fondant sur la réponse de la direction de la sûreté, sans procéder à un complément d’enquête.
36. Le Gouvernement expose que la requérante n’a pas présenté d’allégation relative à l’article 5 de la Convention. À titre subsidiaire, il invite la Cour à rejeter son grief pour non-respect du délai de six mois.
37. La Cour rappelle que, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Martchenko c. Ukraine, no 4063/04, § 34, 19 février 2009, et Berhani c. Albanie, no 847/05, § 46, 27 mai 2010), elle n’est pas liée par celle que leur attribuent les parties. En vertu du principe jura novit curia, elle a par exemple étudié d’office plus d’un grief sous l’angle d’articles ou de paragraphes que les comparants n’avaient pas invoqués (Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 54, 17 septembre 2009, et Gatt c. Malte, no 28221/08, § 19, CEDH 2010). Elle rappelle en outre qu’un grief se caractérise par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (voir, par exemple, Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I).
Ainsi, en l’espèce, la Cour estime que le grief invoqué par la requérante sous l’angle de l’article 13 de la Convention relève de l’article 5 § 5 de celle‑ci, et elle décide de l’examiner sous l’angle de cette dernière disposition, qui se lit comme suit :
« 5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »
38. Quant à l’exception du Gouvernement tirée du non-respect du délai de six mois, la Cour rappelle que la décision interne définitive à considérer pour l’examen du grief tiré de l’article 5 § 5 est l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 15 décembre 2005, et notifié le 10 mars 2006. Il s’ensuit que l’examen du grief relatif à l’article 5 § 5 ne se heurte pas à la règle de six mois. La Cour rejette donc l’exception du Gouvernement sur ce point.
39. La Cour rappelle que le paragraphe 5 de l’article 5 se trouve respecté dès lors que l’on peut demander réparation du chef d’une privation de liberté opérée dans des conditions contraires aux paragraphes 1, 2, 3 ou 4 du même article. Le droit à réparation au sens de cette disposition suppose donc qu’une violation de l’un des autres paragraphes de l’article 5 de la Convention ait été établie, soit par un organe interne soit par les institutions de la Convention (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002-X).
40. En l’espèce, la Cour note que les autorités turques n’ont pas déclaré que la requérante avait été privée de sa liberté d’une manière illégale ou autrement contraire aux paragraphes 1 à 4 de l’article 5. La requérante affirme devant la Cour qu’elle a subi une privation de liberté illégale. La Cour estime donc nécessaire de se pencher sur la question de savoir si le paragraphe 1 de l’article 5 a été enfreint en l’espèce.
41. Le Gouvernement estime que la requérante n’a pas fait l’objet d’une privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention.
42. Aussi la Cour considère-t-elle que se pose d’abord la question de savoir si la requérante a effectivement subi une privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention. Pour y répondre, il faut partir de la situation concrète de l’intéressée et prendre en compte un ensemble de critères comme le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée (Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, § 92, série A no 39, et Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 91, 23 février 2012).
43. La cour d’assises, amenée à statuer sur la demande d’indemnisation, a considéré que la requérante n’avait pas subi de privation de liberté, puisqu’elle n’avait pas été conduite au commissariat et que la police l’avait laissée partir après avoir relevé son identité et saisi ses pancartes. La Cour ne voit pas de raison de remettre en question les faits tels qu’établis par cette juridiction.
44. Il n’en demeure pas moins qu’il est établi que la requérante a été retenue pendant un laps de temps par la police pour son identification. Bien que la cour d’assises ait considéré que la requérante n’avait pas subi de privation de liberté à cette occasion, la Cour rappelle sur ce point que la qualification ou l’absence de qualification donnée par un État à une situation de fait ne saurait avoir une incidence décisive sur la conclusion de la Cour quant à l’existence d’une privation de liberté (Creangă, précité, § 92).
45. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’article 5 § 1 s’applique également à une privation de liberté de courte durée (voir, entre autres, Shimovolos c. Russie, no 30194/09, 21 juin 2011). Elle considère que l’existence d’un élément de coercition dans l’exercice des pouvoirs policiers d’interpellation indique en principe une privation de liberté, nonobstant la brièveté des mesures litigieuses (Gillan et Quinton c. Royaume‑Uni, no 4158/05, § 57, CEDH 2010 (extraits)).
46. Dans la présente affaire, la Cour note que les éléments du dossier ne permettent pas d’établir avec précision le laps de temps pendant lequel la police a retenu la requérante pour procéder à son identification. Ainsi qu’il ressort du procès-verbal, la police a été invitée à intervenir à 16 heures et elle a rédigé ce procès-verbal à 17 heures ; le contrôle d’identité a duré tout au plus une heure. Pendant la période litigieuse, la requérante est restée sous le contrôle des policiers. Il est peu probable que la requérante ait été libre de quitter les lieux sans l’autorisation des policiers.
47. À la lumière de ces considérations, la Cour n’exclut pas que la requérante a subi une privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention. Toutefois, elle estime qu’il ne s’impose pas ici de trancher cette question dans la mesure où, à supposer que la requérante ait bien été privée de liberté au sens de l’article 5 de la Convention, une telle privation était « régulière » et dépourvue d’arbitraire.
48. Pour la Cour, la privation de liberté alléguée relève de l’article 5 § 1 c) de la Convention, puisque la requérante a été interpellée par la police alors qu’elle était soupçonnée de commettre une infraction, à savoir participer à une manifestation illégale. Si l’intéressée affirme que les faits qui lui étaient reprochés n’étaient pas constitutifs d’une infraction, force est de constater qu’une procédure pénale a bien été diligentée contre elle et que ce n’est qu’à l’issue de son procès qu’elle a été acquittée. Cette circonstance n’enlève en rien le caractère raisonnable des soupçons qui ont conduit les policiers à procéder à son interpellation (voir, en ce sens, Strati c. Turquie, no 16082/90, § 89, 22 septembre 2009).
49. De plus, les éléments du dossier ne révèlent aucune apparence d’arbitraire. La police a procédé sur place à l’identification de la requérante et a ensuite relaté l’incident dans un procès-verbal. La durée de cette mesure n’a pas excédé la durée nécessaire pour atteindre le but poursuivi. Enfin, l’intéressée n’a pas allégué que sa privation de liberté s’est déroulée dans des conditions inappropriées.
50. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, à supposer que la requérante ait été privée de liberté, elle l’a été conformément au but poursuivi par l’article 5 § 1 et dans des conditions compatibles avec cette disposition.
51. Il s’ensuit que, aucune violation de l’un des autres paragraphes de l’article 5 de la Convention n’ayant été établie, soit par un organe interne soit par les institutions de la Convention, le grief tiré de l’article 5 § 5 est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et il doit être rejeté, en application de l’article 35 § 4.
III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
52. Invoquant l’article 8 de la Convention, la requérante allègue n’avoir reçu aucun soutien des autorités nationales pour l’aider à se remettre de son arrestation et des poursuites pénales dont elle a fait l’objet. Enfin, elle dénonce également une violation de l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention.
53. La Cour ne peut que constater que ces griefs ne sont nullement étayés, la requérante se bornant à les formuler de manière générale. Il s’ensuit qu’ils sont manifestement mal fondés et qu’ils doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
54. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage moral
55. La requérante réclame 20 000 euros (EUR) pour préjudice moral.
56. Le Gouvernement conteste ce montant.
57. Statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 2 500 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
58. La requérante demande également 16 800 livres turques (TRY - environ 8 500 EUR) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et la Cour. À l’appui de sa demande, elle fournit un décompte horaire et un état des dépenses.
59. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
60. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.
En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens de la procédure nationale, estime raisonnable la somme de 500 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde à la requérante.
C. Intérêts moratoires
61. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée de la procédure et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention en raison de la durée excessive de la procédure d’indemnisation ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :
i. 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
ii. 500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 octobre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stanley
Naismith Julia Laffranque
Greffier Présidente