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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> GASPAR v. PORTUGAL - 3155/15 (Judgment : No violation of Right to liberty and security - Brought promptly before judge or other officer) French Text [2017] ECHR 1061 (28 November 2017)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/1061.html
Cite as: CE:ECHR:2017:1128JUD000315515, ECLI:CE:ECHR:2017:1128JUD000315515, [2017] ECHR 1061

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    QUATRIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE GASPAR c. PORTUGAL

     

    (Requête no 3155/15)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    28 novembre 2017

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Gaspar c. Portugal,

    La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :

              Ganna Yudkivska, présidente,
              Vincent A. De Gaetano,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Egidijus Kūris,
              Iulia Motoc,
              Carlo Ranzoni,
              Georges Ravarani, juges,
    et de Marialena Tsirli, greffière de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 novembre 2017,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 3155/15) dirigée contre la République portugaise et dont une ressortissante de cet État, Mme Florbela Gaspar (« la requérante »), a saisi la Cour le 22 décembre 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  La requérante a été représentée jusqu’à mai 2017 par Me F. Gil, avocat à Almada et, à partir du 17 juillet 2017, par Me José Barradas, avocat à Amora. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.

    3.  Invoquant l’article 5 de la Convention, la requérante alléguait que, à la suite de son arrestation, elle n’avait pas été aussitôt traduite devant un juge et que les décisions judiciaires prolongeant sa détention provisoire étaient entachées d’illégalité.

    4.  Le 14 janvier 2016, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  La requérante est née en 1972. Elle est actuellement incarcérée à la prison de São Domingos de Rana.

    6.  Le 26 mars 2014 à 7 h 30, des agents de la police judiciaire se présentèrent au domicile de la requérante afin de donner suite à un mandat de perquisition (mandado de busca) et à un mandat d’arrêt (mandado de detenção) émis le 25 mars 2014 par le parquet d’Almada. À 11 h 30, au terme des opérations, ils procédèrent à son arrestation et la placèrent en garde à vue (detenção).

    7.  Le même jour, à 12 heures, la requérante fut mise en examen avec sept autres personnes dans le cadre d’une affaire portant sur une association de malfaiteurs qui se livrait à la vente et à l’achat de métaux précieux, notamment de l’or.

    8.  Le 27 mars 2014, les accusés furent conduits devant le juge d’instruction criminelle[1] du tribunal d’Almada (« le juge d’instruction ») afin de subir un premier interrogatoire judiciaire (primeiro interrogatório judicial). L’audition de la requérante débuta à 22 h 25. Celle-ci fut informée des faits qui lui étaient reprochés et que, en raison de sa qualité d’accusée, elle pouvait se prévaloir de son droit de garder le silence. L’audition fut interrompue à 23 h 33 en raison de l’heure tardive. Le juge d’instruction ordonna la reprise de l’interrogatoire le lendemain et le maintien des accusés en détention sous la garde de la police judiciaire.

    9.  Le 28 mars 2014, à 19 h 08, le juge d’instruction reprit l’interrogatoire de la requérante. Cette dernière déclara à cette occasion ne pas souhaiter faire de déclarations.

    10.  À 0 h 42, le juge d’instruction suspendit de nouveau l’interrogatoire des accusés, et fixa sa reprise à 12 heures le lendemain.

    11.  L’interrogatoire reprit le 29 mars 2014 à 13 heures et prit fin à 14 h 20. Le juge d’instruction ordonna alors la remise en liberté de trois des accusés, assortie d’une mesure de présentation trimestrielle au poste de police et d’interdiction de sortie du territoire. Les cinq autres accusés, dont la requérante, furent quant à eux placés en détention provisoire. S’agissant de la requérante, le juge d’instruction indiquait dans son ordonnance qu’elle était soupçonnée de blanchiment d’argent, de corruption active, de fraude fiscale aggravée, de recel, de faux et usage de faux et d’association de malfaiteurs (associação criminosa). Il considérait par ailleurs qu’il existait (1) un danger de fuite, compte tenu des ressources particulièrement élevées qu’elle avait obtenues de son activité criminelle ; (2) un risque d’entrave à la justice si des preuves, notamment de l’argent et des pierres et métaux précieux faisant objet de l’enquête, venaient à disparaître ; (3) un risque de poursuite de l’activité criminelle, étant donné que celle-ci durait depuis longtemps et que les prévenus en avaient tiré des profits particulièrement importants, et (4) un risque de trouble à l’ordre public, eu égard au retentissement médiatique de l’affaire.

    12.  Le 14 avril 2014, la requérante attaqua la décision de placement en détention provisoire prise à son encontre devant la cour d’appel de Lisbonne. Elle demandait l’application d’une mesure préventive moins contraignante, à savoir l’assignation à résidence avec surveillance électronique.

    13.  Par un arrêt du 25 juin 2014, la cour d’appel de Lisbonne rejeta le recours de la requérante et confirma la détention provisoire de l’intéressée. Elle considéra qu’il existait bien, eu égard aux éléments de preuves qui figuraient dans le dossier d’enquête, des soupçons plausibles d’association de malfaiteurs, de blanchiment d’argent, de fraude fiscale aggravée, de corruption active, de recel et de faux et usage de faux à son encontre. Elle jugea par ailleurs que les risques de fuite, de perturbation de l’enquête et de récidive conformément aux alinéas a), b) et c) de l’article 204 du code de procédure pénale (« CPP ») étaient réels. Au demeurant, elle estima que la détention provisoire était bien adéquate et proportionnelle aux buts visés compte tenu de la gravité des infractions en cause et des risques existants vis-à-vis de l’enquête.

    14.  Cette décision fut réitérée par une ordonnance du 14 juillet 2014 qui se lisait ainsi en sa partie pertinente en l’espèce :

    « (...) Depuis (...) [le] dernier contrôle de la mesure préventive (medida de coação) appliquée à l’encontre de l’accusée, aucun changement de fait ou de droit justifiant pour l’instant la modification de la mesure ne s’est produit (...).

    Eu égard à la persistance des raisons de fait et de droit qui fondent l’application de cette mesure préventive de privation de liberté, (...), je décide de la maintenir.

    L’accusée sera adressée à l’établissement pénitentiaire. »

    15.  Le 16 juillet 2014, la requérante demanda au tribunal d’instruction son assignation à résidence compte tenu du temps écoulé depuis le début de la procédure. À l’appui de sa demande, elle soutenait que sa mère présentait les garanties personnelles nécessaires pour l’héberger.

    16.  Le 21 juillet 2014, le tribunal d’instruction indiqua que la procédure pénale revêtait une « complexité particulière » (excecional complexidade) selon l’article 215 § 4 du CPP, étant donné qu’elle portait sur des crimes de fraude fiscale aggravée, de corruption active, d’association de malfaiteurs, de recel et de blanchiment d’argent, que l’activité délictuelle avait eu lieu au Portugal mais que les ventes en cause avaient été faites à Anvers, en Belgique, que la recherche de preuves s’avérait complexe et qu’elle pouvait à juste titre se prolonger dans le temps, et que les accusés formaient un ensemble très organisé et doté d’un vaste réseau.

    17.  Par une ordonnance du 16 octobre 2014, le juge d’instruction ordonna une nouvelle fois le maintien de la requérante en détention provisoire. Les parties pertinentes en l’espèce de cette ordonnance se lisaient ainsi :

    « (...) compte tenu du fait qu’il n’y a aucun changement susceptible d’atténuer les circonstances ayant conduit au placement et au maintien [de la requérante] en détention provisoire à la suite des réexamens déjà effectués, je décide de maintenir [la requérante] en détention provisoire (...) conformément aux articles 204 alinéas a), b) et c) et 213 § 1 alinéa a) du CPP. »

    18.  Le 9 janvier 2015, le juge d’instruction rendit une ordonnance qui, dans ses parties pertinentes en l’espèce, se lisait comme suit :

    « [la] mesure de contrainte a été appliquée en tenant compte des éléments de fait et de droit qui figuraient dans l’ordonnance [de placement en détention provisoire] à laquelle nous renvoyons, et dont il est pris bonne note, notamment en ce qui concerne le danger de fuite, de poursuite de l’activité criminelle, d’entrave à la conduite de l’enquête et le risque de trouble à l’ordre et la tranquillité publics.

    Jusqu’à présent, il n’existe aucun changement atténuant les circonstances qui ont motivé le placement et le maintien des accusés en détention provisoire au regard des examens déjà effectués. Par conséquent, je décide de maintenir la [mesure de détention provisoire] ayant été appliquée à (...) l’accusée Florbela Gaspar (...) »

    19.  Le 6 mars 2015, le parquet près le tribunal d’Almada présenta ses réquisitions (acusação) à l’encontre de la requérante et des coaccusés de celle-ci.

    20.  Par une ordonnance du 13 mars 2015, le juge d’instruction prolongea la détention provisoire de la requérante. Il se prononça comme suit :

    « Aucune circonstance susceptible d’atténuer les exigences de prévention (exigências cautelares) ayant justifié les mesures de contrainte appliquées aux accusés n’a été identifiée.

    Partant, conformément aux articles 213 b) et 215 du code de procédure pénale, je décide que les accusés (...) devront attendre les prochaines étapes de la procédure en détention provisoire étant donné que les conditions de fait et de droit ayant déterminé l’application [de cette mesure] existent toujours et se trouvent renforcées eu égard à la présentation des réquisitions du parquet. »

    21.  À une date non précisée, les coaccusés contestèrent les réquisitions du parquet demandant l’ouverture de l’instruction[2].

    22.  Le 27 juillet 2015, le tribunal central d’instruction criminelle (Tribunal Central de Instrução Criminal) rendit une ordonnance de renvoi en jugement (despacho de pronúncia) à l’encontre de la requérante et des sept coaccusés de celle-ci. Dans cette ordonnance, le tribunal décidait de maintenir la requérante en détention provisoire pour les motifs exposés ci-dessous :

    « (...) À notre avis, tous les éléments de fait et de droit ayant justifié l’application aux accusés de la mesure de contrainte la plus grave (la détention provisoire) restent valides.

    En outre, il faut observer qu’aucun élément [nouveau] de fait ou de droit susceptible de remettre en cause les ordonnances successives ayant été prononcées n’a été ajouté au dossier.

    Il faut également souligner que ces ordonnances ont déjà été contrôlées à plusieurs occasions par la cour d’appel de Lisbonne qui a, dans tous les cas, confirmé les décisions rendues en première instance.

    (...) »

    Le tribunal exposa ensuite les considérations spécifiques suivantes :

    « (...)

    La requérante a reconnu qu’elle était allée à Dubaï avec l’accusé P. pour ouvrir un compte bancaire auprès de la banque R.

    Elle a reconnu que son associé à Dubaï était A. (...)

    L’accusée possède ainsi un compte en banque à Dubaï, elle a un associé dans cet émirat et une sœur en Finlande.

    Elle dispose ainsi de points d’appui importants à l’extérieur du Portugal.

    Il en résulte un très important danger de fuite (...) et un danger évident et réel pour la collecte, la conservation ou l’authenticité des preuves, eu égard à l’article 204 alinéas a) et b) du CPP.

    (...) »

    23.  Consécutivement à la décision du juge d’instruction du 27 juillet 2005, l’affaire fut renvoyée devant le tribunal d’Almada en vue du procès.

    24.  Le 15 octobre 2015, invoquant l’article 28 § 2 de la Constitution, la requérante demanda au tribunal d’Almada la substitution de la mesure de détention provisoire prise à son encontre par une mesure d’assignation à résidence. Elle déclarait accepter d’être soumise à une expertise de sa personnalité et demandait l’établissement d’un rapport des services de réinsertion sociale de la prison où elle était détenue afin de permettre d’évaluer la possibilité pour elle d’attendre l’issue de la procédure sous assignation à résidence. Elle soutenait aussi que, étant donné que le procès approchait, les risques de perturbation de l’enquête, de récidive et de perturbation de l’ordre public n’existaient plus. Pour ce qui était du danger de fuite, elle indiquait que sa sœur ne projetait pas de s’installer de façon définitive en Finlande et, s’agissant de ses liens avec les Émirats arabes unis, elle indiquait qu’elle y disposait, certes, d’un compte bancaire, mais que la somme qui y était déposée ne pourrait pas lui permettre de subvenir longtemps à ses besoins compte tenu du coût de la vie élevé dans ce pays.

    25.  Le 27 octobre 2015, le tribunal rejeta la demande de la requérante au motif que :

    « (...) les conditions d’application de la mesure de contrainte la plus grave subsistent, aucune circonstance ne permettant d’atténuer les exigences préventives, celles-ci se trouvant au contraire renforcées étant donné que les audiences sont en cours ; [la requérante] et [les autres accusés ayant été placés en détention provisoire] devront donc attendre les prochaines étapes de la procédure en détention provisoire (...) »

    26.  Le 17 novembre 2015, la requérante interjeta appel de la décision du tribunal d’Almada du 27 octobre 2015 devant la cour d’appel de Lisbonne.

    27.  Le 4 décembre 2015, la requérante présenta une demande en habeas corpus devant la Cour suprême. Elle soutenait que les diverses ordonnances décidant son maintien en détention provisoire ne s’appuyaient sur aucun fait concret et n’avaient pas de fondements juridiques. Elle alléguait que sa détention était arbitraire et illégale.

    28.  Par un arrêt du 10 décembre 2015, la Cour suprême rejeta la demande de la requérante au motif que la détention de l’intéressée avait été ordonnée en raison de l’existence de soupçons plausibles d’infractions à son égard. Elle releva en outre que les délais de procédure n’avaient pas été dépassés, que la requérante était représentée par un avocat et qu’elle avait exercé les divers recours possibles pour contester sa détention provisoire.

    29.  Le 8 janvier 2016, la requérante demanda au tribunal d’Almada de revoir la mesure de détention préventive qui avait été prise à son encontre. Elle soutenait notamment ce qui suit :

    -  que le risque de fuite n’existait plus puisque sa sœur ne résidait plus en Finlande ;

    -  qu’il n’y avait plus de risque d’entrave à la justice eu égard à l’état avancé de la procédure et aux preuves qui figuraient déjà dans le dossier.

    30.  Le 27 janvier 2016, le tribunal d’Almada prolongea la détention provisoire de la requérante. Sa décision se lisait comme suit dans ses parties pertinentes en l’espèce :

    « (...) eu égard à ce qui est prévu aux articles 202 § 1) a), 204 préface et alinéas b) et c), 212 § 3, a contrario, et 213 du code de procédure pénale, sans perdre de vue la doctrine de l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 8 juillet 2004 (...) et l’arrêt du tribunal constitutionnel no 147/2000 du 21 mars 2000, dans la mesure où il n’a été invoqué aucun élément de fait permettant d’infirmer cette conclusion, nous concluons (...) que les motifs ayant déterminé l’application de la mesure de contrainte maximale se maintiennent, aucun élément ne permettant d’atténuer les exigences de prévention. Partant, j’ordonne que (...) Florbela Maria Henriques Gaspar continu[e] à attendre le développement de la procédure en détention provisoire. »

    31.  Par un arrêt du 28 janvier 2016, la cour d’appel de Lisbonne annula l’ordonnance du 27 octobre 2015 pour absence de motivation. En l’occurrence, elle considéra que le tribunal d’Almada avait notamment omis de répondre aux arguments avancés par la requérante pour demander le remplacement de la mesure de détention provisoire par une mesure d’assignation à résidence.

    32.  Par une ordonnance du 5 février 2016, le tribunal d’Almada, en exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 28 janvier 2016, décida de prolonger la détention provisoire de la requérante. Il s’exprima notamment en ces termes :

    « (...) L’accusée affirme que sa sœur ne réside plus en Finlande, excluant ainsi le risque de fuite établi à l’article 204 alinéa a) du code de procédure pénale.

    Néanmoins, il existe, en l’espèce, un danger de fuite non seulement parce qu’un [de ses] proches réside à l’étranger, mais encore parce que l’accusée possède un compte bancaire à Dubaï, aux Émirats arabes unis, et qu’elle a des connaissances [dans ce pays et des] contacts avec des ressortissants de celui-ci. En l’occurrence, la décision de renvoi en jugement lui impute des déplacements en Belgique, à Dubaï et au Mozambique dans le cadre de son activité criminelle. Il ne faut pas non plus perdre de vue que l’accusée avait des revenus très élevés dont on ignore la situation [actuelle], même si l’on peut penser qu’ils se trouvent à Dubaï et qu’ils sont, par conséquent, accessibles à l’accusée et susceptibles de permettre la poursuite de son activité criminelle compte tenu des infractions qui lui sont reprochées.

    Eu égard au type d’infractions en cause, le danger de perturbation de l’ordre ou de la tranquillité publics découle incontestablement d’une absence de réponse immédiate et adéquate de la part de l’autorité judiciaire et du sentiment « d’impunité » qui y est associé au sein de la population, les audiences (...) ayant d’ailleurs attiré l’attention des médias et entraîné le suivi de l’affaire [par ces derniers].

    Nous devons donc conclure que les conditions de fait et de droit ayant déterminé l’application de la mesure de contrainte la plus grave subsistent.

    (...)

    Il existe ainsi toujours un danger de fuite, un danger de trouble à l’ordre et la tranquillité publics et un risque de poursuite de l’activité criminelle étant donné, notamment, l’accès de la requérante à des comptes bancaires à l’étranger qui lui permettraient d’échapper à la justice. Or ces dangers ne peuvent être complètement écartés par l’assignation à résidence, même si celle-ci est accompagnée d’une surveillance électronique, l’accès [de la requérante] aux sources de revenus et aux comptes [précités] étant possibles depuis sa résidence.

    La mesure de contrainte la plus grave est donc la seule adéquate et suffisante compte tenu des exigences préventives de l’affaire. Elle est aussi proportionnée à la gravité des infractions pour lesquelles l’accusée a été renvoyée en jugement.

    (...) »

    33.  Le 27 avril 2016, le tribunal d’Almada décida de maintenir la requérante en détention provisoire. Dans ses parties pertinentes en l’espèce, l’ordonnance se lisait comme suit :

    « (...) je corrobore les raisons factuelles et juridiques exposées par le [ministère public] et j’y souscris (...). Je conclus que les raisons qui ont déterminé l’application de la mesure de contrainte maximale se maintiennent, les exigences de prévention n’ayant pas été atténuées, ce qui ne saurait découler du fait que presque toutes les preuves ont été produites, eu égard au fait que ceci ne peut être pris en compte en l’occurrence. Par conséquent, j’ordonne que (...) Florbela Maria Henriques Gaspar continu[e] à attendre le développement de la procédure en détention provisoire. »

    34.  Par une ordonnance du 22 juillet 2016, il prolongea de nouveau la détention provisoire de la requérante et, le cas échéant, des autres coaccusés. S’agissant de la requérante, il considéra que le risque de fuite existait étant donné que l’intéressée possédait un compte bancaire, des contacts et des connaissances à Dubaï, en Belgique et au Mozambique. Il estima aussi que le trouble à l’ordre et la tranquillité publics était un risque découlant du type même des infractions en cause. Quant au risque d’entrave à la justice, il releva qu’un témoin avait porté plainte contre l’accusé P. pour menaces et contrainte exercée à son égard.

    35.  Par un jugement du 20 septembre 2016, le tribunal d’Almada condamna la requérante pour blanchiment d’argent aggravé, fraude fiscale aggravée, corruption active et faux et usage de faux à une peine unique, selon le principe du cumul juridique, de sept ans et six mois d’emprisonnement. Il ordonna le maintien de la requérante en détention provisoire en attendant les prochains développements de la procédure.

    36.  À une date non précisée dans le dossier, la requérante fit appel du jugement susmentionné devant la cour d’appel de Lisbonne. Ce recours était toujours pendant le 24 mai 2017, date des dernières informations fournies par la requérante.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    A.  La Constitution

    37.  L’article 28 de la Constitution dans ses parties pertinentes se lit comme suit :

    « 1. La garde à vue (detenção) est contrôlée par l’autorité judiciaire, dans un délai maximal de quarante-huit heures, pour procéder à la mise en liberté ou pour appliquer les mesures de sûreté jugées appropriées. Le juge est informé des raisons qui ont déterminé la garde à vue, il les communique à la personne appréhendée, l’interroge et lui donne la possibilité de se défendre.

    2.  La détention provisoire est de nature exceptionnelle : elle ne peut être prononcée ni maintenue dès lors que l’application d’une caution ou d’une autre mesure plus favorable prévue par la loi est possible.

    (...) »

    B.  Le code de procédure pénale

    38.  Les dispositions pertinentes en l’espèce du CPP se lisent ainsi :

    Article 141
    Premier interrogatoire d’un accusé mis en garde à vue (detido)

    « 1. S’il ne doit pas être immédiatement jugé, l’accusé ayant été mis en garde à vue devra être interrogé par le juge d’instruction dans les quarante-huit heures suivant son arrestation (...) »

    Article 202
    Détention provisoire (prisão preventiva)

    « 1.  Si le juge trouve inadéquates ou insuffisantes dans le cadre d’une affaire les mesures [de contrainte] mentionnées dans les dispositions précédentes, il peut imposer à l’accusé (arguido) la détention provisoire lorsque :

     a)  il existe des indices solides de commission d’un crime avec dol puni d’une peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans ;

    (...) »

    Article 204
    Conditions générales [d’application de la détention provisoire]

    « Aucune mesure de contrainte (medida de coacção) (...) ne peut être appliquée si les conditions suivantes ne sont pas effectivement vérifiées :

    a)  fuite ou un risque de fuite ;

    b)  risque de perturbation de l’enquête ou de l’instruction de la procédure et, notamment, risque pour la collecte, la conservation et l’authenticité des preuves ; ou

    c)  risque, en raison de la nature et des circonstances du crime ou de la personnalité de l’accusé, de poursuite de l’activité criminelle ou de trouble de l’ordre et de la tranquillité publics. »

    Article 212
    Annulation et substitution des mesures [de contrainte]

    « 1.  Les mesures de contrainte sont immédiatement levées par ordonnance du juge lorsque :

    a)  elles ont été appliquées en dehors des cas ou des conditions prévus par la loi ; ou

    b)  les circonstances justifiant leur adoption ont cessé d’exister »

    (...)

    3.  Lorsque les exigences préventives (exigências cautelares) qui ont justifié l’adoption d’une mesure de contrainte se sont atténuées, le juge remplace celle-ci par une mesure moins grave ou détermine une forme d’exécution moins contraignante de [la mesure de contrainte en cause].

    4.  L’annulation ou la substitution prévues dans le présent article ont lieu d’office ou à la demande du ministère public ou de l’accusé, ces derniers devant [à cette occasion] être entendus (...).

    (...). »

    Article 213
    Réexamen des conditions de la prison provisoire et de l’assignation à résidence

    « 1.  Le juge procède d’office au réexamen des conditions d’application de la détention provisoire et de l’assignation à résidence, décidant de leur maintien, de leur substitution ou de leur levée :

    a)  dans un délai maximal de trois mois, à compter de la date de son application ou du dernier réexamen. »

    (...) »

    Article 215
    Durée maximale de la détention provisoire

    « 1.  La détention provisoire prend fin lorsque se sont écoulés depuis le début de son application :

    a)  quatre mois sans qu’il n’y ait eu accusation ;

    b)  huit mois sans que, en cas d’instruction, il n’y ait eu de décision d’instruction ;

    c)  un an et deux mois sans qu’il n’y ait eu de condamnation en première instance ;

    d)  un an et six mois sans qu’il n’y ait eu condamnation finale.

    2.  Les délais indiqués au paragraphe 1 sont augmentés respectivement de six mois, dix mois, un an et six mois et deux ans en cas de terrorisme, de criminalité violente ou hautement organisée ou lorsque le crime est puni d’une peine maximale supérieure à huit ans (...).

    3.  Les délais indiqués au paragraphe 1 sont augmentés respectivement de un an, un an et quatre mois, deux ans et six mois et trois ans et quatre mois lorsque la procédure concerne l’un des crimes mentionnés au paragraphe 2 et si elle se révèle d’une complexité exceptionnelle en raison, notamment, du nombre d’accusés ou de victimes ou du caractère hautement organisé du crime.

    4.  La complexité exceptionnelle à laquelle se réfère le présent article peut uniquement être déclarée au cours de la première instance, par ordonnance motivée, d’office ou à la demande du ministère public.

    (...). »

    C.  La pratique interne

    39.  Dans ses arrêts nos 565/2003 et 135/2005, le Tribunal constitutionnel a rappelé que l’objectif de l’article 28 § 1 de la Constitution était de limiter la période de privation de liberté par voie administrative, notamment policière ; par conséquent, il a considéré que le délai de quarante-huit heures posé par cette disposition se rapportait à la période maximale de garde à vue, période au cours de laquelle la personne détenue devait être présentée devant un juge. Dans ces arrêts, le Tribunal constitutionnel a également estimé que ni la Constitution ni la loi ne spécifiaient de délai pour que le juge d’instruction prononce son ordonnance concernant la mesure de contrainte à appliquer. D’après la haute juridiction, celle-ci devait toutefois être rendue dans le délai le plus bref possible eu égard aux garanties constitutionnelles de l’accusé au cours de la procédure pénale.

    40.  Dans un arrêt du 14 janvier 2009 (procédure interne no 3849/08), la Cour suprême a également considéré qu’il fallait interpréter l’article 28 § 1 de la Constitution et, par voie de conséquence, l’article 141 § 1 du CPP, comme imposant la comparution d’une personne détenue devant un juge dans un délai maximal de quarante-huit heures. Elle a jugé que ce délai ne pouvait être dépassé que dans des circonstances exceptionnelles et que, par ailleurs, la décision du juge d’instruction devait être prononcée dans le délai le plus bref possible.

    EN DROIT

    SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

    41.  Invoquant l’article 5 de la Convention, la requérante soutient que son droit à être traduite devant un juge dans un délai de quarante-huit heures à compter de son arrestation a été violé. Elle dénonce également la durée de sa détention provisoire et se plaint qu’une mesure moins contraignante n’ait jamais été envisagée à son égard.

    42.  La Cour estime qu’il y a lieu d’examiner les griefs de la requérante uniquement sous l’angle de l’article 5 § 3 de la Convention, qui se lit ainsi :

    « 3.  Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

    A.  Sur la recevabilité

    43.  Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

    B.  Sur le fond

    1.  Sur le droit d’être aussitôt traduit devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires

    a)  Thèses des parties

    44.  La requérante se plaint de ne pas avoir été présentée devant un magistrat aussitôt après son arrestation. Elle soutient avoir été arrêtée le 26 mars 2014 à 7 h 30 du matin, heure à laquelle les agents de police ont pénétré dans son appartement. Elle allègue avoir été traduite devant le juge d’instruction le lendemain, uniquement aux fins de son identification et de la communication des droits procéduraux inhérents à sa mise en examen. Elle estime que le fait que la validation de sa détention n’a eu lieu que le 29 mars 2014, soit quarante-huit heures après son arrestation, va à l’encontre du délai établi par l’article 28 § 1 de la Constitution et l’article 141 § 1 du CPP, et emporte violation de l’article 5 de la Convention.

    45.  Le Gouvernement indique que l’arrestation de la requérante a eu lieu le 26 mars 2014 à 11 h 30. Il présente le mandat d’arrêt qui spécifiant l’heure l’arrestation comme preuve à l’appui de son allégation. Il déclare que la requérante a été traduite devant le juge d’instruction du tribunal d’Almada le 27 mars 2014 dans le cadre de l’interrogatoire de première comparution, reconnaissant que l’ordonnance validant la garde à vue de la requérante et déterminant la détention provisoire de celle-ci a été prononcée plus de quarante-huit heures après son arrestation. Se référant à un arrêt de la Cour suprême du 14 janvier 2009, il estime néanmoins que cette situation est conforme au droit interne et n’enfreint pas l’article 5 § 3 de la Convention.

    b)  Appréciation de la Cour

    i.  Principes généraux

    46.  L’article 5 § 3 de la Convention vise à assurer que la personne arrêtée soit aussitôt « physiquement conduite » devant une autorité judiciaire, ce « contrôle judiciaire rapide et automatique » assurant aussi une protection contre les comportements arbitraires, les détentions au secret et les mauvais traitements. Il vise structurellement deux aspects distincts : les premières heures après une arrestation, moment où une personne se retrouve aux mains des autorités, et la période avant le procès éventuel devant une juridiction pénale, pendant laquelle le suspect peut être détenu ou libéré, avec ou sans condition. Pour ce qui est du premier volet, la jurisprudence de la Cour établit qu’il faut protéger par un contrôle juridictionnel la personne arrêtée ou détenue parce que soupçonnée d’avoir commis une infraction. Un tel contrôle doit fournir des garanties effectives contre le risque de mauvais traitements, qui est à son maximum durant cette phase initiale de détention, et contre un abus par des agents de la force publique ou une autre autorité, des pouvoirs qui leur sont conférés et qui doivent s’exercer à des fins étroitement limitées et en stricte conformité avec les procédures prescrites (voir, notamment, Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, §§ 118-120, CEDH 2010).

    47.  Le contrôle juridictionnel doit tout d’abord répondre à une exigence de « promptitude », car il a pour but de permettre de détecter tout mauvais traitement et de réduire au minimum toute atteinte injustifiée à la liberté individuelle. Sauf « circonstances exceptionnelles », il doit intervenir dans un délai maximum de quatre jours après l’arrestation. Par ailleurs, un délai inférieur à quatre jours peut se révéler incompatible avec l’exigence de promptitude que pose l’article 5 § 3 si aucune difficulté particulière ou circonstance exceptionnelle n’empêchaient les autorités de traduire plus tôt la personne arrêtée devant le juge ou lorsque des circonstances spécifiques justifiaient une présentation plus rapide devant un magistrat (Kiril Zlatkov Nikolov c. France, nos 70474/11 et 68038/12, § 39, 10 novembre 2016 et les références qui y sont citées).

    48.  Ensuite, le contrôle ne peut être rendu tributaire d’une demande formée par la personne détenue : il doit être automatique (voir, notamment, Medvedyev et autres, précité, § 122).

    49.  Enfin, le contrôle doit être confié à un magistrat présentant les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public, et ce magistrat doit avoir le pouvoir d’ordonner l’élargissement, après avoir entendu la personne et contrôlé la légalité et la justification de l’arrestation et de la détention. Il doit « entendre personnellement l’individu traduit devant lui » ; il doit examiner les circonstances qui militent pour ou contre la détention, se prononcer selon des critères juridiques sur l’existence de raisons la justifiant et, en leur absence, ordonner l’élargissement. Autrement dit, il faut que « le magistrat se penche sur le bien-fondé de la détention ». Le contrôle automatique initial portant sur l’arrestation et la détention doit donc permettre d’examiner les questions de régularité et celle de savoir s’il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne arrêtée a commis une infraction, c’est-à-dire si la détention se trouve englobée par les exceptions autorisées énumérées à l’article 5 § 1 c) de la Convention ; s’il n’en est pas ainsi, ou si la détention est illégale, le magistrat doit avoir le pouvoir d’ordonner la libération. Destiné à établir si la privation de liberté de l’individu est justifiée, le contrôle requis par l’article 5 § 3 de la Convention doit être suffisamment ample pour couvrir les diverses circonstances militant pour ou contre la détention (Kiril Zlatkov Nikolov, précité, § 41, voir aussi Medvedyev et autres, précité, §§ 123-126 et les références qui y sont citées).

    ii.  Application de ces principes à la présente espèce

    50.  En l’espèce, la Cour relève que le 26 mars 2014 à 11 h 30, au terme d’une perquisition effectuée à son domicile, la requérante a été arrêtée et placée en garde à vue en exécution d’un mandat d’arrêt émis la veille (paragraphe 6 ci-dessus). Elle note que cette dernière a comparu devant le juge d’instruction criminelle du tribunal d’Almada le 27 mars 2014 à 22 h 25, soit environ trente-quatre heures après son arrestation (paragraphe 8 ci-dessus) et que son placement en détention provisoire a été ordonné le 29 mars 2014 à 14 h 20, soit environ trois jours et trois heures après son arrestation (paragraphe 11 ci-dessus). Or, selon la requérante, le juge d’instruction aurait dû valider sa détention dans le délai de quarante-huit heures fixé par l’article 28 § 1 de la Constitution et par l’article 141 § 1 du CPP.

    51.  La Cour constate que les dispositions susmentionnées prévoient effectivement que la garde à vue ne peut dépasser quarante-huit heures (paragraphes 37 et 38 ci-dessus). Cela dit, conformément à la pratique interne, il apparaît que ce délai maximum se rapporte au moment de la comparution de l’accusé devant le juge et non pas au moment où celui-ci rend sa décision ordonnant le placement en détention provisoire ou la libération (paragraphes 39 et 40 ci-dessus), comme le déclare le Gouvernement. Accueillant l’argument de ce dernier sur ce point, la Cour conclut que la garde à vue de la requérante était régulière au regard du droit interne.

    52.  Par ailleurs, elle observe que le juge d’instruction s’est prononcé sur le bien-fondé de la détention de la requérante dans un délai inférieur au délai maximum de quatre jours qui ressort de la jurisprudence de la Cour (paragraphe 47 ci-dessus). En outre, l’affaire présentait une certaine complexité notamment compte tenu du nombre de personnes mises en examen qu’il fallait entendre, ce qui peut justifier que la validation de la détention de la requérante n’ait pu avoir lieu plus tôt (paragraphe 47 in fine, ci-dessus). Pour finir, la Cour ne décèle aucune circonstance spécifique qui justifiait une présentation plus rapide devant un magistrat (voir, a contrario, Kandjov c. Bulgarie, no 68294/01, §§ 66 et 67, 6 novembre 2008, İpek et autres c. Turquie, nos 17019/02 et 30070/02, §§ 36 et 37, 3 février 2009, et Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10, § 159, CEDH 2013 (extraits)).

    53.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que, en l’espèce, la requérante a été traduite aussitôt après son arrestation devant un juge, comme l’exige l’article 5 § 3 de la Convention. Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition sur ce point.

    2.  Sur la durée de la détention provisoire

    a)  Thèses des parties

    54.  La requérante se plaint de la durée de sa détention provisoire. Elle dénonce l’absence de motifs pertinents et suffisants à même de justifier sa détention provisoire ainsi que le recours à des expressions succinctes et stéréotypées dans les ordonnances portant sur son maintien en détention provisoire, y compris après l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 28 janvier 2016 qui avait fait droit à son recours du 17 novembre 2015. En outre, elle estime que les juridictions internes n’ont pas démontré en quoi il était impossible d’appliquer une mesure d’assignation à résidence à son égard. Elle se plaint au demeurant de l’inversion de la charge de la preuve quant aux circonstances justifiant la reconduite de la mesure de détention provisoire la concernant, estimant qu’il appartenait aux juridictions internes de prouver la nécessité de reconduire la détention provisoire, et non à elle de prouver le contraire.

    55.  Le Gouvernement soutient d’emblée qu’il existait des soupçons plausibles de blanchiment d’argent, de corruption active, de fraude fiscale aggravée, de recel, de faux et usage de faux et d’association de malfaiteurs à l’encontre de la requérante. D’après lui, même si la motivation de certaines des décisions ordonnant le maintien de la requérante en détention provisoire peut paraître générale et stéréotypée, les juridictions n’ont pas omis de mesurer les circonstances concrètes justifiant le maintien de la requérante en détention provisoire. Le Gouvernement se réfère notamment à l’ordonnance du tribunal central d’instruction criminelle du 27 juillet 2015 qui relevait l’existence d’un compte en banque de la requérante à Dubaï et de contacts de l’intéressée à l’étranger et indiquait que ces éléments laissaient envisager un sérieux risque de fuite et de perturbation de l’enquête.

    56.  Le Gouvernement est également d’avis que la détention provisoire était la mesure la plus adéquate eu égard aux circonstances de l’espèce. D’après lui, les autres mesures de contraintes n’étaient pas à même de répondre aux risques de fuite, d’entrave à la justice et de récidive qui avaient été identifiés.

    b)  Appréciation de la Cour

    i.  Rappel des principes

    57.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention. Toutefois, au bout d’un certain temps, elle ne suffit plus. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle recherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 140, 22 mai 2012, et les affaires qui y sont citées).

    58.  Les justifications que la Cour a jugées « pertinentes » et « suffisantes » (en plus de l’existence d’une raison plausible de soupçonner une personne d’avoir commis une infraction) dans sa jurisprudence incluent le risque de fuite, le risque de pression sur les témoins ou d’altération de preuves, le risque de collusion, le risque de récidive, le risque de trouble à l’ordre public, ou encore la nécessité de protéger la personne faisant l’objet de la mesure privative de liberté (Buzadji c. République de Moldova [GC], no 23755/07, § 88, CEDH 2016 (extraits), et les références qui y sont citées ; en particulier, s’agissant du risque de récidive, voir, par exemple, Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 66, 28 octobre 2010, Taranenko c. Russie, n19554/05, § 54, 15 mai 2014, et Šoš c. Croatie, no 26211/13, § 95, 1er décembre 2015, et, pour ce qui est du risque de pression sur les témoins, voir, par exemple, Rossi c. France, no 60468/08, § 81, 18 octobre 2012).

    59.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une détention ne se prête pas à une évaluation abstraite (Patsouria c. Géorgie, no 30779/04, § 62, 6 novembre 2007). Tout maintien en détention provisoire d’un accusé, même pour une courte durée, doit être justifié de manière convaincante par les autorités (voir, parmi d’autres, Chichkov c. Bulgarie, no 38822/97, § 66, CEDH 2003-I, et Qing c. Portugal, no 69861/11, § 58, 5 novembre 2015). Il doit s’apprécier dans chaque cas d’après les particularités de la cause et sur la base des motifs figurant dans les décisions nationales ainsi que des faits non controuvés indiqués par l’intéressé dans ses moyens (Chraidi c. Allemagne, no 65655/01, § 35, CEDH 2006-XII). La poursuite de la détention ne se justifie donc dans une espèce donnée que si des indices concrets révèlent une véritable exigence d’intérêt public prévalant, nonobstant la présomption d’innocence, sur la règle du respect de la liberté individuelle fixée à l’article 5 de la Convention (Buzadji, précité, § 90).

    60.  La Cour rappelle par ailleurs que l’article 5 § 3 de la Convention demande aux juridictions nationales, lorsqu’elles sont confrontées à la nécessité de prolonger une mesure de détention provisoire, de prendre en considération les mesures alternatives prévues par la législation nationale (Jabłoński c. Pologne, no 33492/96, § 83, 21 décembre 2000, et Koutalidis c. Grèce, no 18785/13, §§ 40-41, 27 novembre 2014).

    ii.  Application à la présente espèce

    61.  La Cour rappelle que, pour déterminer la durée d’une détention provisoire sur le terrain de l’article 5 § 3 de la Convention, la période à prendre en considération commence le jour où l’accusé est incarcéré et prend fin le jour où le chef d’accusation est fixé, fût-ce en première instance (voir, parmi d’autres, Loisel c. France, no 50104/11, § 36, 30 juillet 2015). En l’espèce, la période à considérer a donc débuté le 29 mars 2014, date de placement en détention de la requérante (paragraphe 11 ci-dessus), pour s’achever le 20 septembre 2016, date du jugement de condamnation en première instance (paragraphe 35 ci-dessus). L’incarcération litigieuse s’étend donc sur deux ans, cinq mois et vingt-quatre jours.

    62.  La Cour relève que, pour justifier le placement en détention provisoire de la requérante, outre les soupçons d’infractions graves qui pesaient contre elle, le juge d’instruction a considéré qu’il existait (1) un danger de fuite compte tenu des ressources élevées dont l’intéressée disposait, (2) un risque d’entrave à la justice sous forme notamment de manipulation ou d’effacement des preuves, (3) un risque de récidive et (4) un risque de trouble à l’ordre public eu égard au retentissement médiatique de l’affaire (paragraphe 11 ci-dessus).

    63.  Force est de constater que la question du maintien de la détention provisoire a été examinée à plusieurs reprises et que les motifs de refus d’élargissement de la requérante ont gardé leur caractère pertinent et suffisant tout au long de la détention de l’intéressée.

    64.  En particulier, pour autant que cette dernière reproche aux autorités d’avoir utilisé des « arguments stéréotypés », la Cour note que certains motifs sont en effet repris de décisions fournies notamment entre le 14 juillet 2014 et le 27 juillet 2015 et entre le 27 octobre 2015 et le 5 février 2016 (paragraphes 14-21 et 25-32 ci-dessus). Toutefois, elle estime qu’il faut tenir compte du fait que la détention provisoire de la requérante faisait l’objet d’un contrôle trimestriel et qu’elle-même avait exercé divers recours possibles pour contester la mesure litigieuse. Certes, il ne saurait être reproché à la requérante d’user de son droit d’introduire des demandes de mise en liberté, mais elle devait s’attendre à ce que les motifs n’aient pas fondamentalement changé d’une décision à une autre (Loisel, précité, § 46).

    65.  Par ailleurs, la Cour ne perd pas de vue que les ordonnances prononçant le maintien en détention de la requérante ont été prises à intervalles réguliers, de sorte que le raisonnement initialement retenu n’avait pas pu perdre de sa pertinence entre chaque décision. Il est en effet raisonnable de considérer que, eu égard au laps de temps relativement restreint entre lesdites décisions, les autorités ont utilisé des raisonnements proches en se fondant sur les mêmes motifs, ce qui démontre également une cohérence logique dans les raisons invoquées pour justifier le maintien de la requérante en détention (voir, parmi autres, Kocsan et Morar c. Roumanie (déc.), nos 28569/10 et 30977/10, § 28, 6 octobre 2015, et Georgiou c. Grèce (déc.), no 8710/08, 22 mars 2011).

    66.  La Cour considère enfin que la nature même du crime du chef duquel la requérante était accusée, à savoir la participation à une bande criminelle organisée, combinée avec l’entretien de liens à l’étranger, augmentait, comme les instances judiciaires compétentes l’ont souligné, le risque de récidive en cas d’élargissement. Il était donc raisonnable qu’elles rejettent, notamment sur cette base, tant les demandes d’élargissement que celles de remplacement de la mesure litigieuse par des mesures plus souples spécifiées dans les moyens avancés par l’intéressée.

    67.  La Cour en conclut que, en l’espèce, des raisons objectives ont pu justifier le maintien prolongé de la requérante en détention provisoire.

    68.  Elle note encore qu’il ne ressort pas du dossier que les autorités compétentes n’ont pas agi avec la diligence requise dans cette affaire, qui portait sur de sérieuses accusations de blanchissement d’argent et de fraude fiscale aggravée portées contre la requérante et ses sept coaccusés, et qui ne se limitait pas seulement au territoire portugais mais s’étendait au plan international. Elle rappelle à cet égard que la célérité particulière à laquelle un accusé détenu a droit dans l’examen de son cas ne doit pas nuire aux efforts des magistrats pour accomplir leur tâche avec le soin voulu (Rossi c. France, no 60468/08, § 84, 18 octobre 2012).

    69.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la détention provisoire de la requérante n’a pas contrevenu aux exigences de l’article 5 § 3 de la Convention.

    70.  Partant, elle conclut à l’absence de violation de cette disposition.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention en ce qui concerne le droit de la requérante d’être traduite aussitôt après son arrestation devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention en raison de la durée de la détention provisoire.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 novembre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

      Marialena Tsirli                                                                    Ganna Yudkivska
           Greffière                                                                               Présidente



    [1].  En droit portugais, il appartient au ministère public de diriger l’enquête, le juge d’instruction n’intervenant que pour autoriser certains actes de procédure ou pour contrôler leur régularité conformément aux articles 268 et 269 du code de procédure pénale ; le juge d’instruction intervient donc comme garant des libertés dans le cadre d’une enquête pénale, à l’instar du juge des libertés et de la détention en France (voir, à cet égard, Sérvulo & Associados - Sociedade de Advogados, RL et autres c. Portugal, no 27013/10, § 109, 3 septembre 2015).

    [2].  Conformément à l’article 286 § 1 du CPP, l’instruction vise le contrôle judiciaire de la décision d’inculper (acusar) ou de classer une enquête sans suite (arquivar) dans le but de renvoyer ou non la cause en jugement. L’instruction est facultative.


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