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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ATANASOV v. BULGARIA - 6046/08 (Judgment : No violation of Protection of property - Peaceful enjoyment) French Text [2017] ECHR 1113 (07 December 2017) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/1113.html Cite as: [2017] ECHR 1113, ECLI:CE:ECHR:2017:1207JUD000604608, CE:ECHR:2017:1207JUD000604608 |
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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE ATANASOV c. BULGARIE
(Requête no 6046/08)
ARRÊT
STRASBOURG
7 décembre 2017
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Atanasov c. Bulgarie,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en un comité composé de :
André Potocki, président,
Mārtiņš Mits,
Lәtif Hüseynov, juges,
et de Anne-Marie Dougin, greffière adjointe de section f.f.,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 novembre 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 6046/08) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet État, M. Valentin Angelov Atanasov (« le requérant »), a saisi la Cour le 22 janvier 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me N. Viodorova, avocate à Sofia. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme V. Hristova, du ministère de la Justice.
3. Le requérant alléguait que les sanctions administratives qu’il s’était vu imposer en application de la législation douanière avaient constitué une atteinte injustifiée à son droit au respect de ses biens consacré par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Invoquant l’article 13 de la Convention, il se plaignait également de l’absence de voies de recours internes effectives pour remédier à cette situation.
4. Le 15 septembre 2016, ces deux griefs ont été communiqués au Gouvernement et la Requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1960 et réside à Noevtsi. Il exerce le métier de chauffeur routier.
6. En octobre 2005, il transporta un chargement de véhicules, dont une voiture d’occasion de la marque Alfa Romeo achetée en Italie et destinée à une entreprise basée à Sofia.
7. Le 6 octobre 2005, il arriva à la douane de Kulata, à la frontière gréco-bulgare. Il remplit et signa une déclaration douanière. La voiture susmentionnée fut admise sur le territoire douanier bulgare et placée sous le régime du transit. Le véhicule devait être présenté à la douane de Sofia pour dédouanement avant le 10 octobre 2005.
8. Le requérant livra la voiture à l’entreprise destinataire à Sofia.
9. Le 19 mai 2006, un agent de la douane de Kulata dressa un constat d’infraction douanière à l’encontre du requérant. Il y indiquait que le requérant n’avait toujours pas présenté le véhicule en question à la douane de Sofia.
10. Le 10 juin 2006, le requérant reçut une copie du constat d’infraction administrative par l’intermédiaire de la police. Le même jour, il soumit des explications écrites par lesquelles il informait les organes compétents qu’il avait livré la voiture au destinataire.
11. Le 19 juin 2006, le directeur de la douane de Kulata imposa au requérant deux sanctions administratives cumulatives pour ne pas avoir respecté ses obligations découlant des articles 45 et 47 de la loi des douanes. D’une part, en vertu de l’article 233, alinéa 3, de la loi des douanes, il ordonna la confiscation de la somme de 10 413 levs bulgares (BGN) au requérant, soit l’équivalent de 5 324,08 euros (EUR), qui était égale à la valeur douanière de la voiture en question, et, d’autre part, il imposa au requérant une amende administrative égale à cette même valeur en vertu de l’article 234a, alinéa 1, de la loi des douanes.
12. Le 12 juillet 2006, un représentant de l’entreprise destinataire du véhicule se présenta à la douane de Sofia et déclara la réexportation de la voiture. En conséquence, aucun droit douanier ne fut perçu pour l’importation du véhicule.
13. Le 2 août 2006, le requérant reçut une copie de la décision du directeur de la douane du 19 juin 2006.
14. Le 3 août 2006, il contesta les sanctions qui lui avaient été imposées devant le tribunal de district de Petrich. Il se plaignait d’avoir été sanctionné pour un manquement de l’entreprise destinataire de la marchandise. Il indiquait que, de surcroît, la voiture ayant été réexportée et l’opération ayant été exonérée de droits de douane, aucun préjudice n’avait été causé au Trésor public.
15. Par un jugement du 7 mars 2007, le tribunal de district, estimant que toutes les conditions procédurales et matérielles de légalité des mesures contestées avaient été remplies, rejeta le recours de l’intéressé. Il établit que, en tant que transporteur de la marchandise placée sous le régime du transit, le requérant devait présenter le véhicule à la douane de Sofia avant le 10 octobre 2005, ce qu’il avait omis de faire. Selon le tribunal de district, le fait que cette obligation avait été remplie après l’expiration du délai imparti par le destinataire de la marchandise et le fait que la voiture avait été réexportée n’avaient aucune pertinence dans le cas d’espèce. Le tribunal de district estima qu’il n’y avait pas lieu de réduire les sanctions imposées puisqu’elles étaient les sanctions minimales prévues par la législation interne.
16. Le requérant interjeta appel. Il réitéra ses arguments exposés devant le tribunal de première instance.
17. Par un arrêt du 23 juillet 2007, le tribunal administratif de Blagoevgrad, statuant en dernière instance, confirma le jugement du tribunal de district. Il constata que le requérant avait signé en son nom propre la déclaration d’importation du véhicule en question, ce qui l’obligeait à effectuer les démarches nécessaires subséquentes pour le dédouanement de la marchandise. Il releva que, le véhicule ayant été admis sur le territoire bulgare sous le régime du transit, celui-ci se trouvait sous contrôle douanier. Il indiqua que le requérant avait omis de présenter le véhicule à la douane de Sofia dans le délai requis et conclut que l’intéressé avait ainsi enfreint les dispositions des articles 45 et 47 de la loi des douanes.
18. Le tribunal administratif rejeta comme non étayé l’argument du requérant selon lequel, ayant remis le véhicule à l’entreprise destinataire, il ne devait pas être sanctionné. Il releva en particulier que le requérant n’avait présenté aucune preuve pour démontrer que le destinataire avait réceptionné le véhicule tout en sachant que celui-ci avait été admis sur le territoire du pays sous le régime du transit. Selon le tribunal administratif, la réexportation du véhicule ayant été effectuée après l’expiration du délai pour la clôture du régime de transit et après l’imposition des sanctions administratives en cause, ce fait n’était pas pertinent pour l’issue du litige en cause.
19. Le tribunal administratif estima que les sanctions imposées avaient été établies conformément à la loi en vigueur et étaient égales aux minima prévus par celle-ci. Il conclut également que toutes les exigences légales de forme et de procédure avaient été respectées en l’espèce.
20. Il ressort des documents présentés par le requérant que celui-ci continue à effectuer des virements mensuels réguliers au Trésor public au titre des sanctions précitées. Entre septembre 2010 et mars 2017, ces mensualités étaient comprises entre 20 et 50 BGN (soit entre 10,22 et 25,56 EUR).
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
21. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi des douanes, telles qu’en vigueur à l’époque des faits, sont libellées ainsi :
Article 45
« (1) Les marchandises admises sur le territoire douanier du pays doivent être immédiatement transportées par la personne qui les a importées, conformément aux instructions des organes douaniers, jusqu’au service douanier compétent ou jusqu’à la destination déterminée par ceux-ci. Si besoin est, les organes douaniers déterminent le trajet du transport des marchandises.
(2) La personne qui s’est engagée à transporter les marchandises après leur admission sur le territoire douanier du pays est responsable de l’accomplissement des obligations énumérées à l’alinéa 1. »
Article 47
« Les marchandises qui ont été transportées conformément à l’article 45, alinéa 1, doivent être présentées aux organes douaniers par la personne qui les a importées sur le territoire douanier de la République de Bulgarie ou par la personne qui s’est chargée de les transporter après leur admission. »
Article 102
« (1) La personne responsable est le titulaire du régime du transit. Elle est obligée de :
1. Présenter les marchandises dans leur état original au service douanier de destination, dans le délai prévu et dans le respect des mesures prises par les organes douaniers pour leur identification ;
2. Observer les règles relatives au régime du transit.
(2) Nonobstant les obligations de la personne responsable découlant de l’alinéa 1, le transporteur ou le destinataire qui réceptionne les marchandises sachant qu’elles ont été admises sous le régime du transit a également l’obligation de les présenter dans leur état original au service douanier de destination, dans le délai prévu et dans le respect des mesures prises par les organes douaniers pour leur identification. »
Article 233
« (3) Les marchandises objets de contrebande sont confisquées au profit du Trésor public sans égard à leur propriétaire, et, si elles sont manquantes ou ont été aliénées, l’équivalent de leur valeur douanière est confisqué. »
Article 234a
« (1) Quiconque détourne des marchandises stockées temporairement ou placées sous (...) un régime douanier, par non-accomplissement des formalités déterminées par la loi ou par les organes douaniers, est puni d’une amende (...) comprise entre 100 et 200 pour cent de la valeur douanière des marchandises qui font objet de l’infraction.
(...)
(3) Dans les cas prévus aux alinéas 1 et 2 ci-dessus, les dispositions de l’article 233, alinéas 3, 4 et 5 trouvent à s’appliquer mutatis mutandis. »
22. Le 26 juillet 2016, les articles 45, 47 et 102 de la loi des douanes furent abrogés.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
23. Le requérant allègue que les sanctions qui lui ont été imposées pour violation de la législation douanière constituaient une ingérence injustifiée dans son droit au respect de ses biens garanti par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, qui est libellé comme suit :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
24. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le requérant
25. Le requérant expose qu’il a été sanctionné par les autorités douanières bulgares pour ne pas avoir présenté un véhicule importé devant les services douaniers compétents dans le délai qui lui avait été indiqué. Il indique avoir été condamné à deux sanctions cumulatives : la confiscation d’une somme égale à la valeur douanière du véhicule et une amende égale à 100 % de la valeur douanière de cette même voiture. Il déclare que la somme totale qu’il devait au Trésor public s’élevait ainsi à 20 826 BGN (l’équivalent de 10 648,16 EUR) et ajoute qu’il continue à payer cette dette. Il considère que cette situation s’analyse en une privation de ses biens.
26. Le requérant conteste la proportionnalité des sanctions susmentionnées. Il estime que les autorités de l’État n’ont pas ménagé un juste équilibre entre l’intérêt général et ses droits subjectifs. Il indique que les formalités douanières concernant le véhicule en question ont été accomplies par le destinataire de la marchandise et que, selon lui, aucune somme n’était due à l’État à ce titre. Il expose par conséquent que l’intérêt légitime qui a servi de fondement à l’imposition de la mesure en cause était de sanctionner le non-accomplissement d’une obligation purement déclarative. Selon lui, le fait que l’État n’a subi aucun dommage a été reconnu par les tribunaux internes qui ont examiné ses recours contre les sanctions en cause. Le requérant considère que, à compter de la date d’accomplissement des formalités requises par le destinataire du véhicule, le 12 juillet 2006, l’imposition de sanctions au transporteur n’était plus nécessaire. Il indique que malgré cela, les autorités douanières n’ont pas modifié leur décision.
27. Le requérant ajoute qu’un autre véhicule, qu’il avait transporté dans le même chargement, était dans une situation similaire, mais que les autorités ne l’avaient pas sanctionné à cet égard. À ses yeux, cela démontre le caractère arbitraire des sanctions en question.
b) Le Gouvernement
28. Le Gouvernement conteste la position du requérant. D’après lui, si les sanctions imposées à l’intéressé constituaient une ingérence dans son droit au respect de ses biens, celle-ci était justifiée au regard de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
29. Le Gouvernement soutient, en premier lieu, que ces mesures ont été prises en application de la législation douanière. Le requérant aurait été sanctionné pour non-observation de ses obligations découlant des articles 45, 47 et 102 de la loi des douanes. Il aurait ainsi commis l’infraction réprimée par l’article 234a, alinéa 1 de la même loi et il en aurait été sanctionné conformément aux dispositions des articles 233 et 234a, alinéas 1 et 3 de cette loi. Le Gouvernement considère que cette ingérence était donc « prévue par la loi » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
30. Le Gouvernement allègue, en deuxième lieu, que cette ingérence poursuivait un but légitime et qu’elle était conforme à l’intérêt général. Il estime qu’elle visait en particulier à empêcher l’importation illégale de marchandises sur le territoire du pays.
31. En dernier lieu, le Gouvernement soutient que l’ingérence en cause était proportionnée au but poursuivi. Il expose que, dans sa jurisprudence constante relative à l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, la Cour reconnaît que les États disposent d’une large marge d’appréciation dans l’adoption des lois nécessaires à assurer le paiement des impôts et des amendes (Gasus Dosier - und Fördertechnik GmbH c. Pays-Bas, 23 février 1995, § 60, série A no 306-B, AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, § 52, série A no 108, et « Bulves » AD c. Bulgarie, no 3991/03, § 63, 22 janvier 2009). Il ajoute que, de même, dans ce type d’affaires, la Cour ne peut pas remettre en question l’interprétation et l’application du droit interne par les autorités de l’État, sauf en cas d’inobservation flagrante ou d’application arbitraire de la législation interne pertinente (Microintelect OOD c. Bulgarie, no 34129/03, § 39, 4 mars 2014, Weber et Saravia c. Allemagne (déc.), no 54934/00, § 90, CEDH 2006-XI, et Goranova-Karaeneva c. Bulgarie, no 12739/05, § 46, 8 mars 2011).
32. En l’espèce, le Gouvernement indique que les sanctions imposées par l’administration douanière correspondaient à la gravité de l’infraction commise par le requérant et qu’elles étaient égales aux minima prévus par la législation interne. Selon lui, il ne s’agissait donc pas d’une charge exorbitante et excessive pour le requérant. Le Gouvernement ajoute que l’intéressé a contesté les mesures en question devant les tribunaux, lesquels les ont confirmées en estimant qu’elles étaient justifiées et conformes à la législation interne.
33. À la lumière de ce qui précède, le Gouvernement invite la Cour à constater qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux découlant de la jurisprudence de la Cour
34. La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention contient trois normes distinctes. La première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété. La deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. La deuxième et la troisième règles ont trait à des exemples particuliers d’atteinte au droit de propriété ; dès lors, elles doivent s’interpréter à la lumière du principe général consacré par la première règle (voir, entre autres, Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 62, CEDH 2007-I, et J.A. Pye (Oxford) Ltd et J.A. Pye (Oxford) Land Ltd c. Royaume-Uni [GC], no 44302/02, § 52, CEDH 2007-III).
35. Pour se concilier avec la règle générale énoncée à la première phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, une atteinte au droit au respect des biens doit respecter le principe de la légalité, ne doit pas être arbitraire et doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la collectivité et celles de la protection des droits fondamentaux de l’individu (Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 107, CEDH 2000-I).
36. Pour ce qui est des ingérences relevant du second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, lequel prévoit spécialement le « droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes », il doit exister de surcroît un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. À cet égard, les États disposent d’une ample marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause (Gasus Dosier - und Fördertechnik GmbH, précité, § 60, et AGOSI, précité, § 52).
b) Application de ces principes au cas d’espèce
i. Sur la norme applicable et sur l’existence d’une ingérence
37. La Cour rappelle que, en vertu de sa jurisprudence constante, les amendes et les confiscations imposées en application de la législation douanière relèvent de la réglementation de l’usage des biens et s’inscrivent donc dans le deuxième alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (AGOSI, précité, § 51, Grifhorst c. France, no 28336/02, §§ 84-86, 26 février 2009, et Gabrić c. Croatie, no 9702/04, § 33, 5 février 2009).
38. Dans le cas d’espèce, le requérant a été condamné au paiement d’une amende et à la confiscation d’une somme équivalente à la valeur douanière du véhicule qu’il n’a pas présenté devant les autorités douanières dans le délai prévu à cet effet. À la lumière de sa jurisprudence en la matière (paragraphe 37 ci-dessus), la Cour estime qu’il s’agit d’une ingérence dans le droit au respect des biens du requérant, que les mesures contestées relèvent de la réglementation de l’usage des biens et que cette situation tombe dans le champ d’application du second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
ii. Sur le point de savoir si l’ingérence en cause était justifiée
39. La Cour doit donc établir si cette ingérence était « prévue par la loi », si elle poursuivait un but légitime et si elle était proportionnée au but poursuivi (paragraphes 35 et 36 ci-dessus).
40. Elle observe, en premier lieu, que les deux sanctions imposées au requérant étaient prévues par les articles 233, alinéa 3, et 234a, alinéa 1, de la loi des douanes pour réprimer l’infraction qui était reprochée à l’intéressé, à savoir la non-observation des règles relatives à l’importation de marchandises sur le territoire bulgare (paragraphes 11 et 21 ci-dessus).
41. Elle constate ensuite que les mesures contestées visaient à empêcher l’importation illégale de marchandises, ce qui s’analyse en un « but légitime » relevant de l’intérêt général, au sens du second paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
42. Il reste à établir si les autorités ont en l’espèce ménagé un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. En d’autres termes, la Cour doit rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général et la protection des droits fondamentaux de l’individu, compte tenu de la marge d’appréciation reconnue à l’État en pareille matière (Grifhorst, précité, § 94). Pour cela, elle tiendra compte de la nature et de la gravité de l’infraction reprochée au requérant, de son comportement et de la nature et de la sévérité des sanctions imposées (Grifhorst, précité, §§ 95-105, et Gabrić, précité, §§ 36-39).
43. La Cour observe à cet égard qu’à l’origine de cette affaire se trouve l’importation d’un véhicule d’occasion que le requérant, en sa qualité de transporteur, avait déclaré à l’entrée du territoire du pays et qui y avait été admis sous le régime du transit, permettant ainsi de le présenter au service douanier compétent pour régler les droits de douane dans un délai fixé par avance (voir paragraphes 6 et 7 ci-dessus). Force est de constater que le requérant n’a pas effectué les démarches nécessaires et qu’il a remis le véhicule directement à son destinataire au lieu de le présenter à la douane de Sofia (paragraphe 8 ci-dessus). À la date du constat de cette infraction, le 19 mai 2006, le délai d’accomplissement des démarches douanières était échu depuis plus de sept mois (paragraphes 7 et 9 ci-dessus). La Cour estime que, dans cette situation, les autorités bulgares avaient des raisons valables pour conclure que le véhicule en question avait été soustrait au contrôle douanier et importé illégalement sur le territoire du pays. Elles ont donc imposé au requérant les sanctions en question : la confiscation d’une somme égale à la valeur du véhicule et une amende égale à cette même valeur, soit un total de 20 826 BGN (l’équivalent de 10 648,16 EUR).
44. Le requérant allègue qu’il s’agissait d’une sanction disproportionnée au motif que la voiture avait finalement été réexportée, ce qui avait eu pour résultat, selon lui, de dispenser l’importateur du véhicule de tout droit de douane. Ainsi, l’État n’aurait subi aucun dommage (paragraphe 26 ci-dessus).
45. Or, même en admettant qu’aucun droit de douane n’était dû à l’État en raison de la réexportation subséquente du véhicule, la Cour ne saurait perdre de vue le fait que les démarches de réexportation ont été effectuées seulement après l’imposition des sanctions en question, et ce neuf mois après l’expiration du délai initial de dédouanement de la voiture (paragraphes 7 in fine, 11 et 12 ci-dessus). Par conséquent, pendant ces neuf mois, la voiture se trouvait illégalement sur le territoire douanier du pays. La Cour ne saurait donc reprocher aux autorités compétentes de l’avoir traitée comme un objet de contrebande. Par ailleurs, elle estime que le requérant, qui exerce le métier de chauffeur routier, aurait dû savoir qu’il s’exposait à des poursuites administratives pour contrebande s’il n’accomplissait pas à temps les démarches de dédouanement du véhicule. Elle note que celui-ci a pourtant remis le véhicule à l’entreprise destinataire sans accomplir les démarches qu’il lui revenait de faire. En tout état de cause, elle considère qu’il s’agit d’éléments qui s’inscrivent manifestement dans la marge d’appréciation dont les autorités nationales disposent en la matière (paragraphe 36 ci-dessus). Elle juge qu’il entrait donc dans la marge d’appréciation de l’État défendeur de décider de l’opportunité de sanctionner le comportement du requérant.
46. De même, s’agissant de l’argument du requérant tiré du fait qu’il n’avait jamais été inquiété par les autorités pour l’importation d’un autre véhicule qui se trouvait dans une situation similaire, la Cour estime qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’opportunité de sanctionner ou ne pas sanctionner le requérant dans le cadre de cette autre procédure interne administrative, qui, de surcroît, ne fait pas l’objet de la présente Requête.
47. Enfin, pour ce qui est de la sévérité des sanctions en cause, la Cour rappelle que le requérant s’est vu imposer deux sanctions pécuniaires s’élevant à 20 826 BGN au total (l’équivalent de 10 648,16 EUR). Elle note qu’il s’agissait certes d’une somme non négligeable et que le requérant continue de s’acquitter de cette dette vis-à-vis du Trésor public (paragraphe 20 ci-dessus). Cependant, elle observe que ces sanctions correspondaient aux minima prévus par la législation interne (paragraphe 21 ci-dessus), que la somme était égale à deux fois la valeur douanière du véhicule en question (paragraphe 11 ci-dessus), que son paiement a été mensualisé et que le montant des mensualités était modéré (paragraphe 20 ci-dessus). De surcroît, le requérant n’a présenté aucun élément de preuve permettant de conclure que l’obligation d’effectuer ces paiements a eu une influence négative décisive sur sa situation financière globale (voir S.C. Complex Herta Import Export S.R.L. Lipova c. Roumanie, no 17118/04, § 38, 18 juin 2013, et, a contrario, Mamidakis c. Grèce, no 35533/04, §§ 47 et 48, 11 janvier 2007).
48. Dans ces conditions, la Cour estime que les autorités internes ont ménagé un juste équilibre entre, d’une part, l’intérêt général et, d’autre part, le respect des biens du requérant. Elle juge que l’ingérence n’a pas causé au requérant de charge excessive de nature à rendre les mesures dénoncées disproportionnées par rapport au but légitime qu’elles poursuivaient.
49. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
50. Le requérant se plaint qu’il ne disposait pas de voies de recours internes susceptibles de remédier à la violation alléguée de son droit au respect de ses biens. Il invoque à cet égard l’article 13 de la Convention, libellé comme suit :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur la recevabilité
51. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l’article 13 de la Convention exige un recours interne pour les seuls griefs que l’on peut estimer « défendables » au regard de la Convention ou de ses Protocoles (Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 67, CEDH 2000-V). La Cour a déclaré recevable le grief que le requérant a soulevé sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (paragraphe 24 ci-dessus). Il s’ensuit que le requérant a soulevé un grief défendable au regard de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention et que l’article 13 de la Convention trouve donc à s’appliquer dans le cas d’espèce.
52. Constatant, par ailleurs, que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
53. Le requérant allègue que le droit interne ne lui offrait aucune voie de recours lui permettant de contester de manière effective les sanctions qui lui avaient été imposées. Il soutient en particulier que ni le tribunal de district ni le tribunal administratif qui ont examiné ses recours n’ont abordé la question de savoir si les sanctions qu’il contestait étaient proportionnées au but légitime poursuivi. Il expose que, au lieu de considérer cette question, ils ont simplement entériné la décision des autorités douanières en opérant un examen purement formel de la légalité des sanctions administratives en cause.
54. Le Gouvernement conteste la thèse du requérant. Il indique que le litige administratif du requérant a été porté devant deux tribunaux et que ceux-ci ont examiné la cause dans le cadre d’une procédure répondant à toutes les exigences du procès équitable et ont rendu des décisions dûment motivées et conformes à la jurisprudence constante des tribunaux en la matière. Il déclare que les tribunaux en question ont rejeté les recours du requérant en répondant à ses arguments et après avoir pris en compte toutes les circonstances pertinentes en l’espèce.
2. Appréciation de la Cour
55. La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention, tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition exige donc un recours interne habilitant « l’instance nationale compétente » à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié, même si les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition. Le recours exigé par l’article 13 de la Convention doit être « effectif » en pratique comme en droit (voir, parmi beaucoup d’autres, Rotaru, précité, § 67).
56. La Cour observe ensuite que le grief du requérant formulé sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention découlait de la décision de l’administration douanière de le sanctionner pour non-accomplissement des démarches relatives à l’importation des marchandises sur le territoire du pays. Elle note que le requérant a contesté devant les tribunaux la régularité de ces sanctions et qu’il a exposé des arguments à cet égard (paragraphe 14 ci-dessus). Elle relève que son affaire a été examinée par deux degrés de juridiction et que, après avoir pris en compte toutes les circonstances pertinentes en l’espèce et les preuves présentées par les parties, les tribunaux ont finalement rejeté le recours du requérant, après avoir estimé qu’il était l’auteur d’une infraction douanière et que les sanctions en cause étaient conformes à la législation interne. Elle constate que les tribunaux ont exposé des arguments pertinents et suffisants pour rejeter les arguments principaux du requérant (paragraphes 15-19 ci-dessus). La Cour est d’avis que le recours était effectif et que son exercice a permis au requérant de faire entendre ses arguments contre l’imposition des sanctions en cause, même si, en fin de compte, les tribunaux ont rejeté les arguments qu’il avançait.
57. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que l’intéressé ne saurait prétendre valablement qu’il était privé de tout recours effectif interne pour remédier à la violation alléguée de son droit au respect de ses biens. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 13 de la Convention, combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la Requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 décembre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Anne-Marie
Dougin André Potocki
Greffière adjointe f.f. Président