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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> URSEI v. ROMANIA - 49362/08 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section Committee)) French Text [2017] ECHR 242 (14 March 2017) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/242.html Cite as: ECLI:CE:ECHR:2017:0314JUD004936208, [2017] ECHR 242, CE:ECHR:2017:0314JUD004936208 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE URSEI c. ROUMANIE
(Requête no 49362/08)
ARRÊT
STRASBOURG
14 mars 2017
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ursei c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :
Paulo Pinto de Albuquerque,
président,
Iulia Motoc,
Marko Bošnjak, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 février 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 49362/08) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Francisc Ursei (« le requérant »), a saisi la Cour le 9 octobre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me A.M. Ciora, avocate à Timișoara. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 19 janvier 2015, le grief tiré de l’article 3 de la Convention concernant les conditions de la détention du requérant et sa contamination alléguée par le virus de l’hépatite C en prison a été communiqué au Gouvernement. La requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1976. Du 8 juillet 2008 au 25 juin 2014, il a été détenu dans les prisons d’Arad et de Timișoara en exécution d’une peine infligée pour des vols avec récidive. Durant ce laps de temps, il a été transféré dans d’autres prisons, pour des affaires judiciaires, pendant de courtes périodes. Il a été libéré le 25 juin 2014.
A. Les conditions de détention telles que décrites par le requérant
5. Le requérant se plaint de mauvaises conditions d’hygiène dans les prisons d’Arad et de Timișoara, et plus particulièrement d’une absence de moyens permettant de maintenir une hygiène corporelle convenable.
6. Il allègue que l’absence d’hygiène a été responsable de l’apparition et du développement de plusieurs maladies et de sa contamination par le virus de l’hépatite C.
7. Il se plaint également de la mauvaise qualité de la nourriture ainsi que du tabagisme passif auquel il aurait été exposé dans les cellules et dans les véhicules de transfert.
B. Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement
8. S’appuyant sur les informations fournies par l’administration des prisons d’Arad et de Timișoara, le Gouvernement expose que des articles d’hygiène corporelle étaient distribués gratuitement aux détenus. Il précise que ces derniers recevaient un savon de 100 g, un rasoir jetable et un rouleau de papier toilette chaque mois, un tube de 50 g de crème à raser et un tube de 50 g de dentifrice tous les deux mois, et une brosse à dents deux fois par an. Il ajoute que les autorités de la prison d’Arad, parfois confrontées à des difficultés financières, avaient dû faire appel à des dons privés pour subvenir aux besoins des détenus en matière d’hygiène. Il déclare également qu’il ressort des documents fournis par l’administration des deux prisons susmentionnées que la distribution de certains articles de toilette avait été interrompue à plusieurs reprises pendant plusieurs mois.
9. Le Gouvernement assure que les détenus avaient accès à l’eau froide en permanence et aux douches deux fois par semaine dans la prison d’Arad, et quotidiennement, selon un horaire préétabli, dans celle de Timișoara.
10. Il indique de plus que, pour ce qui était de l’hygiène dans les cellules, celle-ci relevait de la responsabilité des détenus, auxquels des produits de nettoyage auraient été fournis.
11. Quant à la nourriture distribuée dans ces prisons, le Gouvernement soutient qu’elle était conforme aux normes caloriques établies par le ministère de la Justice, que l’hygiène était respectée lors sa préparation et que sa qualité était contrôlée par le personnel de la prison.
12. Il indique que le requérant a été détenu dans des cellules occupées par des non-fumeurs et que la taille de ces cellules était variable, l’espace personnel pour chaque détenu étant, selon le Gouvernement, supérieur à 4 m2 dans la prison d’Arad et inférieur à 3 m2 dans la prison de Timișoara.
13. Il ajoute que le transport des détenus entre lesdites prisons et les tribunaux se faisait dans des véhicules adaptés et dans lesquels il était interdit de fumer.
14. Il indique de surcroît que le requérant a été examiné pour des affections dermatologiques récurrentes et que des traitements lui ont été prescrits. Il conteste l’allégation de l’intéressé concernant sa contamination, pendant sa détention, par le virus de l’hépatite C. À cet égard, il expose que, le 28 mars 2013, le requérant a fait l’objet d’examens de dépistage du virus et que ceux-ci se sont révélés négatifs.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
15. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme les rapports du Commissaire aux droits de l’homme, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 relative à l’exécution des peines sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
16. Le requérant se plaint de ses conditions de détention dans les prisons d’Arad et de Timișoara. Il dénonce un manque d’hygiène, une mauvaise qualité de la nourriture, ainsi qu’une exposition au tabagisme passif dans les cellules et dans les véhicules de transfert entre les lieux de détention susmentionnés et les tribunaux. En outre, il allègue avoir été contaminé pendant sa détention par le virus de l’hépatite C. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
1. La contamination alléguée du requérant par le virus de l’hépatite C
17. Le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité de cette doléance pour absence de qualité de victime et pour non-épuisement des voies de recours internes. Il expose d’emblée qu’aucune pièce versée au dossier ne permet de conclure que le requérant a subi la contamination alléguée au cours de sa détention. En tout état de cause, il soutient que le requérant a omis de se prévaloir des dispositions de la loi no 275/2006 relative aux droits des personnes détenues pour réclamer un traitement adéquat ou un dédommagement pour le préjudice allégué.
18. Le requérant n’a pas présenté d’observations sur ce point. Il s’est borné à soutenir qu’il ne disposait d’aucun recours susceptible de remédier à son grief.
19. La Cour note que les examens médicaux pratiqués le 28 mars 2013 ont permis d’établir que, à cette date, le requérant n’était pas infecté par le virus de l’hépatite C (paragraphe 14 ci-dessus). Elle constate, à l’instar du Gouvernement, que le requérant n’a fourni aucun indice de nature à étayer son allégation selon laquelle il aurait été contaminé avant sa libération, le 25 juin 2014.
20. Dans ces conditions, la Cour estime que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Les conditions de détention du requérant dans les prisons d’Arad et de Timișoara
21. Constatant que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
22. Le requérant maintient que les conditions de détention dans les prisons d’Arad et de Timișoara, en particulier les conditions d’hygiène, n’étaient pas conformes aux standards dégagés par la Cour dans sa jurisprudence.
23. Le Gouvernement renvoie à la situation de fait décrite à partir des informations communiquées par l’administration des prisons précitées (paragraphes 8-14 ci-dessus).
24. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Muršić c. Croatie [GC], no 7334/13, § 99, 20 octobre 2016).
25. Lors de l’évaluation des conditions de détention, il y a lieu de tenir compte de leurs effets cumulatifs ainsi que des allégations spécifiques du requérant. La durée de détention d’une personne dans des conditions particulières doit elle aussi être prise en considération (idem, § 101).
26. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour rappelle qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison de l’absence d’hygiène ainsi que du manque d’espace individuel suffisant dans la prison de Timișoara, et ce pour des périodes qui correspondaient, au moins en partie, à la période de détention du requérant (voir, par exemple, Axinte c. Roumanie, no 24044/12, §§ 14 et 49-50, 22 avril 2014, et les affaires qui y sont citées). Eu égard aux informations disponibles (voir, en particulier, les paragraphes 8 et 14 ci-dessus), la Cour considère que les mêmes conclusions doivent s’appliquer en l’espèce.
27. Quant à la prison d’Arad, la Cour constate que la distribution de certains articles de toilette, dont le nombre et la quantité étaient déjà fortement réduits, a été interrompue plusieurs fois pendant de longues périodes (paragraphe 8 ci-dessus). Ces interruptions, combinées avec l’accès limité aux douches (paragraphe 9 ci-dessus), ont privé le requérant des moyens adéquats de maintien d’une hygiène personnelle convenable, alors même qu’il souffrait de pathologies dermatologiques récurrentes (paragraphe 14 ci-dessus).
28. Par conséquent, la Cour considère que les conditions de détention du requérant dans les prisons d’Arad et de Timișoara étaient de nature à porter atteinte à sa dignité et à lui inspirer des sentiments d’humiliation et d’avilissement, ce qui s’analyse en un traitement dégradant.
29. Eu égard à ce qui précède, elle conclut qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention de ce chef.
30. Compte tenu de ce constat, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de se pencher sur les doléances du requérant relatives à la qualité de la nourriture et à la présence de détenus fumeurs dans les cellules et dans les véhicules de transfert (voir, mutatis mutandis, Cucolaş c. Roumanie, no 17044/03, § 99, 26 octobre 2010).
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
31. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
32. Le requérant réclame 26 000 euros (EUR) pour préjudice moral en raison des traitements dégradants auxquels il aurait été soumis pendant sa détention.
33. Le Gouvernement estime que la somme réclamée est excessive.
34. Statuant en équité, comme l’exige l’article 41 de la Convention, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 12 000 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
35. Le requérant demande également 650 EUR pour les frais et dépens qu’il aurait exposés dans la procédure engagée devant la Cour, dont 150 EUR pour des frais postaux et 500 EUR pour les honoraires de son avocate. Il expose qu’il n’est plus en possession des documents justificatifs pour les frais postaux, mais il fournit l’attestation de paiement de 1 900 lei roumains au titre d’honoraires d’avocat.
36. Le Gouvernement indique que le requérant n’a pas présenté de justificatifs pour les frais postaux réclamés.
37. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour note que le requérant n’a pas fourni les documents justificatifs pour les sommes qu’il prétend avoir exposées pour des frais postaux. Toutefois, elle estime qu’il a engagé des frais pour la présente procédure et note que la somme réclamée n’est pas excessive. Quant aux honoraires, il a été prouvé qu’ils avaient effectivement été réglés. En conséquence, elle estime raisonnable d’accorder au requérant le montant de 650 EUR au titre des frais exposés devant elle.
C. Intérêts moratoires
38. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré des conditions de détention du requérant dans les prisons d’Arad et de Timișoara, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :
i. 12 000 EUR (douze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour préjudice moral ;
ii. 650 EUR (six cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 mars 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Andrea Tamietti Paulo
Pinto de Albuquerque
Greffier adjoint Président