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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MAZILU v. ROMANIA - 23338/13 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section Committee)) French Text [2017] ECHR 59 (17 January 2017) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/59.html Cite as: ECLI:CE:ECHR:2017:0117JUD002333813, [2017] ECHR 59, CE:ECHR:2017:0117JUD002333813 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE MAZILU c. ROUMANIE
(Requête no 23338/13)
ARRÊT
STRASBOURG
17 janvier 2017
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Mazilu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :
Paulo Pinto de Albuquerque,
président,
Iulia Motoc,
Marko Bošnjak, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 décembre 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 23338/13) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Ioan Mazilu (« le requérant »), a saisi la Cour le 27 février 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me A. C. Melniciuc, avocate à Galaţi. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant allègue, sous l’angle de l’article 3 de la Convention, que l’enquête menée à la suite de l’agression dont il a été victime n’a pas été effective.
4. Le 18 décembre 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
5. Le requérant est né en 1942 et réside à Coroieşti.
A. L’agression subie par le requérant
6. Le 14 décembre 2009, le requérant se rendit à Bârlad, la ville chef-lieu du département, pour faire des déclarations à la police au sujet de menaces qu’un voisin, B.F., aurait proférées à l’encontre de son épouse. À 13 heures, il quitta le siège de la police et chercha à rentrer à Coroieşti, son village, en autostop. Le chauffeur d’une camionnette le prit à bord de son véhicule et le déposa sur une route située près du village. Avant de rentrer chez lui, le requérant invita le chauffeur, pour le remercier, à la terrasse d’un bar situé en bordure de la route et lui offrit une boisson. Les deux hommes se quittèrent vers 15 heures.
7. Ensuite, le requérant décida de parcourir les derniers kilomètres à pied. Il marcha le long de la route, puis il prit un raccourci à travers les champs. Ce chemin de terre, d’environ trois kilomètres, conduisait directement à sa maison, qui se trouvait à l’entrée du village.
8. À la tombée de la nuit, vers 18 h 30, au lieu-dit Bujoru, le requérant fut agressé par un groupe de quatre personnes qui le frappèrent violemment avec des bâtons sur tout le corps et particulièrement à la tête. Il tomba à terre et reçut encore des coups. L’un des individus fouilla ses poches et lui prit l’argent qu’il avait sur lui. Le requérant fut ensuite abandonné dans un fossé.
9. Il passa la nuit dehors, dans le froid et la neige, et il parcourut environ sept cents mètres en direction de son village, en rampant.
10. Le lendemain, vers 13 h 30, le requérant croisa un voisin qui se dirigeait en charrette à travers les champs vers la route. Ce voisin le fit monter, retourna au village et le conduisit jusqu’à sa maison. Le requérant fut alors pris en charge par son épouse, qui appela une ambulance, et d’autres voisins. L’ambulance arriva vers 14 h 30 et transporta le requérant à l’hôpital de Bârlad.
11. À 16 h 45, le requérant fut admis en réanimation. Il resta hospitalisé jusqu’au 20 janvier 2010 pour un traumatisme crânien et de nombreuses fractures. Son état nécessita par la suite plusieurs autres hospitalisations et de nombreuses interventions chirurgicales. Un rapport médicolégal établit que le requérant avait subi des blessures qui avaient mis en danger sa vie, qu’il avait besoin d’environ cent soixante jours de soins médicaux et qu’il était dans l’incapacité de travailler.
12. Dans l’intervalle, le jour de l’incident, B.F. et trois autres personnes, dont L.C., le maire du village de Coroieşti, s’étaient rendus au parquet près le tribunal de première instance de Bârlad pour témoigner dans le cadre d’une enquête visant L.C., qui aurait également proféré des menaces à l’encontre de l’épouse du requérant. L’audition avait pris fin vers 14 heures. Les quatre hommes étaient rentrés au village avec la voiture de l’un d’entre eux. Sur le chemin du retour, ils avaient aperçu le requérant et le chauffeur de la camionnette à la terrasse du bar.
B. L’enquête pénale
13. Le 15 décembre 2009, à 17 h 10, la police de Bârlad, informée par l’hôpital de Bârlad de l’agression survenue la veille, dépêcha un agent à l’hôpital pour recueillir le témoignage du requérant. Ce dernier déclara que, le 14 décembre 2009, après avoir longé la forêt, au lieu-dit Bujoru, il s’était engagé sur le chemin qui traversait les champs. A mi-chemin, il était arrivé sur une parcelle labourée à environ un kilomètre de sa maison, la première du village, quand il avait été attaqué et frappé avec des bâtons par quatre individus, parmi lesquels il disait avoir clairement identifié trois agresseurs : B.F., L.C. et P.M., tous domiciliés à Coroieşti. Il était tombé à terre dans une ornière et les agresseurs auraient continué à le frapper. Ensuite, B.F. aurait fouillé la poche intérieure de sa veste et lui aurait pris l’argent qu’il avait sur lui.
14. Les 16 et 17 décembre 2009, la police de Bârlad dressa un procès-verbal, qui exposait que, en raison d’abondantes chutes de neige, l’équipe constituée pour enquêter sur l’agression du requérant n’avait pas pu se déplacer dans le village de Coroieşti.
15. Le 17 décembre 2009, un agent du poste de police du village de Coroieşti se présenta au domicile du requérant et emporta les vêtements que ce dernier portait le jour de l’agression. Ceux-ci furent remis au bureau départemental de la police scientifique, qui en prit des photographies.
16. Le 18 décembre 2009, le requérant fit une nouvelle déclaration devant un procureur du parquet près le tribunal de première instance de Bârlad. Il décrivit les faits de manière détaillée et répéta que B.F., L.C. et P.M. figuraient parmi ses agresseurs. Il précisa qu’il était en conflit depuis longtemps avec ces trois personnes.
17. Entendus par la police de Bârlad, B.F., L.C. et P.M. confirmèrent l’existence du conflit qui les opposait au requérant, mais nièrent avoir agressé ce dernier.
18. Interrogé le 18 décembre 2009, L.C. affirma qu’il était retourné à Bârlad le 14 décembre 2009, vers 15 h 30, faire des courses, en compagnie de son épouse et qu’il y était resté avec elle jusqu’au lendemain.
19. Interrogé le 21 décembre 2009, B.F. déclara que le 14 décembre 2009, après son retour de Bârlad, il était parti vers 16 h 30, avec une tierce personne, pour couper du bois dans un champ situé à environ deux kilomètres de son domicile et qu’il était rentré chez lui vers 19 h 30.
20. Interrogé le 23 février 2010, P.M. déclara que, le 14 décembre 2009, il était resté toute la journée au domicile de sa compagne.
21. La police interrogea également l’épouse du requérant, le conducteur de la charrette, le chauffeur de la camionnette, la serveuse du bar, les voisins du requérant et les personnes ayant accompagné B.F. au parquet de Bârlad. Chaque témoin décrivit les faits auxquels il avait assisté. Les voisins précisèrent qu’un agent du poste de police du village s’était rendu au domicile du requérant avant l’arrivée de l’ambulance.
22. La police de Bârlad soumit B.F., L.C. et P.M. au test du détecteur de mensonge. Il ressort des rapports établis à cette occasion que des éléments caractéristiques d’un comportement simulé avaient été détectés à l’égard de P.M. Le requérant refusa de se soumettre à ce test au motif que la véracité de ses déclarations ne pouvait être mise en doute.
23. Dans un mémoire envoyé au parquet le 22 juin 2010, le requérant réitéra sa version des faits. Il ajouta que l’agent de la police de Coroieşti était arrivé à son domicile avant son départ en ambulance et qu’il avait refusé de se rendre sur le lieu de l’agression au motif qu’il connaissait déjà cet endroit.
24. Le 13 janvier 2011, les agresseurs présumés du requérant furent confrontés à ce dernier en présence des agents de la police de Bârlad. Le requérant, assisté par un avocat, fut invité à décrire la participation de chacune des personnes accusées de l’avoir agressé le 14 décembre 2009. En réponse, B.F., L.C. et P.M. se bornèrent à nier les accusations formulées à leur encontre.
25. Le 14 janvier 2011, la compagne de P.M. fut entendue par la police de Bârlad, qui lui demanda de préciser si son compagnon avait été chez elle le jour de l’agression entre 17 et 18 heures. Elle affirma que P.M. avait passé la journée chez elle pour s’occuper de la ferme. Aucune autre question ne lui fut posée.
26. Le 20 janvier 2011, le parquet rendit un non-lieu à l’égard de B.F., L.C. et P.M, estimant que leur culpabilité n’était pas démontrée et que, en l’absence d’autres indices, le comportement simulé de P.M. mis en évidence par le test du détecteur de mensonge ne suffisait pas à permettre une mise en cause des intéressés. Il ordonna la poursuite de l’enquête en vue de l’identification des agresseurs du requérant. Le requérant contesta le non-lieu et critiqua l’enquête en ce qu’elle aurait été superficielle.
27. Par un jugement définitif du 15 septembre 2011, le tribunal de première instance de Bârlad confirma le non-lieu. Il estimait que l’absence d’examen rapide du lieu de l’agression était due à des difficultés pour retrouver l’endroit précis où celle-ci s’était déroulée, lesquelles s’expliquaient par des chutes de neige survenues au moment des faits et par la circonstance que le requérant s’était déplacé vers sa maison après l’incident. Le tribunal considérait, en tout état de cause, que, à supposer que cette omission était imputable à la police, un tel examen était devenu à présent inutile.
28. Dans un mémoire adressé au parquet, le requérant dénonça l’enquête comme ayant été superficielle. Il mettait en doute la sincérité des déclarations de ses agresseurs présumés et de leurs proches, et en particulier celles de P.M. et de sa compagne, et il demandait l’administration de nouvelles preuves.
Le 12 décembre 2011, le parquet fit droit à cette demande et ordonna à la police de Bârlad de procéder à une nouvelle audition de P.M. et de sa compagne et d’administrer les preuves nécessaires à l’identification des agresseurs du requérant.
29. Le 10 janvier 2012, le parquet rejeta une plainte du requérant par laquelle celui-ci accusait le commissaire en charge de l’enquête de passivité et de négligence.
30. Le 16 avril 2014, P.M. et sa compagne furent entendus par la police de Bârlad qui leur demanda de préciser si, le soir de l’agression, P.M. avait été au domicile de sa compagne. Ils répondirent par l’affirmative et affirmèrent qu’ils maintenaient leurs déclarations antérieures. Il ressort du procès-verbal d’audition qu’aucune autre question ne leur fut posée.
À une date non précisée, le parquet classa sans suite le dossier au motif que les auteurs de l’agression demeuraient inconnus.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
31. Le requérant se plaint d’une absence d’enquête effective sur les violences qui lui ont été infligées le 14 décembre 2009. Il invoque l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
32. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le requérant
33. Le requérant dénonce une absence d’enquête effective aux fins d’identification et de punition des auteurs de l’agression subie par lui.
34 Il considère que les autorités auraient dû promptement recueillir les preuves susceptibles d’aider à l’identification de ses agresseurs. Il estime que le fait d’avoir été transporté à son domicile par un voisin n’aurait pas dû empêcher la recherche du lieu de l’agression et la conduite d’investigations en cet endroit.
35. S’agissant de l’enquête menée à l’égard de ses trois agresseurs présumés, le requérant soutient que les déclarations de ces derniers étaient incomplètes. Il critique la décision de mettre fin aux poursuites prise par le parquet en ce que celui-ci n’aurait pas réellement cherché à établir l’emploi du temps des intéressés pendant l’après-midi et la soirée du 14 décembre 2009.
36. Enfin, il estime que, en l’absence de toute investigation, le passage du temps aboutira à la prescription de la responsabilité pénale de ses agresseurs.
b) Le Gouvernement
37. Le Gouvernement considère qu’il n’y a pas eu de violation du volet procédural de l’article 3 de la Convention en l’espèce, car les autorités compétentes auraient respecté leur obligation d’enquêter sur les violences subies par le requérant. D’après lui, l’enquête menée a été prompte, rapide, détaillée et diligente.
38. À cet égard, le Gouvernement expose que, le 15 décembre 2009, les policiers de Bârlad se sont rendus à l’hôpital pour interroger le requérant dès l’hospitalisation de ce dernier et la prise de connaissance par eux de l’incident. Il indique également que l’audition des agresseurs présumés a commencé le 18 décembre 2009 et que, compte tenu des résultats du test du détecteur de mensonge pour P.M., la police a aussi interrogé la compagne de celui-ci. Il ajoute que plusieurs témoins ont été entendus et qu’une confrontation entre les agresseurs présumés et le requérant a eu lieu en présence de l’avocat de ce dernier.
39. S’agissant de l’absence d’identification du lieu exact de l’agression, le Gouvernement allègue que cette omission était due aux conditions météorologiques, qui auraient été mauvaises et auraient ainsi empêché les enquêteurs de se rendre sur place en temps utile.
40. Enfin, le Gouvernement reproche au requérant son refus de se soumettre au test du détecteur de mensonge. Sur ce point, il affirme que, par son attitude, l’intéressé a refusé d’apporter son concours aux enquêteurs, dont la tâche aurait été difficile compte tenu d’une absence de témoins directs et de preuves matérielles de l’agression.
2. Appréciation de la Cour
41. La Cour rappelle que, lorsqu’une personne formule une allégation défendable d’atteinte à son intégrité physique, les autorités doivent promptement ouvrir une enquête permettant d’identifier et de punir les personnes responsables. Une telle obligation ne saurait être limitée aux seuls cas de mauvais traitements infligés par les agents de l’État (M.C. c. Bulgarie, no 39272/98, § 151, CEDH 2003-XII, et Gherdan c. Roumanie (déc.), no 8337/12, § 40, 1er septembre 2015).
42. Certes, il ne s’agit pas d’une obligation de résultat, mais de moyens. Les autorités doivent avoir pris les mesures raisonnables dont elles disposaient pour obtenir les preuves relatives aux faits en question, y compris la déclaration de la victime, les dépositions des témoins, les expertises et les certificats médicaux propres à fournir un compte rendu complet et précis des blessures et une analyse objective des constatations médicales. Toute déficience de l’enquête affaiblissant sa capacité à établir les responsabilités risque de ne pas répondre aux exigences de l’article 3 de la Convention. En outre, pour qu’une enquête puisse passer pour effective, il est nécessaire qu’elle soit menée avec une célérité et une diligence raisonnables. Une réponse rapide des autorités est essentielle pour préserver la confiance du public dans le respect du principe de légalité et pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance des actes illégaux (R.I.P. et D.L.P. c. Roumanie, no 27782/10, §§ 56 et 57, 10 mai 2012).
43. La Cour a souvent été amenée à se prononcer sur la question de savoir si les autorités internes avaient réagi promptement et dans un délai approprié à des plaintes soulevées sur le terrain du volet procédural des articles 2 et 3 de la Convention. Dans le cadre de son examen, elle s’est montrée attentive à la date d’ouverture de l’enquête et au temps mis par les autorités internes pour recueillir les déclarations des témoins et effectuer les premières investigations (Milena Felicia Dumitrescu c. Roumanie, no 28440/07, § 53, 24 mars 2015 et les affaires qui y sont citées).
44. En l’espèce, la Cour note que l’agression subie par le requérant a été d’une gravité particulière et qu’elle a mis en danger la vie de ce dernier. Elle constate qu’une enquête a été ouverte le jour même de l’hospitalisation du requérant (paragraphe 13 ci-dessus). Il lui reste à apprécier le caractère effectif des investigations menées.
45. La Cour estime, à l’instar du Gouvernement (paragraphe 40 ci-dessus), que l’enquête présentait une certaine complexité en raison de l’absence de témoins oculaires de l’agression. Dès lors, la recherche et l’exploitation d’éventuelles preuves matérielles revêtaient une importance accrue.
46. Cependant, la Cour constate que les autorités internes n’ont pas cherché à identifier le lieu de l’agression et les éventuels indices qui pouvaient s’y trouver. Elle ne saurait accepter l’explication fournie par les autorités internes, selon laquelle les mauvaises conditions météorologiques avaient empêché l’équipe d’enquêteurs de se déplacer dans le village de Coroieşti (paragraphe 27. ci-dessus).
47. À cet égard, la Cour note que le village de Coroieşti disposait d’un poste de police et que, selon les déclarations du requérant et des témoins, les policiers locaux étaient au courant des évènements et connaissaient même le lieu de l’agression (paragraphes 21 et 23 ci-dessus). De plus, le jour même de l’incident, le requérant a indiqué les circonstances de son agression, notamment le lieu, la modalité, le nombre et l’identité alléguée de ses agresseurs (paragraphe 13 ci-dessus). La Cour note que le requérant a identifié, sans aucune hésitation et dès ses premières déclarations, constantes tout au long de la procédure, trois de ses agresseurs comme étant B.F., L.C. et P.M., en décrivant en détail le déroulement des faits (paragraphes 13, 16, 23 et 24 ci-dessus).
48. Or il ressort des pièces du dossier que les policiers de Coroieşti n’ont procédé à aucune investigation avant le 17 décembre 2009, date à laquelle un agent s’est rendu au domicile du requérant pour récupérer les habits portés par celui-ci le jour de l’agression (paragraphe 15 ci-dessus), et que ces vêtements, conservés par le bureau départemental de la police scientifique, n’ont pas fait l’objet d’une expertise.
49. La Cour note également que B.F. et L.C., deux des agresseurs présumés du requérant, ont déclaré que, le soir du 14 décembre 2009, ils étaient occupés à des tâches diverses en compagnie de tierces personnes (paragraphes 18 et 19 ci-dessus). Elle relève toutefois que les autorités internes n’ont pas cherché à identifier et à interroger ces personnes pour vérifier la véracité des faits exposés par eux. Les alibis allégués par ces personnes n’ont donc pas été dûment contrôlés.
50. Certes, la Cour observe que les auteurs présumés de l’agression ont été soumis au test du détecteur de mensonge et confrontés au requérant et que la compagne de l’un d’entre eux, en l’occurrence P.M., a été interrogée (paragraphes 22, 24, 25 et 30 ci-dessus).
51. Cependant, il ressort du non-lieu du parquet en date du 20 janvier 2011 que le test du détecteur de mensonge présentait une valeur probante toute relative (paragraphe 26 ci-dessus). Aussi la Cour estime-t-elle que ni la réalisation de ce test à l’égard de B.F., L.C. et P.M ni le refus du requérant de s’y soumettre ne pouvaient remplacer la recherche et l’administration de preuves fiables aux fins de la vérification des dépositions des intéressés.
52. Par ailleurs, la Cour note que la confrontation entre le requérant et ses agresseurs présumés s’est limitée à une simple réitération des déclarations précédentes (paragraphe 24 ci-dessus). Elle constate également que le parquet près le tribunal de première instance de Bârlad a fait droit à la demande du requérant par laquelle celui-ci mettait en doute, entre autres, la sincérité des déclarations de P.M. et de sa compagne et sollicitait l’administration de nouvelles preuves aux fins d’identification de ses agresseurs (paragraphe 28 ci-dessus). Elle observe aussi que, au cours d’une nouvelle audition, qui n’a eu lieu que le 16 avril 2014, P.M. et à sa compagne se sont bornés à maintenir leurs précédentes déclarations et qu’aucune autre question ne leur a été posée pour vérifier la véracité de ces déclarations (paragraphe 30 ci-dessus).
53. En outre, la Cour relève que, par la suite, bien qu’aucune nouvelle preuve n’eût été administrée pour la clarification des zones d’ombre qui subsistaient quant à l’identité des agresseurs du requérant et aux circonstances de l’incident, l’enquête a été clôturée et le dossier a fait l’objet d’un classement sans suite (paragraphe 30 ci-dessus).
54. Eu égard à ces éléments, la Cour estime que l’enquête ne saurait passer pour avoir permis d’établir de manière suffisamment précise les circonstances qui ont entouré l’agression du requérant.
55. Partant, la Cour conclut qu’il y a eu, en l’espèce, violation des obligations positives qui incombent à l’État défendeur au titre de l’article 3 de la Convention pris sous son volet procédural.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
56. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
57. Le requérant expose que l’agression dont il a été victime a entraîné de longues périodes d’hospitalisation, de nombreuses interventions chirurgicales et la perte de sa capacité de travail. Il affirme qu’il est dans l’impossibilité de s’occuper de sa ferme, précisant que celle-ci lui permettait d’assurer sa subsistance et celle de sa famille. Par conséquent, il réclame l’octroi d’une indemnité mensuelle pour couvrir la perte alléguée de ses revenus. Il réclame également 50 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi.
58. Le Gouvernement estime qu’il n’y a pas de lien de causalité entre la violation constatée du volet procédural de l’article 3 de la Convention et le dommage matériel allégué. Par ailleurs, il indique que le requérant n’a pas chiffré et ventilé la demande y afférente. S’agissant du préjudice moral allégué, le Gouvernement considère que la somme demandée est excessive par rapport à la jurisprudence de la Cour en la matière.
59. La Cour relève d’abord que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans la violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural. Dès lors, le requérant n’ayant pas démontré l’existence d’un lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, elle rejette la demande y afférente.
60. En revanche, la Cour estime que la violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural a causé au requérant un préjudice moral en le plaçant dans une situation de détresse et de frustration. Compte tenu des éléments dont elle dispose et des critères qui se dégagent de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 7 500 EUR pour dommage moral et l’accorde au requérant.
B. Frais et dépens
61. Le requérant demande également 3 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et pour ceux engagés devant la Cour.
62. Le Gouvernement indique que le requérant n’a pas fourni de justificatifs pour l’ensemble de la somme réclamée.
63. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.
64. Compte tenu des documents dont elle dispose concernant les frais et dépens engagés pour la procédure interne, la présentation de la requête devant elle et l’établissement de rapports médicaux, la Cour accorde au requérant la somme de 1 700 EUR.
C. Intérêts moratoires
65. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
i. 7 500 EUR (sept mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
ii. 1 700 EUR (mille sept cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 janvier 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Andrea Tamietti Paulo
Pinto de Albuquerque
Greffier adjoint Président