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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE TERRAZZONI c. FRANCE
(Requête no 33242/12)
ARRÊT
STRASBOURG
29 juin 2017
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Terrazzoni c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Angelika Nußberger,
présidente,
Erik Møse,
André Potocki,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Lәtif Hüseynov, juges,
et de Milan Blaško, greffier
adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 juin 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33242/12) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet État, Mme Dominique Terrazzoni (« la requérante »), a saisi la Cour le 9 mai 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante a été représentée par Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. François Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. La requérante allègue en particulier une violation de l’article 8 de la Convention, en raison de la méconnaissance des dispositions relatives à la surveillance de la ligne téléphonique d’un magistrat et de l’impossibilité de faire contrôler la régularité de l’interception téléphonique.
4. Le 8 juin 2015, le grief tiré de l’article 8 de la Convention a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus, conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. La requérante est née en 1962 et réside à Toulon.
6. Elle fut nommée magistrate par décret du 14 décembre 1988. À partir du mois de juillet 2000, elle occupa un poste de juge au tribunal d’instance de Toulon, avant d’être installée dans les fonctions de juge au tribunal de grande instance (« TGI ») de Toulon en janvier 2008.
A. Les éléments à l’origine des poursuites contre la requérante
7. Le 6 septembre 2008, en exécution d’une commission rogatoire délivrée par un juge d’instruction du TGI de Nice, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, le groupe d’intervention régional de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur intercepta une communication téléphonique entre la requérante et F.L., individu connu des services de police et titulaire de la ligne faisant l’objet des écoutes.
8. Au cours de cette conversation d’une durée de 21 minutes et 26 secondes, F.L. demanda conseil à la requérante en vue de sa comparution prochaine devant le tribunal correctionnel de Toulon. Celle-ci lui répondit qu’elle ne siégeait plus au pénal et lui expliqua les arguments pouvant être développés pour sa défense. Elle lui indiqua qu’elle se renseignerait sur la composition de la formation de jugement et qu’elle l’informerait si elle devait être amenée à siéger de manière exceptionnelle lors de cette audience, précisant qu’elle ne pouvait pas demander à le faire car « ça ferait louche ». Elle expliqua à son interlocuteur qu’elle ne connaissait pas les nouveaux magistrats siégeant au pénal à Toulon, tout en les qualifiant de « mongols ». Elle mentionna néanmoins le nom d’une collègue qu’elle estimait être « très molle » et « de gauche », suggérant qu’être jugée par elle serait une chance pour F.L.
9. Dans la dernière partie de leur échange, la requérante demanda à son interlocuteur s’il connaissait des personnes détenues à la maison d’arrêt de La Farlède, précisant que l’agresseur de sa sœur s’y trouvait également. Sans rien demander explicitement, elle sembla suggérer une intervention sur cette personne par l’emploi de l’expression « tu vois ce que je veux dire ? » et en formulant le souhait de le voir « crever la bouche ouverte ». Elle illustra ce propos en évoquant un dossier dont elle avait eu à connaître dans lequel un « arabe » avait eu l’œil crevé par un autre « arabe », précisant « non, mais je m’en foutais, c’est des arabes moi, putain, ils peuvent tous crever la bouche ouverte ». Elle ajouta qu’à l’inverse, elle avait la « haine » contre l’agresseur de sa sœur.
10. Informé du contenu de cette conversation, le procureur général près la cour d’appel d’Aix-en-Provence alerta le procureur de la République près le TGI de Marseille, ainsi que par une note du 10 octobre 2008, le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Il informa notamment ce dernier du fait que F.L. avait finalement été condamné par le tribunal correctionnel de Toulon, le vendredi 10 octobre 2008, à une peine d’un an d’emprisonnement. Il avait déjà comparu le 1er avril 2004 pour cette même affaire ; le tribunal, dans la composition duquel figurait la requérante, avait alors ordonné un supplément d’information.
B. L’enquête administrative concernant la requérante
11. Le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence fit délivrer à la requérante une convocation à se présenter devant lui le 29 octobre 2008. Entre-temps, ayant appris que le président du TGI de Toulon réclamait le renfort d’un magistrat placé en invoquant sa « situation », la requérante demanda au premier président de pouvoir être assistée par un représentant syndical pendant leur entretien, ce qui lui fut refusé en vertu du cadre procédural de l’enquête administrative.
12. Le 29 octobre 2008, le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence informa la requérante de l’interception téléphonique effectuée sur le téléphone mobile de F.L. et lui résuma les propos qu’elle avait tenu. Il procéda ensuite à son audition sur la nature de ses rapports avec l’intéressé, sur le contenu de leur conversation et sur la procédure évoquée. La requérante indiqua qu’elle connaissait F.L. en tant qu’ancienne relation amoureuse de sa sœur. Elle confirma avoir eu une conversation téléphonique avec lui pour faire plaisir à cette dernière, mais contesta l’avoir conseillé, précisant avoir seulement cherché à le rassurer en l’invitant à donner au tribunal sa version des faits. Elle admit que son comportement consistant à suggérer l’exercice de pressions sur un détenu pouvait être qualifié d’anormal, mais expliqua qu’il s’agissait de « paroles en l’air ». Au sujet de sa présence dans la composition du tribunal à l’audience du 1er avril 2004, elle affirma n’avoir pas reconnu F.L. durant l’audience, mais s’être rendue compte qu’elle le connaissait au cours du délibéré. Elle n’avait pas soulevé la difficulté car le dossier n’était pas en état.
13. Le premier président informa la direction des services judiciaires du ministère de la Justice du comportement de la magistrate. Le 7 novembre 2008, le directeur de cabinet de la garde des sceaux saisit l’inspection des services judiciaires aux fins d’organiser une mission d’inspection sur les éléments transmis. Le même jour, la ministre de la Justice sollicita du Conseil supérieur de la magistrature (« CSM ») qu’il prononce contre la requérante une interdiction temporaire d’exercice de ses fonctions.
14. Lors de l’audience du 11 décembre 2008, du CSM statuant sur cette demande du ministre de la Justice, la requérante sollicita la production aux débats de l’enregistrement de la conversation téléphonique litigieuse. Elle expliqua n’avoir pas pesé tous les termes de ses réponses au premier président lors de leur entretien du 29 octobre 2008, mais confirma la teneur de celles-ci.
15. Par une décision en date du 18 décembre 2008 le CSM, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, rejeta la demande de production de l’enregistrement. Il estima que cette production, n’apparaissait pas indispensable à ce stade, la substance de la conversation téléphonique étant certaine, et souligna qu’il s’agissait d’une pièce d’une information judiciaire en cours au TGI de Nice. Par ailleurs, il prononça à l’encontre de la requérante l’interdiction temporaire d’exercer ses fonctions au TGI de Toulon jusqu’à la décision définitive sur les poursuites disciplinaires, ou jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à défaut d’engagement de telles poursuites dans l’intervalle.
16. Le 4 novembre 2009, le Conseil d’État déclara non admis le pourvoi de la requérante contre cette décision.
17. Le rapport de l’inspection générale des services judiciaires daté de février 2009 révéla que F.L. avait été condamné le 27 février 1997 par le tribunal correctionnel de Draguignan à la peine de dix mois d’emprisonnement avec mandat de dépôt à l’audience pour des faits de vol aggravé, ainsi que le 21 janvier 2000, par la cour d’assises du Var, à huit ans de réclusion pour des faits d’extorsion en bande organisée commise avec une arme. Il avait été incarcéré pour cette seconde peine du 25 janvier 1998 au 5 avril 2002, date à laquelle il avait bénéficié d’une libération conditionnelle. Le 1er avril 2004, il avait comparu devant le tribunal correctionnel de Toulon selon la procédure de comparution immédiate, pour des faits de tentative de vol avec violence ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours en récidive. Le tribunal avait ordonné un supplément d’information et placé le prévenu sous contrôle judiciaire. Devant les membres de l’inspection, la requérante affirma ne pas avoir reconnu l’intéressé, ni au cours de l’audience ni pendant le délibéré. Elle indiqua avoir appris plus tard, par sa sœur, qu’elle avait eu à juger F.L. Par ailleurs, les investigations confirmèrent qu’une personne nommée D.P. avait été condamnée le 10 novembre 2004 pour des violences commises sur la sœur de la magistrate et purgeait une peine d’emprisonnement à la maison d’arrêt de La Farlède à la date de la conversation téléphonique litigieuse. À la suite des propos interceptés entre la requérante et F.L. dont la ligne faisait l’objet d’une écoute téléphonique, le détenu avait été transféré sur demande du procureur de la République près le TGI de Nice, afin d’assurer sa sécurité. Devant les inspecteurs, la magistrate indiqua avoir évoqué D.P. sur le mode de la plaisanterie, afin que quelqu’un intervienne pour qu’il paie les dommages et intérêts qu’il devait à sa sœur.
18. La mission d’inspection conclut qu’il ne pouvait être affirmé que la requérante avait siégé en connaissance de cause à l’audience du 1er avril 2004 où comparaissait l’intéressé. En revanche, s’agissant des propos tenus lors de la conversation téléphonique interceptée, elle retint les appréciations, qu’elle qualifia, d’indélicates, portées sur une juge susceptible de siéger à l’audience du 10 octobre 2008, pour caractériser un manquement aux obligations de réserve, de prudence et de délicatesse attachées à l’état de magistrat. De plus, elle souligna que le fait pour la requérante d’avoir laissé entendre à F.L. qu’elle l’avertirait, au cas où elle devait siéger dans son dossier, était de nature à donner au moins l’apparence d’un manquement à la neutralité et à l’impartialité. Enfin, s’agissant de l’évocation de D.P., la mission d’inspection estima que la requérante avait objectivement placé son interlocuteur en situation d’avoir à prêter la main à l’organisation d’une agression ou de pressions sur le détenu et avait ainsi gravement méconnu les devoirs de son état.
C. L’enquête pénale concernant les faits
19. Le 12 novembre 2008, le procureur de la République près le TGI de Marseille ouvrit une enquête préliminaire contre personne non dénommée des chefs de violation du secret professionnel et trafic d’influence. Au cours de celle-ci, la communication téléphonique interceptée fut retranscrite.
20. Le 9 avril 2009, F.L. fut entendu par les enquêteurs. Il indiqua ne pas connaître D.P. et ajouta qu’il avait pensé que la requérante voulait lui demander s’il connaissait « quelqu’un pour le secouer un peu, une ou deux gifles mais pas plus ». Il précisa n’être pas intervenu en ce sens.
21. Le 26 mai 2009, le parquet classa le dossier sans suite en l’absence d’infraction.
D. Les poursuites disciplinaires contre la requérante
22. Par une dépêche du 20 février 2009, la garde des sceaux saisit le Conseil supérieur de la magistrature des faits imputables à la requérante. Il y annexa le document audio et la retranscription de la conversation téléphonique litigieuse. La requérante déposa des conclusions de nullité de la procédure disciplinaire relatives notamment au déroulement de l’enquête administrative et à la recevabilité de l’écoute téléphonique à titre de preuve.
23. Par une décision du 5 mai 2010, le CSM, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, prononça à l’encontre de la requérante la sanction de mise à la retraite d’office. Ses membres estimèrent notamment que l’audition effectuée par le premier président avait présenté les garanties nécessaires des droits de la défense de la magistrate qui avait confirmé lors de l’audience la teneur des éléments y étant relatés. Ils constatèrent que l’écoute téléphonique litigieuse était intervenue à l’occasion d’une procédure pénale dans laquelle la requérante n’était pas en cause et qu’elle avait été régulièrement versée au dossier au cours de l’enquête du rapporteur et contradictoirement débattue, l’intéressée ne contestant ni sa réalité ni son contenu, se contentant d’en minimiser la portée. S’agissant des griefs disciplinaires, ils observèrent notamment que la requérante avait varié dans ses déclarations relatives à l’identification par elle de F.L. lors de l’audience du 1er avril 2004 et rappelèrent le discours qu’elle lui avait tenu par téléphone dans la perspective de la comparution à venir, pour conclure que ces agissements constituaient des manquements à son état de magistrat. De plus, ils jugèrent que les propos incitatifs à la violence sur un détenu caractérisaient un manquement aux devoirs du magistrat et une perte des repères déontologiques pour des motifs de vengeance personnelle.
24. Par un décret du 30 août 2010, le Président de la République prononça la radiation des cadres de la requérante.
25. Le 1er février 2011, la directrice des services judiciaires rejeta le recours gracieux de cette dernière tendant à l’abrogation de la mesure de radiation des cadres.
26. Le 9 novembre 2011, le Conseil d’État déclara non-admis le pourvoi de la requérante contre la décision du CSM. La requérante soutenait d’une part, que cette décision était entachée d’irrégularité, dès lors qu’elle n’avait pas eu communication de l’ensemble des pièces du dossier dès la première saisine du ministre de la justice. Elle soutenait d’autre part, qu’elle était entachée d’erreurs de droit, d’abord parce que le rapporteur n’avait pas qualité de magistrat de l’ordre judiciaire, ensuite parce que le CSM s’était fondé sur le contenu d’une écoute téléphonique obtenue en méconnaissance des dispositions de la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances. Enfin, elle faisait valoir que le CSM avait inexactement qualifié les faits de l’espèce et qu’il avait dénaturé les pièces du dossier. Le Conseil d’État considéra qu’aucun de ces moyens n’était de nature à permettre l’admission du pourvoi.
27. Enfin, le 11 avril 2012, le Conseil d’État rejeta la requête en annulation du décret du 30 août 2010 et de la décision de la directrice des services judiciaires du 1er février 2011.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Code de procédure pénale
28. Les dispositions pertinentes ont été rappelées par la Cour dans son arrêt Versini-Campinchi et Crasnianski c. France (no 49176/11, §§ 25-26, 16 juin 2016), auquel il est renvoyé, à l’exception des dispositions de l’article 100-7, inséré dans le code de procédure pénale par la loi no 91-646 du 10 juillet 1991, qui se lisent comme suit :
Article 100-7
« Aucune interception ne peut avoir lieu sur la ligne d’un député ou d’un sénateur sans que le président de l’assemblée à laquelle il appartient en soit informé par le juge d’instruction.
Aucune interception ne peut avoir lieu sur la ligne dépendant du cabinet d’un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé par le juge d’instruction.
Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d’un magistrat ou de son domicile sans que le premier président ou le procureur général de la juridiction où il réside en soit informé.
Les formalités prévues par le présent article sont prescrites à peine de nullité. »
29. S’agissant des écoutes téléphoniques incidentes, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que, dès lors que des conversations interceptées révèlent l’existence de faits susceptibles de constituer une infraction pénale, celles-ci, même si elles sont étrangères à la procédure dans le cadre de laquelle les écoutes téléphoniques ont été ordonnées, peuvent être transcrites et communiquées au procureur de la République lequel appréciera les suites à donner (Cass. crim., 21 février 1995, Bull. crim., no 75). La Cour de cassation a confirmé cette jurisprudence s’agissant plus particulièrement des conversations téléphoniques entre la personne surveillée et son conseil (Cass. crim., 8 novembre 2000, Bull. crim., no 335). Elle a en outre admis, suite aux arrêts de la Cour, que la chambre de l’instruction examine la régularité des écoutes accomplies dans le cadre d’une procédure distincte et annexées à la procédure dont elle est saisie (Cass. crim., 7 décembre 2005, Bull. crim., no327, et Cass. crim., 18 janvier 2006, Bull crim., no 22).
B. Éléments relatifs à la discipline des magistrats
30. À l’époque des faits, les dispositions pertinentes de l’ordonnance no 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature étaient rédigées comme suit :
Article 43
« Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire.
Cette faute s’apprécie pour un membre du parquet ou un magistrat du cadre de l’administration centrale du ministère de la justice compte tenu des obligations qui découlent de sa subordination hiérarchique. »
Article 48
« Le pouvoir disciplinaire est exercé, à l’égard des magistrats du siège par le Conseil supérieur de la magistrature et à l’égard des magistrats du parquet ou du cadre de l’administration centrale du ministère de la justice par le garde des sceaux, ministre de la justice.
(...). »
Article 50-1
« Le Conseil supérieur de la magistrature est saisi par la dénonciation des faits motivant les poursuites disciplinaires que lui adresse le garde des sceaux, ministre de la justice. »
Article 50-2
« Le Conseil supérieur de la magistrature est également saisi par la dénonciation des faits motivant les poursuites disciplinaires que lui adressent les premiers présidents de cour d’appel ou les présidents de tribunal supérieur d’appel.
Copie des pièces est adressée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui peut demander une enquête à l’inspection générale des services judiciaires. »
Article 51
« Dès la saisine du conseil de discipline, le magistrat a droit à la communication de son dossier et des pièces de l’enquête préliminaire, s’il y a été procédé.
Le Premier président de la Cour de cassation, en qualité de président du conseil de discipline, désigne un rapporteur parmi les membres du conseil. Il le charge, s’il y a lieu, de procéder à une enquête.
Le Conseil supérieur de la magistrature peut interdire au magistrat incriminé, même avant la communication de son dossier, l’exercice de ses fonctions jusqu’à décision définitive. Cette interdiction ne comporte pas privation du droit au traitement. Cette décision ne peut être rendue publique. »
Article 55
« Le magistrat a droit à la communication de son dossier, de toutes les pièces de l’enquête et du rapport établi par le rapporteur. Son conseil a droit à la communication des mêmes documents. »
Article 56
« Au jour fixé par la citation, après audition du directeur des services judiciaires et après lecture du rapport, le magistrat déféré est invité à fournir ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés.
En cas d’empêchement du directeur des services judiciaires, il est suppléé par un magistrat de sa direction d’un rang au moins égal à celui de sous-directeur. »
31. Par une décision du 29 juillet 1998, le Conseil d’Etat a considéré, s’agissant d’une sanction disciplinaire prononcée à l’encontre d’un magistrat que, dès lors que les écoutes téléphoniques réalisées à l’appui d’une procédure pénale avaient été recueillies et transcrites au cours d’une procédure judiciaire conformément aux dispositions de la loi du 10 juillet 1991 susvisée, puis régulièrement versées au dossier disciplinaire dans le respect du caractère contradictoire de la procédure, le ministre de la Justice avait pu légalement fonder sa décision sur le contenu de ces pièces (CE, 29 juillet 1998, no 173940).
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEGUÉE DE L’ARTICLE 8
32. La requérante se plaint de l’interception et de la retranscription de la conversation téléphonique litigieuse, ainsi que de l’utilisation des procès-verbaux correspondants dans le cadre de la procédure disciplinaire diligentée à son encontre, sans avoir bénéficié des garanties liées à son statut de magistrat et sans avoir été en mesure de faire contrôler la régularité de l’écoute téléphonique. Elle invoque l’article 8 de la Convention, aux termes duquel :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Arguments des parties
1. La requérante
33. La requérante estime que l’interception de sa conversation téléphonique avec F.L. constitue une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance de la part des autorités publiques. Elle considère que cette ingérence était dépourvue d’une base légale, en ce que le droit français ne définit pas de manière suffisamment claire et prévisible le sort d’une écoute téléphonique d’une conversation entre la personne surveillée et un magistrat. Elle rappelle que, s’agissant des écoutes téléphoniques dites incidentes, la Cour avait indiqué qu’elle « pourrait être amenée à se poser la question de savoir si l’ingérence litigieuse était ou non « prévue par la loi » en l’espèce » (Matheron c. France, no 57752/00, §§ 31-32, 29 mars 2005). Elle ne conteste pas le but légitime poursuivi par l’interception téléphonique, à savoir la prévention d’une infraction pénale.
34. La requérante considère qu’en toute hypothèse, l’ingérence dont elle a fait l’objet ne saurait passer pour nécessaire dans une société démocratique.
35. Elle soutient, d’une part, que, s’agissant d’une mesure de surveillance secrète, son statut de magistrat impliquait le bénéfice de garanties spéciales de procédure, eu égard à la place des tribunaux dans la protection des principes de prééminence du droit (voir, mutatis mutandis, Zoubko et autres c. Ukraine, nos 3955/04 et 3 autres, § 68, CEDH 2006-VI (extraits)). Elle compare les garanties dont un magistrat doit bénéficier à celles d’un avocat (André et autre c. France, no 18603/03, § 42, 24 juillet 2008). Elle précise ne pas avoir bénéficié de la garantie prévue par l’article 100-7 du code de procédure pénale (CPP), selon lequel le président de la cour d’appel est préalablement avisé de l’interception de la ligne téléphonique du cabinet ou du domicile d’un magistrat.
36. D’autre part, elle fait valoir qu’elle s’est trouvée dans l’impossibilité de contester la régularité de l’écoute téléphonique au regard des dispositions des articles 100 et suivants du CPP, et partant, de ne pas avoir bénéficié d’un contrôle efficace a posteriori. Elle précise que le Conseil supérieur de la magistrature n’a pas contrôlé la régularité de l’écoute téléphonique mais seulement le versement de la pièce au dossier de la procédure disciplinaire. Elle indique que le Conseil d’État n’a pas remédié à cette carence en considérant que le moyen tiré de l’erreur de droit commise pas le CSM en se fondant sur une écouté réalisée en violation de la loi no 91-646 du 10 juillet 1991 n’était pas de nature à permettre l’admission du pourvoi. Faisant référence à l’arrêt Lambert c. France (24 août 1998, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1998-V), la requérante conclut qu’elle « n’a pas joui, en l’espèce, de la protection effective de la loi nationale qui n’opère pas de distinction selon le titulaire de la ligne placée sur écoutes (articles 100 et suivants du CPP) » et que l’exigence d’un contrôle efficace à l’égard de l’atteinte au droit à la vie privée, s’agissant d’écoutes téléphoniques incidentes, a été pourtant rappelée par les arrêts Matheron c. France (précité) et Pruteanu c. Roumanie (no 30181/05, § 50, 3 février 2015).
2. Le Gouvernement
37. Le Gouvernement ne conteste pas que l’interception et la transcription de la conversation entre la requérante et F.L. constitue une ingérence au sens de l’article 8 de la Convention.
38. Il soutient, en premier lieu, que cette ingérence était prévue par la loi. Il considère que les dispositions de l’article 100-7 du CPP n’étaient pas applicables en l’espèce. Selon lui, la garantie destinée à assurer l’indépendance et la sérénité requise à l’exercice de certaines fonctions prévue par ce texte ne trouve à s’appliquer que dans l’hypothèse où la ligne téléphonique du magistrat fait l’objet d’une interception téléphonique, que s’agissant de l’écoute, fortuite, d’une conversation privée, seules les dispositions de l’article 100 du CPP étaient applicables. Le Gouvernement ajoute que la mesure dont a fait l’objet la requérante a été strictement encadrée et contrôlée par l’autorité judiciaire.
39. Le Gouvernement soutient, en deuxième lieu, que l’ingérence poursuivait des buts légitimes, à savoir la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales, puisque l’interception litigieuse contenait des indices laissant supposer la participation de la requérante à des infractions pénales.
40. En troisième lieu, le Gouvernement indique que l’ingérence était, en l’espèce, nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au sens de l’article 8 § 2 de la Convention. Il fait valoir que la requérante disposait de deux types de contrôle efficace pour contester les écoutes dont elle a fait l’objet. Il indique que ces contrôles dépendaient du type de procédure engagée à l’encontre de la requérante, procédure pénale ou disciplinaire. Dans le cadre de la procédure disciplinaire, le Gouvernement rappelle que le Conseil d’État a admis que l’autorité disciplinaire puisse fonder une décision disciplinaire sur le contenu d’écoutes téléphoniques réalisées dans le cadre d’une procédure pénale, recueillies et transcrites conformément aux dispositions des articles 100 et suivants du CPP et versées au dossier disciplinaire dans le respect du caractère contradictoire de la procédure (CE, 29 juillet 1998, no173940). Il constate que la requérante a fait valoir plusieurs griefs relatifs à la régularité de la procédure dont l’irrégularité de l’interception téléphonique, devant le CSM, qui a répondu à l’ensemble de ses griefs, qu’ensuite, dans le cadre de son pourvoi devant le Conseil d’État, la requérante a fait valoir l’irrégularité de l’opération d’interception téléphonique critiquant notamment l’absence de procès-verbal sur l’opération d’interception et d’enregistrement. Il considère que la circonstance selon laquelle le Conseil d’État a écarté ce moyen dans sa décision du 9 novembre 2011, ne saurait suffire pour conclure que le contrôle qui a été effectué n’était pas efficace.
41. Le Gouvernement rappelle en dernier lieu que les écoutes téléphoniques ont été ordonnées par un magistrat et réalisées sous son contrôle.
B. Appréciation de la Cour
1. Sur la recevabilité
42. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention, et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. La Cour le déclare recevable.
2. Sur le fond
43. La Cour constate que le Gouvernement ne conteste pas que l’interception et la transcription de la conversation entre la requérante et F.L., alors que la ligne de ce dernier faisait l’objet d’une écoute téléphonique, constitue une ingérence au sens de l’article 8 de la Convention. En l’espèce, cette ingérence s’est poursuivie par l’utilisation de la transcription de cette conversation dans le cadre de la procédure disciplinaire conduite contre la requérante (Versini-Campinchi et Crasnianski c. France, précité, § 49).
44. Pareille ingérence méconnaît l’article 8 de la Convention sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 dudit article et, de plus, est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.
a) L’ingérence était-elle « prévue par la loi » ?
45. La Cour rappelle que les mots « prévue par la loi » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention veulent d’abord que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais ils ont trait aussi à la qualité de la loi en cause : ils exigent l’accessibilité de celle-ci à la personne concernée, qui de surcroît doit pouvoir en prévoir les conséquences pour elle, et sa compatibilité avec la prééminence du droit (voir, notamment, précités, Matheron, § 29 et Versini-Campinchi et Crasnianski, § 51).
46. La Cour note que l’écoute téléphonique litigieuse a été ordonnée par un juge d’instruction sur le fondement des articles 100 et suivants du CPP. La mesure ordonnée par le juge d’instruction ne visait pas la requérante ou sa ligne téléphonique, mais l’un de ses interlocuteurs. La Cour relève, comme elle l’a notamment fait dans l’arrêt Versini-Campinchi et Crasnianski (précité, § 52), que cette circonstance est indifférente et que les dispositions du CPP constituent la base légale de la mesure litigieuse.
47. L’accessibilité de ces dispositions ne prête pas à controverse. Il reste à déterminer si elles remplissent la condition de prévisibilité s’agissant comme en l’espèce, de l’interception, l’enregistrement et la transcription d’une conversation entre le titulaire de la ligne téléphonique mise sous écoute et un magistrat, et de l’utilisation subséquente de la transcription dans une procédure dirigée contre ce dernier.
48. La Cour rappelle qu’elle a jugé que les articles 100 et suivants du CPP répondent aux exigences de qualité de la loi (Lambert, précité, § 28). Elle a toutefois observé que la situation des personnes écoutées dans le cadre d’une procédure à laquelle elles sont étrangères n’apparaît pas couverte par ces dispositions (Matheron, précité, §§ 31-32). La Cour observe cependant que, par plusieurs arrêts, la Cour de cassation a jugé que les conversations interceptées dans le cadre d’une procédure à laquelle elles étaient étrangères pouvaient être transcrites et versées dans une autre procédure dès lors qu’elles révélaient la commission d’autres infractions. Plus particulièrement, la Cour de cassation avait, déjà à l’époque des faits, tranché la question des écoutes téléphoniques incidentes, concernant les interlocuteurs de la personne surveillée bénéficiant de garanties spéciales de procédure, en l’espèce des avocats (paragraphe 29 ci-dessus).
49. La Cour estime que les circonstances de l’espèce présentent des similitudes avec l’affaire Versini-Campinchi et Crasnianski (précitée, § 55). La requérante est également une professionnelle du droit ; sa conversation litigieuse, tenue le 6 septembre 2008, a été interceptée de manière fortuite, depuis la ligne de son interlocuteur, qui faisait l’objet d’une interception judiciaire sur décision d’un juge d’instruction dans le cadre d’une instruction judiciaire ; les propos qu’elle a tenus étaient susceptibles de caractériser à la fois sa participation à des infractions pénales et un manquement professionnel l’exposant à des poursuites disciplinaires.
50. Partant, au regard des dispositions des articles 100 et suivants du CPP et des arrêts de la Cour de cassation précités, elle considère que la requérante pouvait prévoir que ses propos étaient susceptibles d’être interceptés à l’occasion de la surveillance des conversations d’un de ses interlocuteurs, que s’ils laissaient présumer sa participation à une infraction, ils pouvaient faire l’objet d’une transcription et, enfin, que cette transcription pouvait être utilisée dans le cadre d’une procédure pénale ou dans le cadre d’une procédure disciplinaire.
51. La Cour admet en conséquence que l’ingérence litigieuse était « prévue par la loi », au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.
b) Finalité et nécessité de l’ingérence
52. La Cour estime que l’ingérence visait à permettre la manifestation de la vérité tant dans le cadre de la procédure pénale initiale mettant en cause F.L., que de la procédure pénale incidente concernant la requérante (paragraphe 19 ci-dessus) et tendait donc à la défense de l’ordre. Elle considère que le prolongement de cette ingérence par l’utilisation de la transcription de la conversation litigieuse dans le cadre de la procédure disciplinaire conduite contre la requérante visait le même but légitime.
53. Il reste à examiner si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ces objectifs. Selon la jurisprudence constante de la Cour, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence et de l’étendue de pareille nécessité, mais cette marge va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand celles-ci émanent d’une juridiction indépendante (Lambert, précité, § 30).
54. Quel que soit le système de surveillance retenu, la Cour doit se convaincre de l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus. Cette appréciation ne revêt qu’un caractère relatif, elle dépend, entre autres, du type de recours fourni par le droit interne. Par conséquent, il y a lieu de rechercher si les procédures destinées au contrôle de l’adoption et de l’application des mesures restrictives sont aptes à limiter à ce qui est nécessaire dans une société démocratique l’ingérence résultant de la législation incriminée (voir, notamment, précités, Lambert, § 31, Matheron, § 35, et Pruteanu, § 48).
55. La Cour constate, tout d’abord, s’agissant du statut de la requérante, que lorsqu’il s’agit d’intercepter la ligne d’un magistrat, le droit interne français prévoit, à peine de nullité, que le premier président de la juridiction où il réside en est informé. En l’espèce, l’interception contestée ne résultait pas de la mise sur écoute de la ligne de la requérante mais de celle de F.L. et le statut de la requérante était alors inconnu. La Cour relève, sans avoir à se prononcer sur l’applicabilité de l’article 100-7 du code de procédure pénale, que la garantie spéciale de procédure revendiquée par la requérante a effectivement été appliquée dès que son statut a été découvert. Le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence a ainsi été avisé, d’abord par des entretiens, puis par une note écrite du 10 octobre 2008, par le procureur général près la même cour, de l’interception de la conversation litigieuse. Par la suite, il a avisé le garde des sceaux et a procédé à l’audition de la requérante. Surtout, la Cour ne relève, en l’espèce, ni détournement de procédure, ni abus consistant à mettre sous écoute F.L. dans le but d’écouter indirectement les conversations de la requérante.
56. Par ailleurs, l’autorisation judiciaire n’ayant pas été délivrée pour intercepter les conversations de la requérante mais celles de son interlocuteur, F.L., il convient d’examiner la question de savoir si la requérante avait à sa disposition un recours a posteriori pour faire contrôler les enregistrements litigieux. Ses conversations ayant été transcrites puis utilisées dans une procédure pénale qui la concernait et dans une procédure disciplinaire dirigée à son encontre, l’intéressée devait bénéficier d’un « contrôle efficace » pour pouvoir contester les écoutes téléphoniques en cause (voir, mutatis mutandis, Matheron, précité, § 36, et Versini-Campinchi et Crasnianski, précité § 61). La Cour note qu’à l’instar de l’affaire Versini-Campinchi et Crasnianski (précitée, §§ 62-74), la requérante n’a pas eu la possibilité de saisir la chambre de l’instruction, voire une juridiction de jugement, faute d’avoir été poursuivie pénalement à raison des propos tenus le 6 septembre 2008. Elle s’est donc trouvée dans une situation comparable à celle du requérant dans l’affaire Matheron (précitée), pour lequel la Cour avait conclu qu’il n’avait pas bénéficié d’un contrôle efficace tel que voulu par la prééminence du droit et apte à limiter à ce qui était nécessaire dans une société démocratique l’ingérence litigieuse.
57. La Cour, tenant compte des circonstances particulières de l’espèce, observe que l’écoute litigieuse a été ordonnée par un magistrat et réalisée sous son contrôle (paragraphe 7 ci-dessus), que la transcription de la conversation du 6 septembre 2008 a ensuite été réalisée dans le cadre d’une enquête préliminaire à la demande et sous le contrôle d’un magistrat (paragraphe 19 ci-dessus).
58. Aucun élément ne permet à la Cour de constater que l’écoute téléphonique ait fait l’objet d’un contrôle juridictionnel dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre F.L. (cf, a contrario, Versini-Campinchi et Crasnianski, précitée, § 69).
59. En revanche, la Cour relève que la requérante a été mise en mesure de s’expliquer sur la conversation téléphonique litigieuse, à savoir le 29 octobre 2008, devant le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, puis à plusieurs reprises en janvier 2009, devant l’Inspection générale des services judiciaires, dans le cadre de l’enquête administrative, le 9 avril 2009 devant un enquêteur dans le cadre de la procédure pénale et, enfin, devant le rapporteur désigné par le CSM dans le cadre de l’enquête disciplinaire. La requérante n’a pas contesté l’existence de cette conversation litigieuse, ni la teneur de la transcription qui en a été faite. La Cour relève qu’il résulte expressément du rapport de l’Inspection générale des services judiciaires que tant la copie du support d’enregistrement que sa transcription ont été mis à la disposition de la requérante, qui a pu les consulter lors de ses auditions en janvier 2009. Enfin, la Cour observe que la décision du CSM du 5 mai 2010, qui a prononcé la sanction de la mise à la retraite d’office, indique que la requérante a eu droit, dès le 20 février 2009, à la communication de l’intégralité des pièces du dossier disciplinaire, comprenant notamment « le document audio et la retranscription de la conversation téléphonique du 6 septembre 2008 ».
60. En outre, la Cour constate que la requérante, comme dans l’affaire Versini-Campinchi et Crasnianski, précitée, a pu demander, dans le cadre de la procédure disciplinaire, d’écarter des débats la transcription litigieuse. La Cour observe à ce titre que, dans les conclusions de nullité qu’elle a présentées, la requérante n’a, en réalité, soulevé aucun moyen conduisant le CSM à contrôler la régularité de l’écoute téléphonique litigieuse, se contentant de faire valoir qu’aucune pièce de nature à justifier la régularité des investigations conduites sur la ligne téléphonique mise sur écoute ne figurait à son dossier. Toutefois, la Cour constate que les commissions rogatoires ordonnant la mise sur écoute de F.L. avaient été communiquées à la requérante et que ces pièces ont notamment permis au CSM de conclure que l’écoute litigieuse était intervenue à l’occasion d’une procédure pénale dans laquelle la requérante n’était pas en cause et qu’elle avait été régulièrement versée au dossier au cours de l’enquête du rapporteur et contradictoirement débattue. La Cour constate enfin qu’à l’occasion du pourvoi en cassation de la requérante, le Conseil d’État a examiné son moyen relatif à la régularité de l’écoute téléphonique litigieuse selon lequel le CSM avait entaché sa décision d’une erreur de droit en se fondant sur le contenu d’une écoute téléphonique obtenue en méconnaissance des dispositions des dispositions de la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications, pour décider que ce moyen n’était pas de nature à permettre l’admission du pourvoi (paragraphe 26 ci-dessus).
61. La Cour conclut qu’il y a eu, dans les circonstances de l’espèce, un contrôle efficace, apte à limiter l’ingérence litigieuse à ce qui était nécessaire dans une société démocratique.
62. Partant, il n’y pas eu violation des dispositions de l’article 8 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 juin 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Milan Blaško Angelika Nußberger
Greffier adjoint Présidente