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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> KORMEV v. BULGARIA - 39014/12 (Judgment : Violation of Article 3 - Prohibition of torture (Article 3 - Degrading treatment Inhuman treatment) (Substantive aspect) Viol...) French Text [2017] ECHR 843 (05 October 2017)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/843.html
Cite as: [2017] ECHR 843, ECLI:CE:ECHR:2017:1005JUD003901412, CE:ECHR:2017:1005JUD003901412

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    CINQUIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE KORMEV c. BULGARIE

     

    (Requête no 39014/12)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

     

    5 octobre 2017

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


     

    En l’affaire Kormev c. Bulgarie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

              Angelika Nußberger, présidente,
              Erik Møse,
              Nona Tsotsoria,
              Yonko Grozev,
              Síofra O’Leary,
              Mārtiņš Mits,
              Lәtif Hüseynov, juges,
    et de Milan Bla
    ško, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 septembre 2017,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 39014/12) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet État, M. Todor Slavov Kormev (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 mai 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme D. Dramova, du ministère de la Justice.

    3.  Le requérant alléguait que ses conditions de détention au centre de détention provisoire et à la prison de Stara Zagora étaient incompatibles avec l’article 3 de la Convention. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, il se plaignait en outre que les tribunaux internes avaient pris en compte, pour motiver sa condamnation, une déposition qui, selon lui, avait été extorquée à son coaccusé.

    4.  Le 3 décembre 2015, ces griefs ont été communiqués au Gouvernement et la Requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant est né en 1981. Il est incarcéré à la prison de Stara Zagora.

    A.  Les poursuites pénales contre le requérant

    6.  En février 2009, le parquet régional de Stara Zagora ouvrit des poursuites pénales contre X pour le vol, survenu le 7 février 2009, d’une importante somme d’argent dans la caisse d’une entreprise locale. Les investigations conduites par les organes chargés de l’enquête pénale menèrent jusqu’au requérant et jusqu’à deux autres jeunes hommes, M. Stoykov et P.S.

    7.  Le matin du 26 février 2009, trois équipes d’intervention de la police arrêtèrent les trois suspects à leurs domiciles respectifs. Le logement du requérant fut perquisitionné.

    8.  Les événements entourant l’arrestation de l’un des complices présumés du requérant, M. Stoykov, donnèrent lieu à une Requête introduite par ce dernier devant la Cour. M. Stoykov alléguait avoir été maltraité par les policiers, qui auraient essayé de lui faire avouer le vol et de le persuader de leur montrer l’endroit où aurait été caché l’argent volé. Dans un arrêt du 6 octobre 2015, la Cour conclut à la violation de l’article 3 de la Convention sous ses volets matériel et procédural à raison des mauvais traitements subis par M. Stoykov le 26 février 2009 alors qu’il était aux mains de la police et de l’absence d’une enquête effective concernant les allégations de l’intéressé (Stoykov c. Bulgarie, no 38152/11, 6 octobre 2015).

    9.  Le 26 février 2009, entre 12 h 20 et 13 h 30, une équipe de policiers fouilla un endroit situé près d’une route de montagne, sur les indications de M. Stoykov. Elle y découvrit un bidon en plastique contenant une très importante somme d’argent en espèces, des munitions de fusil d’assaut et des bijoux en or.

    10.  Le même jour, entre 20 h 33 et 22 h 04, M. Stoykov, assisté d’un avocat, fit une déposition devant un juge du tribunal régional de Stara Zagora. Il décrivit les préparatifs effectués par le requérant, P.S. et lui-même, leur entrée dans la maison de campagne de la comptable de l’entreprise ciblée et la contrainte exercée sur elle et son époux, la récupération de l’argent dans les bureaux de la société dans la ville voisine et le dépôt de cet argent dans la cache choisie et préparée à l’avance.

    11.  Le 27 février 2009, le requérant fut formellement inculpé du vol, commis le 7 février 2009, de 750 000 euros (EUR), 330 000 levs (BGN) et huit bijoux en or, avec la complicité de M. Stoykov et de P.S. et accompagné de violences physiques et de menaces à l’encontre des victimes.

    12.  Le 28 février 2009, le tribunal régional de Stara Zagora (« le tribunal régional ») plaça le requérant en détention provisoire.

    13.  Au cours de l’instruction préliminaire, les organes chargés de l’enquête rassemblèrent un certain nombre de preuves matérielles, interrogèrent plusieurs témoins et ordonnèrent une série d’expertises. En juillet et en août 2009 respectivement, par deux décisions du parquet régional, l’argent et les bijoux volés furent restitués aux victimes.

    14.  Le 25 août 2009, le parquet régional dressa un acte d’accusation à l’encontre du requérant et de ses deux complices présumés et les renvoya en jugement devant le tribunal régional. Les intéressés furent tous accusés de vol aggravé et de détention illégale d’arme à feu.

    15.  Entre le 27 octobre 2009 et le 15 mai 2010, le tribunal régional examina l’affaire pénale. Au cours de la procédure, il entendit plusieurs témoins, recueillit des preuves matérielles et documentaires et versa au dossier plusieurs rapports d’expertise. Devant cette instance, M. Stoykov se rétracta : il revint sur sa déposition initiale et expliqua qu’il avait été maltraité par les policiers lors de son arrestation et pendant les quelques heures ayant suivi celle-ci, lorsque, selon lui, les policiers l’avaient forcé à leur montrer l’endroit où aurait été caché l’argent volé et à leur dire « ce qu’ils voulaient entendre de lui ». Il ajouta qu’il avait ensuite été emmené à Stara Zagora où il aurait fait une déposition devant un juge. Afin de vérifier ces allégations, le tribunal régional interrogea la compagne de M. Stoykov, l’une de ses voisines ainsi que deux agents de police qui avaient participé à l’opération d’arrestation et à la recherche de l’argent volé. Des preuves médicales concernant l’état de santé de M. Stoykov après son arrestation furent également versées au dossier.

    16.  Dans sa plaidoirie devant le tribunal régional, l’avocat du requérant insista sur l’argument selon lequel les charges retenues contre son client reposaient uniquement sur la déposition de son coaccusé M. Stoykov, qui lui aurait été extorquée.

    17.  Par un jugement du 15 mai 2010, le requérant, M. Stoykov et P.S. furent reconnus coupables des faits dont ils étaient accusés. Le requérant fut condamné à dix-huit ans et six mois d’emprisonnement. Le tribunal régional fonda sa conclusion concernant l’implication du requérant dans les événements en cause sur la déposition initiale de son coaccusé, M. Stoykov, qu’il estima corroborée par les témoignages des deux victimes et par l’analyse des données provenant des téléphones portables utilisés par les trois coaccusés.

    18.  Le tribunal régional jugea aussi que l’allégation de M. Stoykov selon laquelle sa déposition lui avait été extorquée n’était confirmée que par la déposition de sa compagne. L’expert médicolégal, mandaté par le tribunal précité pour réaliser une expertise sur la base du certificat médical délivré le 27 février 2009, avait conclu que les lésions constatées sur le corps de M. Stoykov avaient pu être causées avant le 26 février 2009, que la procédure suivie lors de l’audition du suspect le 26 février 2009 représentait une garantie suffisante contre une éventuelle extorsion d’aveux et que cette déposition reprenait ce que l’accusé avait déjà dit aux policiers un peu plus tôt dans la journée. Le tribunal régional estima que, en tout état de cause, même en admettant que M. Stoykov avait été maltraité, cela n’enlevait rien à la véracité de sa déposition, puisque c’est grâce à celle-ci que l’argent volé avait été retrouvé.

    19.  Il rejeta également l’alibi du requérant selon lequel ce dernier serait resté à son domicile le jour du vol.

    20.  Les condamnations du requérant et de ses coaccusés furent confirmées, le 21 avril 2011, par la cour d’appel de Plovdiv. Dans son arrêt, la cour d’appel reprit les éléments factuels et juridiques retenus par le tribunal régional. Elle fonda ses conclusions concernant la participation du requérant au crime dont il était accusé sur la déposition faite par M. Stoykov au cours de l’instruction préliminaire et sur les autres témoignages et preuves matérielles et scientifiques recueillis. Elle rejeta l’argument du requérant tendant à la disqualification de la déposition de M. Stoykov en estimant que l’allégation selon laquelle ce dernier aurait été forcé d’avouer le crime en cause et de témoigner contre le requérant était mal fondée, et ce pour les mêmes motifs que le tribunal de première instance (paragraphe 18 ci-dessus). Elle rejeta également tous les autres arguments procéduraux des appelants relatifs, notamment, à l’irrecevabilité des preuves à charge.

    21.  Le requérant forma un pourvoi en cassation dans lequel il contestait formellement la recevabilité, au regard du droit interne, de plusieurs preuves à charge, ainsi que la motivation de sa condamnation qui n’aurait reposé que sur la déposition selon lui extorquée à son coaccusé M. Stoykov. Les deux autres coaccusés se pourvurent également en cassation.

    22.  Par un arrêt du 17 novembre 2011, la Cour suprême de cassation rejeta les pourvois du requérant et de ses coaccusés. La haute juridiction estima que les décisions des instances inférieures avaient été amplement motivées et que tous les arguments des trois coaccusés avaient été examinés et rejetés de manière persuasive par le tribunal régional et par la cour d’appel. Elle jugea en particulier que le procès-verbal d’inspection des lieux où avaient été retrouvés l’argent et les objets de valeur volés, les témoignages des agents de police ayant participé au premier stade des investigations et la déposition initiale de M. Stoykov étaient des preuves recevables et véridiques. À ses yeux, les tribunaux inférieurs avaient à juste titre pris en compte ces éléments pour établir la culpabilité des trois coaccusés. La Cour suprême de cassation estima que la condamnation du requérant ne reposait pas uniquement sur la déposition de son complice M. Stoykov, celle-ci ayant été corroborée par les autres preuves recevables. Par ailleurs, elle nota que tous les coaccusés avaient activement participé à la procédure pénale et que les tribunaux inférieurs avaient accédé à une partie de leurs demandes de rassemblement de nouvelles preuves.

    B.  Les conditions de détention du requérant

    23.  Le requérant fut incarcéré au centre de détention provisoire de Stara Zagora du 28 février au 27 août 2009. À ses dires, sa cellule mesurait 2,2 m sur 2,9 m et il la partageait avec un autre détenu. Elle aurait été sale, mal éclairée, infestée de cafards, dépourvue de ventilation et de chauffage adéquats ainsi que d’une installation sanitaire intégrée. L’accès à l’équipement sanitaire commun aurait été assuré trois fois par jour pour dix à quinze minutes. Le reste du temps, les détenus auraient dû se servir d’un seau pour leurs besoins naturels.

    24.  Le 27 août 2009, le requérant fut transféré à la prison de Stara Zagora. Il allègue y avoir partagé une cellule de 6 m2 sans équipement sanitaire intégré avec un autre détenu jusqu’au mois de juillet 2010. Il indique avoir eu la possibilité d’utiliser les toilettes communes trois fois par jour et avoir dû recourir à un seau le reste du temps. Il déclare n’avoir eu droit qu’à une heure de promenade en plein air par jour. Le reste du temps, il aurait été contraint de rester sur son lit, faute d’espace libre dans sa cellule.

    25.  En juillet 2010, le requérant fut affecté à un autre groupe de prisonniers et transféré dans une autre cellule, qu’il occupe toujours actuellement. Selon lui, il avait dès lors eu libre accès aux installations sanitaires communes pendant la journée mais il devait toujours se servir d’un seau pendant la nuit. À ses dires, pendant l’hiver, les locaux de son quartier de détention étaient mal chauffés du lundi au vendredi et le chauffage ne fonctionnait pas pendant les week-ends.

    26.  Le requérant déclare que la nourriture à la prison est servie en quantité insuffisante et qu’elle est peu variée et de mauvaise qualité. Il ajoute qu’il ne peut passer qu’une heure et vingt minutes par jour dans la cour de la prison où il y aurait peu de possibilités d’exercer une activité physique.

    27.  Il expose que, depuis la rénovation de la prison de Stara Zagora en février 2016, sa cellule dispose d’un équipement sanitaire intégré.

    C.  La Requête no 38539/11, introduite par le requérant

    28.  Le 13 juin 2011, le requérant introduisit une Requête devant la Cour dans laquelle il se plaignait, au regard de l’article 5 de la Convention, de l’illégalité de sa détention provisoire et, sous l’angle de l’article 6 de la Convention, du caractère erroné de sa condamnation par les tribunaux bulgares. La Requête a été enregistrée sous le no 38539/11. Le 8 janvier 2015, elle a été rejetée comme irrecevable par la Cour, siégeant en formation de juge unique. Le grief tiré de l’article 6, relatif à l’issue de la procédure pénale, a été rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention pour défaut manifeste de fondement, la Cour ayant constaté qu’il s’agissait d’un grief de type quatrième instance.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    29.  Le droit et la jurisprudence internes pertinents concernant l’exécution des peines privatives de liberté et la responsabilité de l’État du fait des mauvaises conditions de détention, tels qu’ils étaient applicables à l’époque des faits, ont été résumés dans l’arrêt Neshkov et autres c. Bulgarie (nos 36925/10, 21487/12, 72893/12, 73196/12, 77718/12 et 9717/13, §§ 106-136, 27 janvier 2015).

    30.  Le 25 janvier 2017, l’Assemblé nationale adopta une loi portant amendement de la loi de 2009 sur l’exécution des peines et de la détention provisoire. Le texte nouvellement amendé de la loi de 2009 fut publié au Journal officiel le 7 février 2017. Les nouveaux articles 284 à 286 de la loi de 2009, qui entrèrent en vigueur à cette dernière date, prévoient désormais une voie de recours interne compensatoire spécialement conçue pour permettre la réparation du préjudice subi du fait des mauvaises conditions de détention. Les nouveaux articles 276 à 283 de la loi de 2009, entrés en vigueur le 1er mai 2017, prévoient désormais une voie de recours préventive spéciale concernant les mauvaises conditions de détention.

    III.  AUTRES DOCUMENTS PERTINENTS

    31.  En mai 2012, l’Ombudsman bulgare a été désigné par la Bulgarie comme étant le mécanisme national de prévention en application de l’article 17 du Protocole facultatif de 2002 se rapportant à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, signé par la Bulgarie et entré en vigueur dans ce pays le 1er juin 2011. L’Ombudsman visita plusieurs établissements pénitentiaires entre juillet et novembre 2012, dont la prison de Stara Zagora. Dans son rapport, publié la même année, il observait notamment que la surpopulation carcérale était un problème généralisé, que les locaux des prisons étaient délabrés et souvent infestés d’insectes et de rongeurs, que l’hygiène y était insuffisante et que la nourriture des prisonniers était de mauvaise qualité - les œufs, les produits laitiers et les fruits étaient rarement servis aux prisonniers (Neshkov et autres, précité, §§ 77-80).

    32.  Le 26 mars 2015, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« le CPT ») a publié une déclaration publique relative à la Bulgarie en application de l’article 10, paragraphe 2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. La partie pertinente de cette déclaration se lit comme suit (notes de bas de page omises) :

    « 1.  Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a effectué dix visites en Bulgarie depuis 1995. Au cours de ces visites, les délégations du Comité se sont rendues dans toutes les prisons sauf une, plusieurs établissements de détention provisoire (IDF) et de nombreux établissements de police dans le pays.

    2.  De graves manquements ont été mis en évidence au cours des visites susmentionnées, notamment en ce qui concerne les établissements de police et les établissements pénitentiaires. Des recommandations ont été formulées à maintes reprises au cours des 20 dernières années en ce qui concerne ces deux domaines.

    Dans ses rapports, le CPT a maintes fois attiré l’attention des autorités bulgares sur le fait que le principe de coopération entre les États parties et le CPT, tel qu’il est énoncé à l’article 3 de la Convention établissant le Comité, ne se limite pas aux mesures prises pour faciliter la tâche d’une délégation qui effectue une visite. Il exige aussi que des mesures résolues soient prises pour améliorer la situation à la lumière des recommandations formulées par le CPT.

    Dans leur très grande majorité, ces recommandations n’ont pas été suivies d’effet ou ne l’ont été que partiellement. Au cours des visites du Comité en Bulgarie en 2010, 2012, 2014 et 2015, les délégations du CPT ont constaté l’absence de mesures résolues prises par les autorités, menant à une détérioration constante de la situation des personnes privées de liberté.

    3.  Dans le rapport relatif à sa visite de 2012, le Comité avait fait part de son extrême préoccupation concernant l’absence de progrès constatée dans le système pénitentiaire bulgare et il a souligné que cela pourrait obliger le CPT à envisager de recourir à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

    La procédure susmentionnée a été lancée après la visite de mars/avril 2014 ; en effet, les constatations faites par le Comité au cours de cette visite ont montré le manquement persistant des autorités bulgares à remédier à certaines défaillances fondamentales concernant la manière dont sont traitées les personnes privées de liberté et les conditions dans lesquelles celles-ci sont détenues. Le rapport de visite a mis en lumière un certain nombre de préoccupations de longue date, dont certaines remontent à la toute première visite périodique en Bulgarie en 1995, en ce qui concerne le phénomène des mauvais traitements (tant dans le contexte de la police que dans celui des établissements pénitentiaires), la violence entre détenus, le surpeuplement carcéral, les mauvaises conditions matérielles de détention dans les IDF et les prisons, les services médicaux pénitentiaires insuffisants et le faible niveau des effectifs en personnel de surveillance, ainsi que des préoccupations concernant la discipline, le placement à l’isolement et les contacts avec le monde extérieur.

    4.  Les préoccupations du CPT n’ont, c’est le moins qu’on puisse dire, pas été apaisées par les réponses des autorités bulgares tant au rapport relatif à la visite de 2014 du CPT qu’à la lettre par laquelle le Comité a informé les autorités du déclenchement de la procédure prévue à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention. En effet, celles-ci étaient succinctes, contenaient très peu d’informations nouvelles et n’abordaient pas la plupart des recommandations du Comité, se contentant généralement de citer la législation en vigueur et/ou d’expliquer l’inaction en faisant référence aux restrictions budgétaires. En outre, la plupart des informations figurant dans le rapport du CPT au sujet des mauvais traitements et de la violence entre détenus ont été tout simplement rejetées.

    La visite de 2015 a donc été pour le Comité l’occasion d’évaluer les progrès réalisés dans la mise en œuvre de ses recommandations de longue date et d’examiner, en particulier, le traitement et les conditions de détention des personnes détenues dans les prisons de Sofia, Burgas et Varna, ainsi qu’à l’IDF de Sofia (situé Boulevard G.M. Dimitrov).

    Malheureusement, les constatations faites lors de la visite susmentionnée montrent qu’il n’y a eu guère ou pas de progrès réalisés dans la mise en œuvre des principales recommandations formulées à maintes reprises par le CPT.

    Pour ces raisons, le Comité n’a pas d’autre choix que de faire une déclaration publique, conformément à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention. Il a pris cette décision à l’occasion de sa 86e réunion plénière, en mars 2015.

    (...)

    Détention dans les établissements relevant du ministère de la Justice

    (...)

    12.  Le surpeuplement reste une question très problématique dans le système pénitentiaire bulgare. Par exemple, à la prison de Burgas, dans leur grande majorité, les détenus disposaient de moins de 2 m² d’espace vital dans les cellules collectives, à l’exception notable de celles du quartier pour prévenus. La situation à la prison de Sofia restait analogue à celle observée dans le passé, la plupart des détenus ayant à peine plus de 2 m² d’espace vital par personne.

    13.  Les conditions matérielles dans les prisons de Sofia, Burgas et Varna restaient caractérisées par un état de délabrement qui ne faisait qu’empirer. En particulier, la plupart des sanitaires de ces trois prisons étaient totalement décrépits et insalubres, et le chauffage ne fonctionnait que quelques heures par jour. Dans leur majorité, les détenus ne bénéficiaient toujours pas d’un accès facile à des toilettes pendant la nuit et devaient recourir à des seaux ou à des bouteilles pour satisfaire leurs besoins naturels. Les cuisines des prisons de Burgas et de Varna (de même que le réfectoire de la prison de Varna) restaient répugnantes de saleté et insalubres, infestées de vermine, avec des canalisations qui fuyaient et débordaient, et des murs et des plafonds couverts de moisissures. La plupart des quartiers des établissements visités étaient impropres à l’hébergement d’êtres humains et représentaient un risque grave pour la santé tant des détenus que du personnel. En résumé, de l’avis du Comité, les conditions matérielles dans les trois prisons visitées pourraient, à elles seules, être considérées comme constituant un traitement inhumain et dégradant.

    14.  La grande majorité des détenus (y compris la quasi-totalité des prévenus) des trois établissements pénitentiaires visités en 2015 continuait de n’avoir aucun accès à des activités organisées hors cellule et restait dans l’oisiveté jusqu’à 23 heures sur 24.

    (...)

    Conclusions

    17.  Dans ses précédents rapports, le Comité a dûment pris acte des assurances données à maintes reprises par les autorités bulgares selon lesquelles des mesures seraient adoptées pour améliorer la situation des personnes placées en garde à vue ou détenues dans des établissements relevant de la responsabilité du ministère de la Justice. Néanmoins, les constatations faites par le CPT lors de la visite de 2015 montrent à nouveau que rien ou quasiment rien n’a été fait en ce qui concerne tous les problèmes susmentionnés qui durent depuis longtemps. Cette situation met en lumière le manquement persistant des autorités bulgares à remédier à la plupart des défaillances fondamentales concernant le traitement et les conditions de détention des personnes privées de liberté, malgré les recommandations formulées expressément et à maintes reprises par le Comité. Le CPT estime qu’une action à cet égard n’a que beaucoup trop tardé et que l’approche concernant l’ensemble de la question de la privation de liberté en Bulgarie doit changer radicalement. (...). »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    33.  Le requérant allègue que ses conditions de détention au centre de détention provisoire et à la prison de Stara Zagora ont été inhumaines et dégradantes. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    1.  Arguments des parties

    34.  Dans ses observations, datées du 21 avril 2016, relatives à la recevabilité et au fond de la Requête, le Gouvernement soutient en premier lieu que ce grief a été introduit au-delà du délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention. Selon lui, ce délai a commencé à courir à compter de la condamnation définitive du requérant, à savoir le 17 novembre 2011. Il indique que la plainte initiale de l’intéressé du 10 mai 2012 ne contenait qu’une référence à l’article 3 de la Convention et ne donnait pas de précisions quant aux faits entrant dans le champ d’application de cette disposition. Le Gouvernement estime que, dans le formulaire de Requête du 7 août 2012, le requérant a dénoncé ses mauvaises conditions de détention uniquement pour étayer sa demande de dédommagement. Ainsi, aux yeux du Gouvernement, le requérant n’a pas porté ce grief précis devant la Cour.

    35.  En deuxième lieu, et à titre subsidiaire, le Gouvernement argue que le grief du requérant doit être considéré comme tardif dans sa partie concernant les conditions de détention au centre de détention provisoire et à la prison de Stara Zagora jusqu’au 17 novembre 2011, date à laquelle il a été transféré dans une autre partie de la même prison.

    36.  En troisième lieu, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il assure que le requérant ne s’est jamais plaint de ses conditions de détention auprès des autorités et qu’il n’a jamais demandé son transfert dans un autre établissement pénitentiaire. Il avance que, de surcroît, le requérant n’a pas intenté d’action en dommages et intérêts en vertu de l’article 1 de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage, ce qui lui aurait permis d’obtenir un dédommagement pour les mauvaises conditions de détention dont il se plaignait.

    37.  Le requérant conteste les arguments du Gouvernement. Il considère que son grief tiré de l’article 3 de la Convention a, en substance, été soumis à la Cour dans le délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention.

    38.  Il déclare que, contrairement aux allégations du Gouvernement, il s’est plaint à plusieurs reprises aux autorités pénitentiaires de différents aspects relatifs à ses conditions de détention et, en particulier, de l’absence de libre accès aux installations sanitaires, mais que ses demandes sont restées sans réponse. Par ailleurs, en se référant aux constats de la Cour dans son arrêt Neshkov et autres, précité, le requérant soutient qu’une action fondée sur l’article 1 de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage ne représentait pas une voie de recours interne suffisamment effective dans son cas.

    2.  Appréciation de la Cour

    39.  La Cour observe d’emblée que le Gouvernement a soulevé deux moyens d’irrecevabilité. Celui-ci a d’abord invoqué le caractère tardif du grief tiré de l’article 3 de la Convention en s’appuyant sur deux arguments principaux : i) le requérant n’aurait pas formulé de manière claire et précise ses allégations de mauvaises conditions de détention dans un délai de six mois à compter de sa condamnation définitive et ii) à titre subsidiaire, la partie de son grief concernant ses conditions de détention avant sa condamnation définitive est tardive car ses conditions de détention ont changé à compter de cette dernière date du fait de son transfert dans une autre partie de la prison de Stara Zagora. Le Gouvernement a ensuite excipé du non-épuisement des voies de recours internes en soutenant que le requérant ne s’est pas plaint de ses conditions de détention devant les autorités internes et qu’il n’a pas intenté d’action compensatoire en vertu de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage.

    40.  La Cour estime opportun de déterminer d’abord si la règle de l’épuisement des voies de recours internes a été respectée dans le cas d’espèce.

    41.  Elle rappelle que dans son arrêt Neshkov et autres (précité, §§ 192-213), elle s’est livrée à une analyse approfondie des voies de recours internes existantes en droit bulgare pour remédier aux mauvaises conditions de détention. Elle a notamment constaté que, eu égard à l’évolution de la jurisprudence des tribunaux bulgares en application de l’article 1 de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage dans des cas de figure similaires à celui du requérant, une action en dommages et intérêts fondée sur cet article ne saurait être considérée comme une voie de recours compensatoire suffisamment certaine et effective pour remédier aux violations alléguées de l’article 3 de la Convention du fait de mauvaises conditions de détention (idem, §§ 192-206). Elle a également relevé que le droit interne n’offrait aucune voie de recours préventive qui soit suffisamment accessible et effective dans les cas de figure similaires à celui de l’espèce (idem, §§ 208-212). Elle estime que les mêmes considérations prévalent dans la présente espèce, d’autant plus que le requérant se plaint d’une situation continue de mauvaises conditions carcérales à la prison de Stara Zagora, un établissement pénitentiaire qui a fait l’objet d’un examen de la Cour sous l’angle de l’article 3 de la Convention dans l’affaire Neshkov et autres (précitée, §§ 249 et 250). La Cour estime donc qu’il y a lieu de rejeter l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement.

    42.  En statuant ainsi sur cette exception d’irrecevabilité du Gouvernement, la Cour ne perd pas de vue que la législation interne a été modifiée en février et en mai 2017 et qu’elle prévoit désormais un recours compensatoire et un recours préventif spécialement conçus pour adresser les plaintes des prisonniers détenus dans des mauvaises conditions de détention (voir paragraphe 30 ci-dessus). La présente Requête a été communiquée au Gouvernement le 3 décembre 2015 (voir paragraphe 4 ci-dessus) et celui-ci a présenté ses observations sur le fond et la recevabilité de la Requête le 21 avril 2016 (voir paragraphe 34 ci-dessus) et celles sur la prétention de satisfaction équitable le 19 septembre 2016 (voir paragraphe 94 ci-dessous). De ce fait, la procédure écrite devant la Cour s’est achevée avant l’entrée en vigueur de cette nouvelle législation. Par ailleurs, le Gouvernement n’a pas soulevé spontanément, après la fin de l’échange d’observations, une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement de cette nouvelle voie de recours interne. Dans ces circonstances, la Cour ne saurait statuer ex officio sur la question de savoir si le requérant aurait dû épuiser les voies de recours nouvellement introduites en droit interne (voir, parmi d’autres, N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 44, CEDH 2002-X; Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, §§ 40-41, CEDH 2006-II; Dobrev c. Bulgarie, no 55389/00, §§ 112 et 113, 10 août 2006; Yordanov c. Bulgarie, no 56856/00, §§ 76 et 77, 10 août 2006). Elle tient à souligner que cette conclusion est liée aux circonstances spécifiques de la présente affaire et qu’elle ne préjuge pas de ses futures décisions sur la recevabilité d’autres affaires pendantes relatives aux mauvaises conditions de détention.

    43.  Concernant l’autre moyen d’irrecevabilité soulevé par le Gouvernement, la Cour rappelle d’emblée qu’un grief tiré de la Convention se caractérise par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués, qu’elle est maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause et qu’elle ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements (voir, parmi beaucoup d’autres, Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 54, 17 septembre 2009). Elle observe à cet égard que, dans sa Requête du 7 août 2012, le requérant a décrit de manière très détaillée et dénoncé les mauvaises conditions de détention dans la prison où il purgeait sa peine à cette époque et dans le centre de détention provisoire où il avait été incarcéré auparavant. Elle estime donc que, à cette date, le requérant a soulevé en substance son grief sous l’angle de l’article 3 de la Convention pour dénoncer une situation continue qui, selon lui, était incompatible avec cet article (Neshkov et autres, précité, § 199, avec les références qui y sont citées).

    44.  La Cour ne saurait prendre comme point de départ du délai de six mois la date du 17 novembre 2011, comme le suggère le Gouvernement, étant donné qu’elle ne dispose pas de données lui permettant de conclure que, à cette date, la situation du requérant était conforme à l’article 3 de la Convention. Partant, elle estime qu’il y a lieu de rejeter aussi cette exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement.

    45.  Constatant par ailleurs que le grief tiré de l’article 3 de la Convention n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Arguments des parties

    a)  Le requérant

    46.  Le requérant dénonce en premier lieu les conditions de sa détention au centre de détention provisoire de Stara Zagora : il se plaint de l’étroitesse de la cellule qu’il y a occupée et des conditions d’hygiène déplorables, de l’absence de ventilation et de chauffage adéquats ainsi que de l’absence d’installation sanitaire intégrée. Il indique que l’accès à l’équipement sanitaire commun était assuré trois fois par jour à raison de dix à quinze minutes et que, le reste du temps, les détenus devaient se servir d’un seau pour leurs besoins naturels.

    47.  Après son transfert à la prison de Stara Zagora, le 27 août 2009, et jusqu’au mois de juillet 2010, le requérant déclare avoir partagé une cellule de 6 m2 sans équipement sanitaire intégré avec un autre détenu. Il aurait eu la possibilité d’utiliser les toilettes communes trois fois par jour ; le reste du temps il aurait eu recours à un seau. Il ajoute avoir eu le droit à une heure de promenade en plein air par jour et, le reste du temps, avoir été contraint de rester sur son lit faute d’espace libre dans sa cellule.

    48.  Il expose que, à partir de juillet 2010, date à laquelle il a été affecté à un autre groupe de prisonniers et transféré dans une autre cellule, il a eu libre accès aux installations sanitaires communes pendant la journée, mais qu’il devait toujours se servir d’un seau pendant la nuit. À ses dires, pendant l’hiver, les locaux de son quartier de détention étaient mal chauffés du lundi au vendredi et le chauffage ne fonctionnait pas pendant les week-ends.

    49.  Le requérant dénonce encore la mauvaise qualité et l’insuffisance de la nourriture, le peu de temps qu’il pouvait passer dans la cour de la prison, à savoir une heure et vingt minutes par jour, et les possibilités limitées d’exercer une activité physique.

    50.  Le requérant expose que, depuis la rénovation de la prison de Stara Zagora, en février 2016, sa cellule dispose d’un équipement sanitaire intégré. Il considère cependant que, jusqu’à cette dernière date, l’effet cumulatif des conditions de détention décrites ci-dessus a résulté en un traitement allant au-delà du seuil de gravité exigé pour l’application de l’article 3 de la Convention.

    b)  Le Gouvernement

    51.  Le Gouvernement conteste les arguments du requérant. Il indique d’emblée qu’il n’est pas en mesure de soumettre à la Cour des informations précises concernant les conditions matérielles de détention du requérant pour toute la durée de la détention de l’intéressé en raison de la longueur de celle-ci. Il ajoute cependant que la prison de Stara Zagora a récemment été rénovée : certains dortoirs auraient été agrandis et les cellules disposeraient désormais d’installations sanitaires intégrées.

    52.  Le Gouvernement fait part des informations suivantes concernant la situation du requérant à la date du 8 février 2016. L’intéressé était incarcéré dans une cellule collective de 24,65 m2 et d’une hauteur sous plafond de 2,83 m, qu’il partageait avec cinq autres prisonniers. La cellule disposait d’une double fenêtre que les prisonniers pouvaient ouvrir à tout moment pour aérer la pièce et d’installations sanitaires intégrées, composées de toilettes et d’un lavabo et pourvues d’une fenêtre. L’ameublement comptait six lits, quatre casiers, une table et quatre chaises.

    53.  Le Gouvernement expose que les murs, le plafond et le mobilier des cellules de la prison sont régulièrement entretenus et repeints et que le revêtement du sol a été récemment remplacé. Il indique que la prison dispose d’une installation de chauffage collectif et d’eau chaude et que, pendant l’hiver, le chauffage fonctionne matin, midi et soir pendant trois plages de trois heures chacune. Il ajoute que l’eau chaude est disponible pendant toute la journée et que la cellule collective où le requérant était incarcéré le 8 février 2016 disposait d’un grand radiateur en fonte.

    54.  Selon le Gouvernement, le centre médical de la prison assure le contrôle de l’état général de l’hygiène et la coordination des opérations de désinfection et d’éradication des insectes et des rongeurs. Des entreprises externes seraient occasionnellement engagées lors de ces opérations.

    55.  Le Gouvernement indique que le requérant, comme tous les autres prisonniers, est autorisé à passer une heure et vingt minutes par jour dans la cour de la prison où, depuis 2006, il y a un banc et des barres de musculation, des barres parallèles et un panier de basketball.

    56.  Il assure que la préparation de la nourriture servie aux prisonniers répond à un cahier des charges précis permettant de fournir un apport calorique journalier individuel de 2 662 kilocalories et au moins un repas carné par jour.

    57.  Se référant à une lettre du directeur de la prison datée du 20 avril 2016, le Gouvernement ajoute que, depuis le 14 décembre 2011, le requérant travaille dans l’enceinte de la prison : celui-ci a d’abord été affecté à l’atelier d’ameublement puis à la buanderie.

    2.  Appréciation de la Cour

    58.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, parmi beaucoup d’autres, Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 162, série A no 25 ; Muršić c. Croatie [GC], no 7334/13, § 98, CEDH 2016). Dans son récent arrêt Muršić (précité, §§ 139 et 140), la Cour a estimé que lorsqu’un détenu dispose dans sa cellule d’un espace personnel supérieur à 3 m², les autres aspects de ses conditions de détention, comme, par exemple, l’accès à la cour de promenade, à l’air et à la lumière naturels, l’aération et la température dans les locaux, l’accès aux toilettes, les conditions sanitaires et hygiéniques, demeurent pertinents aux fins de l’appréciation du caractère adéquat de sa situation au regard de l’article 3 de la Convention.

    59.  La Cour note que le requérant est détenu depuis le 26 février 2009. Depuis le 28 février 2009, il est passé par deux établissements pénitentiaires différents : le centre de détention provisoire de Stara Zagora et la prison de la même ville, où il est toujours incarcéré. Pendant la période comprise entre février 2009 et juillet 2010, il disposait d’un espace personnel d’environ 3 m² (paragraphes 23 et 24 ci-dessus) et depuis le mois de juillet 2010, il est incarcéré dans une cellule collective où chaque prisonnier dispose d’une surface au sol d’un peu plus de 4 m² (paragraphes 25 et 52 ci-dessus). Compte tenu de ces circonstances, la Cour estime que la question principale qui se pose à elle en la présente affaire est de savoir si tous les aspects des conditions matérielles de détention du requérant, combinées avec les modalités d’exécution de la mesure de détention provisoire prise à son encontre et de sa peine d’emprisonnement, ont dépassé le seuil de gravité requis pour l’application de l’article 3 de la Convention (voir Muršić, précité, §§ 139 et 140).

    60.  Elle relève que le requérant a fourni une description détaillée de ses conditions de détention au centre de détention provisoire et à la prison de Stara Zagora : il a dénoncé l’insalubrité des cellules, le manque d’hygiène, l’absence totale de possibilité d’exercice en plein air pendant les six premiers mois de sa détention, l’obligation d’utiliser un seau pour ses besoins naturels et la restriction de l’accès aux installations sanitaires, l’absence de ventilation et de chauffage adéquats (paragraphes 23-26 et 46-49 ci-dessus). Elle constate que le Gouvernement n’a pas contesté ces allégations mais qu’il a fourni des informations concernant les conditions de détention du requérant depuis les travaux de rénovation de la prison de Stara Zagora en février 2016 (paragraphes 51-57 ci-dessus).

    61.  Elle remarque que les allégations du requérant concernant, notamment, l’insalubrité des locaux de détention, l’état déplorable de l’hygiène et la mauvaise qualité de la nourriture sont corroborées par le rapport de 2012 de l’Ombudsman bulgare sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires du pays (paragraphe 31 ci-dessus). Par ailleurs, la déclaration publique du CPT de 2015 et les constats factuels qu’elle contient concernant les conditions de détention dans les prisons bulgares confirment également les allégations du requérant, y compris celle concernant l’absence de libre accès aux installations sanitaires (paragraphe 32 ci-dessus).

    62.  La Cour estime que les conditions de détention du requérant décrites ci-dessus, combinées à la longueur de la période d’incarcération, ont soumis l’intéressé à une épreuve allant au-delà des souffrances inhérentes à l’exécution d’une peine privative de liberté et de la détention provisoire. Elle constate donc que le seuil de gravité nécessaire à l’application de l’article 3 de la Convention a été dépassé en l’espèce. Elle prend note de l’information présentée par le Gouvernement selon laquelle les conditions de détention à la prison de Stara Zagora se sont améliorées depuis la rénovation effectuée en février 2016. Elle considère cependant que ce fait n’enlève en rien au statut de victime du requérant pour la période allant de février 2009 à février 2016 à cause, notamment, de l’absence d’une voie de recours compensatoire suffisamment effective en droit interne pendant cette période (paragraphe 41 ci-dessus).

    63.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le requérant a été mis dans une situation continue de méconnaissance de son droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants pendant la période comprise entre février 2009 et février 2016. Il y a donc eu violation de l’article 3 de la Convention.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

    64.  Le requérant dénonce une violation de son droit à un procès pénal équitable, alléguant que sa condamnation a été motivée par la déposition qui aurait été extorquée à l’un de ses coaccusés. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, libellé comme suit dans ses parties pertinentes en l’espèce :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

    A.  Sur la recevabilité

    65.  Le Gouvernement conteste la recevabilité de ce grief. Admettant qu’il ne dispose pas d’information concrète sur le contenu d’une autre Requête précédemment introduite par le requérant devant la Cour en 2011 (Requête no 38539/11), il formule néanmoins l’hypothèse selon laquelle cette Requête concerne la même procédure pénale que celle qui fait l’objet de la présente Requête. Il en conclut que cette dernière est essentiellement la même que celle introduite par le requérant en 2011.

    66.  Le requérant combat cette thèse et allègue que son grief est recevable et bien fondé.

    67.  L’article 35 § 2 b) de la Convention est libellé comme suit en ses parties pertinentes :

    « 2.  La Cour ne retient aucune Requête individuelle introduite en application de l’article 34, lorsque

    (...)

    b)  elle est essentiellement la même qu’une Requête précédemment examinée par la Cour ou déjà soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et si elle ne contient pas de faits nouveaux. (...) »

    68.  En vertu de sa jurisprudence, lorsque la Cour doit apprécier si deux Requêtes dont elle est saisie sont « essentiellement les mêmes », elle vérifie si les deux Requêtes ont trait essentiellement à la même personne, aux mêmes faits et aux mêmes griefs (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 63, CEDH 2009 ; Harkins c. Royaume-Uni (déc.) [GC], no  71537/14, § 42, 15 juin 2017).

    69.  En l’espèce, elle constate que, le 13 juin 2011, le requérant a introduit la Requête no 38539/11 devant elle. Il se plaignait, sous l’angle de l’article 5 de la Convention, de l’illégalité de sa détention provisoire et, sous l’angle de l’article 6 de la Convention, du caractère erroné de sa condamnation par les tribunaux pénaux dans le cadre de la procédure pénale qui fait l’objet de la présente Requête, alors même que la procédure en cause était encore pendante devant la Cour suprême de cassation (paragraphes 20-22 ci-dessus). Le 8 janvier 2015, cette Requête a été rejetée comme irrecevable par la Cour siégeant en formation de juge unique (paragraphe 28 ci-dessus).

    70.  La Cour constate que la présente Requête, dans sa partie relative à l’article 6 de la Convention, concerne la même procédure pénale. Elle relève cependant que cette Requête a été introduite après le début de l’exécution de la condamnation du requérant. De surcroît, elle concerne un aspect particulier de l’équité de la procédure pénale, à savoir la motivation alléguée de la condamnation du requérant par des aveux qui auraient été extorqués à son complice présumé. De ce fait, il s’agit d’un grief différent de celui formulé par le requérant dans sa précédente Requête, où il s’est plaint, d’une manière générale, du caractère erroné de sa condamnation au pénal. Il en ressort que la présente Requête n’est pas « essentiellement la même » que celle précédemment introduite par le requérant et qu’il y a donc lieu de rejeter cette exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement.

    71.  Constatant par ailleurs que le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Arguments des parties

    a)  Le requérant

    72.  Le requérant expose qu’il a été condamné pour avoir participé à un vol à main armée sur la base d’une déposition selon lui extorquée à son complice présumé M. Stoykov. Il indique que, dans son récent arrêt Stoykov, précité, la Cour a constaté une violation du volet matériel de l’article 3 de la Convention à raison des mauvais traitements infligés à son coaccusé pendant les premières heures suivant son arrestation. Il allègue que ces mauvais traitements ont conduit M. Stoykov, lors de sa déposition, à présenter des aveux qui le mettaient en cause ainsi qu’un complice.

    73.  Il soutient que les tribunaux internes ont retenu la déposition en question comme étant la preuve principale contre lui et qu’ils se sont fondés sur celle-ci pour motiver sa condamnation.

    b)  Le Gouvernement

    74.  Le Gouvernement combat la thèse du requérant. Il soutient que la condamnation de l’intéressé n’a pas été fondée sur des aveux extorqués à son coaccusé M. Stoykov.

    75.  Il indique en premier lieu que la déposition de M. Stoykov a été recueillie conformément à la législation bulgare et que ceci a été confirmé par le tribunal de première instance, par la cour d’appel et par la Cour suprême de cassation. Ces juridictions auraient estimé que la déposition en cause était une preuve recevable pouvant être prise en compte dans le cadre de la procédure pénale menée contre les trois coaccusés et qu’elle était véridique eu égard aux autres preuves rassemblées au cours de la procédure.

    76.  En deuxième lieu, le Gouvernement allègue que la déposition de M. Stoykov n’était pas la seule preuve ayant conduit à la condamnation des trois suspects. Il soutient que cette déposition était corroborée par plusieurs autres preuves concordantes, dont les dépositions des deux victimes et de trois officiers de police, les inspections menées sur les lieux du crime et à l’endroit où était caché l’argent volé, l’argent et les bijoux retrouvés et saisis, les résultats des expertises dactyloscopiques, médicales et techniques, ainsi que les résultats de l’exploitation des données mobiles des téléphones utilisés par les suspects et le contenu de leurs conversations interceptées. Il avance que les preuves principales et décisives pour l’établissement des faits et de la responsabilité des coaccusés dans cette affaire pénale ont été les dépositions des deux victimes.

    77.  En troisième lieu, le Gouvernement soutient que la déposition de M. Stoykov n’a pas du tout été utilisée pour motiver la condamnation du requérant parce qu’elle ne contenait aucun élément pouvant lier celui-ci aux crimes en cause. Le requérant a été condamné sur la base des autres témoignages recueillis et des conversations téléphoniques interceptées.

    78.  En dernier lieu, le Gouvernement assure que les preuves matérielles recueillies à la suite de la déposition de M. Stoykov, à savoir l’argent et les bijoux volés, n’ont joué aucun rôle dans l’établissement de la culpabilité du requérant.

    2.  Appréciation de la Cour

    a)  Les principes généraux établis par la jurisprudence de la Cour

    79.  La Cour rappelle que si l’article 6 de la Convention garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telles, matière qui relève au premier chef du droit interne (Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, §§ 45-46, série A no 140, et Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 94, CEDH 2006-IX). Elle n’a donc pas à se prononcer, par principe, sur la recevabilité de certaines catégories d’éléments de preuve, par exemple des éléments obtenus de manière illégale au regard du droit interne, ou encore sur la culpabilité du requérant. Elle doit examiner si la procédure, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, a été équitable dans son ensemble, ce qui implique l’examen de l’« illégalité » en question et, dans le cas où se trouve en cause la violation d’un autre droit protégé par la Convention, de la nature de cette violation (Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 34, CEDH 2000-V, et Jalloh, précité, § 95).

    80.  Pour déterminer si la procédure dans son ensemble a été équitable, il faut aussi se demander si les droits de la défense ont été respectés. Il faut rechercher notamment si le requérant s’est vu offrir la possibilité de remettre en question l’authenticité de l’élément de preuve et de s’opposer à son utilisation. Il faut prendre également en compte la qualité de l’élément de preuve, y compris le point de savoir si les circonstances dans lesquelles il a été recueilli font douter de sa fiabilité ou de son exactitude. Si un problème d’équité ne se pose pas nécessairement lorsque la preuve obtenue n’est pas corroborée par d’autres éléments, il faut noter que lorsqu’elle est très solide et ne prête à aucun doute, le besoin d’autres éléments à l’appui devient moindre (Jalloh, précité, § 96). À cet égard, la Cour attache aussi de l’importance au point de savoir si l’élément de preuve en question était ou non déterminant pour l’issue du procès pénal (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 164 in fine, CEDH 2010).

    81.  La Cour a estimé que, lorsque des éléments recueillis au moyen d’une mesure jugée contraire à l’article 3 de la Convention sont utilisés dans un procès pénal, cela suscite toujours de graves doutes quant à l’équité de la procédure, même si le fait d’avoir admis ces éléments comme preuves n’a pas été décisif pour la condamnation du suspect (Jalloh, précité, §§ 99 et 105, et Haroutyounian c. Arménie, no 36549/03, § 63, CEDH 2007-III). En particulier, l’utilisation dans un procès pénal de dépositions obtenues à la suite d’une violation de l’article 3 de la Convention - que ces méfaits soient qualifiés de torture, de traitement inhumain ou de traitement dégradant - prive automatiquement d’équité la procédure dans son ensemble et viole l’article 6 (Gäfgen, précité, § 166, et El Haski c. Belgique, no 649/08, § 85, 25 septembre 2012). Il en va de même aussi pour l’utilisation de preuves matérielles directement recueillies au moyen d’actes de torture (Gäfgen, précité, § 167, et Jalloh, précité, § 105). L’utilisation de telles preuves obtenues au moyen d’un traitement contraire à l’article 3 de la Convention qui se situe en-deçà de la torture ne contrevient en revanche à l’article 6 que s’il est démontré que la violation de l’article 3 a influé sur l’issue de la procédure, c’est-à-dire qu’elle a eu un impact sur le verdict de culpabilité ou la peine (Gäfgen, précité, § 178, et El Haski, précité, § 85).

    82.  Les principes susmentionnés valent non seulement lorsque la victime du traitement contraire à l’article 3 de la Convention est l’accusé lui-même mais aussi lorsqu’il s’agit d’un tiers (El Haski, précité, § 85). En particulier, la Cour a jugé que l’utilisation dans un procès de preuves obtenues par la torture est constitutive d’une violation du droit à un procès pénal équitable même lorsque la personne à laquelle les preuves ont été extorquées par ce biais est une autre personne que l’accusé (Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni, no 8139/09, §§ 263 et 267, CEDH 2012 (extraits), et Haroutyounian, précité, §§ 58-66).

    b)  Application de ces principes au cas d’espèce

    83.  À la lumière des principes susmentionnés dégagés par sa jurisprudence et compte tenu des allégations du requérant dans la présente affaire, la Cour doit chercher à établir : i) si la déposition du coaccusé du requérant M. Stoykov établie au cours de l’enquête a été obtenue en violation de l’article 3 de la Convention, ii) le cas échéant, si elle a été obtenue à la suite de torture ou de traitements inhumains et dégradants et iii) quelle a été l’utilisation de cette déposition dans le cadre de la procédure pénale en cause.

    84.  La Cour rappelle que la question de savoir si M. Stoykov a été soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention lors des premières heures de sa détention a fait l’objet d’un récent arrêt (Stoykov, précité) qui est devenu définitif le 1er février 2016. La Cour a établi ce qui suit dans les paragraphes 55-61 de l’arrêt précité :

    « 55.  La Cour observe que le Gouvernement ne conteste pas le contenu du certificat médical délivré le 27 février 2009 et du rapport d’expertise médicale du 15 janvier 2010, qui décrivent plusieurs ecchymoses et contusions à la tête, à l’abdomen, au dos et au niveau des membres inférieurs et supérieurs du requérant qui lui ont été probablement causés le 26 février 2009 de la manière décrite par celui-ci (...). Ces constats n’ont été remis en cause ni par le parquet d’appel de Plovdiv, ni par le Gouvernement défendeur (...).

    56.  Les observations des parties divergent quant au point de savoir si ces lésions ont été causées uniquement au cours de l’arrestation du requérant, comme l’affirme le Gouvernement (...), ou pendant l’arrestation et au cours des quelques heures suivants celle-ci, selon les affirmations du requérant (...).

    57.  Les éléments de preuve dont elle dispose ne permettent pas à la Cour de déterminer au-delà de tout doute raisonnable si le requérant a effectivement été maltraité de la façon dont il décrit, notamment s’il a été battu à plusieurs reprises tout au long de la journée et s’il a été plaqué sur le sol couvert de neige. De même, aucune pièce du dossier ne permet de corroborer l’allégation du l’intéressé selon laquelle ses doigts ont été brûlés avec un allume-cigare. Cependant, les preuves médicales du dossier démontrent que l’intéressé a reçu plusieurs coups violents à la tête, à l’abdomen, au dos et au niveau des membres supérieurs et inférieurs, probablement le 26 février 2009. Il est à noter également que les documents médicaux attestent de la présence de sang coagulé sous les ongles du requérant, ce qui pourrait corroborer sa thèse selon laquelle on lui aurait introduit la pointe d’un couteau sous les ongles de ses doigts. La Cour estime que la gravité des lésions corporelles constatées démontre que le requérant a été soumis à des traitements dont les effets dépassent le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention. Tout au long de la journée du 26 février 2009, l’intéressé s’est trouvé aux mains des agents de la police (...). Dans une telle situation, il revient au gouvernement défendeur de fournir une explication convaincante quant à l’origine des blessures en cause (voir, mutatis mutandis, Selmouni, précité, § 87).

    58.  Dans ses observations, le Gouvernement soutient la thèse selon laquelle les lésions du requérant ont été causées au cours de son arrestation et que le recours à la force physique se justifiait par la nécessité de préserver la vie et l’intégrité physique des agents participants dans l’opération. Le Gouvernement met l’accent sur le caractère particulièrement violent de l’infraction pénale reprochée au requérant, une circonstance qui aurait démontré le danger encouru par les policiers lors de l’arrestation de celui-ci. La Cour rappelle cependant qu’en vertu de sa jurisprudence constante, la prohibition de la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants est absolue, quels que soient les agissements de la victime. La nature de l’infraction qui était reprochée au requérant est donc dépourvue de toute pertinence pour l’examen sous l’angle de l’article 3 (voir Labita, précité, § 119 in fine).

    59.  Le Gouvernement n’a pas allégué que le requérant a essayé de s’enfuir ou qu’il a opposé de la résistance aux forces de l’ordre. Il est vrai que l’ordonnance du procureur d’appel du 16 mai 2011 mentionnait que le recours à la force en l’occurrence avait été motivé par la nécessité de « briser toute résistance » (...). La Cour observe cependant que l’expression employée par le procureur d’appel est assez floue et que l’ordonnance en cause ne décrit pas de manière concrète quels agissement du requérant auraient pu être perçus comme une agression physique vis-à-vis des policiers. Aucune autre pièce du dossier ne permet de conclure que l’intéressé s’est attaqué aux policiers qui sont intervenus dans son domicile ou encore qu’il les a menacés avec une arme. De surcroît, le Gouvernement n’a fourni aucune explication convaincante quant à l’origine du sang coagulé sous les ongles des doigts du requérant.

    60.  La Cour estime dès lors que l’État défendeur doit être tenu pour responsable des mauvais traitements infligés à l’intéressé le 26 février 2009. Compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce et des critères dégagés par sa jurisprudence (...), la Cour considère que ces traitements doivent être qualifiés de torture.

    61.  Il y a donc eu violation de l’article 3 de la Convention de ce chef. »

    85.  La Cour a conclu que M. Stoykov avait été torturé alors qu’il était aux mains de la police le 26 février 2009. Elle rappelle que l’intéressé présentait plusieurs ecchymoses sur l’ensemble du corps, ainsi que du sang coagulé sous les ongles, ce qui correspondait à sa thèse selon laquelle on lui aurait introduit la pointe d’un couteau sous les ongles. Force est de constater que le même jour, entre 20 h 33 et 22 h 04, M. Stoykov a fait une déposition devant un juge du tribunal régional de Stara Zagora dans laquelle il a relaté les préparatifs effectués par lui et ses deux complices, leur entrée dans la maison de campagne de la comptable de l’entreprise ciblée et la contrainte exercée sur les victimes, la récupération de l’argent des bureaux de la société dans la ville voisine et le dépôt de l’argent dans la cache choisie et préparée à l’avance (paragraphe 10 ci-dessus).

    86.  La Cour relève que, dans leurs jugements et arrêts, les tribunaux internes ont rejeté l’argument selon lequel cette déposition avait été extorquée et qu’ils se sont appuyés pour l’essentiel sur les résultats d’une expertise médicale et sur le caractère qu’ils estimaient véridique de la déposition, qui aurait été corroborée par les autres preuves rassemblées (paragraphe 18 ci-dessus).

    87.  Tout en gardant à l’esprit le caractère subsidiaire de sa tâche, elle observe que l’expertise en cause a été effectuée plusieurs mois après les événements, qu’elle était basée sur l’examen des documents médicaux existants et non sur un examen médical pratiqué sur M. Stoykov et que l’expert n’a pas catégoriquement exclu la version des faits soutenue par cet accusé. Les tribunaux eux-mêmes n’ont pas exclu cette dernière version, mais ont estimé que, même en admettant que cet accusé eût été soumis à des violences policières, cela ne pouvait pas remettre en question la véracité de sa déposition, puisqu’elle était corroborée par les autres preuves du dossier (paragraphe 18 ci-dessus). Il en ressort que leur décision de retenir cette preuve était basée principalement sur leur constat que la déposition était véridique car elle aurait correspondu aux autres preuves.

    88.  La Cour estime pour sa part que cette approche a eu pour effet de donner carte blanche aux autorités chargées de l’enquête pour soumettre les suspects et les témoins à la torture dans le but d’obtenir des preuves orales qu’elles auraient ensuite pu utiliser, à condition qu’elles fussent véridiques, pour prouver la culpabilité des suspects. Un tel raisonnement est susceptible de saper la protection offerte par les articles 3 et 6 de la Convention, tels qu’ils sont interprétés dans sa propre jurisprudence (paragraphe 81 ci-dessus). La Cour ne saurait donc l’accepter et elle ne saurait dès lors souscrire à la conclusion à laquelle sont parvenus les tribunaux internes à cet égard.

    89.  Elle réitère son constat selon lequel M. Stoykov a été torturé le 26 février 2009 alors qu’il se trouvait aux mains de la police (paragraphes 84 et 85 ci-dessus). Elle rappelle également que les événements de cette journée n’ont jamais été complètement élucidés par les autorités internes, ce qui a résulté en un constat de violation du volet procédural de l’article 3 de la Convention (Stoykov, précité, §§ 65-74). Elle considère que la sévérité du traitement subi par M. Stoykov le 26 février 2009 a inévitablement influencé sa décision de faire une déposition lors de l’interrogatoire mené ce soir-là, d’autant plus que l’argent volé avait déjà été retrouvé, le même jour, à la suite de ses indications. Elle conclut dès lors que la déposition de M. Stoykov datant du 26 février 2009 lui a été extorquée sous la torture.

    90.  Elle constate ensuite que cette déposition a été utilisée comme preuve par toutes les instances pour motiver la condamnation des trois accusés, y compris celle du requérant (paragraphes 17, 20 et 22 ci-dessus). Ce constat suffit déjà en lui-même pour priver automatiquement d’équité l’ensemble de la procédure pénale menée contre le requérant (paragraphe 81 ci-dessus).

    91.  La Cour estime donc qu’il y eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    92.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    93.  Le requérant réclame 80 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

    94.  Dans ses observations du 19 septembre 2016, le Gouvernement estime que cette prétention est mal fondée et que le montant réclamé est exorbitant.

    95.  La Cour considère que le requérant a subi un certain dommage moral du fait de ses mauvaises conditions de détention. Elle juge qu’il y a lieu de lui octroyer la somme de 10 000 EUR au titre du préjudice moral à cet égard.

    96.  En ce qui concerne le dédommagement du préjudice moral subi par le requérant du fait de la violation constatée de son droit à un procès pénal équitable, la Cour estime que le constat de violation suffit en lui-même à compenser ce préjudice moral.

    B.  Frais et dépens

    97.  Le requérant réclame 934 BGN en remboursement des frais de traduction qu’il dit avoir engagés devant la Cour.

    98.  Le Gouvernement n’a pas formulé d’observations sur cette question.

    99.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

    100.  En l’espèce, la Cour estime raisonnable et accorde au requérant la somme de 477,54 EUR, plus tout montant pouvant être dû par lui sur cette somme à titre d’impôt, pour les frais et dépens engagés devant elle.

    C.  Intérêts moratoires

    101.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant aux griefs tirés des articles 3 et 6 § 1 de la Convention ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    4.  Dit que le constat de violation de l’article 6 fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant du fait de cette violation ;

     

    5.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares, au taux applicable à la date du règlement :

    i.  10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, du fait de la violation de son droit garanti par l’article 3 de la Convention ;

    ii.  477,54 EUR (quatre cent soixante-dix-sept euros et cinquante-quatre centimes), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 octobre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

        Milan Blaško                                                                  Angelika Nußberger
      Greffier adjoint                                                                        Présidente

     


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