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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> KADUSIC v. SWITZERLAND - 43977/13 (Judgment : Violation of Right to liberty and security - Deprivation of liberty) French Text [2018] ECHR 22 (09 January 2018) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/22.html Cite as: CE:ECHR:2018:0109JUD004397713, ECLI:CE:ECHR:2018:0109JUD004397713, [2018] ECHR 22 |
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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE KADUSIC c. SUISSE
(Requête no 43977/13)
ARRÊT
STRASBOURG
9 janvier 2018
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Kadusic c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Helena Jäderblom,
présidente,
Branko Lubarda,
Luis López Guerra,
Helen Keller,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 7 mars, 9 mai et 12 décembre 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 43977/13) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant de cet État, M. Mihret Kadusic (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er juillet 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me S. Sutter-Jeker, avocate à Bâle. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, F. Schürmann.
3. Le requérant alléguait, en particulier, qu’il n’y avait pas de lien de causalité suffisant entre sa condamnation pénale, prononcée le 27 mai 2005 en première instance et confirmée le 12 janvier 2007 en appel, et la mesure thérapeutique institutionnelle ordonnée ultérieurement à son encontre. Dès lors, selon lui, il y a eu violation de l’article 5 § 1 a) de la Convention.
4. Le 21 mai 2015, les griefs concernant les articles 5 § 1 et 7 de la Convention et l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la Requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1982 et est incarcéré à la prison Bostadel, à Menzingen.
6. Par un jugement du 27 mai 2005, le tribunal pénal du canton de Bâle-Ville (« le tribunal pénal ») reconnut le requérant coupable, pour des faits s’étant déroulés entre 2000 et 2004, de brigandage, de mise en danger de la vie d’autrui, de violences commises à l’aide d’un objet dangereux ayant entraîné plusieurs lésions corporelles simples, de l’exercice de plusieurs contraintes, de plusieurs recels ainsi que d’infractions aux lois fédérales sur les stupéfiants, sur la circulation routière et sur les armes. Le tribunal pénal le condamna ainsi à une réclusion de huit ans, après déduction des périodes passées en détention provisoire, avant le prononcé du jugement, du 22 mai au 25 juin 2003 et à partir du 3 mai 2004. De plus, le tribunal pénal déclara exécutoire une peine privative de liberté de douze mois qui avait été prononcée avec sursis, le 2 mai 2001, pour vols et tentative de contrainte. Le 19 juillet 2005, le requérant fut transféré à l’établissement pénitentiaire Bostadel.
7. Par un arrêt du 12 janvier 2007, le tribunal d’appel du canton de Bâle-Ville (« le tribunal d’appel ») rejeta l’appel du requérant, confirmant pour l’essentiel le jugement de première instance. Par un arrêt du 12 mai 2007, le Tribunal fédéral rejeta le recours du requérant.
8. Par une lettre du 4 juillet 2007, adressée à la commission intercantonale pour l’évaluation de la dangerosité des délinquants dans les Cantons de Soleure, Bâle-Ville et Bâle-Campagne (« la commission intercantonale »), le requérant demanda à bénéficier d’allégements dans l’exécution de sa peine. La commission intercantonale rendit son rapport le 29 octobre 2007. Elle relevait qu’il était prématuré d’accorder des allégements allant au-delà du travail à l’extérieur, au motif que le requérant, qui d’après elle ne présentait ni une maladie psychique ni des troubles de la personnalité, ne démontrait pas vouloir « se confronter à son passé criminel ». La commission intercantonale concluait ainsi que le requérant devait être considéré comme représentant un danger public. Elle recommandait la réalisation d’une expertise psychiatrique et la mise en œuvre de mesures d’orientation professionnelle, et elle reconnaissait que le requérant pouvait travailler à l’extérieur, mais qu’il ne pouvait bénéficier d’autres allégements dans l’exécution de sa peine, tels que la possibilité pour lui de passer les vacances avec son père.
9. Faisant suite à un mandat délivré par le département de justice du canton de Bâle-Ville, le docteur R. A., psychiatre et psychothérapeute, rédigea, après avoir examiné en personne le requérant, une expertise psychiatrique le 24 septembre 2008, dans laquelle il posa le diagnostic de troubles de la personnalité de caractère paranoïde et narcissique de degré moyen (Classification internationale des maladies [CIM-10 ou ICD-10] de l’Organisation mondiale de la santé), avec pleine responsabilité pénale. Le docteur estimait que ces troubles existaient déjà au moment de la commission des infractions. Il relevait également que le requérant n’était pas prêt à faire un travail introspectif sur lui-même et à changer sa manière d’être, de sorte que le danger de récidive aurait été généralement élevé, et il concluait que le pronostic était très défavorable.
10. Le 15 octobre 2008, le directeur de la prison Bostadel rédigea un rapport sur le déroulement de la détention du requérant. Il y mentionnait que le danger de fuite de ce dernier était élevé, et il proposait ainsi d’occuper l’intéressé dans l’enceinte de l’établissement.
11. Dans un rapport du 10 novembre 2008, la commission intercantonale considéra que le requérant représentait un danger public, et elle recommanda de n’ordonner aucun allégement des conditions d’exécution de sa peine et de faire vérifier, par le tribunal compétent, si les conditions d’une mesure thérapeutique (ambulatoire) accompagnant l’exécution de la peine (« vollzugsbegleitende therapeutische Massnahme ») étaient remplies (article 63 du code pénal (CP)). La commission intercantonale préconisa également d’examiner, en cas d’échec de cette mesure, la transformation de la peine en un internement.
12. Le 30 décembre 2008, le département de justice du canton de Bâle-Ville demanda au tribunal d’appel de vérifier si, à la suite de son arrêt du 12 janvier 2007, les conditions pour prononcer une mesure thérapeutique étaient remplies. Le 9 juin 2009, le directeur de la prison Bostadel rédigea un rapport sur le déroulement de la détention du requérant, dans lequel il relevait notamment que ce dernier refusait toute psychothérapie. Par un arrêt du 4 décembre 2009, le tribunal d’appel estima qu’il n’existait aucune base légale pour justifier qu’un traitement thérapeutique ambulatoire fût ordonné ultérieurement, mais s’interrogea sur l’opportunité de décider d’éventuelles mesures institutionnelles. Pour clarifier cette possibilité, il proposa l’établissement d’une expertise complémentaire.
13. Dans un rapport du 5 janvier 2010, le directeur de la prison Bostadel souligna en particulier que le requérant s’était bien conduit lors de son travail à l’extérieur et que, de ce fait, une libération conditionnelle était envisageable, ne serait-ce que pour une période minimale.
14. Le 30 juin 2010, dans un rapport complémentaire à l’expertise du 24 septembre 2008, et après avoir examiné en personne le requérant, la professeure A. E., psychiatre et psychothérapeute, considéra qu’il était peu probable qu’une mesure thérapeutique institutionnelle fût utile, aux motifs que l’intéressé ne montrait aucune motivation à changer son appréhension des infractions commises par lui et qu’il n’avait pas la capacité de développer de l’empathie. Elle ajouta que le requérant n’était pas spécialement impressionné, sur le plan émotionnel, par la peine qu’il purgeait. Elle n’exclut cependant pas toute possibilité de soin en faisant référence à des approches thérapeutiques plus prometteuses.
15. Le 7 juillet 2010, se référant à ce rapport psychiatrique complémentaire, l’autorité chargée des exécutions des peines du canton de Bâle-Ville (« l’autorité d’exécution ») demanda au tribunal d’appel de vérifier si, à la suite de son arrêt du 12 janvier 2007, les conditions pour prononcer un internement ultérieur, ou éventuellement une mesure thérapeutique institutionnelle, étaient remplies (articles 64 et 59 CP respectivement, combinés avec l’article 65 CP ; paragraphe 24 ci-dessous). Dans sa prise de position du 20 septembre 2010, le requérant demanda au tribunal d’appel de constater que tel n’était pas le cas.
16. Le 17 décembre 2010, le directeur et le préposé à l’exécution de la prison Bostadel rédigèrent un rapport sur le déroulement de la détention du requérant, dans lequel ils précisaient que rien n’empêchait un assouplissement progressif des conditions de détention jusqu’à la libération conditionnelle de l’intéressé. Par une lettre du 21 avril 2011, ils confirmèrent au tribunal d’appel leurs conclusions du 17 décembre 2010.
17. Par un arrêt du 6 mai 2011, après avoir entendu ce jour-là la professeure A. E. et la représentante du requérant, le tribunal d’appel ordonna l’internement ultérieur de ce dernier en application de l’article 65 alinéa 2 du CP, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2007. Lors de l’audience tenue le même jour, le requérant et son avocate avaient eu la possibilité de poser des questions à A. E.
18. Par un arrêt du 30 janvier 2012, le Tribunal fédéral admit partiellement le recours présenté par le requérant contre l’arrêt du tribunal d’appel du 6 mai 2011, en ce sens qu’il estimait que les conditions pour prononcer l’internement ultérieur n’étaient pas remplies. Il rappelait que l’internement était une mesure d’exception et qu’il ne pouvait être décidé qu’avec retenue. Il précisait que, compte tenu des restrictions importantes en découlant pour la personne concernée, l’internement devait être considéré comme ultima ratio, ce qui selon lui était valable a fortiori pour un internement ordonné ultérieurement. Il ajoutait que l’internement d’une jeune personne n’ayant jamais fait l’objet d’un traitement auparavant ne pouvait être justifié qu’en cas de faible probabilité qu’une thérapie pût réduire de manière considérable le risque de récidive dans un laps de temps d’environ cinq ans.
Par ailleurs, le Tribunal fédéral soulignait qu’il convenait de vérifier s’il y avait lieu d’ordonner une mesure thérapeutique institutionnelle. Il estimait qu’il n’était pas exclu que le requérant fût susceptible de répondre favorablement à un traitement psychologique. Il annula par conséquent l’arrêt entrepris et renvoya la cause au tribunal d’appel pour nouvelle décision.
19. Par un arrêt du 22 août 2012, le tribunal d’appel ordonna une mesure thérapeutique institutionnelle, conformément à l’article 65 alinéa 1 du CP, suspendant en même temps la durée de la peine restant à exécuter (« Der Restvollzug (...) wird aufgeschoben (...) »). Avant de rendre son arrêt, ce tribunal avait adressé une demande de renseignements à la professeure A. E. Dans sa réponse du 25 juin 2012, celle-ci avait affirmé, en faisant référence à l’article 59 alinéa 3 du CP, que, étant donné le genre, la gravité et la complexité du trouble mental présenté par le requérant, seule une mesure institutionnelle était susceptible de tenir compte, de manière adéquate, des exigences thérapeutiques. Elle avait également précisé que les centres pénitentiaires de Thorberg (canton de Berne) et de Pöschwies (canton de Zurich) disposaient de services de thérapie (« Therapieabteilungen ») au sens de l’article 59 § 3 du CP et qu’il convenait d’en tenir compte.
20. À ses dires, le requérant aurait dû terminer de purger sa peine le 19 mars 2013, compte tenu de la détention provisoire subie par lui du 22 mai au 25 juin 2003 et à partir du 3 mai 2004 (paragraphe 6 ci-dessus).
21. Par un arrêt du 28 mai 2013, le Tribunal fédéral rejeta le recours interjeté par le requérant contre l’arrêt du 22 août 2012, relevant que le prononcé ultérieur d’une mesure thérapeutique institutionnelle était conforme au droit conventionnel, sous l’angle des articles 5 et 7 de la Convention et de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention, ainsi qu’au droit fédéral. Plus précisément, le Tribunal fédéral reconnaissait que le « droit des mesures » (articles 56 à 65 du CP) s’appliquait rétroactivement à des actes délictuels commis avant l’entrée en vigueur dudit droit, soit le 1er janvier 2007 (paragraphe 2 alinéa 1 des dispositions transitoires de la modification du CP du 13 décembre 2002). Le Tribunal fédéral laissait ouverte la question de l’application du principe de non-rétroactivité aux mesures thérapeutiques institutionnelles imposées ultérieurement, soulignant que, même s’il fallait considérer ces dernières comme une peine au sens de l’article 7 de la Convention, le prononcé ultérieur d’une telle mesure dans le cas concret n’impliquerait pour le requérant aucune aggravation de sa peine par rapport à celle prévue par le droit en vigueur au moment de la commission des faits délictuels dans la mesure où les mesures prévues par l’ancien droit (article 43 du CP, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2006) étaient au moins aussi strictes que celles découlant du nouveau droit, d’où l’absence de violation du principe de non-rétroactivité en l’espèce. S’agissant de l’article 5 § 1 a) de la Convention, le Tribunal fédéral soulignait que, si le prononcé ultérieur d’une mesure thérapeutique institutionnelle contredisait en soi le caractère exécutoire du jugement principal, il fallait qu’il y ait un lien de causalité suffisant entre le jugement et la mesure pour que la privation de liberté ultérieure, prononcée dans le cadre d’une révision, fût conforme à ladite disposition conventionnelle. Ce lien était présent en l’espèce. En ce qui concernait le principe non bis in idem, après avoir noté que l’article 4 § 2 du Protocole no 7 à la Convention prévoyait plusieurs exceptions à son égard, le Tribunal fédéral relevait que la révision du procès dans le cas concret, aux fins de prononcé d’une mesure thérapeutique institutionnelle ultérieure sur la base de la grave maladie psychique du requérant déjà présente, mais non détectée, au moment du jugement initial, ne constituait pas une deuxième sanction à l’encontre de l’intéressé.
Dans la mesure où le requérant allègua que les expertises médicales ne reflétaient plus son état psychique actuel, le Tribunal fédéral rappela que l’expertise, très détaillée, du 24 septembre 2008 fut complétée par le rapport du 30 juin 2010 et corroborée par les déclarations orales de l’experte lors de l’audience du 6 mai 2011 concernant le diagnostic et risque de récidive. Le Tribunal fédéral en conclut que les expertises reflétaient l’état actuel de santé du requérant.
22. Invitées par la Cour à fournir des informations sur la situation actuelle du requérant, les parties ont soumis des observations sur celle-ci. Par une lettre du 26 mai 2016, le requérant a indiqué à la Cour qu’il était toujours à la prison Bostadel, et ce depuis le 19 juillet 2005 (paragraphe 6 ci-dessus). Il a allégué ne pas recevoir de soins et ne pas bénéficier d’une thérapie.
Par une lettre du 31 mai 2016, le Gouvernement a confirmé que le requérant se trouvait toujours à la prison Bostadel. Il a ajouté que cet établissement disposait, par le biais de services thérapeutiques offerts par le Forensisches Institut Zentralschweiz (forio), de programmes permettant le traitement de troubles tels que ceux présentés par le requérant. Le Gouvernement a précisé que celui-ci refusait catégoriquement de se soumettre à un traitement thérapeutique (psychiatrique) quelconque et qu’il motivait ce refus en se référant à la procédure pendante devant la Cour.
Les deux parties ont joint des rapports de la prison Bostadel sur le comportement du requérant. Il en découle que ce dernier se conduit de manière correcte et discrète, y compris dans le cadre du travail qui lui est attribué.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
23. Les dispositions de l’ancien CP du 21 décembre 1937, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2006, étaient libellées comme suit :
Article 42 (Mesures de sûreté : internement des délinquants d’habitude)
« (1) Le juge pourra remplacer l’exécution d’une peine de réclusion ou d’emprisonnement par l’internement si, après avoir déjà commis de nombreux crimes ou délits intentionnels en raison desquels il a été privé de liberté pour une durée globale d’au moins deux ans soit par des peines de réclusion ou d’emprisonnement, soit par une mesure d’éducation au travail ou après avoir déjà été interné comme délinquant d’habitude au lieu de subir des peines privatives de liberté, le délinquant commet, dans les cinq ans qui suivent sa libération définitive, un nouveau crime ou délit intentionnel qui dénote son penchant à la délinquance. Si cela est nécessaire, le juge fera examiner l’état mental du délinquant.
(2) L’internement sera exécuté dans un établissement ouvert ou fermé, à l’exception des établissements affectés aux condamnés primaires, aux arrêts, à l’éducation au travail ou au traitement des alcooliques.
(3) L’interné sera tenu d’exécuter le travail qui lui sera assigné. Après une durée égale à la moitié de la peine, mais d’au moins deux ans, l’interné qui s’est bien comporté pourra être occupé en dehors de l’établissement. Exceptionnellement, cet allégement pourra être accordé à d’autres internés, si leur état l’exige.
(4) L’interné demeurera dans l’établissement pendant une durée égale aux deux tiers de la peine, mais d’au moins trois ans, déduction faite de la détention préventive imputée. L’autorité compétente ordonnera la libération conditionnelle pour trois ans au moment où le délai minimum fixé pour cette libération est écoulé, si l’internement ne paraît plus nécessaire ; elle astreindra le libéré au patronage. En cas de réintégration, le nouvel internement durera en règle générale au moins cinq ans.
(5) Sur proposition de l’autorité compétente, le juge pourra exceptionnellement mettre fin à l’internement avant l’expiration de sa durée minimum, si celui-ci ne se justifie plus et si les deux tiers de la durée de la peine sont écoulés. »
Article 43 (Mesures concernant les délinquants anormaux)
« (1) Lorsque l’état mental d’un délinquant ayant commis, en rapport avec cet état, un acte punissable de réclusion ou d’emprisonnement en vertu du présent code, exige un traitement médical ou des soins spéciaux et à l’effet d’éliminer ou d’atténuer le danger de voir le délinquant commettre d’autres actes punissables, le juge pourra ordonner le renvoi dans un hôpital ou un hospice. Il pourra ordonner un traitement ambulatoire si le délinquant n’est pas dangereux pour autrui.
Si, en raison de son état mental, le délinquant compromet gravement la sécurité publique et si cette mesure est nécessaire pour prévenir la mise en danger d’autrui, le juge ordonnera l’internement. Celui-ci sera exécuté dans un établissement approprié. Le juge rendra son jugement au vu d’une expertise sur l’état physique et mental du délinquant, ainsi que sur la nécessité d’un internement, d’un traitement ou de soins.
(2) En cas d’internement ou de placement dans un hôpital ou un hospice, le juge suspendra l’exécution d’une peine privative de liberté. En cas de traitement ambulatoire, le juge pourra suspendre l’exécution de la peine si celle-ci n’est pas compatible avec le traitement. Dans ce cas, il pourra imposer au condamné des règles de conduite conformément à l’art. 41 ch. 2, et, au besoin, le soumettre au patronage.
(3) Lorsqu’il est mis fin à un traitement en établissement faute de résultat, le juge décidera si et dans quelle mesure des peines suspendues seront exécutées. Si le traitement ambulatoire paraît inefficace ou dangereux pour autrui et que l’état mental du délinquant nécessite néanmoins un traitement ou des soins spéciaux, le juge ordonnera le placement dans un hôpital ou un hospice. Lorsque le traitement dans un établissement est inutile, le juge décidera si et dans quelle mesure des peines suspendues seront exécutées. Au lieu de l’exécution des peines, le juge pourra ordonner une autre mesure de sûreté, si les conditions en sont remplies.
(4) L’autorité compétente mettra fin à la mesure lorsque la cause en aura disparu. Si la cause de la mesure n’a pas complètement disparu, l’autorité compétente pourra ordonner une libération à l’essai de l’établissement ou du traitement. Le libéré pourra être astreint au patronage. La libération à l’essai et le patronage seront rapportés, s’ils ne se justifient plus. L’autorité compétente communiquera sa décision au juge avant la libération.
(5) Après avoir entendu le médecin, le juge décidera si et dans quelle mesure des peines suspendues seront exécutées au moment de la libération de l’établissement ou à la fin du traitement. Il pourra y renoncer totalement s’il y a lieu de craindre que l’effet de la mesure n’en soit sérieusement compromis. La durée de la privation de la liberté consécutive à l’exécution d’une mesure dans un établissement sera imputée sur la peine suspendue lors du prononcé de la mesure. En communiquant sa décision, l’autorité compétente dira si elle considère que l’exécution de la peine porterait préjudice au libéré. »
24. Les dispositions pertinentes en l’espèce du nouveau CP, en vigueur depuis le 1er janvier 2007, sont ainsi rédigées :
Article 56 (Principes)
« (1) Une mesure doit être ordonnée : a. si une peine seule ne peut écarter le danger que l’auteur commette d’autres infractions ; b. si l’auteur a besoin d’un traitement ou que la sécurité publique l’exige et c. si les conditions prévues aux articles 59 à 61, 63 ou 64 sont remplies.
(2) Le prononcé d’une mesure suppose que l’atteinte aux droits de la personnalité qui en résulte pour l’auteur ne soit pas disproportionnée au regard de la vraisemblance qu’il commette de nouvelles infractions et de leur gravité.
(3) Pour ordonner une des mesures prévues aux articles 59 à 61, 63 et 64 ou en cas de changement de sanction au sens de l’article 65, le juge se fonde sur une expertise. Celle-ci se détermine : a. sur la nécessité et les chances de succès d’un traitement ; b. sur la vraisemblance que l’auteur commette d’autres infractions et sur la nature de celles-ci ; c. sur les possibilités de faire exécuter la mesure.
(4) Si l’auteur a commis une infraction au sens de l’article 64 al. 1, l’expertise doit être réalisée par un expert qui n’a pas traité l’auteur ni ne s’en est occupé d’une quelconque manière.
(4bis) Si l’internement à vie, au sens de l’art. 64 al. 1bis, est envisagé, le juge prend sa décision en se fondant sur les expertises réalisées par au moins deux experts indépendants l’un de l’autre et expérimentés qui n’ont pas traité l’auteur ni ne s’en sont occupés d’une quelconque manière.
(5) En règle générale, le juge n’ordonne une mesure que si un établissement approprié est à disposition.
(6) Une mesure dont les conditions ne sont plus remplies doit être levée.»
Article 59 (Mesures thérapeutiques institutionnelles, traitement des troubles mentaux)
« (1) Lorsque l’auteur souffre d’un grave trouble mental, le juge peut ordonner un traitement institutionnel aux conditions suivantes :
a. l’auteur a commis un crime ou un délit en relation avec ce trouble ;
b. il est à prévoir que cette mesure le détournera de nouvelles infractions en relation avec ce trouble.
(2) Le traitement institutionnel s’effectue dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d’exécution des mesures.
(3) Le traitement s’effectue dans un établissement fermé tant qu’il y a lieu de craindre que l’auteur ne s’enfuie ou ne commette de nouvelles infractions. Il peut aussi être effectué dans un établissement pénitentiaire au sens de l’article 76 al. 2, dans la mesure où le traitement thérapeutique nécessaire est assuré par du personnel qualifié.
(4) La privation de liberté entraînée par le traitement institutionnel ne peut en règle générale excéder cinq ans. Si les conditions d’une libération conditionnelle ne sont pas réunies après cinq ans et qu’il est à prévoir que le maintien de la mesure détournera l’auteur de nouveaux crimes ou de nouveaux délits en relation avec son trouble mental, le juge peut, à la Requête de l’autorité d’exécution, ordonner la prolongation de la mesure de cinq ans au plus à chaque fois. »
Article 62c (Levée de la mesure thérapeutique institutionnelle)
La mesure est levée :
a. si son exécution ou sa poursuite paraît vouée à l’échec ;
b. si la durée maximale prévue aux art. 60 et 61 a été atteinte et que les conditions de la libération conditionnelle ne sont pas réunies ;
c. s’il n’y a pas ou plus d’établissement approprié.
Si la durée de la privation de liberté entraînée par la mesure est inférieure à celle de la peine privative de liberté suspendue, le reste de la peine est exécuté. Si les conditions du sursis à l’exécution de la peine privative de liberté ou de la libération conditionnelle sont réunies, l’exécution du reste de la peine est suspendue.
Le juge peut ordonner une nouvelle mesure à la place de l’exécution de la peine s’il est à prévoir que cette nouvelle mesure détournera l’auteur d’autres crimes ou délits en relation avec son état.
Si, lors de la levée d’une mesure ordonnée en raison d’une infraction prévue à l’art. 64, al. 1, il est sérieusement à craindre que l’auteur ne commette d’autres infractions du même genre, le juge peut ordonner l’internement à la Requête de l’autorité d’exécution.
Si, lors de la levée de la mesure, l’autorité compétente estime qu’il est indiqué d’ordonner une mesure de protection de l’adulte, elle le signale à l’autorité de protection de l’adulte.
Le juge peut également lever une mesure thérapeutique institutionnelle, avant ou pendant l’exécution de cette mesure, et ordonner, à la place de cette mesure, une autre mesure thérapeutique institutionnelle s’il est à prévoir que cette nouvelle mesure sera manifestement mieux à même de détourner l’auteur d’autres crimes ou délits en relation avec son état.
Article 62d (Examen de la libération et de la levée de la mesure)
« (1) L’autorité compétente examine, d’office ou sur demande, si l’auteur peut être libéré conditionnellement de l’exécution de la mesure ou si la mesure peut être levée et, si tel est le cas, quand elle peut l’être. Elle prend une décision à ce sujet au moins une fois par an. Au préalable, elle entend l’auteur et demande un rapport à la direction de l’établissement chargé de l’exécution de la mesure.
(2) Si l’auteur a commis une infraction prévue à l’article 64 al. 1, l’autorité compétente prend une décision sur la base d’une expertise indépendante, après avoir entendu une commission composée de représentants des autorités de poursuite pénale, des autorités d’exécution et des milieux de la psychiatrie. L’expert et les représentants des milieux de la psychiatrie ne doivent ni avoir traité l’auteur ni s’être occupés de lui d’une quelconque manière. »
Article 64 (Internement, conditions et exécution)
« (1) Le juge ordonne l’internement si l’auteur a commis un assassinat, un meurtre, une lésion corporelle grave, un viol, un brigandage, une prise d’otage, un incendie, une mise en danger de la vie d’autrui, ou une autre infraction passible d’une peine privative de liberté maximale de cinq ans au moins, par laquelle il a porté ou voulu porter gravement atteinte à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui et si : a. en raison des caractéristiques de la personnalité de l’auteur, des circonstances dans lesquelles il a commis l’infraction et de son vécu, il est sérieusement à craindre qu’il ne commette d’autres infractions du même genre, ou b. en raison d’un grave trouble mental chronique ou récurrent en relation avec l’infraction, il est sérieusement à craindre que l’auteur ne commette d’autres infractions du même genre et que la mesure prévue à l’article 59 semble vouée à l’échec. »
(...)
Article 65 (Changement de sanction)
« (1) Si, avant ou pendant l’exécution d’une peine privative de liberté ou d’un internement au sens de l’art. 64 al. 1, le condamné réunit les conditions d’une mesure thérapeutique institutionnelle prévues aux articles 59 à 61, le juge peut ordonner cette mesure ultérieurement. Le juge compétent est celui qui a prononcé la peine ou ordonné l’internement. L’exécution du solde de la peine est suspendue.
(2) Si, pendant l’exécution de la peine privative de liberté, des faits ou des moyens de preuve nouveaux permettent d’établir qu’un condamné remplit les conditions de l’internement et que ces conditions étaient déjà remplies au moment du jugement sans que le juge ait pu en avoir connaissance, le juge peut ordonner l’internement ultérieurement. La compétence et la procédure sont déterminées par les règles sur la révision. »
25. Le paragraphe 2 des dispositions transitoires de la modification du CP du 13 décembre 2002, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, pertinent en l’espèce, est libellé comme suit :
2 Prononcé et exécution des mesures
« (1) Les dispositions du nouveau droit relatives aux mesures (articles 56 à 65) et à leur exécution (article 90) s’appliquent aussi aux auteurs d’actes commis ou jugés avant leur entrée en vigueur. Cependant : a. le prononcé ultérieur de l’internement au sens de l’article 65, al. 2, n’est admissible que si l’internement aurait également été possible sur la base de l’article 42 ou 43 ch. 1 al. 2 de l’ancien droit ; b. le placement des jeunes adultes en maison d’éducation au travail (article 100bis dans sa version du 18 mars 1971) et les mesures applicables aux jeunes adultes (art. 61) ne doivent pas durer plus de quatre ans.
(2) Dans un délai de douze mois à compter de l’entrée en vigueur du nouveau droit, le juge examine si les personnes qui sont internées selon les articles 42 ou 43, ch. 1, al. 2, de l’ancien droit remplissent les conditions d’une mesure thérapeutique (articles 59 à 61 ou 63). Dans l’affirmative, le juge ordonne cette mesure ; dans le cas contraire, l’internement se poursuit conformément au nouveau droit. »
26. Le paragraphe 189 de l’ancien code de procédure du canton de Bâle-Ville, en vigueur à l’époque des faits pertinents, était libellé comme suit dans sa partie pertinente en l’espèce (traduction de l’allemand fournie par le Gouvernement) :
E. Reprise de la procédure - Conditions
« Une procédure pénale close par un jugement entré en force doit être reprise,
(...)
e) lorsqu’une personne acquittée fait ultérieurement un aveu crédible, ou lorsque d’autres faits ou moyens de preuves, inconnus du tribunal qui a rendu le jugement, paraissent susceptibles d’aboutir à sa condamnation ou d’engendrer une punition plus sévère d’une personne condamnée.
(...) »
27. Le code de procédure pénale suisse (CPP) du 5 octobre 2007 a remplacé les codes de procédure pénale cantonaux au 1er janvier 2011. L’article 410 de ce code régit la recevabilité et les motifs de la révision :
« Toute personne lésée par un jugement entré en force, une ordonnance pénale, une décision judiciaire ultérieure ou une décision rendue dans une procédure indépendante en matière de mesures, peut en demander la révision :
a. s’il existe des faits ou des moyens de preuves qui étaient inconnus de l’autorité inférieure et qui sont de nature à motiver l’acquittement ou une condamnation sensiblement moins sévère ou plus sévère du condamné ou encore la condamnation de la personne acquittée ;
b. si la décision est en contradiction flagrante avec une décision pénale rendue postérieurement sur les mêmes faits ;
c. s’il est établi dans une autre procédure pénale que le résultat de la procédure a été influencé par une infraction, une condamnation n’étant pas exigée comme preuve ; si la procédure pénale ne peut être exécutée, la preuve peut être apportée d’une autre manière.
(...). »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
28. Le requérant allègue que sa détention suite à la décision d’ordonner une mesure thérapeutique institutionnelle n’a pas été conforme à l’article 5 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
(...)
e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;
(...) »
29. Le Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
30. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le requérant
31. En ce qui concerne la décision d’ordonner une mesure thérapeutique institutionnelle (fondée sur l’article 65 alinéa 1 du CP, combiné avec l’article 59 du CP), le requérant soutient que la condition de la prévisibilité d’un détournement par pareille mesure de la commission de nouvelles infractions - l’une des conditions requises par l’article 59 du CP - n’a pas été remplie, puisque les chances de succès de son traitement auraient été minimales. Il considère par conséquent que la mesure litigieuse n’a pas été prise « selon les voies légales » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention. Il indique que, dans l’expertise psychiatrique du 24 septembre 2008, le docteur R. A. a relevé qu’il n’était pas prêt à faire un travail introspectif sur lui-même, que le danger de récidive était généralement élevé et que, par conséquent, le pronostic était très défavorable. Il indique aussi que, plus tard, dans le rapport complémentaire du 30 juin 2010, la professeure A. E. a considéré que toute mesure thérapeutique institutionnelle était très probablement vouée à l’échec.
Il conclut que les chances de succès d’un traitement sont tellement minimes qu’elles ne satisferaient pas aux exigences de l’article 59 du CP.
32. Le requérant ajoute que la mesure litigieuse ne trouve une base légale ni dans l’article 5 § 1 a) de la Convention, puisqu’il n’existerait pas de lien de causalité entre la privation de liberté et la condamnation pénale, ni dans l’article 5 § 1 e) de la Convention. S’agissant de la première disposition, il ajoute que l’article 5 de la Convention ne prévoit pas de privation de liberté à des fins purement préventives, à savoir pour éviter des dangers potentiels à l’avenir. À cet égard, le requérant explique que le jugement initial n’a même pas prévu une mesure thérapeutique ambulatoire accompagnant l’exécution de la peine. Quant à la deuxième disposition, il indique qu’elle n’est applicable qu’en présence d’un véritable trouble mental, l’établissement d’un pronostic défavorable ne suffisant pas selon lui.
33. Enfin, le requérant allègue que la première expertise psychiatrique, du 24 septembre 2008, n’est plus d’actualité et que l’expertise complémentaire, du 30 juin 2010, ne porte que sur la question de l’opportunité de prononcer une mesure thérapeutique institutionnelle. Il déplore que ni un véritable diagnostic ni sa dangerosité n’aient été établis. À cet égard, il indique qu’il avait seulement 22 ans au moment de l’infraction principale, commise le 3 mai 2004. Il ajoute avoir eu un développement positif pendant sa détention en prison, d’une durée de près de dix ans, ce qui aurait dû être reconnu par une expertise plus récente.
b) Le Gouvernement
34. Le Gouvernement soutient que l’ensemble des conditions prévues à l’article 59 alinéa 1 du CP sont réunies. Il indique notamment que le trouble mental a été diagnostiqué, que les instances nationales ont établi que la commission des infractions était liée à ce trouble et que ce point n’a aucunement été contesté. En ce qui concerne les perspectives de succès d’une thérapie, il expose que l’article 59 alinéa 1 b) du CP ne prévoit pas quelle probabilité doit être atteinte ni à quelle échéance le succès en question doit être attendu. Il ajoute que, d’après la jurisprudence fédérale, une perspective au-delà de cinq ans serait admissible. Il dit enfin que la possibilité d’amendement à terme (« Therapierbarkeit ») a été reconnue par le Tribunal fédéral sur la base d’expertises médicales.
35. Le Gouvernement indique aussi que, dans son arrêt du 30 janvier 2012, le Tribunal fédéral a considéré qu’il n’était pas exclu que le requérant fût susceptible de répondre favorablement à un traitement psychologique et qu’il était ainsi possible de réduire le risque de récidive. Ainsi, le prononcé d’une mesure d’internement par le tribunal d’appel le 6 mai 2011 n’aurait pas été compatible avec le droit, et le tribunal inférieur aurait dû examiner la possibilité d’une mesure thérapeutique stationnaire.
36. Le Gouvernement allègue que le prononcé de la mesure thérapeutique procède d’une correction du jugement initial opérée après la découverte de faits nouveaux inconnus (et ne pouvant être connus) du tribunal lors du prononcé de la condamnation. Il ajoute que, dans ce sens, l’article 65 du CP fait expressément référence à une révision du jugement initial à l’aune d’éléments nouvellement découverts qui existaient au moment du prononcé initial (révision in peius). Il précise que le fait que la mesure thérapeutique a été ordonnée dans le cadre d’une procédure de révision d’une décision antérieure suffit pour constituer un lien de causalité entre condamnation et mesure. Le Gouvernement estime par ailleurs que cet élément permet de distinguer la présente cause des affaires impliquant l’Allemagne, relativement à la « Sicherungsverwahrung », au motif que, en l’espèce, le trouble mental existait déjà lors du jugement initial.
37. Quant à l’actualité et la pertinence de l’expertise psychiatrique du 24 septembre 2008, le Gouvernement indique que celle-ci a été complétée par l’expertise du 30 juin 2010. Il ajoute que non seulement cette dernière s’est basée sur celle de 2008, mais aussi qu’elle a été rédigée en tenant compte de différentes prises de position pertinentes exprimées entre-temps et à la suite d’un examen médical du requérant par la professeure A. E. Il expose que, par la suite, cette experte a été entendue, le 6 mai 2011, par le tribunal d’appel avant le prononcé de son arrêt par celui-ci. Le Gouvernement précise également que le requérant et son avocate étaient présents lors des débats et qu’ils avaient eu la possibilité de poser des questions à A. E. Il indique enfin que, dans le cadre de l’instruction de la procédure ayant abouti à l’arrêt du tribunal d’appel du 22 août 2012, le président de cette juridiction a de nouveau sollicité l’avis de A. E.
2. Appréciation de la Cour
a) Rappel des principes pertinents
38. Les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 de la Convention renferment une liste exhaustive des motifs autorisant la privation de liberté ; une privation de liberté n’est donc pas régulière si elle ne relève pas de l’un de ces motifs. Le fait qu’un motif soit applicable n’empêche toutefois pas nécessairement qu’un autre le soit aussi ; une privation de liberté peut, selon les circonstances, se justifier sous l’angle de plus d’un alinéa (M. c. Allemagne, no 19359/04, § 86, CEDH 2009, et Silva Rocha c. Portugal, 15 novembre 1996, § 27, Recueil des arrêts et décisions 1996-V ; Morsink c. Pays-Bas, no 48865/99, § 62, 11 mai 2004).
39. Par la notion de « condamnation » au sens de l’article 5 § 1 a) de la Convention, il faut entendre à la fois une déclaration de culpabilité, consécutive à l’établissement d’une infraction et l’infliction d’une peine ou autre mesure privative de liberté (Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, § 100, série A no 39, Van Droogenbroeck c. Belgique, 24 juin 1982, § 35, série A no 50, et M. c. Allemagne, précité, § 87). L’alinéa a) de l’article 5 § 1 de la Convention n’implique pas un simple ordre chronologique de succession entre la condamnation et la mesure, mais un lien de causalité suffisant.
40. Le lien de causalité exigé par l’alinéa a) peut néanmoins finir par se rompre au cas où une décision de ne pas libérer ou de réincarcérer se fonderait sur des motifs incompatibles avec les objectifs visés par la décision initiale (de la juridiction de jugement) ou sur une appréciation non raisonnable eu égard à ces objectifs. En pareil cas, un internement régulier à l’origine se muerait en une privation de liberté arbitraire et, dès lors, incompatible avec l’article 5 (M. c. Allemagne, précité, § 88, Van Droogenbroeck, précité, § 40, Eriksen c. Norvège, 27 mai 1997, § 78, Recueil des arrêts et décisions 1997-III et Weeks c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, § 49, série A no 114).
41. Selon l’alinéa c) de l’article 5 § 1 de la Convention, la détention d’une personne peut se justifier « lorsqu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ». La mesure ne se prête pas à une politique de prévention générale dirigée contre une personne, mais a seulement pour but d’empêcher une infraction concrète et déterminée (idem, §§ 89 et 102).
42. En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux dans le sens de l’article 5 § 1 e), un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (voir, parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 37, série A no 33), § 39, Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000-X, et Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 114, CEDH 2008).
43. À ce propos, aucune privation de liberté d’une personne considérée comme aliénée ne peut être jugée conforme à l’article 5 de la Convention si elle a été décidée sans que l’avis d’un médecin expert ait été demandé. Toute autre approche reste en deçà de la protection requise contre l’arbitraire (Filip c. Roumanie, no 41124/02, § 57, 14 décembre 2006, et Cristian Teodorescu c. Roumanie, no 22883/05, § 67, 19 juin 2012). Concernant les qualifications du médecin expert, la Cour considère en général que les autorités nationales sont mieux placées qu’elle pour les apprécier (voir, mutatis mutandis, Sabeva c. Bulgarie, no 44290/07, § 58, 10 juin 2010, Witek c. Pologne, no 13453/07, § 46, 21 décembre 2010, et Biziuk v. Pologne (no 2), no 24580/06, § 47, 17 janvier 2012). Toutefois, elle a déjà relevé que, dans certains cas particuliers, et notamment lorsque la personne internée n’avait pas d’antécédents de troubles psychiques, il était indispensable que l’évaluation fût menée par un expert psychiatre (Luberti c. Italie, 23 février 1984, § 29, série A no 75, C.B. c. Roumanie, no 21207/03, § 56, 20 avril 2010, et Ťupa c. République tchèque, no 39822/07, § 47, 26 mai 2011).
44. En outre, l’expertise doit être suffisamment récente pour permettre aux autorités compétentes d’apprécier la condition clinique de la personne concernée au moment où la légalité de la détention est examinée. Dans l’affaire Herz c. Allemagne (no 44672/98, § 50, 12 juin 2003), par exemple, la Cour a considéré qu’une expertise psychiatrique datant d’un an et demi ne suffisait pas à elle seule pour justifier une mesure privative de liberté (voir également, mutatis mutandis, H.W. c. Allemagne, no 17167/11, § 114, 19 septembre 2013).
45. Enfin, il doit exister un certain lien entre le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et les lieu et régime de la privation de liberté. En principe, la « détention » d’une personne en tant que malade mental ne sera « régulière » au regard de l’article 5 § 1 de la Convention que si elle se déroule dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié (Aerts c. Belgique, no 25357/94, § 46, Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 49, CEDH 2003-IV, Haidn c. Allemagne, no 6587/04, § 78, 13 janvier 2011, et O.H. c. Allemagne, no 4646/08, 24 novembre 2011).
b) Application des principes susmentionnés
46. À la lumière des principes susmentionnés, la Cour doit trancher la question de savoir si, au cours de sa détention subie après le 22 août 2012 - date de l’arrêt du tribunal d’appel ordonnant la mesure thérapeutique institutionnelle et suspendant la durée de la peine restant à exécuter -, le requérant a été privé de sa liberté conformément à l’un ou plusieurs des alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 de la Convention. Elle exclut d’emblée que la mesure litigieuse soit assimilable à une privation de liberté relevant de l’alinéa c) de ladite disposition.
47. La Cour estime que la présente affaire est particulière dans la mesure où les autorités suisses ont, dans le cadre d’une procédure à laquelle ont été appliquées par analogie les règles sur la révision d’un jugement pénal (article 65 § 2 CP), soumis le requérant à une mesure thérapeutique institutionnelle qui n’était pas initialement prévue par ledit jugement. La mesure litigieuse a été ordonnée en application de l’article 59 du CP, qui prévoit ce type de mesures pour les auteurs d’infractions souffrant de graves troubles mentaux.
48. La Cour considère dès lors approprié d’examiner la question de savoir si cette mesure se justifiait au regard de l’article 5 § 1 d’abord en vertu de l’alinéa a). La Cour doit alors rechercher d’abord si la mesure litigieuse est intervenue « après condamnation » du requérant, autrement dit s’il existe un lien de causalité suffisant entre la condamnation du requérant prononcée le 27 mai 2005 et confirmée le 12 janvier 2007, d’une part, et la mesure litigieuse, ordonnée par le tribunal d’appel le 22 août 2012, d’autre part.
49. À cet égard, la Cour rappelle que le tribunal pénal a condamné le requérant à une peine de réclusion de huit ans par un jugement du 27 mai 2005, qu’à la suite de ce jugement l’intéressé a été transféré dans l’établissement pénitentiaire Bostadel pour purger sa peine (paragraphe 6 ci-dessus) et que ce jugement ne prévoyait aucune mesure thérapeutique, ni ambulatoire ni institutionnelle. Elle relève que les parties s’accordent sur ce point et que la peine d’emprisonnement arriva à son terme en mars 2013. La Cour en conclut que, dans la mesure où l’arrêt du 22 août 2012 a remplacé le jugement initial, ou a pour le moins suspendu son exécution, la privation de liberté du requérant à partir du 22 août 2012 ne pouvait plus être couverte par le jugement initial.
50. La Cour est a priori prête à accepter, comme le prétend le Gouvernement, que le prononcé de la mesure thérapeutique est une correction du jugement initial à la suite de la découverte de faits pertinents nouveaux et que le fait selon lequel la mesure thérapeutique ait été ordonnée dans le cadre d’une procédure de révision quant à la sanction imposée par un jugement antérieur peut constituer un lien de causalité entre la condamnation initiale et la mesure litigieuse, comme exigé par la jurisprudence pertinente de la Cour quant à l’alinéa a) de l’article 5 § 1.
51. En même temps, la Cour rappelle que le lien de causalité exigé par l’alinéa a) peut néanmoins finir par se rompre au cas où une décision de ne pas libérer ou de réincarcérer se fonderait sur des motifs incompatibles avec les objectifs visés par la décision initiale ou sur une appréciation non raisonnable eu égard à ces objectifs. En pareil cas, un internement régulier à l’origine se muerait en une privation de liberté arbitraire et, dès lors, incompatible avec l’article 5 (M. c. Allemagne, précité, § 88 ; paragraphe 40 ci-dessus, avec d’autres références).
52. La Cour rappelle que le droit suisse est particulier dans le sens où il permet d’appliquer des mesures thérapeutiques institutionnelles sur la base d’une procédure sur laquelle s’appliquent les règles sur la révision (65 § 2 CP) s’il s’avère qu’il y a lieu d’adapter le jugement initial à la suite de la découverte d’un fait pertinent nouveau. Elle estime dès lors approprié, pour la question de savoir si la privation de liberté est intervenue arbitrairement, de prendre en compte des éléments qui relèvent a priori plus de l’alinéa e) dans l’analyse de la justification de la mesure en vertu de l’alinéa a) de l’article 5 § 1.
53. S’agissant du cas d’espèce, la Cour observe que la mesure litigieuse était ordonnée par arrêt du 22 août 2012, à savoir plus de sept ans après la condamnation initiale du requérant (27 mai 2005) et seulement sept mois avant sa libération prévue pour mars 2013. Même si cet ordre chronologique et le laps du temps considérable écoulé entre la condamnation initiale du requérant et l’imposition de la mesure litigieuse à son encontre ne sont pas seuls déterminants pour la question de savoir s’il y a eu violation de l’article 5 dans le cas d’espèce, ceux-ci sont néanmoins des indices à prendre en compte dans l’appréciation par la Cour de l’ensemble des circonstances pertinentes.
54. La Cour rappelle, ensuite, que le docteur R. A., psychiatre et psychothérapeute, après avoir examiné en personne le requérant, a rédigé une expertise psychiatrique, le 24 septembre 2008, dans laquelle il posait le diagnostic de troubles de la personnalité de caractère paranoïde et narcissique de degré moyen (selon la Classification internationale des maladies [CIM-10 ou ICD-10] de l’Organisation mondiale de la santé), avec pleine responsabilité pénale (paragraphe 9 ci-dessus), et que ces conclusions ont ultérieurement été confirmées par un rapport complémentaire de la professeure A. E. en date du 30 juin 2010, rédigé également après examen du requérant. Enfin, avant de rendre son arrêt du 22 août 2012, le tribunal d’appel avait adressé une demande de renseignements à la professeure A. E. Dans sa réponse du 25 juin 2012, celle-ci avait affirmé que, étant donné le genre, la gravité et la complexité du trouble mental présenté par le requérant, seule une mesure institutionnelle était susceptible de tenir compte, de manière adéquate, des exigences thérapeutiques. La Cour constate que la question posée à l’expert était limitée, ayant en particulier trait aux institutions appropriées pour le requérant.
55. Compte tenu de ce qui précède, entrent en ligne de compte l’expertise psychiatrique du docteur R. A. en date du 24 septembre 2008, et le rapport complémentaire de la professeure A.E. en date du 30 juin 2010. Or, la mesure litigieuse ayant été décidée par le tribunal d’appel le 22 août 2012, à savoir presque deux ans et deux mois après l’établissement du rapport complémentaire et presque 3 ans et 11 mois après l’expertise de la professeure R. A., la Cour estime qu’il s’agit des laps de temps excessifs (voir, par exemple, les arrêts Herz, précité, § 50, et Yaikov c. Russie, no 39317/05, § 64, 18 juin 2015, dans lesquels la Cour a jugé excessif un laps de temps d’un an et demi).
56. Par ailleurs, la Cour note que, par un courrier du 25 juin 2012, la professeure A. E. a indiqué que les centres pénitentiaires de Thorberg et de Pöschwies disposaient de services de thérapie (« Therapieabteilungen ») au sens de l’article 59 § 3 du CP et qu’il convenait d’en tenir compte. Or, dans sa Requête introduite le 1er juillet 2013, le requérant a indiqué qu’il était incarcéré à la prison Bostadel, à Menzingen. L’intéressé a également informé la Cour, par une lettre du 26 mai 2016, qu’il se trouvait toujours à la prison Bostadel. Le Gouvernement n’a pas contesté ce point, et il n’a pas non plus soutenu que le requérant avait été ultérieurement transféré dans l’un des deux établissements cités par la professeure.
57. Dès lors, la Cour, rappelant l’article 62c) du code pénal selon lequel la mesure litigieuse doit a priori être levée s’il n’y a pas ou plus d’établissement approprié (paragraphe 24 ci-dessus), conclut que le requérant n’est pas soigné dans un milieu adéquat compte tenu de son trouble mental. La Cour estime par ailleurs que le refus du requérant de se soumettre à un traitement psychiatrique quelconque ne peut pas justifier l’inadéquation de son lieu de placement depuis des années.
58. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la mesure litigieuse, qui a été imposée seulement vers la fin de l’exécution de la peine initiale et qui reste en vigueur jusqu’à aujourd’hui, ne se fondait pas sur des expertises suffisamment récentes et que le requérant se trouve, depuis plus de quatre ans et demi après l’expiration de sa peine d’emprisonnement (mars 2013), dans une institution manifestement inadaptée aux troubles dont il souffre. Il s’ensuit que la privation du requérant subie à la suite de l’arrêt du 22 août 2012 n’était pas compatible avec les objectifs de la condamnation initiale.
59. Essentiellement pour les mêmes raisons, la partie défenderesse ne peut pas se prévaloir de l’alinéa e) de l’article 5 § 1, dont les conditions d’application sont analogues comme exposées ci-dessus (paragraphes 42-45 ci-dessus).
60. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION
61. Le requérant se plaint d’une violation de l’article 7 de la Convention, libellé comme suit :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.
2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »
62. Le Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
63. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le requérant
64. Le requérant fait observer qu’il a été condamné pour des infractions commises avant 2007. Il ajoute que l’article 65 du CP relatif aux mesures thérapeutiques institutionnelles est entré en vigueur le 1er janvier 2007 et qu’il ne peut donc être appliqué sans violer le principe nullum crimen, nulla poena sine lege et le principe de non-rétroactivité. Selon lui, le paragraphe 2 des dispositions transitoires de la modification du CP du 13 décembre 2002 n’est pas compatible avec les principes fondamentaux supérieurs (« übergeordnete Grundprinzipien ») et ne pourrait par conséquent rien changer au constat ainsi formulé par lui.
b) Le Gouvernement
65. Le Gouvernement rétorque que la mesure thérapeutique institutionnelle a été ordonnée dans le cadre d’une révision du jugement en défaveur du requérant. Il ajoute que, dans une telle hypothèse, l’article 65 alinéa 2 du CP renvoie aux règles applicables à la révision, soit - avant l’entrée en vigueur du CPP unifié le 1er janvier 2011 - aux dispositions pertinentes en la matière des codes de procédure pénale cantonaux. Il en déduit que le paragraphe 2 alinéa 1 des dispositions transitoires de la modification du CP du 13 décembre 2002, combiné avec l’article 65 alinéa 2 du même code, « établit donc l’application rétroactive d’un motif spécifique de révision ». Il précise que la révision en défaveur de la personne condamnée était régie par l’article 189 alinéa 1 e) de l’ancien code de procédure du canton de Bâle-Ville. À cet égard, il indique que, d’après cette disposition, une procédure pénale clôturée par un jugement « entré en force » devait être reprise, entre autres, lorsque des faits ou moyens de preuves, inconnus du tribunal ayant rendu le jugement, paraissaient susceptibles d’aboutir à la condamnation de la personne acquittée ou d’engendrer une punition plus sévère de la personne condamnée. Le Gouvernement expose en outre que le droit matériel en vigueur à l’époque prévoyait des mesures thérapeutiques institutionnelles, notamment celles de l’article 43 § 1 alinéa 2a de l’ancien CP, et il précise que cette disposition permettait l’internement d’un condamné qui, « en raison de son état mental », « compromet[tait] gravement la sécurité publique », à la condition que « cette mesure [fût] nécessaire pour prévenir la mise en danger d’autrui ». Il soutient que, par conséquent, en décidant l’imposition d’une mesure thérapeutique institutionnelle, le tribunal d’appel n’a pas ordonné une peine plus sévère en comparaison de celle qui, selon lui, aurait déjà été possible et admissible au moment du prononcé de leurs décisions par les juridictions pénales. Il conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention, et ce indépendamment de la question de savoir si une telle mesure constituait, à l’instar de l’internement prévu à l’article 65 alinéa 2 du CP, une « peine » au sens de l’article 7 de la Convention.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes pertinents
66. La garantie que consacre l’article 7 de la Convention, élément essentiel de la prééminence du droit, occupe une place primordiale dans le système de protection de la Convention, comme l’atteste le fait que l’article 15 de la Convention n’y autorise aucune dérogation en temps de guerre ou autre danger public. Ainsi qu’il découle de son objet et de son but, on doit l’interpréter et l’appliquer de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, les condamnations et sanctions arbitraires (Maktouf et Damjanović c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 2312/08 et 34179/08, § 66, CEDH 2013 (extraits), Kononov c. Lettonie [GC], no 36376/04, § 185, CEDH 2010, S.W. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 34, série A no 335-B, C.R. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 32, série A no 335-C, Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, § 50, CEDH 2001-II, Kafkaris, précité, § 137, et M. c. Allemagne, précité, § 117).
67. L’article 7 de la Convention consacre, entre autres, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege). S’il prohibe, en particulier, l’application rétroactive du droit pénal au détriment de l’accusé (Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 52, série A no 260-A) et interdit d’étendre le champ d’application des infractions existantes à des faits qui, antérieurement, ne constituaient pas des infractions, il commande en outre de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, par exemple par analogie (Kononov, précité, § 185, Maktouf et Damjanović, précité, § 66, Uttley c. Royaume-Uni (déc.), no 36946/03, 29 novembre 2005, Achour c. France [GC], no 67335/01, § 41, CEDH 2006-IV, et M. c. Allemagne, précité, § 118).
68. La notion de « droit » (law) utilisée à l’article 7 correspond à celle de « loi » qui figure dans d’autres articles de la Convention ; elle implique des conditions qualitatives, entre autres celles d’accessibilité et de prévisibilité (Kononov, précité, § 185, Maktouf et Damjanović, précité, § 66, Cantoni c. France, 15 novembre 1996, § 29, Recueil 1996-V, Coëme et autres c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, § 145, CEDH 2000-VII, et Achour, précité, § 42). Ces conditions qualitatives doivent être remplies tant pour la définition d’une infraction que pour la peine que celle-ci implique (Achour, précité, § 41, et Kafkaris, précité, § 140). Le justiciable doit pouvoir savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale et quelle peine sera prononcée pour l’acte commis et/ou l’omission (Cantoni, précité, § 29, Uttley, décision précitée, Kafkaris, précité, § 140, et M. c. Allemagne, précité, § 119).
69. La notion de « peine » contenue à l’article 7 de la Convention possède une portée autonome. Pour rendre efficace la protection offerte par cette disposition, la Cour doit demeurer libre d’aller au-delà des apparences et d’apprécier elle-même si une mesure particulière s’analyse au fond en une « peine » au sens de cette clause (Welch c. Royaume-Uni, 9 février 1995, § 27, série A no 307-A, Jamil c. France, 8 juin 1995, § 30, série A no 317-B, et Uttley, décision précitée). Le libellé de la seconde phrase de l’article 7 § 1 de la Convention indique que le point de départ de toute appréciation de l’existence d’une peine consiste à déterminer si la mesure en question est imposée à la suite d’une condamnation pour une « infraction ». D’autres éléments sont pertinents à cet égard : la qualification de la mesure en cause en droit interne, sa nature et son but, les procédures associées à son adoption et à son exécution, ainsi que sa gravité (Welch, précité, § 28, Jamil, précité, § 31, Adamson c. Royaume-Uni (déc.), no 42293/98, 26 janvier 1999, Van der Velden c. Pays-Bas (déc.), no 29514/05, CEDH 2006-XV, et Kafkaris, précité, § 142). La gravité de la mesure n’est toutefois pas décisive en soi, puisque de nombreuses mesures non pénales de nature préventive peuvent avoir un impact substantiel sur la personne concernée (Welch, précité, § 32, Van der Velden, décision précitée, et M. c. Allemagne, précité, § 120).
70. Dans leur jurisprudence, la Commission comme la Cour ont établi une distinction entre une mesure constituant en substance une « peine » et une mesure relative à l’« exécution » ou à l’« application » de la « peine ». En conséquence, lorsque la nature et le but d’une mesure concernent la remise d’une peine ou un changement dans le système de libération conditionnelle, cette mesure ne fait pas partie intégrante de la « peine » au sens de l’article 7 de la Convention (voir, entre autres, Hogben c. Royaume-Uni, no 11653/85, décision de la Commission du 3 mars 1986, Décisions et rapports (DR) 46, p. 231, Grava c. Italie, no 43522/98, § 51, 10 juillet 2003, et Kafkaris, précité, § 142). Cependant, la distinction entre les deux n’est peut-être pas toujours nette en pratique (Kafkaris, précité, § 142, Monne c. France (déc.), no 39420/06, 1er avril 2008, et M. c. Allemagne, précité, § 121).
b) Application des principes susmentionnés en l’espèce
i. Sur la question de savoir s’il y a eu rétroactivité d’une sanction plus sévère
71. La Cour prend note de l’assertion du requérant, qui indique qu’il a été condamné pour des infractions commises avant 2007 et que la mesure litigieuse objet de la présente Requête repose sur l’article 65 du CP, entré en vigueur le 1er janvier 2007. Elle est donc amenée à examiner s’il y a eu, pour ces motifs, rétroactivité d’une peine plus grave, comme le soutient le requérant.
72. La Cour observe qu’entre 2000 et 2004, à l’époque où le requérant a commis les infractions ayant conduit à sa condamnation en 2005, le juge compétent aurait pu prononcer des « mesures concernant les délinquants anormaux », notamment sur la base de l’article 43 § 1 alinéa 2a du CP alors en vigueur. Cette disposition permettait l’internement d’un condamné qui, « en raison de son état mental », « compromet[tait] gravement la sécurité publique », à la condition que « cette mesure [fût] nécessaire pour prévenir la mise en danger d’autrui ».
73. Le Tribunal fédéral a considéré que, même s’il fallait considérer les mesures thérapeutiques institutionnelles comme une peine au sens de l’article 7 de la Convention, le prononcé ultérieur d’une telle mesure dans le cas concret n’impliquerait pour le requérant aucune aggravation de sa peine par rapport à celle prévue par le droit en vigueur au moment de la commission des faits délictuels dans la mesure où les mesures prévues par l’ancien droit (article 43 du CP, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2006) étaient au moins aussi strictes que celles découlant du nouveau droit, d’où l’absence de violation du principe de non-rétroactivité en l’espèce (paragraphe 21 ci-dessus).
74. Selon le Gouvernement, en imposant une mesure thérapeutique institutionnelle, le tribunal d’appel n’aurait pas ordonné une peine plus sévère en comparaison de celle qui, selon lui, aurait déjà été possible au moment du prononcé des décisions des juridictions pénales.
75. La Cour constate que le requérant n’invoque pas de raisons convaincantes susceptibles de remettre en cause cette affirmation. Le requérant ne prétend pas non plus qu’une révision de la décision initiale n’aurait pas été possible sous l’ancien droit, qui était alors été régi par le droit cantonal. Dès lors, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu rétroactivité d’une sanction plus lourde.
76. Compte tenu de ce qui précède, il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 4 DU PROTOCOLE No 7 À LA CONVENTION
77. Le requérant soutient également avoir été puni deux fois. Il invoque à cet égard l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention, libellé comme suit :
« 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État.
2. Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.
3. Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention. »
78. Le Gouvernement combat cette thèse.
A. Sur la recevabilité
79. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
80. Le requérant soutient qu’il a purgé sa peine au printemps 2013 et que la mesure qui lui a été imposée par la suite constitue une double peine. Il indique que sa conduite en prison était positive et que la mesure en cause a été décidée seulement peu avant la fin de l’exécution de sa peine d’emprisonnement, et il estime que ces circonstances rendent sa situation encore plus grave. Par conséquent, selon lui, il y a eu violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention.
81. Essentiellement pour les mêmes raisons que celles invoquées par les instances internes, le Gouvernement considère que l’on se trouve dans un cas d’application du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention. Il expose que, en l’espèce, les expertises psychiatriques de 2008 et 2010, établies pendant l’exécution de la peine d’emprisonnement, ont révélé un fait nouveau, à savoir l’existence d’un grave trouble mental chez le requérant, que ce trouble existait déjà au moment des décisions pénales, mais qu’il n’était pas et ne pouvait pas être connu des juridictions pénales.
2. Appréciation de la Cour
82. La Cour rappelle que l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention garantit que nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif (Marguš c. Croatie [GC], no 4455/10, § 114, CEDH 2014 (extraits), Sergueï Zolotoukhine c. Russie [GC], no 14939/03, § 58, CEDH 2009, et Nikitine c. Russie, no 50178/99, § 35, CEDH 2004-VIII). La qualification juridique de la procédure en droit interne ne saurait être le seul critère pertinent pour l’applicabilité du principe non bis in idem au regard de l’article 4 § 1 du Protocole no 7. S’il en était autrement, l’application de cette disposition se trouverait subordonnée à l’appréciation des États contractants, ce qui risquerait de conduire à des résultats incompatibles avec l’objet et le but de la Convention (voir Storbråten c. Norvège (déc.), no 12277/04, 1er février 2007, avec d’autres références). Les termes « procédure pénale » employés dans le texte de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention doivent être interprétés à la lumière des principes généraux applicables aux expressions « accusation en matière pénale » (criminal charge) et « peine » (penalty) figurant respectivement à l’article 6 et à l’article 7 de la Convention (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 52).
83. La Cour observe en l’espèce que le Tribunal fédéral a estimé que la révision du procès dans le cas concret, aux fins de prononcé d’une mesure thérapeutique institutionnelle ultérieure sur la base de la grave maladie psychique du requérant déjà présente, mais non détectée, au moment du jugement initial, ne constituait pas une deuxième sanction à l’encontre de l’intéressé.
84. La Cour rappelle que, d’après le second paragraphe de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention, le premier paragraphe du même article n’empêche pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.
85. S’agissant du cas d’espèce, les autorités internes ont considéré l’établissement nouveau de l’état mental du requérant comme un fait nouvellement révélé et ont, sur la base de celui-ci, procédé à la modification du jugement initial par l’application par analogie des règles sur la révision (article 65 § 2 CP). La Cour constate que le requérant n’indique pas en quoi la réouverture du procès ne serait pas intervenue « conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné ». Aucun indice dans ce sens ne découle par ailleurs du dossier disponible à la Cour.
86. Compte tenu de ce qui précède, il n’y a pas eu violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
87. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
88. Le requérant indique qu’il aurait dû être libéré le 19 mars 2013, et il estime qu’il a droit, depuis cette date, à une indemnité de 300 francs suisses (CHF) par jour au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi. Il ne réclame pas de somme au titre d’un préjudice matériel.
89. Le Gouvernement estime que le montant réclamé est exagéré et qu’une somme de 4 000 EUR serait appropriée.
90. La Cour considère que le constat de violation de l’article 5 § 1 de la Convention ne compense pas le préjudice moral subi par le requérant. Elle estime qu’il y a lieu d’octroyer à ce dernier 20 000 EUR à ce titre.
B. Frais et dépens
91. Le requérant demande également 24 861,85 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.
92. Le Gouvernement estime que le montant demandé est excessif. Il est d’avis qu’il serait approprié d’octroyer un montant de 5 000 EUR au titre des dépens engagés pour la procédure interne et pour celle devant la Cour.
93. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour, notant que l’avocate du requérant n’a pas jugé nécessaire de commenter les observations détaillées soumises par le Gouvernement sur le bien-fondé de la Requête, estime raisonnable la somme de 12 000 EUR, tous frais confondus, au titre des frais et dépens pour la procédure nationale et pour celle devant elle, et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
94. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la Requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention ;
4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 4 du Protocole no 7 de la Convention ;
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
i. 20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 12 000 EUR (douze mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 janvier 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stephen Phillips Helena
Jäderblom
Greffier Présidente