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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BOYAN GOSPODINOV v. BULGARIA - 28417/07 (Judgment : Article 6 - Right to a fair trial : Fifth Section) French Text [2018] ECHR 305 (05 April 2018)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/305.html
Cite as: CE:ECHR:2018:0405JUD002841707, ECLI:CE:ECHR:2018:0405JUD002841707, [2018] ECHR 305

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CINQUIÈME SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE BOYAN GOSPODINOV c. BULGARIE

 

(Requête no 28417/07)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

STRASBOURG

 

 

5 avril 2018

 

 

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Boyan Gospodinov c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Erik Møse,
Yonko Grozev,
Síofra O'Leary,
Mārtiņš Mits,
Lәtif Hüseynov,
Lado Chanturia, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 mars 2018,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 28417/07) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet État, M. Boyan Dobrinov Gospodinov (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 mai 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me E. Syarova, avocate à Stara Zagora. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme V. Hristova, du ministère de la Justice.

3. Le requérant alléguait en particulier que son affaire pénale n'avait pas été examinée par un tribunal impartial conformément à l'article 6 § 1 de la Convention.

4. Le 9 janvier 2017, ce grief a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l'article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1983 et réside à Stara Zagora.

A. La première procédure pénale contre le requérant

6. Le 18 août 2002, la police effectua une perquisition au domicile du requérant à Stara Zagora et y découvrit une certaine quantité de cannabis. Le requérant fut arrêté et, le 30 août 2002, placé en détention provisoire. Une procédure pénale fut ouverte contre lui.

7. Par un jugement du 22 mai 2003, le tribunal régional de Stara Zagora reconnut le requérant coupable de détention illégale de 14,44 grammes de cannabis et le condamna à trois ans et demi d'emprisonnement. Le tribunal décida de déduire de la peine la période passée en détention provisoire.

8. Le requérant interjeta appel.

9. Par un arrêt du 13 octobre 2003, la cour d'appel de Plovdiv infirma le jugement susmentionné et réduisit la peine à un an d'emprisonnement.

10. Le requérant se pourvut en cassation.

11. À la demande de l'avocate de l'intéressé, par une décision du 6 avril 2004, la Cour suprême de cassation remplaça la détention provisoire par une simple mesure de contrôle judiciaire (подписка) et ordonna la libération du requérant.

12. Celui-ci fut libéré le 7 avril 2004, après avoir passé un an, sept mois et huit jours en détention provisoire.

13. Par un arrêt du 25 mai 2004, la Cour suprême de cassation confirma l'arrêt de la cour d'appel.

B. L'action en dommages et intérêts contre l'État

14. Le 23 septembre 2004, le requérant saisit le tribunal de la ville de Sofia d'une action en dommages et intérêts fondée sur l'article 2, point 6, de la loi sur la responsabilité de l'État pour dommages contre le tribunal régional de Stara Zagora, la cour d'appel de Plovdiv, la Cour suprême de cassation et le parquet. Dans sa demande introductive d'instance, il alléguait que la période qu'il avait passée en détention provisoire au cours de la procédure pénale à son encontre avait dépassé la durée de la peine qui lui avait été imposée par les tribunaux. Il demandait 11 500 levs bulgares (BGL) au titre du préjudice matériel et moral qu'il estimait avoir subi. Une première audience eut lieu le 30 novembre 2004 devant le tribunal de la ville de Sofia.

15. À l'audience du 11 octobre 2005, le représentant de la cour d'appel de Plovdiv, le juge N.D., présenta une copie du jugement du 3 octobre 2005 du tribunal régional de Stara Zagora (paragraphe 27 ci-dessous) et demanda au tribunal de la ville de Sofia de suspendre l'examen de l'affaire civile jusqu'à la fin de la seconde procédure pénale contre le requérant. Il souligna que l'action de l'intéressé devrait être rejetée à cause de cette nouvelle condamnation. En vertu de l'article 182, alinéa 1 (g) du code de procédure civile de 1952 (CPC), le tribunal fit droit à cette demande au motif que l'issue de la seconde procédure pénale pouvait s'avérer décisive pour l'issue de la procédure en indemnisation.

16. À la suite d'un recours formé par le requérant, la procédure civile d'indemnisation reprit son cours en janvier 2006.

17. Par un jugement du 24 octobre 2006, le tribunal de la ville de Sofia rejeta les prétentions du requérant. Celui-ci interjeta appel devant la cour d'appel de Sofia.

18. Le 10 juillet 2007, cette dernière le débouta de son appel. Elle constata que, à l'issue de la seconde procédure pénale le concernant (paragraphes 20-32 ci-dessous), le requérant avait été condamné à trois ans d'emprisonnement et que cette peine avait été cumulée avec la peine d'emprisonnement qui lui avait été infligée à l'issue de la première procédure pénale. Elle nota également que les tribunaux pénaux avaient également déduit de la peine ainsi cumulée la période d'un an et sept mois passée en détention provisoire lors de la première procédure pénale et conclut que, dès lors, la durée de la détention du requérant n'avait pas dépassé celle de la peine qui lui avait été infligée.

19. Cet arrêt était susceptible d'un pourvoi en cassation, que le requérant n'exerça pas.

C. La seconde procédure pénale contre le requérant

20. Le 14 octobre 2004, le parquet régional de Stara Zagora dressa un acte d'accusation à l'encontre du requérant et renvoya ce dernier en jugement devant le tribunal régional de la même ville pour trafic de stupéfiants pendant la période comprise entre le 21 mars 2000 et le 14 mars 2002.

21. À l'audience du 18 octobre 2004, l'avocate du requérant demanda que l'affaire soit attribuée à un autre tribunal régional. Elle alléguait que les juges du tribunal régional de Stara Zagora n'étaient pas impartiaux au motif que leur tribunal était défendeur dans le cadre de la procédure en indemnisation intentée par le requérant (paragraphe 14 ci-dessus).

22. Cette demande fut rejetée par la formation de jugement comme étant mal fondée au motif suivant : « En ce qui concerne la demande introductive d'instance présentée, il existe des données selon lesquelles elle a été reçue au tribunal de la ville de Sofia le 29 septembre 2004 et il n'existe aucune information permettant de constater qu'une procédure civile a été formellement ouverte par le tribunal de première instance ». La formation de jugement estima par ailleurs qu'il n'y avait aucun indice de parti pris de la part de l'un des deux juges professionnels et des trois juges assesseurs participant à la formation de jugement, qui n'avaient pas participé à la première procédure pénale menée contre le requérant.

23. Cependant, le président de la formation de jugement, qui était également le juge rapporteur, décida de se retirer de l'affaire au motif qu'il avait été membre de la formation de jugement qui avait précédemment condamné le requérant (paragraphes 6-13 ci-dessus). L'audience fut reportée pour permettre à la défense de prendre connaissance des pièces du dossier et de l'acte d'accusation.

24. Dans ses observations écrites des 21 octobre et 8 novembre 2004 en réponse à l'acte d'accusation, le requérant réitérait son argument concernant le parti pris allégué de tous les juges du tribunal régional et demanda leur déport collectif et l'attribution de l'affaire à un autre tribunal. Il soutenait que les juges avaient intérêt à le condamner à une peine d'emprisonnement pour éviter la condamnation de leur tribunal dans le cadre de la procédure en indemnisation intentée devant le tribunal de la ville de Sofia.

25. À l'audience du 10 janvier 2005, l'avocate du requérant renouvela sa demande de déport de tous les juges du tribunal régional et d'attribution de l'affaire à un autre tribunal du même degré. Cette demande fut rejetée pour les raisons suivantes : l'existence d'aucune des hypothèses légales de déport des juges mentionnées à l'article 25 du code de procédure pénale (CPP) n'avait été établie en l'espèce ; il n'y avait aucun indice de parti pris de la part des juges de la formation de jugement, l'affaire civile était examinée par un autre tribunal, dont l'impartialité n'était pas remise en cause, et le tribunal régional n'avait aucun moyen d'influencer l'issue de cette procédure ; en tout état de cause, la future décision du tribunal régional dans cette affaire pénale était susceptible d'appel.

26. Le tribunal régional examina l'affaire pénale de trafic de stupéfiants entre le 10 janvier et le 3 octobre 2005. Il recueillit des preuves matérielles et entendit plusieurs experts et témoins de l'accusation et de la défense. Le tribunal refusa de convoquer deux témoins de la défense et de poser certaines questions aux témoins de l'accusation pour absence de pertinence pour l'établissement des faits.

27. Par un jugement du 3 octobre 2005, le tribunal régional déclara le requérant coupable d'achat, de détention et de vente illégaux d'une certaine quantité de cannabis entre le mois de mars 2000 et le mois de mars 2002, et le condamna à seize ans d'emprisonnement. Le tribunal décida de cumuler cette peine avec celle qui lui avait été infligée à l'issue de la première procédure pénale et d'en déduire la période passée en détention provisoire entre 2002 et 2004.

28. Le 17 octobre 2005, le requérant interjeta appel du jugement du tribunal régional devant la cour d'appel de Plovdiv. Ultérieurement, son avocate présenta, à plusieurs reprises, des observations supplémentaires dénonçant divers manquements procéduraux de la part du tribunal régional et des autorités de l'enquête et contestant les conclusions factuelles et juridiques du tribunal précité. Dans ses observations du 18 janvier 2006, l'avocate du requérant se plaignait du parti pris des juges du tribunal de première instance, en raison notamment, selon elle, du refus de cette juridiction de transmettre le dossier à un autre tribunal pour examen.

29. La cour d'appel de Plovdiv examina l'affaire pénale en audience publique le 23 janvier 2005. L'avocate du requérant ne demanda pas le déport des juges de la cour d'appel. Cette juridiction entendit un témoin et recueillit les nouvelles preuves écrites présentées par la défense. Dans sa plaidoirie, l'avocate dénonçait en particulier l'insuffisance des preuves pour condamner le requérant, plaidait l'acquittement de son client et, à titre subsidiaire, demandait le renvoi de l'affaire devant le tribunal inférieur pour manquements à la procédure.

30. Par un arrêt du 25 janvier 2006, la cour d'appel infirma le jugement du tribunal régional. Elle exclut des preuves, pour violation des droits de la défense, deux dépositions recueillies au cours de l'instruction préliminaire que le tribunal de première instance avait prises en compte. Elle estima cependant que les autres preuves rassemblées confirmaient le constat selon lequel le requérant s'était livré au trafic de cannabis et ne constata aucune autre violation des droits procéduraux de l'intéressé. Elle le condamna à dix ans d'emprisonnement et confirma la décision du tribunal régional dans sa partie concernant le cumul des peines et la déduction de la période passée en détention provisoire.

31. Le requérant se pourvut en cassation. Son avocate soutint, entre autres, que la juridiction d'appel n'avait pas abordé la question concernant l'absence alléguée d'impartialité du tribunal de première instance.

32. Par un arrêt du 16 novembre 2006, la Cour suprême de cassation infirma l'arrêt du 25 janvier 2006 de la cour d'appel de Plovdiv, réduisit la peine du requérant à trois ans d'emprisonnement, cumula celle-ci avec la peine infligée lors de la première procédure pénale et en déduisit la période passée en détention provisoire pendant cette première procédure pénale. Aussi le requérant ne devait-il purger effectivement qu'une peine d'un an et cinq mois d'emprisonnement.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

33. L'article 25 du CPP de 1974, en vigueur jusqu'en avril 2006, énumérait les raisons du déport d'un juge pénal dans une affaire, par exemple la participation à la même affaire en tant que partie civile, procureur, enquêteur, témoin ou expert, ou encore l'existence d'un lien de parenté entre le juge en cause et l'une des personnes susmentionnées ou avec un autre juge de la formation de jugement. En application du point 9 du même article, le juge était tenu de se déporter de l'affaire dans toute autre circonstance susceptible de remettre en cause son impartialité.

34. En vertu de l'article 36 du même code, la Cour suprême de cassation pouvait décider de renvoyer une affaire pénale pour examen à un autre tribunal de même degré si le tribunal compétent n'était pas en mesure de constituer une formation de jugement. Un tel cas de figure pouvait se présenter si tous les juges du tribunal compétent se déportaient (Определение № 19 от 25.II.1991 г. на ВС по ч. н. д. № 80/91 г., III н. о., Бюлетин на ВС на РБ, кн. 5/1991 г., стр. 11).

35. L'article 23 du code pénal prévoit la confusion des peines en cas de concours réel ou idéal de deux ou plusieurs infractions pénales. Dans ce cas, le tribunal compétent est tenu d'imposer au condamné la peine la plus lourde.

36. En vertu de l'article 59 du même code, en vue de l'exécution des peines privatives de liberté, le temps passé par le condamné en détention provisoire est déduit de la peine fixée par les tribunaux.

37. En application de l'article 2, point 6, de la loi sur la responsabilité de l'État pour dommages, la responsabilité civile de l'État peut être engagée en cas d'emprisonnement pour une période supérieure à celle fixée par les tribunaux lorsque ledit emprisonnement est le résultat des actions ou omissions des tribunaux, du parquet ou des organes de l'enquête pénale.

38. En vertu de l'article 196 alinéa 1 de la loi de 1994 sur le pouvoir judiciaire en vigueur à l'époque des faits, le système judiciaire disposait de son propre budget, élaboré par le Conseil suprême de la magistrature et voté par l'Assemblée nationale.

39. Le Conseil suprême de la magistrature était en premier lieu chargé de gérer et superviser le budget de l'ensemble du système judiciaire. Les autorités judiciaires dotées de la personnalité juridique, tels que les tribunaux, avaient également la charge de gérer leur budget propre.

40. L'article 399 alinéa 2 du CPC, en vigueur à l'époque des faits et désormais abrogé, prévoyait que les personnes titulaires d'une créance contre des institutions publiques devaient transmettre le titre exécutoire aux services financiers de l'organisme en question afin d'en recevoir le paiement. Les paiements étaient effectués à partir de crédits spécialement affectés à cet objet dans le budget de l'organisme. À défaut de fonds disponibles, un crédit budgétaire devait être ouvert à cet effet pour l'année suivante.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

41. Le requérant allègue que la deuxième affaire pénale le concernant n'a pas été examinée par un tribunal impartial. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, libellé comme suit dans ses parties pertinentes en l'espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A. Sur la recevabilité

42. Constatant que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

a) Le requérant

43. Le requérant expose que, dans la cadre d'une première procédure pénale pour trafic de stupéfiants, il a été placé en détention provisoire et détenu pendant un an, sept mois et huit jours alors que, à l'issue de cette procédure, il a été condamné à seulement un an d'emprisonnement.

44. Il indique avoir donc introduit une action en réparation en vertu de l'article 2, point 6, de la loi sur la responsabilité de l'État contre les trois juridictions qui ont examiné cette affaire pénale. Il déclare que, parallèlement à cette procédure civile, une deuxième procédure pénale pour trafic de stupéfiants a été ouverte à son encontre et a été portée devant le même tribunal de première instance qu'il avait assigné en justice. Il estime que, ainsi, les juges du tribunal de première instance avaient tout intérêt à le condamner une deuxième fois pour des faits similaires et à cumuler les deux peines imposées à l'issue des deux procédures pénales pour exonérer leur propre tribunal de toute responsabilité dans le cadre de la procédure de dédommagement. Il ajoute que sa demande tendant au transfert de son affaire pénale à un autre tribunal de même degré, ayant autorité sur un autre ressort territorial, a été rejetée, et qu'il a été condamné à une lourde peine.

45. Le requérant allègue que les juges de la cour d'appel ayant examiné son appel contre cette condamnation étaient tout aussi partiaux car, à son avis, un acquittement éventuel aurait valu la condamnation du tribunal en cause dans le cadre de la procédure en dédommagement. Il indique que, par ailleurs, le représentant de la cour d'appel dans le cadre de la procédure en dédommagement a été particulièrement actif et qu'il a demandé et obtenu la suspension de cette procédure jusqu'à la fin de la deuxième procédure pénale menée à son encontre.

46. Le requérant soutient également que son assignation en justice de la Cour suprême de cassation jetait un doute sur l'impartialité des juges de cette juridiction.

47. Il estime que toutes ces circonstances étaient suffisantes pour jeter un doute sur l'impartialité des juges qui ont examiné la deuxième affaire pénale le concernant, ce qui, d'après lui, s'analyse en une violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

b) Le Gouvernement

48. Le Gouvernement combat la thèse du requérant. Il considère que l'affaire pénale en cause a été examinée par des tribunaux impartiaux, conformément à l'article 6 § 1 de la Convention.

49. Il indique que, selon la jurisprudence constante de la Cour, l'impartialité des juges doit s'apprécier selon deux approches : une démarche subjective, qui tient compte de la conviction personnelle et du comportement de tel juge, et une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 93, CEDH 2009). Il ajoute que, concernant l'approche objective, ce qui importe ce n'est pas tant le point de vue de l'accusé, mais le fait de savoir si ses appréhensions peuvent passer pour objectivement justifiées (Parlov-Tkalčić c. Croatie, no 24810/06, § 80, 22 décembre 2009).

50. Le Gouvernement expose que ces mêmes critères d'impartialité ont été repris par les dispositions du CPP régissant le déport et la récusation des juges. Selon lui, dans le cadre de l'examen d'une demande de déport d'un ou plusieurs juges, la formation de jugement doit rendre une décision motivée qui revêt une importance particulière lorsqu'il s'agit d'établir l'existence d'un éventuel parti pris.

51. Le Gouvernement indique que, dans le cas d'espèce, le requérant a demandé le déport des juges du tribunal régional de Stara Zagora, et que cette demande a été dûment examinée par la formation de jugement. Il soutient que le juge rapporteur a été récusé selon l'approche subjective. Il avance en revanche que la formation de jugement n'a constaté aucun indice objectif permettant de remettre en cause l'impartialité des autres juges appelés à statuer sur le fond de cette affaire pénale.

52. Le Gouvernement considère que l'affaire pénale contre le requérant a été dûment examinée par les tribunaux, qui ont selon lui pris en compte toutes les circonstances pertinentes de l'espèce pour établir la culpabilité de l'intéressé et lui imposer la peine prévue par la loi. Il estime que, dans cette optique, les juges pénaux n'ont été aucunement influencés par le cours de la procédure civile en dédommagement qui opposait le requérant aux personnes morales, à savoir le tribunal régional de Stara Zagora, la cour d'appel de Plovdiv et la Cour suprême de cassation, où ils exerçaient leurs fonctions.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

53. La Cour a développé les principes relatifs à l'examen de l'impartialité des juges, consacrée par l'article 6 de la Convention, dans son arrêt Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, §§ 118-121, CEDH 2005-�XIII. Ces principes peuvent se résumer comme suit. L'impartialité se définit par l'absence de préjugé ou de parti pris et son existence s'apprécie selon deux démarches : une démarche subjective, essayant de déterminer ce que tel juge pensait dans son for intérieur ou quel était son intérêt dans une affaire particulière, et une démarche objective amenant à rechercher s'il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime. Quant à la seconde démarche, lorsqu'une juridiction collégiale est en cause, elle conduit à se demander si, indépendamment de l'attitude personnelle de tel ou tel de ses membres, certains faits vérifiables autorisent à mettre en cause l'impartialité de la juridiction elle-même. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l'importance. Pour se prononcer sur l'existence, dans une affaire donnée, d'une raison légitime de redouter d'un organe particulier un défaut d'impartialité, l'optique de celui qui met en doute l'impartialité entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L'élément déterminant consiste à savoir si l'on peut considérer les appréhensions de l'intéressé comme objectivement justifiées.

b) Application de ces principes dans le cas d'espèce

54. La Cour observe qu'aucune question d'impartialité subjective ne se pose en l'espèce. Elle abordera donc la question de l'impartialité des juges pénaux dans la présente cause selon l'approche objective (paragraphe 53 ci-�dessus).

55. La Cour relève que le tribunal régional de Stara Zagora a examiné la deuxième affaire pénale contre le requérant alors même qu'une procédure civile de dommages et intérêts, engagée par l'intéressé à l'encontre de ce même tribunal, était pendante devant le tribunal de la ville de Sofia (paragraphes 20-27 et 14-17 ci-dessus). Elle observe également que ce dernier tribunal a accepté de suspendre la procédure en dommages et intérêts jusqu'à la fin de la deuxième procédure pénale contre le requérant, au motif que celle-ci pouvait s'avérer décisive pour l'issue du litige (paragraphe 15 ci-dessus). Dans ces circonstances, même s'il n'existe aucune raison de douter de l'impartialité personnelle des juges pénaux du tribunal régional de Stara Zagora, et nonobstant le fait que quatre des membres de la formation de jugement de ce tribunal n'avaient pas participé à l'examen de la précédente procédure pénale menée contre le requérant (paragraphes 22 et 23 ci-dessus), leur rattachement professionnel à l'une des parties au litige civil qui se déroulait en parallèle, pris ensemble avec le caractère préjudiciel de la procédure pénale menée contre le requérant par rapport à la procédure civile de dédommagement, pouvaient à eux seuls susciter chez le requérant des doutes légitimes concernant l'impartialité objective des magistrats.

56. En outre, selon les règles budgétaires pertinentes en l'espèce, le paiement de l'indemnité qui pouvait être accordée au requérant en cas de succès de la procédure en dommages et intérêts devait s'imputer sur le budget du tribunal régional de Stara Zagora (paragraphes 38-40 ci-dessus). Même s'il n'est pas établi que ce fait ait influencé d'une façon quelconque la situation individuelle des juges du tribunal, ceci pouvait légitimement renforcer les doutes du requérant.

57. La Cour observe par ailleurs que, en vertu du droit interne, les juges avaient l'obligation de se déporter d'une affaire pénale s'il existait un doute sur leur impartialité (paragraphe 33 ci-dessus). En particulier, l'article 25, point 9, du CPP en vigueur à l'époque des faits permettait d'envisager le déport des juges pour toute circonstance pouvant mettre en doute leur impartialité, même dans le cas d'une hypothèse qui n'était pas expressément mentionnée par cet article (ibidem). Le droit interne prévoyait également un mécanisme d'attribution d'une affaire pénale à un autre tribunal du même degré lorsque le tribunal compétent ne pouvait pas constituer une formation de jugement à cause du déport de tous les juges (paragraphe 34 ci-dessus).

58. En l'espèce, le requérant a demandé le déport de tous les juges du tribunal régional de Stara Zagora et le renvoi de l'affaire pénale à un autre tribunal du même rang, mais sa demande a été rejetée pour des raisons purement formelles et sans un examen approfondi des arguments qui l'appuyaient (paragraphes 21-25 ci-dessus). Le requérant a soulevé la question concernant le parti pris des juges pénaux du tribunal régional de Stara Zagora devant deux instances supérieures, la cour d'appel de Plovdiv et la Cour suprême de cassation (paragraphes 28 et 31 ci-dessus), qui étaient elles-mêmes défenderesses dans le cadre de la même procédure civile en dommages et intérêts. Force est de constater que les deux juridictions supérieures n'ont pas répondu à ces arguments du requérant (paragraphes 30 et 32 ci-dessus). Ainsi, elles n'ont pas dissipé le doute légitime quant au parti pris du tribunal de première instance.

59. Eu égard à ces observations, la Cour considère que le tribunal régional de Stara Zagora, qui a examiné la deuxième affaire pénale engagée à l'encontre du requérant en première instance, ne répondait pas aux exigences d'impartialité objective. Les instances supérieures n'ont pas remédié à l'atteinte portée à cette garantie de l'équité de la procédure pénale étant donné qu'elles ont refusé d'infirmer la décision de la première instance et ont ainsi confirmé la condamnation du requérant (Kyprianou, précité, § 134 ; De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 33, série A no 86). Elle estime donc qu'il n'est pas nécessaire d'aborder les autres arguments mis en avant par le requérant (paragraphes 45 et 46 ci-dessus).

60. Ces éléments lui suffisent pour conclure qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention au motif que la deuxième affaire pénale visant le requérant n'a pas été examinée par un tribunal impartial.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

61. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

62. Le requérant réclame 25 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'il estime avoir subi.

63. Le Gouvernement considère que cette prétention est excessive.

64. La Cour estime que le requérant a subi un dommage moral du fait de l'absence d'examen par un tribunal impartial de la procédure le concernant. Elle considère qu'il y a lieu de lui octroyer 3 600 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

65. Le requérant demande également 4 046 BGN (l'équivalent de 2068,68 EUR) pour les frais et dépens qu'il dit avoir engagés devant la Cour.

66. Le Gouvernement considère que cette prétention est exagérée et injustifiée, et conteste notamment le nombre d'heures de travail juridique sur la requête déclaré par l'avocate du requérant.

67. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 500 EUR pour la procédure devant elle et l'accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

68. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

 

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

 

3. Dit

a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares, au taux applicable à la date du règlement) :

i. 3 600 EUR (trois mille six cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;

ii. 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d'impôt, pour frais et dépens ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 avril 2018, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

              Claudia WesterdiekAngelika Nußberger
GreffièrePrésidente


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