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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> N.T.P. AND OTHERS v. FRANCE - 68862/13 (Judgment : No Article 3 - Prohibition of torture : Fifth Section) French Text [2018] ECHR 431 (24 May 2018)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/431.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2018:0524JUD006886213, CE:ECHR:2018:0524JUD006886213, [2018] ECHR 431

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CINQUIÈME SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE N.T.P. ET AUTRES c. FRANCE

 

(Requête no 68862/13)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

STRASBOURG

 

24 mai 2018

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire N.T.P. et autres c. France,

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Erik Møse,
André Potocki,
Síofra O'Leary,
Mārtiņš Mits,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Lado Chanturia, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 avril 2018,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 68862/13) dirigée contre la République française et dont quatre ressortissants congolais, Mme N.T.P. (« la première requérante »), Da.T. (« le deuxième requérant »), E.T. (« le troisième requérant ») et Di.T. (« la quatrième requérante »), ont saisi la Cour le 31 octobre 2013 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a accédé à la demande de non-�divulgation de leur identité formulée par les requérants (article 47 § 4 du règlement).

2. Les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, ont été représentés par Me P. Spinosi, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. François Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.

3. Les requérants allèguent avoir dû vivre, du fait de l'inaction prolongée des autorités internes, dans des conditions contraires aux articles 3 et 8 de la Convention, eu égard à leur particulière vulnérabilité.

4. Le 20 mai 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. Les requérants, Mme N.T.P. et ses enfants, sont des ressortissants de la République Démocratique du Congo, nés respectivement en 1990, 2009, 2010 et 2011 et résident à Plombières-lès-Dijon.

6. La première requérante arriva en France le 18 août 2013, accompagnée de ses trois enfants, alors âgés de 4, 3 et 2 ans. Elle obtint une domiciliation postale auprès de l'association COALLIA. Elle se présenta à la préfecture de la Côte d'Or le 21 août 2013 afin de déposer une demande d'asile. Sa demande ne fut pas enregistrée et il lui fut remis une convocation pour le 26 novembre 2013 afin qu'il soit statué sur son admission au séjour et qu'elle dépose son dossier de demande d'asile. Par conséquent, la première requérante ne jouissant pas du statut de demandeur d'asile, les requérants ne purent bénéficier d'aucune prise en charge matérielle et financière étatique. Durant cette période, la première requérante fut contrainte de dormir provisoirement avec ses trois enfants au foyer des Creusots à Dijon, établissement géré par deux associations de droit privé. Ils devaient intégrer le foyer le soir à 19 heures, et un seul repas chaud était fourni. Les requérants devaient quitter cet hébergement chaque matin vers 7 heures 30, après qu'un petit déjeuner leur avait été servi. Pendant la journée, ils tentaient de se réfugier dans une permanence d'association, lorsque celle-ci était ouverte.

7. Le 6 septembre 2013, les deuxième et troisième requérants ont été scolarisés en école maternelle. La quatrième requérante, en raison de son très jeune âge, n'était pas scolarisée.

8. Le 7 octobre 2013, la première requérante déposa un recours en référé sur le fondement de l'article L. 521-�2 du code de justice administrative (« référé-�liberté ») devant le tribunal administratif de Dijon, en invoquant notamment la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 relative aux normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile, afin qu'il soit enjoint à l'administration, d'une part, d'examiner sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et, d'autre part, de lui indiquer un centre d'accueil pour demandeurs d'asile.

Par ordonnance du 9 octobre 2013, le juge des référés rejeta ces demandes pour les motifs suivants :

« Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que [N.T.P], de nationalité congolaise (RDC), est entrée en France le 18 août 2013 avec ses trois enfants pour y solliciter l'asile ; qu'elle a obtenu une domiciliation administrative auprès de l'association COALLIA ; qu'elle a été reçue à la préfecture de la Côte d'Or le 21 août 2013 et s'est vue remettre une convocation par les services préfectoraux à la date du 26 novembre 2013 pour déposer son dossier de demande d'asile ; que l'administration, compte tenu de l'afflux des demandeurs d'asile en Bourgogne et de la réalité des moyens dont elle dispose, est matériellement contrainte de prévoir des délais ordinaires de convocation de l'ordre de trois mois ; que, dans ces conditions, alors même que la situation de grande précarité des demandeurs d'asile n'est pas contestée, il ne peut, en cas de convocation dans un délai de l'ordre de trois mois, être reproché à l'administration une attitude d'inertie constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ; qu'en l'espèce, la date de rendez-vous qui a été fixée à l'intéressée ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile ; qu'en outre, il est constant que la requérante est hébergée chaque soir avec ses enfants au foyer des Creusots à Dijon, dans lequel un repas chaud et un petit-déjeuner leur sont servis quotidiennement ; »

9. Le 17 octobre 2013, la première requérante interjeta appel de l'ordonnance devant le Conseil d'État. Par ordonnance du 18 octobre 2013, le juge des référés du Conseil d'État rejeta sa requête :

« que pour les motifs retenus par le juge des référés de première instance, le dossier ne fait pas apparaître, compte tenu des diligences accomplies par l'administration au regard des moyens dont elle dispose et de la situation de Mme N.T.P., de méconnaissance grave et manifeste des obligations qui découlent du respect du droit d'asile. »

10. Le 31 octobre 2013, la requérante demanda à la Cour, sur le fondement de l'article 39 de son règlement, d'enjoindre aux autorités françaises de lui accorder, à ses enfants et à elle-même, des conditions matérielles d'accueil satisfaisantes. Le 7 novembre 2013, la Cour invita le Gouvernement à fournir, avant le 12 novembre 2013, l'information suivante :

« Dans cette affaire, la requérante, ressortissante congolaise entrée sur le territoire français le 18 août 2013 avec ses trois enfants, s'est présentée auprès des services préfectoraux le 21 août 2013, et a obtenu un rendez-vous aux fins d'initier sa demande d'asile pour le 26 novembre 2013. Existe-il une possibilité de mettre en place une procédure d'examen prioritaire de sa demande d'admission sur le territoire au titre de l'asile, compte tenu de sa situation personnelle, à savoir une femme seule avec trois enfants en bas âge ? »

11. Le 13 novembre 2013, le Gouvernement transmit sa réponse à la Cour. Il indiqua que « la requérante est signalée auprès de la plateforme d'accueil des demandeurs d'asile et bénéficie avec ses trois enfants d'un logement en cette qualité. Elle est prise en charge dans la journée par les associations. Enfin, elle bénéficie d'un rendez-vous à la préfecture afin que sa demande d'admission sur le territoire au titre de l'asile soit traitée. Initialement prévue pour le 26 novembre 2013, la convocation a été avancée au mardi 19 novembre 2013. »

12. Le 15 novembre 2013, la Cour décida de ne pas faire droit à la demande des requérants en vertu de l'article 39 de son règlement.

13. À la suite de son rendez-vous en préfecture avancé au 19 novembre 2013, la première requérante et ses enfants furent temporairement relogés dans un hôtel à Dijon dès le 20 novembre 2013, avant de pouvoir bénéficier d'une place en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (« CADA ») à partir du 30 novembre 2013, où ils se trouvent actuellement.

14. À compter du 17 décembre 2013, la requérante perçut l'allocation temporaire d'attente (« ATA »).

15. Les requérants bénéficièrent, selon les écritures du Gouvernement, d'une aide alimentaire des Restaurants du cœur et d'une aide vestimentaire de la Croix Rouge.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La procédure de l'asile

16. Les principes généraux régissant le droit d'asile en France sont résumés dans l'arrêt Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, (no 25389/05, §§ 22 à 24, CEDH 2007-�II). Le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (« CESEDA ») prévoit que la protection internationale soit accordée par référence aux termes de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et à la protection subsidiaire, laquelle recouvre les traitements prohibés par la Convention (articles L. 711-1 et L. 712-1 du CESEDA). En particulier, l'article 33 de la Convention de Genève précitée prévoit :

Article 33 - Défense d'expulsion et de refoulement

« 1. Aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. (...) »

17. La procédure d'asile et l'admission au séjour dans le cadre d'une demande d'asile sont résumés dans l'arrêt I.M c. France (no 9152/09, §§ 40 à 45, 2 février 2012).

B. L'accueil des demandeurs d'asile

1. Evolution du dispositif d'hébergement des demandeurs d'asile

18. En vertu de l'article L. 742-�1 du CESEDA, l'étranger qui demande à bénéficier de l'asile se voit remettre un document provisoire de séjour lui permettant de déposer une demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Ce dernier ne peut être saisi qu'après la remise de ce document au demandeur.

19. Seuls les demandeurs d'asile détenteurs d'une autorisation provisoire de séjour ou d'un récépissé de dépôt d'une demande d'asile peuvent être accueillis dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (« CADA »). Les personnes hébergées doivent remplir les conditions d'admission à l'aide sociale et être sans ressources suffisantes et sans logement.

20. Le nombre de places en CADA étant insuffisant pour assurer l'hébergement de l'ensemble des demandeurs d'asile en demande d'accueil, les autorités ont mis en place des dispositifs d'hébergement d'urgence pour demandeur d'asile, composés de centres d'hébergements collectifs, d'appartements pris à bail ou de nuitées d'hôtels, avec ou sans accompagnement social et juridique. Par ailleurs, des places dites « accueil-�service asile », pilotées directement par le ministère de l'intérieur ont renforcé le dispositif d'urgence. Enfin, un nombre important de demandeurs, par défaut de places disponibles dans le dispositif dédié, sont hébergés dans le dispositif d'urgence de droit commun (la veille sociale). L'inspection générale de l'administration relevait, en 2012, qu'un demandeur d'asile sur deux était hébergé au sein d'un dispositif d'urgence dédié ou de droit commun (Rapport. IGAS 2013, no 13-�028/12-�123/01).

2. Évolution des prestations financières

21. En vertu de la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les États membres (« directive Accueil » voir également § 22 ci-�dessous), ces derniers doivent garantir une prestation matérielle ou, le cas échéant, financière durant la totalité de la procédure. Cette obligation a conduit les autorités françaises à modifier la législation et à créer l'ATA. L'article 154 de la loi de finances pour 2006 no2005-�1719 du 30 décembre 2005 a codifié aux articles L. 5423-8 à L. 5423-14 du code du travail le nouveau dispositif propre aux demandeurs d'asile. Les personnes hébergées en CADA bénéficient quant à elles d'une allocation mensuelle de subsistance (« AMS ») versée par les gestionnaires des centres d'accueil et inclue dans le prix de journée.

C. Droit de l'Union européenne

22. La directive Accueil alors en vigueur prévoit que les États doivent garantir aux demandeurs d'asile :

-� certaines conditions d'accueil matérielles, notamment en ce qui concerne le logement, la nourriture et l'habillement, qui doivent être fournis en nature ou sous forme d'allocations financières. Les allocations devaient être suffisantes pour empêcher que le demandeur ne tombe dans une situation d'indigence ;

-� des dispositions appropriées afin de préserver l'unité familiale ;

-� les soins médicaux et psychologiques ;

-� l'accès des mineurs au système éducatif et aux cours de langues lorsque cela était nécessaire pour leur assurer une scolarité normale.

23. La directive Accueil a fait l'objet d'une refonte par la directive no 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, dans le but de garantir un régime européen commun concernant les conditions matérielles d'accueil et les droits fondamentaux des demandeurs d'asile.

24. Dans l'affaire Cimade et Gisti (C-179/11, arrêt du 27 septembre 2012), la Cour de justice de l'Union européenne (« CJUE ») a précisé qu'un État membre saisi d'une demande d'asile est tenu d'octroyer les conditions minimales d'accueil prévues par la directive Accueil dès l'introduction de la demande d'asile et même à un demandeur d'asile pour lequel il décide, en application du règlement Dublin II, de requérir un autre État membres aux fins de reprendre en charge ce demandeur en tant qu'État membre responsable de l'examen de sa demande d'asile (point 50). Un demandeur d'asile ne peut pas être privé, même pendant une période temporaire, de la protection des normes minimales établies par la directive (point 56). Cette obligation cesse seulement lors du transfert effectif dudit demandeur par l'État membre requérant (point 58).

25. Dans l'affaire Saciri et autres (C-79/13, arrêt du 27 février 2014), la CJUE a énoncé que si l'importance de l'aide financière octroyée est déterminée par chaque État membre, celle-�ci doit être suffisante pour garantir un niveau de vie digne et adéquat pour la santé ainsi que pour assurer la subsistance des demandeurs d'asile (point 40). En outre, les États membres sont tenus de prendre en compte la situation des personnes ayant des besoins particuliers ainsi que les principes de l'unité familiale et de l'intérêt supérieur de l'enfant (point 41). Lorsqu'un État membre fournit ces conditions aux demandeurs sous forme d'allocations financières, celles-�ci doivent être suffisantes pour leur permettre de disposer d'un logement (point 42). Les allocations doivent permettre aux enfants mineurs d'être logés avec leurs parents (point 45).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

26. Les requérants soutiennent que leur exclusion des structures d'accueil entre le 21 août 2013 et le 20 novembre 2013, en raison du refus des autorités françaises d'enregistrer leur demande d'asile, les a exposés à des traitements inhumains et dégradants. Ils invoquent l'article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

1. Thèse des parties

27. Le Gouvernement soulève une exception d'irrecevabilité tirée de ce que la première requérante a omis d'épuiser les voies de recours qui étaient à sa disposition puisqu'elle avait la possibilité de faire constater l'illégalité du refus implicite d'admission au séjour au titre de l'asile au regard de l'article R. 742-�1 du CESEDA. Or une fois cette illégalité constatée, les tribunaux administratifs reconnaissent la responsabilité de l'État pour faute en raison de l'illégalité du refus d'admission au séjour et de l'impossibilité qui en résulte pour le demandeur de bénéficier des conditions d'accueil destinées aux demandeurs d'asile et accorde à ce titre des dommages et intérêts.

28. Les requérants rejettent la thèse du gouvernement.

2. Appréciation de la Cour

29. La Cour se réfère aux principes généraux tels qu'exposés dans l'arrêt Vučković et autres c. Serbie (nos 17153/11 et 29 autres, §§ 69 à 77, 28 août 2012. De surcroît, elle rappelle qu'un requérant qui a utilisé une voie de droit apparemment effective et suffisante ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir essayé d'en utiliser d'autres qui étaient disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès (Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH 1999-�III ; Joaquim Moreira Barbosa c. Portugal, (déc.), no65681/01, 29 avril 2004 et NA. c. Royaume-�Uni, no25904/07, § 91, 17 juillet 2008 et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 58, CEDH 2009).

30. La Cour note que le Gouvernement n'établit ni même n'allègue que le recours formé par les requérants devant le juge des référés, du TA de Dijon puis du Conseil d'État, ne répondrait pas aux exigences posées par l'article 35 de la Convention. Dès lors, et en tout état de cause, le Gouvernement ne saurait reprocher aux requérants, sur la base des principes rappelés au paragraphe 29 ci-�dessus, de ne pas avoir formé un recours indemnitaire.

31. La Cour conclut de ce qui précède que cette exception du Gouvernement doit être rejetée.

32. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèse des parties

a) Les requérants

33. Les requérants soutiennent avoir été contraints de vivre dans des conditions d'hébergement sommaires et inadaptées à des enfants en bas-�âge du 21 août 2013 au 20 novembre 2013.

34. En premier lieu, les requérants affirment se trouver dans une situation comparable à celle examinée dans l'arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC] (no 30696/09, CEDH 2011). Les carences des autorités françaises dans leur obligation de pourvoir directement aux besoins essentiels et fondamentaux des requérants ont exposé ces derniers à un traitement inhumain et dégradant. Durant plus de trois mois, les deuxième, troisième et quatrième requérants, tous des enfants en bas âge, n'ont bénéficié que d'un seul repas chaud, servi le soir dans un foyer géré par une association de droit privé qui, se substituant à la carence de l'action publique, les hébergeait pour la nuit et leur fournissait un petit déjeuner.

35. En second lieu, les requérants font valoir que la forte pression migratoire à laquelle est exposée la France ne saurait pas l'affranchir de ses obligations conventionnelles (voir De Souza Ribeiro c. France [GC], no 22689/07, §97, CEDH 2012).

36. En réponse aux écritures du Gouvernement, les requérants affirment avoir dû cohabiter avec une autre famille. La première requérante et ses trois enfants devaient impérativement quitter le foyer qui les hébergeait vers 7 heures 30 après qu'un petit déjeuner leur ait été servi. Après avoir accompagné ses deux aînés à l'école, la première requérante errait dans la ville avec la quatrième requérante, essayant de trouver refuge dans le local d'une association, lorsque celui-�ci était ouvert. Son repas de midi était fourni par une paroisse, chaque jour différente, qui ne pouvaient accueillir les première et quatrième requérantes que le temps du repas. La première requérante était ensuite réduite à reprendre son errance, souvent avec ses enfants, jusqu'à 19 heures et l'ouverture du foyer. Les jours où les deuxième et troisième requérants n'allaient pas à l'école, toute la famille errait en ville.

Les requérants soulignent également que si des fonds publics financent le foyer des Creusots, cette contribution était insuffisante car elle ne permettait d'offrir aux requérants qu'un simple accueil de nuit. Par ailleurs, les prestations offertes par les paroisses relèvent d'initiatives privées.

37. Les requérants estiment également insuffisantes les raisons avancées par le Gouvernement pour tenter de justifier le non-�respect par les autorités françaises de l'obligation de pourvoir aux besoins essentiels et fondamentaux des requérants.

38. Les requérants constatent enfin que la jurisprudence du juge des référés du Conseil d'État n'institue pas, à l'égard des autorités nationales, d'obligation de résultat d'assurer des conciliations matérielles d'accueil décentes.

b) Le Gouvernement

39. Le Gouvernement fait tout d'abord valoir que la convocation de la première requérante à la préfecture la protégeait de toute décision de renvoi. Le Gouvernement souligne que l'enregistrement tardif de la demande d'asile de la première requérante est la conséquence d'une augmentation importante des demandes d'asile en Côte d'Or et qu'il a déployé les efforts nécessaires pour faire face à l'accroissement constant des demandes d'asile. La première requérante n'est pas non plus fondée à soutenir avoir connu une incertitude prolongée ou une absence totale de perspective de voir sa situation s'améliorer.

40. Le Gouvernement considère, ensuite, qu'en l'espèce aucune des conditions posées par l'arrêt M.S.S. (précité) n'est remplie. Les autorités nationales ont pris en compte la situation de vulnérabilité des requérants de sorte qu'ils ont pu bénéficier d'un hébergement correct, conforme aux exigences de la directive Accueil. Ils ne sauraient prétendre que le foyer les ayant accueillis ait compensé l'inaction des autorités dès lors que cet organisme est exclusivement financé par des fonds publics. Ils ont été accueillis dans une chambre comportant deux grands lits. Des sanitaires étaient mis à leur disposition. Le Gouvernement souligne de surcroît que les deuxième et troisième requérants ont été scolarisés en école maternelle dès le 6 septembre 2013. Ils ont quotidiennement déjeuné au restaurant scolaire et ont pu bénéficier des activités extra-�scolaires organisées par la mairie de Dijon avant l'entrée de la famille au CADA.

41. Le Gouvernement précise, finalement, que durant la période du 21 août 2013 au 20 novembre 2013, l'ensemble de la famille a pu bénéficier d'un certain nombre d'aides sociales qui ont précédé le versement de l'ATA. Tout d'abord, ils ont pu obtenir des repas de midi préparés à tour de rôle et ce, tous les jours de la semaine, par des paroisses de l'agglomération de Dijon. Les repas du soir et les petits déjeuners étaient servis par le foyer des Creusots. Enfin, les requérants ont bénéficié d'une aide alimentaire des Restaurants du cœur et d'une aide vestimentaire de la Croix-�Rouge. Le Gouvernement souligne que les requérants ont bénéficié d'un suivi médical, puisque à l'instar de tout demandeur d'asile, ils ont accès au régime général d'assurance de maladie, également appelé « couverture de base ».

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

42. La Cour a dit à de nombreuses reprises que pour tomber sous le coup de l'interdiction contenue à l'article 3, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l'ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime (M.S.S., précité, § 219, Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC], nos 32541/08 et 43441/08, § 114, 17 juillet 2014, et Tarakhel c. Suisse [GC], no 29217/12, § 94, CEDH 2014 (extraits).

43. Un traitement peut être qualifié de « dégradant » au sens de l'article 3 s'il humilie ou avilit un individu, s'il témoigne d'un manque de respect pour sa dignité, voire la diminue, ou s'il suscite chez lui des sentiments de peur, d'angoisse ou d'infériorité propres à briser sa résistance morale et physique (M.S.S., précité, § 220, El-Masri c. l'ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 39630/09, § 202, CEDH 2012, et Svinarenko et Slyadnev, précité, § 115).

44. Dans les affaires relatives à l'accueil d'étrangers mineurs, accompagnés ou non accompagnés, il convient de garder à l'esprit que la situation d'extrême vulnérabilité de l'enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d'étranger en séjour illégal (Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, no 41442/07, § § 55 et 63, 19 janvier 2010, Kanagaratnam c. Belgique, no 15297/09, § 62, 13 décembre 2011, et Popov c. France, nos 39472/07 et 39474/07, § 91, 19 janvier 2012).

b) Application des principes en l'espèce

45. La Cour note tout d'abord qu'il ressort des pièces du dossier que les requérants ont été hébergés du 21 août 2013 au 21 novembre 2013, dans un foyer géré par une association, exclusivement financée par des fonds publics. Les conditions d'hébergement (voir paragraphe 36 ci-�dessus), incluent un repas du soir et un petit déjeuner. La Cour ne néglige pas le fait que le foyer des Creusots ne pouvait offrir qu'un hébergement de nuit et que les première et quatrièmes requérantes ne disposaient pas d'un logement en journée mais cherchaient à trouver refuge dans les locaux d'une association (voir paragraphe 36 ci-�dessus). Pour autant, la Cour constate que les deuxième et troisième requérants ont été scolarisés en école maternelle, déjeunaient à la cantine et ont pu bénéficier des activités extra-�scolaires organisées par la commune de Dijon. La Cour note, également que les requérants ont également perçu l'aide d'autres organisations non-�gouvernementales comme les Restaurants du cœur et la Croix-�Rouge (voir paragraphe 15 ci-�dessus). Les requérants ne contestent par ailleurs pas avoir bénéficié d'un suivi médical, financé par les autorités publiques (voir paragraphe 41 ci-�dessus).

46. La Cour ne saurait donc assimiler la situation des requérants à celle de l'arrêt Rahimi c. Grèce (no 8687/08, 5 avril 2011). Dans cette dernière affaire, le requérant était un mineur non accompagné, abandonné à lui-�même après sa libération et dont l'« hébergement et, en général, [la] prise en charge ont été assurés uniquement par des organisations non gouvernementales locales à Lesbos ou à Athènes (...) (Rahimi, précité, §92). La Cour avait conclu dans cette affaire « qu'en raison du comportement des autorités qui ont fait preuve d'indifférence à l'égard du requérant, celui-ci a dû subir une angoisse et une inquiétude profondes» (même arrêt, § 92).

47. La Cour constate qu'il ne saurait être reproché aux autorités françaises, en l'espèce, d'être restées indifférentes à la situation des requérants qui ont pu faire face à leurs besoins élémentaires : se nourrir, se laver et se loger (M.S.S, précité, § 254, Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, nos 8319/07 et 11449/07, § 283, 28 juin 2011, F.H. c. Grèce, no 78456/11, § 107, 31 juillet 2014, Amadou c. Grèce, no 37991/11, § 58, 4 février 2016).

48. En tout état de cause, la Cour constate également que, contrairement à d'autres affaires (voir notamment M.S.S., précité, § § 254-�263 et Sufi et Elmi, précité, § 291), les requérants n'étaient pas dénués de perspective de voir leur situation s'améliorer. En effet, la première requérante avait été convoquée par la préfecture de la Côte d'Or afin qu'il soit statué sur son admission au séjour et qu'elle dépose son dossier de demande d'asile (voir paragraphe 6 ci-�dessus).

49. La Cour est d'avis qu'il ressort de ce qui vient d'être exposé que les requérants n'étaient pas dans une situation de dénuement matériel susceptible d'atteindre la gravité nécessaire pour tomber sous le coup de l'article 3 de la Convention. Partant, il n'y a pas de violation de l'article 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

50. Les requérants allèguent également que le fait d'avoir été contraints de vivre dans ces conditions inappropriées, en particulier pour de très jeunes enfants, constitue une atteinte au droit au respect de leur vie familiale tel que garanti par l'article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-�être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

51. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse sur le fond et conteste également la recevabilité de ce grief.

A. Sur la première exception d'irrecevabilité tirée du non-�épuisement des voies de recours internes

52. La Cour renvoie aux paragraphes 27 à 32 ci-�dessus.

B. Sur la seconde exception d'irrecevabilité tirée du non-�épuisement des voies de recours internes

53. Le Gouvernement soutient que la requérante a soulevé pour la première fois ce grief devant la Cour, à l'occasion de l'introduction de sa demande.

54. Les requérants font valoir avoir expressément soulevé le grief tiré de la violation de l'article 8 de la Convention devant le juge interne.

55. La Cour rappelle que le grief dont on entend la saisir doit d'abord être soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant ces mêmes juridictions nationales appropriées (voir, parmi d'autres, Cardot c. France, 19 mars 1991, § 34, série A no 200, et Elçi et autres c. Turquie, nos 23145/93 et 25091/94, § § 604 et 605, 13 novembre 2003).

56. En l'espèce, la Cour constate que pour tenter d'établir, devant le juge des référés du TA de Dijon puis devant le Conseil d'État, que l'administration avait porté une atteinte grave et manifestement illégale à leurs libertés fondamentales, les requérants n'ont pas soulevé, que ce soit expressément ou en substance, de doléances afférentes à leur vie privée et familiale. En effet, ils se fondent exclusivement sur des directives européennes et des dispositions de droit interne, dont ils contestent l'interprétation qui en a été faite par le juge interne. Ils ajoutent des statistiques tendant à démontrer, selon eux, que les juges internes ont mal apprécié les contraintes créées par l'afflux des demandeurs d'asile en Bourgogne.

57. Dans ces conditions, la Cour estime que les requérants, par leur propre fait, n'ont pas donné l'occasion au juge interne de redresser la violation alléguée de l'article 8 de la Convention. Il convient dès lors d'accueillir la seconde branche de l'exception soulevée par le Gouvernement et de déclarer irrecevable le grief tiré de l'article 8 de la Convention, conformément à l'article 35 § § 1 et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 3 de la Convention et irrecevable quant au grief tiré de l'article 8 de la Convention ;

 

2. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 3 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 mai 2018, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

              Claudia WesterdiekAngelika Nußberger
GreffièrePrésidente


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