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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CATALAN v. ROMANIA - 13003/04 (Judgment : No violation of Freedom of expression-{general} - Freedom of expression) French Text [2018] ECHR 6 (09 January 2018) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/6.html Cite as: CE:ECHR:2018:0109JUD001300304, ECLI:CE:ECHR:2018:0109JUD001300304, [2018] ECHR 6 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE CATALAN c. ROUMANIE
(Requête no 13003/04)
ARRÊT
STRASBOURG
9 janvier 2018
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Catalan c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Ganna Yudkivska,
présidente,
Vincent A. De Gaetano,
Faris Vehabović,
Egidijus Kūris,
Iulia Motoc,
Georges Ravarani,
Marko Bošnjak, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 décembre 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 13003/04) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Gabriel Catalan (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 décembre 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me E. Crângariu, avocate à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.
3. Par une décision du 12 mars 2013, la Cour a communiqué au Gouvernement le grief concernant la violation alléguée de l’article 10 de la Convention et a déclaré la Requête irrecevable pour le surplus.
4. Le Gouvernement s’est opposé à l’examen de la Requête par un comité. Après avoir examiné cette objection, la Cour l’a accueillie.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1970 et réside à Bucarest.
A. Les sanctions disciplinaires prononcées à l’encontre du requérant
6. Le 1er septembre 2000, le requérant fut recruté à un poste de conseiller au département des archives par le Conseil national pour l’étude des archives de la Securitate (Consiliul Naţional pentru Studierea Arhivelor Securităţii, « le CNSAS »), l’ancienne police politique active sous le régime communiste. Le 15 septembre 2000, il signa un accord de confidentialité, rédigé en ces termes :
« 1. Toutes les informations obtenues par l’employé, en raison de l’exécution du contrat individuel de travail conclu entre les parties, sont strictement confidentielles, en vertu du présent accord de confidentialité.
2. Les informations, données et documents suivants dont l’employé a pris connaissance directement ou de manière accidentelle sont confidentiels :
a) les documents et informations contenus dans les dossiers qui font l’objet de l’activité de recherche ;
b) la structure de la banque de données dont dispose le CNSAS ;
c) les projets et les programmes de travail ;
d) les droits salariaux individuels.
3. L’employé ne peut divulguer les informations et données ou mettre à disposition les documents indiqués au point 2 qu’aux personnes ayant droit [à y accéder] ou aux personnes pour lesquelles il a obtenu l’accord écrit des membres du collège du Conseil.
4. L’employé s’oblige à garder, dès le moment où sa qualité d’employé du CNSAS prend fin, la confidentialité de tous les aspects liés à l’activité de cette institution, conformément à l’article 20 du règlement d’organisation et de fonctionnement du CNSAS, publié au Journal officiel no 244/02.06.2000. »
7. En février 2001, le requérant postula à un concours interne ouvert par le CNSAS pour pourvoir trois postes, dont celui de directeur de l’unité des recherches et des archives. L’entretien eut lieu le 20 février 2001 devant le collège de direction du CNSAS.
Il résulte ce qui suit du procès-verbal dressé à cette occasion. Tout au long de l’entretien, le requérant manifesta une attitude irrévérencieuse. Il ne fournit aucune indication claire concernant le poste pour lequel il se portait candidat. Aux questions d’ordre professionnel posées et concernant ses rapports avec les autres employés du CNSAS, le requérant refusa de répondre en invoquant divers prétextes. Il accusa également le président du collège d’avoir fait preuve de mauvaise foi en omettant de répondre à une demande présentée par une organisation non gouvernementale dans le but de vérifier si les dirigeants de l’Église orthodoxe roumaine avaient ou non été des collaborateurs de la Securitate. Les membres du collège estimèrent que le requérant avait dépassé les limites de la courtoisie et mirent fin à l’entretien. Ils exclurent le requérant du concours.
8. Le requérant contesta cette décision devant le CNSAS. Un nouvel entretien eut lieu le 22 février 2001. Il fut indiqué au requérant que son attitude irrévérencieuse envers ses supérieurs hiérarchiques et sa susceptibilité dans les échanges avec les autres employés du CNSAS étaient incompatibles avec une relation de travail normale et nuisaient au bon fonctionnement de l’institution. Le requérant reprocha au collège de vouloir lui imposer le silence au sujet de la collaboration alléguée des dirigeants de l’Église orthodoxe roumaine avec la Securitate. Le requérant se vit infliger un avertissement pour attitude irrévérencieuse.
9. Le 6 mars 2001, le requérant se vit infliger une nouvelle sanction disciplinaire consistant en une diminution de 10 % de son salaire pendant trois mois pour une journée d’absence injustifiée.
10. Le 22 mars 2001, le quotidien national « à sensation » Libertatea publia un article intitulé « Dans sa jeunesse, T. [le patriarche de l’Église orthodoxe roumaine alors en fonction] aurait été homosexuel » (« l’article litigieux »), signé par le frère du requérant. Une manchette placée en haut de la page titrait « Les archives de l’ancienne Securitate accusent le chef de l’Église orthodoxe de « pratiques contre nature » et de collaboration avec l’ancienne police politique ». L’article reproduisait, entre autres, en fac-similé des extraits de deux documents inédits de 1949 et 1957 provenant des archives de la Securitate. Il y était précisé que ces documents avaient été mis à la disposition du journal par le requérant, en sa qualité d’historien. Le premier document était une note de synthèse interne qui exposait que T. avait été membre de la Légion - un mouvement fasciste antisémite actif entre les deux guerres mondiales -, qu’il avait participé à l’incendie d’une synagogue et qu’il avait eu des rapports homosexuels. Le second document était la transcription d’un entretien entre un officier de la Securitate et un informateur qui avait relaté que T. était homosexuel.
11. D’après cet article, le journal avait pris contact avec le requérant et celui-ci avait indiqué qu’il avait obtenu ces documents régulièrement, en étudiant les archives du Service roumain de renseignements (« le SRI »). Toujours d’après cet article, le requérant s’était exprimé comme suit :
« Dans son cas [celui de T.], la Securitate s’est servie des informations dont elle disposait sur ses penchants homosexuels, sur son passé dans la Légion et sur son désir de faire carrière, pour l’utiliser selon son bon vouloir. »
12. Au cours de la matinée du 22 mars 2001, le CNSAS diffusa un communiqué de presse indiquant qu’il désapprouvait les affirmations du requérant et que celui-ci avait enfreint ses devoirs de fonctionnaire en l’impliquant indirectement dans une démarche qualifiée de personnelle. Le communiqué précisait que le requérant avait obtenu les documents fournis à la presse avant son recrutement et que le CNSAS avait commencé la vérification du passé des chefs des cultes. Il ajoutait que, par conséquent, le CNSAS estimait que toute prise de position avant la fin de ses recherches était prématurée.
13. Le même jour, le requérant fut invité par ses supérieurs à donner des explications concernant les circonstances de la publication de l’article litigieux. Il lui fut demandé d’indiquer en quelle qualité il avait communiqué à la presse les informations en question et comment il y avait eu accès, ainsi que de faire part de son opinion sur la question de savoir s’il avait respecté la législation applicable.
14. Le requérant refusa de répondre à ces questions et demanda des précisions sur les accusations dont il faisait l’objet ainsi que sur la base légale de l’interrogatoire en question. Le même jour, il fut convoqué en vue de son audition par le collège du CNSAS réuni en commission de discipline.
15. Le requérant demanda aux membres de la commission de discipline des précisions quant aux faits reprochés et à la base légale de la procédure. La commission de discipline l’informa que la raison de sa convocation était la publication de l’article litigieux. Le président du collège du CNSAS indiqua que l’institution avait déclenché une procédure de vérification du passé des dirigeants des cultes et que, dans ce contexte, la prise de position du requérant dans la presse sur la collaboration alléguée de T. avait porté un grave préjudice à l’image du CNSAS dès lors que le public avait pu croire qu’il s’agissait de la position officielle de cette institution. Le requérant indiqua qu’il ne s’était pas exprimé en sa qualité de fonctionnaire public et que l’éventuelle perception par le public de cette qualité ne lui était pas imputable. La commission de discipline l’informa ensuite que les faits qui lui étaient reprochés contrevenaient, principalement, à l’article 45 g) du règlement interne du CNSAS, qui sanctionnait « les manifestations portant atteinte au prestige de l’autorité ou de l’institution », ce que le requérant contesta. Il fut également indiqué au requérant que la divulgation de certains documents pouvait entraîner sa responsabilité pénale et qu’il aurait dû remettre les documents à son employeur et non pas à la presse.
16. La commission insista pour que le requérant répondît sur-le-champ aux questions susmentionnées (paragraphe 13 ci-dessus). Le requérant refusa, en alléguant que la procédure n’avait pas été respectée, et le président du collège du CNSAS mit fin à l’entretien.
17. Le 23 mars 2001, le requérant sollicita un délai supplémentaire pour répondre aux questions ; il indiqua qu’il n’avait pas eu le temps nécessaire pour y répondre et qu’il devait faire des recherches à cette fin. Le même jour, la commission de discipline décida, à la majorité et en son absence, sa révocation pour faute en raison de manifestations portant atteinte au prestige et à l’autorité du CNSAS.
18. Le 26 mars 2001, le président du collège du CNSAS signa la décision de révocation du requérant, qui prit effet le jour même. La décision se référait, entre autres, au procès-verbal du 23 mars 2001 par lequel le requérant avait sollicité un délai supplémentaire pour répondre aux questions de la commission de discipline, ainsi qu’à un document (referat) du CNSAS du 26 mars 2001 constatant le refus du requérant de répondre à ces questions. La décision indiquait comme base légale les articles applicables du règlement interne du CNSAS, de la loi no 188/1999 sur la fonction publique (« la loi no 188/1999 ») et de la loi no 187/1999 relative à l’accès aux dossiers personnels tenus par la Securitate et à la dénonciation de la police politique (« la loi no 187/1999 »).
19. L’article litigieux et la révocation du requérant furent largement médiatisés.
B. La contestation judiciaire de la décision de révocation
20. Par une action introduite devant la cour d’appel de Bucarest, le requérant contesta la décision de révocation du 26 mars 2001 et demanda l’annulation de celle-ci, sa réintégration dans son poste et le paiement de dommages et intérêts. Il alléguait que la procédure disciplinaire avait été expéditive et, en partie, secrète et que les faits concrets qui lui étaient reprochés n’avaient pas été indiqués. Invoquant entre autres les articles 9 et 10 de la Convention, il soutenait que sa révocation portait atteinte à sa liberté d’opinion et à sa liberté académique, précisant qu’il n’avait nullement fait état dans l’article de son emploi au CNSAS et qu’il s’était exprimé en tant qu’historien au sujet des documents qu’il disait avoir obtenus légalement aux archives du SRI avant son recrutement au CNSAS.
21. Tout en admettant que le requérant avait eu accès aux documents visés dans l’article litigieux avant son recrutement, le CNSAS se référa au vif intérêt médiatique pour la question de la vérification du passé des chefs des cultes, qui, à son avis, aurait dû imposer au requérant de faire preuve de retenue. Il considérait que les déclarations de ce dernier avaient pu être perçues par l’opinion publique comme provenant de ses organes et que son communiqué de presse n’avait pas pu réparer l’atteinte alléguée à son image ainsi provoquée.
22. La cour d’appel de Bucarest rejeta l’action du requérant par un arrêt du 12 novembre 2001, rédigé comme suit, dans ses parties pertinentes en l’espèce :
« Par son comportement et ses déclarations, le plaignant a enfreint les dispositions légales et le règlement interne de l’employeur, raison pour laquelle il a été révoqué.
La partie défenderesse a respecté intégralement la procédure disciplinaire de révocation prévue par la loi no 188/1999 dès lors qu’elle a procédé à une enquête interne préalable.
Les allégations (...) selon lesquelles le CNSAS a porté atteinte à la liberté d’opinion [du plaignant] ne sont pas étayées dès lors que, en tant qu’employé du CNSAS, celui-ci aurait dû respecter les obligations découlant du statut de fonctionnaire et censurer ses affirmations publiques qui, par ailleurs, ne reposaient sur aucun élément factuel (...). »
23. Le requérant forma un recours contre cet arrêt. Il affirmait notamment avoir été révoqué en représailles pour avoir publiquement exprimé ses opinions concernant le passé de T. Il soutenait que son obligation de confidentialité était limitée aux informations obtenues en raison de son contrat de travail avec le CNSAS, et il ajoutait qu’il s’était exprimé, dans l’article litigieux, en sa qualité d’historien et qu’il avait communiqué des informations obtenues avant son recrutement. Il avançait en outre que le public avait un intérêt à connaître les renseignements publiés.
24. Le CNSAS répondit que la révocation du requérant était motivée par un manquement au devoir de réserve dont tout fonctionnaire devait faire preuve et conclut que les opinions du requérant exprimées dans l’article litigieux avaient pu laisser croire que l’intéressé communiquait des informations auxquelles il avait eu accès sur son lieu de travail. Selon le CNSAS, ces opinions avaient eu un impact négatif sur l’image et sur le prestige de l’institution. Toujours selon le CNSAS, l’obligation de réserve des fonctionnaires publics, qui, à ses yeux, devait être respectée même en dehors des heures de travail, avait été méconnue par le requérant.
25. Par un arrêt définitif du 27 juin 2003, la Cour suprême de justice rejeta le recours. Elle estimait que les arguments du requérant tirés d’irrégularités de la procédure de révocation n’étaient pas étayés. Quant au fond, elle s’exprimait comme suit :
« Le moyen tiré de la prétendue absence de motivation de l’arrêt ne saurait être accueilli dès lors que la cour d’appel a répondu à la question principale de l’affaire, à savoir déterminer si la révocation avait été précédée d’une enquête interne et si la décision était légale.
Le plaignant n’ayant pas prouvé clairement un abus de son employeur ou son absence de culpabilité, le recours n’est pas fondé. »
C. Les développements ultérieurs
26. Entre-temps, après sa révocation, le requérant avait intégré l’éducation nationale en septembre 2001, à un poste d’enseignant. Il avait demandé au CNSAS un permis d’accès aux archives pour la poursuite de ses recherches, mais s’était vu opposer un refus. Il avait continué à publier des articles polémiques sur le passé des chefs de l’Église orthodoxe roumaine et de ceux de l’Église catholique.
27. Par ailleurs, le CNSAS informa le requérant que le SRI lui avait transféré, le 27 mai 2002, le dossier concernant T. Ce dossier ne fit l’objet d’aucune publication avant l’abrogation, en 2008, de la loi no 187/1999 et son remplacement par une ordonnance d’urgence du Gouvernement portant restriction de l’accès du public aux informations relatives au passé des dirigeants religieux.
28. En outre, le litige opposant le requérant au directeur du SRI en raison des affirmations prétendument diffamatoires que ce dernier aurait faites, après la publication de l’article litigieux, dans le cadre d’une émission diffusée par la première chaîne nationale de télévision ainsi que celui opposant le requérant à la société nationale de télévision et visant l’accès à l’enregistrement de cette émission sont décrits dans la décision Catalan c. Roumanie ((déc.), nos 43826/05 et 837/06, §§ 4-32, 7 février 2017).
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
29. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 187/1999, en vigueur au moment des faits, étaient ainsi libellées :
Préambule
« Le pouvoir communiste instauré en Roumanie à partir du 6 mars 1945 a exercé, en particulier par l’intermédiaire des organes de la sécurité (la Securitate) de l’État, en tant que police politique, une terreur permanente à l’encontre des citoyens du pays, de leurs droits et libertés fondamentaux.
Cela justifie l’accès aux dossiers personnels et la dénonciation de la Securitate, en tant que police politique, dans les conditions de la présente loi. »
Article premier
« 1) Tout citoyen roumain ou tout étranger ayant obtenu la nationalité roumaine après 1945 a le droit de prendre connaissance du dossier établi à son sujet par les organes de la Securitate (...). Ce droit s’exerce sur demande et permet l’examen direct du dossier et l’obtention de copies de tout document versé au dossier ou relatif à son contenu.
2) En outre, la personne qui fait l’objet d’un dossier dont il ressort qu’elle a été mise sous surveillance par la Securitate a le droit, sur demande, de connaître l’identité des agents de la Securitate et des collaborateurs qui ont versé des pièces au dossier.
3) Bénéficient des droits prévus aux paragraphes 1 et 2 l’époux survivant et les parents jusqu’au deuxième degré inclus de la personne décédée, sauf si cette dernière en a disposé autrement. »
Article 2
« 1) Pour assurer un droit d’accès aux informations d’intérêt général, tous les citoyens roumains (...), les médias, les partis politiques, les organisations non gouvernementales légalement constituées (...) ont le droit d’être informés (...) de la qualité d’agent ou de collaborateur de la Securitate (...) des personnes qui occupent les fonctions suivantes ou qui y postulent :
a) la présidence de la Roumanie ;
b) les fonctions parlementaires ;
c) les fonctions de membre du Gouvernement, de secrétaire d’État, de sous-secrétaire d’État, de secrétaire général, de secrétaire général adjoint du Gouvernement et de ministère, de directeur de ministère, [ainsi que les fonctions similaires] ;
(...)
ţ) les fonctions de hiérarque (ierarh) et de dirigeant des cultes religieux reconnus par la loi, y compris [celles de prêtre et les fonctions similaires exercées au sein] des paroisses internes et de l’étranger ;
(...). »
Article 5
« 1) On entend par police politique toutes les structures de la Securitate, créées pour instaurer et maintenir le pouvoir totalitaire communiste, ainsi que pour supprimer et limiter les droits et libertés fondamentaux de l’homme.
2) Est agent des organes de la Securitate, en tant que police politique, au sens de la présente loi, quiconque a agi, même sous couvert, en qualité d’agent opérationnel de ces organes entre 1945 et 1989.
3) Est collaborateur (colaborator) des organes de la Securitate, en tant que police politique, au sens de la présente loi :
a) quiconque a été rétribué ou récompensé d’une autre manière pour l’activité déployée en cette qualité ;
b) quiconque a tenu un lieu de conspiration (locuinţă conspirativă) ou une maison de réunion (casă de întâlnire) ;
c) quiconque a été résident de la Securitate, au sens de la présente loi ;
d) toute autre personne ayant donné des informations à la Securitate par lesquelles il a été porté atteinte, de manière directe ou par d’autres organes, aux droits et libertés fondamentaux de l’homme.
(...)
4) Est également considéré comme collaborateur des organes de la Securitate, en tant que police politique, quiconque a transmis ou a facilité la transmission d’informations, de notes, de rapports ou d’autres actes, par lesquels étaient dénoncées l’activité ou les attitudes opposées au régime totalitaire communiste, de nature à porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux de l’homme.
(...)
6) L’implication dans l’activité de police politique des personnes visées au paragraphe 2 est établie sur la base de données, preuves et indices présents dans les dossiers qui font l’objet d’un examen, ainsi que par tout autre document présenté par toute personne intéressée lorsqu’il y a absence ou altération du dossier ou lorsque celui-ci est incomplet. »
Article 7
« Pour l’application des dispositions de la présente loi est créé le Conseil national pour l’étude des archives de la Securitate (...) (ci-après « le Conseil »), dont le siège est à Bucarest.
Le Conseil est un organisme autonome à personnalité juridique, soumis au contrôle du Parlement. (...). »
Article 8
« Le Conseil est composé d’un collège de onze membres.
Les membres du collège du Conseil sont nommés par le Parlement, sur proposition des groupes parlementaires, en fonction de la configuration politique des deux chambres (...) pour un mandat de six ans, renouvelable une seule fois. »
Article 13
« 1) Les bénéficiaires de la présente loi peuvent, conformément à l’article 1 § 1, solliciter du Conseil :
a) la consultation des dossiers (...) établis jusqu’au 22 décembre 1989 par la Securitate ;
b) la délivrance de copies de (...) ces dossiers (...) ;
c) la délivrance d’attestations d’appartenance ou de non-appartenance à la Securitate, ou de collaboration ou de non-collaboration avec celle-ci ;
(...). »
Article 14
« 1) Le contenu des attestations délivrées en application de l’article 13, alinéa 1 c) peut être contesté auprès du collège du Conseil. (...). »
Article 15
« 1) Le droit d’accès aux informations d’intérêt public s’exerce par le biais d’une demande adressée au Conseil (...).
(...)
4) En réponse aux demandes faites selon l’article 1, le Conseil vérifie les preuves à sa disposition, quelle que soit leur forme, et en avise aussitôt la personne [intéressée] en vue de l’exercice des droits prévus à l’article 3.
5) Le Conseil établit la qualité d’agent ou de collaborateur des organes de la Securitate sur la [base des] preuves contenues dans les documents des organes de la Securitate, corroborées par d’autres preuves tels l’engagement écrit et signé par la personne en cause, les rapports, les synthèses informatives, les documents olographes et les preuves existant, sous quelque support que ce soit, dans les archives de la Securitate.
(...)
6) Après avoir finalisé les vérifications, qui ne peuvent prendre plus de soixante jours à compter de la date de réception de la demande, le Conseil indique à [la personne ayant fait la demande], par écrit, si la personne faisant l’objet de la vérification a été ou non agent ou collaborateur des organes de la Securitate, au sens de la présente loi. »
Article 16
« 1) Le bénéficiaire ou la personne à l’encontre de laquelle une vérification a été demandée peut contester auprès du collège du Conseil l’attestation délivrée selon l’article 15 (...).
La décision du collège peut être attaquée (...) devant la cour d’appel (...).
(...). »
30. En cas de faute disciplinaire, les fonctionnaires du CNSAS peuvent faire l’objet d’une sanction disciplinaire. Le pouvoir disciplinaire appartient au collège du CNSAS réuni en commission de discipline. Les fautes disciplinaires sont définies à l’article 45 du règlement interne de cette institution, qui reprend celles mentionnées dans la loi no 188/1999, telle qu’en vigueur au moment des faits :
« a) le non-respect du secret professionnel ou de la confidentialité des tâches confiées ;
b) les interventions ayant pour but d’inciter d’autres fonctionnaires à agir en dehors du cadre légal :
c) le refus injustifié de se conformer à un ordre de l’employeur ou d’effectuer les tâches confiées ;
d) les négligences répétées dans l’accomplissement des tâches ;
e) les retards répétés dans l’accomplissement des tâches ;
f) les absences injustifiées ;
g) les manifestations portant atteinte au prestige de l’autorité ou de l’institution ;
h) l’expression en public des opinions politiques ;
i) l’attitude irrévérencieuse dans l’exercice des fonctions ;
j) l’exercice d’un autre emploi. »
31. Le règlement interne du CNSAS prévoit les sanctions disciplinaires suivantes : l’avertissement, la diminution du salaire de 10 % à 15 % pour une période de trois à six mois, la rétrogradation pendant un an au maximum et la révocation.
32. La loi no 188/1999 dispose en son article 26 § 1 que le droit à la liberté d’opinion des fonctionnaires est garanti. En son article 41, elle prévoit l’obligation pour les fonctionnaires de faire preuve dans l’accomplissement de leurs tâches de professionnalisme, de loyauté, de probité et de sens des responsabilités, et elle leur impose de s’abstenir de commettre tout acte de nature à porter préjudice à leur employeur. L’article 45 de la même loi ajoute que les fonctionnaires sont tenus à une obligation de confidentialité quant aux faits, informations et documents dont ils apprennent l’existence dans l’exécution de leurs tâches.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
33. Le requérant allègue que sa révocation en raison des opinions exprimées par lui dans l’article paru le 22 mars 2001 (paragraphes 10-11 ci-dessus) a porté atteinte à son droit à la liberté d’expression, tel que garanti par l’article 10 de la Convention. Cette disposition est ainsi libellée :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
A. Sur la recevabilité
34. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, au motif que le requérant a omis de se plaindre devant les tribunaux internes de la violation alléguée de son droit à la liberté d’expression.
35. Le requérant rétorque qu’il a fondé son action devant les juridictions nationales, entre autres, sur les dispositions de l’article 10 de la Convention.
36. La Cour constate que le requérant a expressément invoqué l’article 10 de la Convention dans sa demande introductive d’instance devant la cour d’appel de Bucarest (paragraphe 20 ci-dessus) et que dans son recours à la Cour suprême de justice, il a allégué avoir été révoqué en représailles pour ses opinions concernant le passé de T. (paragraphe 23 ci-dessus). Partant, il convient de rejeter l’exception formulée par le Gouvernement.
37. Constatant en outre que la Requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
38. Le requérant soutient que l’ingérence dans l’exercice de sa liberté d’expression était dépourvue de base légale et ne poursuivait pas un but légitime. Sa révocation n’aurait pas visé la protection de l’autorité du CNSAS, mais aurait en réalité eu pour buts de protéger T. et d’éviter la manifestation de la vérité historique sur la collaboration alléguée de ce dernier avec le régime communiste. À cet égard, l’intéressé indique qu’il avait légalement obtenu les documents dont les extraits avaient été reproduits dans l’article litigieux avant son recrutement au CNSAS, et il estime par conséquent que l’accord de confidentialité ne leur était pas applicable.
39. Le requérant conteste également la nécessité de l’ingérence. Il indique entre autres que les informations publiées présentaient un grand intérêt pour l’opinion publique et qu’il ne s’agissait nullement d’insultes ou de calomnies à l’adresse de T. Il considère qu’il a exprimé des jugements de valeur basés sur des recherches historiques approfondies qui, selon lui, étaient le résultat d’un travail académique de longue durée.
40. Enfin, le requérant estime que la sanction qui lui a été infligée était disproportionnée, et ce d’autant plus qu’il se serait exprimé sans faire état de son statut d’employé du CNSAS. Il affirme que sa révocation constitue la preuve, corroborée à ses yeux par le refus du CNSAS de répondre aux demandes de la société civile relatives au dossier concernant T., de la volonté de cette institution d’occulter le débat sur le passé des dignitaires religieux.
41. Le Gouvernement indique que l’ingérence dans la liberté d’expression du requérant avait pour base légale les dispositions sanctionnant les « manifestations portant atteinte au prestige de l’autorité ou de l’institution » édictées dans la loi sur la fonction publique et reprises à l’article 45 g) du règlement interne du CNSAS (paragraphe 30 ci-dessus).
42. Il considère de plus que l’ingérence poursuivait les buts légitimes de protéger les droits d’autrui et d’empêcher la divulgation d’informations confidentielles. Il affirme ainsi que la démarche du requérant a porté atteinte à la crédibilité et à l’autorité des représentants de la fonction publique et que, en permettant la publication d’extraits de documents provenant des archives du SRI, le requérant a enfreint l’accord de confidentialité signé avec le CNSAS.
43. Enfin, le Gouvernement soutient que l’ingérence était également nécessaire dans une société démocratique. Eu égard à l’obligation de réserve des membres de la fonction publique, il affirme que le requérant a enfreint cette obligation en rendant possible la publication d’extraits de documents confidentiels et en exprimant des opinions que le public aurait pu aisément interpréter comme étant la position officielle du CNSAS. De plus, le Gouvernement conteste que la démarche du requérant ait contribué à un débat d’intérêt général et que ce dernier ait exprimé des jugements de valeur. Il estime que le requérant a proféré des insultes à l’encontre du chef de l’Église orthodoxe roumaine et que la formulation de ces opinions, qu’il qualifie d’accusations graves, n’était justifiée par aucun des extraits de documents publiés. La décision de révocation litigieuse s’est ainsi inscrite, de l’avis du Gouvernement, dans la marge d’appréciation dont disposaient les autorités nationales.
2. Appréciation de la Cour
44. La Cour constate que les parties s’accordent à dire que la révocation du requérant de la fonction publique a constitué une ingérence dans l’exercice par l’intéressé de son droit à la liberté d’expression, tel qu’il est garanti par l’article 10 § 1 de la Convention.
45. Pareille ingérence emporte violation de l’article 10 de la Convention, sauf si elle était « prévue par la loi », dirigée vers un ou plusieurs buts légitimes au regard du paragraphe 2 et nécessaire, dans une société démocratique pour les atteindre (Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], no 49017/99, § 67, CEDH 2004-XI, et Ricci c. Italie, no 30210/06, § 43, 8 octobre 2013).
a) Sur la question de savoir si l’ingérence était « prévue par la loi »
46. La Cour rappelle que le niveau de précision requis de la législation interne - laquelle ne saurait parer à toute éventualité - dépend dans une large mesure du texte considéré, du domaine qu’il couvre et de la qualité de ses destinataires. D’autre part, il incombe au premier chef aux autorités nationales d’interpréter et d’appliquer le droit interne (Vogt c. Allemagne, 26 septembre 1995, § 48, série A no 323). Elle rappelle aussi qu’une disposition légale ne se heurte pas à l’exigence qu’implique la notion « prévue par la loi » du simple fait qu’elle se prête à plus d’une interprétation (Heinisch c. Allemagne, no 28274/08, § 48 in fine, CEDH 2011 (extraits)).
47. En l’espèce, la Cour note que les parties sont en désaccord quant à la question de savoir si la révocation du requérant reposait sur une base légale conforme aux exigences de la Convention. Elle note toutefois que la décision de révocation reposait notamment sur l’article 45 g) du règlement interne du CNSAS, disposition destinée à préserver les liens de loyauté et de confiance qui doivent régir les relations entre cette institution et ses agents (paragraphes 15, 17 et 30 ci-dessus). Elle note également que l’article 41 de la loi no 188/1999 prévoit l’obligation pour les fonctionnaires publics de faire preuve dans l’accomplissement de leurs tâches de professionnalisme, de loyauté, de probité et de sens des responsabilités, et qu’il leur impose de s’abstenir de commettre tout acte de nature à porter préjudice à leur employeur (paragraphe 32 ci-dessus).
48. Elle estime en l’espèce que, eu égard au contexte interne et au moment de la publication de l’article litigieux, le requérant pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ses propos sur la collaboration alléguée de T. avec la Securitate aient un impact négatif sur l’image de son employeur et dès lors qu’ils tombent sous le coup de l’article 45 g) du règlement interne du CNSAS.
49. Par conséquent, la Cour estime que l’ingérence dans la liberté d’expression du requérant était « prévue par la loi ».
b) Sur la légitimité des buts poursuivis
50. La Cour prend ensuite note des thèses divergentes des parties quant à la question de savoir si l’ingérence poursuivait un but légitime. Le requérant estime que l’ingérence subie par lui ne poursuivait pas de but légitime (paragraphe 38 ci-dessus), alors que le Gouvernement indique que l’ingérence répondait aux buts légitimes de protéger les droits d’autrui et d’empêcher la divulgation d’informations confidentielles (paragraphe 42 ci-dessus).
51. La Cour rappelle avoir précisé dans l’affaire Stoll c. Suisse ([GC], no 69698/01, §§ 58-61, CEDH 2007-V, concernant la condamnation du requérant, journaliste de profession, pour avoir publié des « débats officiels secrets » relatifs aux négociations menées à propos de l’indemnisation due aux victimes de l’Holocauste pour les avoirs en déshérence sur des comptes bancaires suisses) quelle était l’interprétation qu’il convenait de donner au libellé de l’article 10 § 2 de la Convention quant aux mesures nécessaires « pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ». Ainsi, elle a noté que le texte anglais se référait aux mesures nécessaires « for preventing the disclosure of information received in confidence », et, à la lumière de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, et compte tenu de l’absence d’indication contraire dans les travaux préparatoires, elle a énoncé ce qui suit (ibidem, § 61) :
« (...) il y a lieu d’adopter une interprétation de la phrase « empêcher la divulgation d’informations confidentielles » englobant les informations confidentielles divulguées aussi bien par une personne soumise à un devoir de confidentialité que par une tierce personne, et notamment, comme en l’espèce, par un journaliste. »
52. En l’espèce, la Cour note qu’il n’est pas contesté par les parties que le requérant avait obtenu les informations divulguées dans l’article litigieux, visant spécialement la collaboration du patriarche de l’Église orthodoxe roumaine alors en fonction avec l’ancienne police politique, avant son recrutement comme fonctionnaire public au CNSAS. Elle note toutefois que, en vertu de la loi no 187/1999, il incombait au CNSAS de se prononcer sur la qualité de collaborateur de la Securitate relativement à plusieurs catégories de personnes exerçant des fonctions publiques, dont les dirigeants des cultes religieux reconnus par la loi. Selon la loi no 187/1999, le CNSAS se prononçait sur la qualité de collaborateur d’une personne sur la base des informations contenues dans les dossiers établis par la Securitate pendant le régime communiste (paragraphe 29 ci-dessus).
53. Dès lors, la Cour estime que le Gouvernement a pu invoquer à juste titre le but légitime de la prévention de « la divulgation d’informations confidentielles » (voir, mutatis mutandis, Dammann c. Suisse, no 77551/01, § 38, 25 avril 2006, au sujet d’un requérant, journaliste de profession, condamné pour « instigation à la violation du secret de fonction » par une assistante administrative du parquet, laquelle avait fourni audit requérant des informations concernant les condamnations antérieures de tierces personnes).
54. De surcroît, la Cour relève que les membres de la fonction publique sont soumis, en vertu de leur statut, à une obligation de loyauté. La cour d’appel de Bucarest a d’ailleurs jugé que le requérant n’avait pas respecté son obligation de réserve découlant du statut de fonctionnaire public et qu’il aurait dû faire preuve de retenue en s’exprimant publiquement (paragraphe 22 ci-dessus). Il pouvait donc être légitime pour les autorités internes de sanctionner les comportements susceptibles à leurs yeux de porter atteinte à l’autorité des institutions publiques. Aussi, en l’espèce, la Cour est-elle d’avis que l’ingérence peut être considérée comme ayant également poursuivi un autre but légitime prévu par l’article 10 § 2 de la Convention, à savoir la protection des droits d’autrui - en l’occurrence le CNSAS.
55. La Cour conclut qu’en l’espèce l’ingérence poursuivait les buts légitimes d’empêcher la divulgation d’informations confidentielles et de protéger les droits d’autrui.
c) Sur la nécessité de la mesure litigieuse « dans une société démocratique »
i. Principes généraux
56. La Cour rappelle que la protection de l’article 10 de la Convention s’étend à la sphère professionnelle en général et aux fonctionnaires en particulier (Vogt, précité, § 53, Wille c. Liechtenstein [GC], no 28396/95, § 41, CEDH 1999-VII, et Guja c. Moldova [GC], no 14277/04, § 70, CEDH 2008). Cela étant, elle n’oublie pas que les salariés ont un devoir de loyauté, de réserve et de discrétion envers leur employeur. Cela vaut en particulier pour les fonctionnaires, dès lors que la nature même de la fonction publique exige de ses membres une obligation de loyauté et de réserve (Vogt, précité, § 53, Ahmed et autres c. Royaume-Uni, 2 septembre 1998, § 55, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI, et De Diego Nafría c. Espagne, no 46833/99, § 37, 14 mars 2002). Cette obligation peut être plus accentuée pour les fonctionnaires et les employés de la fonction publique que pour les salariés travaillant sous le régime du droit privé. La nature et l’étendue de ce devoir de loyauté dans telle ou telle affaire ont des incidences sur la mise en balance des droits des employés avec les intérêts concurrents de leur employeur (Heinisch, précité, § 64).
57. Il revient à la Cour, en tenant compte des circonstances de chaque affaire, de rechercher si un juste équilibre a été respecté entre le droit fondamental de l’individu à la liberté d’expression et l’intérêt légitime d’un État démocratique à veiller à ce que sa fonction publique œuvre aux fins énoncées à l’article 10 § 2 de la Convention. Reste que, dès l’instant où le droit à la liberté d’expression des fonctionnaires se trouve en jeu, les « devoirs et responsabilités » visés à l’article 10 § 2 précité revêtent un sens spécial qui justifie qu’on laisse aux autorités de l’État défendeur une certaine marge d’appréciation dans la détermination de la proportionnalité de l’ingérence en cause aux buts énoncés (Vogt, précité, § 53, et Ahmed et autres, précité, § 61).
58. Il convient de garder à l’esprit que, même si la relation de travail n’implique pas un devoir de loyauté absolue envers l’employeur ni une obligation de réserve entraînant la sujétion du travailleur aux intérêts de l’employeur, certaines manifestations du droit à la liberté d’expression qui pourraient être légitimes dans d’autres contextes ne le sont pas dans le cadre de la relation de travail (Palomo Sánchez et autres c. Espagne [GC], nos 28955/06, 28957/06, 28959/06 et 28964/06, § 76, CEDH 2011).
ii. Application de ces principes en l’espèce
59. La tâche de la Cour, dans l’application de ces principes en l’espèce, consiste donc à déterminer si les motifs de la révocation, confirmés par les juridictions internes, étaient pertinents et suffisants et si la sanction infligée était proportionnée aux buts légitimes poursuivis.
α) Sur l’existence de motifs pertinents et suffisants
60. La Cour note que la cour d’appel de Bucarest, dans son arrêt du 12 novembre 2001, a jugé que le requérant n’avait pas respecté son obligation de réserve découlant de son statut de fonctionnaire public et qu’il aurait dû faire preuve de retenue en s’exprimant publiquement (paragraphe 22 ci-dessus). La Cour suprême de justice a confirmé ce raisonnement dans son arrêt définitif du 27 juin 2003 (paragraphe 25 ci-dessus). La Cour fondera son examen sur la base de ces éléments, tout en tenant compte de sa conclusion antérieure selon laquelle l’ingérence subie par le requérant en l’espèce répondait aux buts légitimes d’empêcher la divulgation d’informations confidentielles et de protéger les droits d’autrui (paragraphe 55 ci-dessus).
- L’obligation de réserve des fonctionnaires et le risque de divulgation d’informations confidentielles
61. La Cour observe que sa jurisprudence pertinente en matière de publication d’informations confidentielles vise plutôt des journalistes (voir, en ce sens, Stoll, précité, §§ 108-111, et Dammann, précité, §§ 50-51 ; voir également, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 53, CEDH 1999-I, relativement à la publication par les requérants, journalistes de profession, de documents de l’administration financière révélant le salaire du dirigeant d’une grande entreprise française). La Cour note que, dans ces affaires, l’obligation de préserver le caractère confidentiel des informations en question revenait à des tiers et non pas aux journalistes qui avaient publié celles-ci. Elle relève que le requérant en la présente espèce était fonctionnaire public et que, en cette qualité, il avait un statut différent de celui d’un journaliste, à qui il incombe une obligation de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général (Bédat c. Suisse [GC], no 56925/08, § 50, CEDH 2016, avec les références y citées). Elle rappelle que la fonction publique exige de ses membres une obligation de loyauté et de réserve, et que certaines manifestations du droit à la liberté d’expression qui pourraient être légitimes dans d’autres contextes ne le sont pas dans le cadre de la relation de travail (voir la jurisprudence citée aux paragraphes 56 et 58 ci-dessus).
62. De surcroît, la Cour estime que la présente affaire soulève une question distincte de celles relatives à la dénonciation par des employés de conduites ou d’actes illicites constatés sur leur lieu de travail, effectuée sous la forme d’une divulgation d’informations ou de documents dont ils auraient pris connaissance dans l’exercice de leur mission (voir, a contrario, Guja, précité, §§ 72-78 ; voir également Matúz c. Hongrie, no 73571/10, §§ 46-47, 21 octobre 2014, et Aurelian Oprea c. Roumanie, no 12138/08, §§ 61-64 et 69, 19 janvier 2016). À cet égard, elle relève que les propos tenus par le requérant dans l’article litigieux ne visaient nullement l’activité du CNSAS.
63. Il apparaît plutôt que le requérant a cherché à fournir au public des informations sur la collaboration des dirigeants des cultes religieux avec la Securitate, informations qu’il avait fournies en sa qualité d’historien (paragraphe 39 ci-dessus). La Cour estime qu’il faut examiner la révocation du requérant dans ce contexte précis, et, pour déterminer si cette mesure était nécessaire en l’espèce, elle tiendra compte des circonstances spécifiques de l’affaire, dont notamment les intérêts en présence, le contrôle exercé par les juridictions internes et le comportement du requérant (voir, mutatis mutandis, Stoll, précité, § 112 ; pour d’autres situations impliquant l’exercice du droit à la liberté d’expression dans un contexte de droit du travail, voir également Palomo Sánchez et autres, précité, § 70, Rubins c. Lettonie, no 79040/12, § 82, 13 janvier 2015, et Langner c. Allemagne, no 14464/11, § 45, 17 septembre 2015).
64. Premièrement, la Cour note que, d’après le requérant, les informations publiées présentaient un grand intérêt pour l’opinion publique (paragraphe 39 ci-dessus), alors que, selon le Gouvernement, la démarche du requérant ne contribuait pas à un débat d’intérêt général (paragraphe 43 ci-dessus).
65. La Cour observe par ailleurs que la décision de révocation litigieuse était motivée par la prise de position du requérant dans la presse sur le sujet de la collaboration des dirigeants de l’Église orthodoxe roumaine avec la Securitate, sujet sur lequel l’employeur du requérant s’était penché et n’avait pas encore communiqué de position officielle (paragraphes 15 et 17 ci-dessus). Elle rappelle avoir déjà constaté, dans le contexte roumain, que l’adoption de la législation permettant de dévoiler les noms des anciens collaborateurs de la Securitate présentait un intérêt majeur pour la société roumaine entière et que la collaboration des hommes politiques avec la Securitate était une question sociale et morale très sensible (Petrina c. Roumanie, no 78060/01, § 43, 14 octobre 2008). Elle estime qu’il en va de même de la collaboration des dirigeants religieux avec la Securitate. Toutefois, en l’espèce, force est de constater que l’intérêt du requérant d’informer le public se trouvait confronté à un autre intérêt de nature publique, à savoir l’intérêt à ce que le rôle d’informer le public sur la question de la collaboration avec la Securitate soit rempli par le CNSAS (voir, mutatis mutandis, Stoll, précité, §§ 115-116). En effet, la loi no 187/1999 reconnaissait au CNSAS la compétence de se prononcer, après l’étude des dossiers de la Securitate, sur la question de la collaboration des personnes exerçant des fonctions publiques avec cette dernière (paragraphes 29 et 52 in fine ci-dessus).
66. Deuxièmement, la Cour note que le requérant a fait l’objet d’une procédure disciplinaire qui a abouti à sa révocation et qu’il a pu ensuite saisir les juridictions internes d’un litige du droit du travail et présenter dans ce cadre les arguments qu’il jugeait utiles et pertinents. S’agissant de la procédure disciplinaire menée par son employeur, la Cour observe qu’elle a été contradictoire et que le requérant a été informé de la nature de la procédure menée à son encontre et a pu présenter des arguments pour sa défense (paragraphe 15 ci-dessus). Si la décision de révocation a été adoptée le 23 mars 2001 en l’absence du requérant (paragraphe 17 ci-dessus), elle n’a pris effet qu’après que la direction du CNSAS eut constaté, le 26 mars 2001, que l’intéressé refusait de répondre aux questions posées par la commission de discipline sans fournir des raisons satisfaisantes pour cela (paragraphes 17 et 18 ci-dessus).
67. Troisièmement, la Cour remarque que le requérant allègue avoir eu comme but l’information du public sur une question d’intérêt général qu’il disait avoir approfondie dans le cadre de son travail académique (paragraphe 39 ci-dessus). Toutefois, la Cour observe que plusieurs éléments factuels jettent un doute sur le comportement de l’intéressé en l’espèce. Elle note que les affirmations du requérant, publiées dans un quotidien national « à sensation » (paragraphe 10 ci-dessus), ne relevaient pas de la sphère académique, et qu’elles étaient plutôt destinées à alimenter la presse dite « de divertissement » qu’à permettre l’étude, par le biais d’outils scientifiques, de la question de la collaboration des dirigeants religieux avec la Securitate (voir, a contrario, Sapan c. Turquie, no 44102/04, § 34, 8 juin 2010, Aksu c. Turquie [GC], nos 4149/04 et 41029/04, §§ 69-71, CEDH 2012, et Mustafa Erdoğan et autres c. Turquie, nos 346/04 et 39779/04, § 45, 27 mai 2014).
68. De plus, la Cour observe que le requérant a formulé ses propos dans l’article litigieux comme s’il s’agissait de certitudes, au risque de présenter une réalité déformée à l’opinion publique. En effet, avant que le CNSAS n’ait pu vérifier les documents litigieux et confirmer ou infirmer les soupçons de collaboration pesant sur T., le requérant a désigné ce dernier, sans nuance ni réserve, comme ayant été l’instrument de la Securitate, et, ce faisant, il n’a pas averti le public qu’il procédait à une appréciation subjective des faits et des documents dont il disposait (voir, a contrario, Andreescu c. Roumanie, no 19452/02, § 94, 8 juin 2010). La Cour constate en outre que les propos du requérant ne constituaient pas une réaction instantanée et irréfléchie s’inscrivant dans le cadre d’un échange oral rapide et spontané, ce qui aurait ôté à leur auteur la possibilité de les reformuler, de les parfaire ou de les retirer (voir, a contrario, ibidem, § 95). Il s’agissait au contraire d’assertions écrites, publiées en toute lucidité (voir, mutatis mutandis, Palomo Sánchez et autres, précité, § 73).
69. Pour conclure cette partie de son raisonnement, la Cour relève que le requérant était membre de la fonction publique au moment de la publication de l’article litigieux et qu’il était soumis à une obligation de réserve inhérente à son poste - obligation qui aurait dû l’inciter à faire preuve d’une plus grande rigueur et d’une particulière mesure dans ses propos. Cette obligation de réserve ne saurait être effacée par l’intérêt que le public pouvait témoigner pour les questions découlant de l’application de la loi no 187/1999 et par l’accès aux archives de la Securitate. Au contraire, le risque de manipulation de l’opinion publique sur la base d’un nombre réduit de documents extraits d’un dossier ajoutait plus de poids à l’obligation de loyauté envers le CNSAS, dont le rôle et le devoir étaient de fournir au public des informations fiables et dignes de crédit.
- Sur la protection des droits d’autrui
70. Si la question de la collaboration avec l’ancienne police politique présente un intérêt public certain (paragraphe 65 ci-dessus), la Cour considère, compte tenu des compétences que la loi reconnaissait au CNSAS (paragraphes 29 et 52 in fine ci-dessus), que le caractère sensible qu’elle revêt demande qu’elle soit abordée avec prudence et esprit critique. En l’espèce, elle note que le requérant avait choisi non pas de critiquer publiquement la manière dont son employeur remplissait ou pas le rôle que la loi lui avait reconnu, mais de se substituer à celui-ci et de dévoiler lui-même des informations tombant dans le champ de compétences de son employeur. Cette publication est intervenue à un moment où le CNSAS, qui s’était penché sur la question, n’avait pas encore donné sa position officielle (paragraphe 12 ci-dessus). La Cour estime qu’en procédant ainsi le requérant a porté atteinte à l’autorité de son employeur ainsi qu’à la confiance que le public pouvait avoir en cette institution (voir, mutatis mutandis, Stoll, précité, § 136).
71. Bien que le requérant n’ait pas fait mention, dans l’article litigieux, de sa qualité d’employé de cette institution, il ne pouvait pas faire abstraction de l’impact de la publication sur son employeur. De plus, la presse, qui n’ignorait pas sa qualité de fonctionnaire du CNSAS, avait très largement relayé ses assertions sur la collaboration de T. avec la Securitate (paragraphes 12 et 19 ci-dessus). Par conséquent, sa déclaration pouvait facilement être perçue par le public comme étant la position officielle du CNSAS ou, du moins, comme provenant de cette institution.
72. La Cour observe ensuite que les juridictions nationales saisies par le requérant ont décidé que, en s’exprimant publiquement, le requérant avait outrepassé son obligation de réserve découlant de son statut de fonctionnaire et que, en sanctionnant le requérant, le CNSAS avait agi dans le cadre de ses compétences disciplinaires (paragraphes 22 et 25 ci-dessus). La Cour estime que cette interprétation des devoirs découlant du statut de fonctionnaire n’est pas déraisonnable dans la mesure où le requérant a rendu publiques des informations qui, bien qu’obtenues avant son recrutement au CNSAS, relevaient du domaine de compétences que la loi no 187/1999 donnait à son employeur (paragraphes 29 et 52 in fine ci-dessus).
73. La Cour est donc d’avis qu’il était dans l’intérêt du CNSAS de se désolidariser de son employé afin de préserver la confiance du public en cette institution.
- Conclusion quant à l’existence de motifs pertinents et suffisants
74. Dans ces conditions, la Cour estime que les motifs fournis par le CNSAS et les juridictions internes pour conclure que le requérant avait porté atteinte aux droits de cette institution et pour sanctionner l’intéressé étaient pertinents et suffisants.
β) Sur la proportionnalité de la mesure
75. La Cour observe que le requérant s’est vu infliger graduellement plusieurs sanctions disciplinaires (paragraphes 8 et 9 ci-dessus) pour se voir finalement infliger la plus sévère des sanctions prévues par le règlement interne du CNSAS. Certes, la révocation était une mesure très rigoureuse, mais, eu égard à l’emploi occupé par l’intéressé au CNSAS, ce dernier a légitimement pu considérer que la prise de position publique de son employé sur un sujet sensible qui relevait de son champ de recherche a irrémédiablement compromis la relation de confiance qui devait exister entre son agent et lui.
76. Par ailleurs, la Cour note que le requérant a pu réintégrer la fonction publique, à un poste d’enseignant, postérieurement à sa révocation (paragraphe 26 ci-dessus).
77. Dès lors, la Cour ne saurait considérer la révocation du requérant de la fonction publique comme ayant été une sanction disproportionnée.
iii. Conclusion
78. Eu égard aux devoirs et responsabilités des membres de la fonction publique, la Cour, après avoir pesé les divers intérêts ici en jeu, conclut que l’ingérence dans la liberté d’expression du requérant était « nécessaire dans une société démocratique ».
79. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la Requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 janvier 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Marialena Tsirli Ganna Yudkivska
Greffière Présidente