TROISIÈME SECTION
AFFAIRE FARRAKHOV c. RUSSIE
(Requête no 33128/08)
ARRÊT
STRASBOURG
24 juillet 2018
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE FARRAKHOV c. RUSSIE
(Requête no 33128/08)
ARRÊT
STRASBOURG
24 juillet 2018
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Farrakhov c. Russie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :
Branko Lubarda, président,
Pere Pastor Vilanova,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 juillet 2018,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 33128/08) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Denis Rashitovich Farrakhov (« le requérant »), a saisi la Cour le 31 mars 2008 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. G. Matiouchkine, ancien représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, puis par M. M. Galperine, son représentant actuel.
3. Le 15 juin 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1979 et réside à Berezniki.
A. Les poursuites pénales dirigées à l'encontre du requérant, la détention provisoire de ce dernier et sa condamnation
1. L'arrestation du requérant
5. Soupçonnant le requérant et son frère d'être des vendeurs de stupéfiants, le service fédéral de contrôle des stupéfiants (« le FSKN ») mit en place une opération policière de « livraison contrôlée ». Dans le cadre de celle-ci, il arrêta d'abord un dénommé N., qui avait vendu des stupéfiants à un certain Mk. le 26 mars 2007. Lors de son interrogatoire, N. avoua être un revendeur de stupéfiants et se fournir auprès du requérant et de son frère.
6. Toujours dans le cadre de cette opération, le 27 mars 2007, N. rencontra le requérant et son frère, qui étaient à bord d'une voiture, et procéda, sous le contrôle du FSKN, à l'achat d'héroïne auprès de ces derniers. Immédiatement après la transaction, les agents du FSKN arrêtèrent le requérant et son frère. Ensuite, ils saisirent un paquet contenant 19,95 grammes d'héroïne empaquetés dans vingt-huit sachets dans la voiture des intéressés, ainsi qu'un autre paquet, jeté du véhicule au moment de l'interpellation, qui contenait 59,33 grammes d'héroïne sous forme de six boules empaquetées dans du film plastique. En outre, lors d'une fouille corporelle, ils saisirent 1,74 gramme d'héroïne sur le requérant.
7. Lors de son interrogatoire de première comparution, le requérant déclara que l'héroïne saisie sur lui lors de sa fouille était pour sa consommation personnelle. Il déclara également qu'il ignorait que son frère se livrait à des activités illicites de vente de stupéfiants.
8. Par la suite, le requérant et son frère furent également poursuivis pour le vol d'une voiture commis en décembre 2006.
9. Le requérant fut assisté par un avocat commis d'office, Me Ch., au cours de l'enquête policière et de l'instruction.
2. La détention provisoire du requérant
10. Le 29 mars 2007, le tribunal de la ville de Berezniki de la région de Perm (« le tribunal ») ordonna le placement du requérant en détention provisoire.
11. Par la suite, il reconduisit la détention du requérant successivement jusqu'au 27 juin, au 27 juillet et au 27 août 2007 par des décisions en date du 21 mai, du 18 juin et du 24 juillet 2007, respectivement. Le requérant n'interjeta pas appel desdites décisions, qui devinrent définitives.
12. Au mois d'août 2007, le tribunal se vit attribuer l'affaire pénale dirigée à l'encontre du requérant et de son frère pour jugement.
13. Le 16 août 2007, le tribunal rendit une décision de procédure, sans tenir d'audience. Par cette décision, il fixa au 27 août 2007 la tenue de la première audience dans l'affaire pénale dirigée à l'encontre du requérant et de son frère. En outre, il indiqua que ceux-ci devaient être maintenus en détention provisoire au motif que « les raisons pour lesquelles le tribunal avait ordonné [leur] placement en détention [n'avaient] pas changé ». Dans sa décision, le tribunal précisa que celle-ci pouvait faire l'objet d'un appel auprès de la cour régionale de Perm dans un délai de dix jours à compter de la date de son adoption.
14. Le requérant allègue avoir pris connaissance de la décision du 16 août 2007 le lendemain de son adoption. Il indique avoir estimé, à l'époque, ne plus être en mesure de faire appel de cette décision eu égard à la mention manuscrite « devenue définitive le 16 août 2007, assistant au juge [signature, nom] » apposée sur cette décision - décision dont il a soumis une copie à la Cour, comportant la signature du greffier, le sceau du tribunal et ladite mention.
3. Le procès pénal et la condamnation du requérant
15. Le 27 août 2007, le tribunal tint une première audience dans l'affaire pénale. Au cours de cette audience, le procureur demanda le remplacement de Me Ch. dans les fonctions assumées par celui-ci dans le cadre de la procédure au motif que cet avocat avait précédemment assisté N., entendu comme témoin, et qu'il se trouvait ainsi en situation de conflit d'intérêts. Accédant à la demande du procureur, le tribunal décida le remplacement de l'avocat Ch. Ce dernier forma un appel interlocutoire pour contester cette décision (paragraphe 21 ci-dessous).
16. Par la suite, le requérant fut assisté par une avocate de son choix, Me B.
17. Lors du procès, le tribunal examina des preuves matérielles, des procès-verbaux relatifs à des actes d'instruction et à l'opération de « livraison contrôlée », ainsi que des rapports d'expertises effectuées au stade de l'instruction.
Le tribunal entendit également plusieurs témoins, notamment Sh. et M., agents du FSKN, ainsi que Mk. et N.
À cette occasion, les agents Sh. et M. déclarèrent ce qui suit : le FSKN disposait d'informations selon lesquelles le requérant et son frère vendaient des stupéfiants par le biais de N. ; celui-ci avait été arrêté le 26 mars 2007 dans le cadre d'une opération de « livraison contrôlée » alors qu'il vendait de l'héroïne à Mk. ; et il avait avoué qu'il revendait des stupéfiants achetés auprès du requérant et de son frère.
Quant à Mk., qui avait acheté des stupéfiants à N. lors de l'opération du 26 mars 2007, il déclara, entre autres, qu'il était toxicomane et qu'il achetait régulièrement de la drogue à N.
Enfin, N., qui avait acheté des stupéfiants au requérant et à son frère lors de l'opération du 27 mars 2007, déclara notamment qu'il était toxicomane et qu'il achetait régulièrement de l'héroïne aux intéressés depuis 2006.
18. Devant le tribunal, le requérant déclara ce qui suit : il se trouvait dans la voiture le 27 mars 2007 lorsque N. avait remis quelque chose à son frère par la fenêtre de la voiture ; il ne connaissait pas la nature des objets ainsi remis ; il n'avait pas entendu les conversations de son frère et de N. à cause de la musique ; et il n'avait jeté aucun paquet de la voiture lors de son interpellation. Le requérant maintint en outre que la quantité de 1,74 gramme d'héroïne saisie sur lui lors de la fouille corporelle était pour sa consommation personnelle.
19. Lors des plaidoiries, le procureur proposa la requalification des faits concernant la vente de stupéfiants reprochés au requérant et à son frère, estimant qu'ils devaient être qualifiés non d'« actes préparatoires » à l'infraction, mais de « tentative » d'infraction. À ce sujet, le requérant indique qu'il s'agissait là d'un revirement brutal survenu juste avant la clôture des débats qui l'aurait empêché de modifier sa ligne de défense avec son conseil.
20. Par un jugement du 21 septembre 2007, le tribunal de la ville de Berezniki retint cette nouvelle qualification et condamna le requérant à douze ans de réclusion criminelle pour complicité de trafic de stupéfiants et vol. Pour parvenir à la conclusion de la culpabilité du requérant, le tribunal se fonda sur l'ensemble des preuves examinées lors du procès.
21. Le 4 octobre 2007, la cour régionale de Perm rejeta l'appel interlocutoire formé par l'avocat Ch. contre la décision du 27 août 2007, ayant confirmé l'existence d'une situation de conflit d'intérêts telle que relevée dans la décision relative à son remplacement.
22. Le 8 novembre 2007, la cour régionale de Perm confirma en appel le jugement de condamnation du 21 septembre 2007, après avoir fait siennes les conclusions du tribunal de première instance.
B. Les conditions de détention et de transport du requérant
1. Les conditions de détention à la maison d'arrêt no IZ-59/3 de la ville de Kizel
23. De mars à novembre 2007, le requérant fut incarcéré à la maison d'arrêt no IZ-59/3 de la ville de Kizel de la région de Perm. Les parties ont présenté des versions différentes quant aux conditions de détention de l'intéressé pendant la période considérée.
24. Le requérant décrit ses conditions de détention de la manière suivante : il a été placé dans la cellule no 10, qui mesurait 18 m2 et accueillait de sept à huit détenus ; cette cellule était équipée de trois lits superposés sur deux niveaux, en nombre inférieur à celui des détenus ; il n'y avait pas d'eau chaude, et les toilettes, dépourvues de chasse d'eau, étaient installées près de la table où les détenus prenaient leurs repas et n'en étaient séparées que par une barrière ; la nourriture servie aux prisonniers était de mauvaise qualité ; les détenus devaient entreposer leurs provisions à même le sol faute de disposer de meubles dans leur cellule, et l'air y était difficilement respirable en raison de la fumée de cigarette ; les fenêtres n'étaient que partiellement vitrées, ce qui était insupportable par temps froid, et l'éclairage nocturne était trop puissant ; les promenades quotidiennes, d'une durée d'une heure, avaient lieu dans des cours intérieures bétonnées.
25. En se référant à des attestations établies le 11 août 2010 par l'administration de la maison d'arrêt no IZ-59/3, le Gouvernement indique que le requérant a séjourné dans les cellules nos 6 et 10 de cet établissement au cours des périodes suivantes : du 10 avril au 18 mai, du 31 mai au 9 juin, du 25 juin au 21 juillet, du 7 août au 25 août et du 26 septembre au 16 novembre 2007. Il ajoute que la cellule no 6 mesurait 21 m² et comptait dix lits, et que la cellule no 10 mesurait 13 m² et comptait six lits.
26. Toujours en s'appuyant sur les attestations du 11 août 2010, le Gouvernement affirme que le nombre de détenus hébergés dans les cellules nos 6 et 10, parmi lesquels le requérant, était compris entre quatre et huit pour la première cellule et entre trois et cinq pour la deuxième cellule. En outre, il indique que toutes les cellules disposaient d'un lavabo, que les toilettes se trouvaient à côté de l'entrée des cellules et derrière une séparation constituée d'un mur de briques mesurant au moins 1,45 m de haut et munie de portes, et que la distance entre les toilettes et la table était comprise entre 2 m et 4,30 m et celle entre les toilettes et les lits entre 1 m et 2 m. Il ajoute que la ventilation des cellules était assurée de manière mécanique et naturelle, grâce aux fenêtres, et que l'état sanitaire des cellules était régulièrement contrôlé. Enfin, selon le Gouvernement, tous les détenus bénéficiaient d'au moins une heure d'exercice par jour dans des cours aménagées en plein air.
2. Les conditions de détention dans le centre de détention provisoire de la ville de Berezniki (« l'IVS »)
27. Pendant le déroulement du procès pénal, le requérant fut placé dans l'IVS. L'intéressé soutient que ses séjours à l'IVS ont duré de quatorze à trente jours et qu'il a été détenu dans des cellules mesurant 4 m2 et accueillant de cinq à neuf personnes. Il indique que ces cellules étaient équipées d'un châlit en planches mesurant 1,30 x 1,80 m, que ce châlit était dépourvu de matelas et d'autres éléments de literie, et que certains détenus pouvaient dormir dessus tandis que les autres devaient rester accroupis ou assis sur le sol. Il ajoute que les toilettes n'étaient ni équipées de chasse d'eau ni séparées du reste de la cellule. Il dit aussi que la nourriture était de mauvaise qualité et qu'elle n'était servie qu'une fois par jour. Il indique également qu'il n'a pas eu la possibilité de se doucher. Enfin, à ses dires, les cellules étaient dépourvues de fenêtres et d'un système de ventilation, l'éclairage y restait allumé jour et nuit, et les insectes y pullulaient.
28. S'appuyant sur une attestation du ministère de l'Intérieur non datée, le Gouvernement expose que le requérant a été détenu à l'IVS dans la cellule no 4 plusieurs jours, à savoir du 27 mars au 10 avril, du 18 au 31 mai, du 9 au 20 juin, du 21 juillet au 1er août, du 25 août au 6 septembre et du 24 septembre au 1er octobre 2007, ainsi que dans la cellule no 12 un jour. Il précise que la cellule no 4 mesurait 5 m² et était prévue pour cinq personnes, et qu'elle était équipée de châlits en planches et disposait d'une fenêtre. Il ajoute que les toilettes n'étaient pas séparées par une cloison du reste de la cellule et qu'elles n'étaient pas munies d'un système de chasse d'eau mais d'un robinet situé au-dessus. Il assure aussi que le linge de lit n'était pas fourni par l'administration de l'IVS mais qu'il pouvait être transmis par les proches des détenus. Enfin, il indique que le requérant pouvait se doucher une fois par semaine ou sur demande.
29. Le Gouvernement a soumis des extraits de registres des personnes détenues à l'IVS couvrant trente-trois jours de la détention du requérant. Parmi ces extraits, ceux du 6 juillet, du 2 au 7 août et du 19 au 23 septembre 2007 ne concernent pas les périodes indiquées par le Gouvernement dans ses observations (paragraphe 28 ci-dessus). Il ressort desdits extraits que du 1er au 8 avril 2007 le requérant a été détenu seul et que pendant les autres périodes couvertes par lesdits extraits le nombre de détenus dans la cellule no 4 variait entre deux et cinq.
3. Le transport du requérant entre la maison d'arrêt et l'IVS
30. Le requérant soutient qu'il a été transféré à sept reprises entre la maison d'arrêt et l'IVS, et qu'à chaque fois il a dû se lever à 2 heures du matin, puis patienter dans une cellule de rassemblement jusqu'à 5 heures. Il décrit comme suit les conditions de transfert entre les deux établissements : les détenus étaient conduits à la gare ferroviaire dans un véhicule comportant huit à dix sièges, où ils étaient entassés à vingt-cinq ou trente, les uns assis sur les genoux des autres ; puis ils étaient installés dans un wagon divisé en compartiments prévus pour sept personnes, mais qui accueillaient en réalité de treize à dix-sept détenus ; enfin, après trois heures de route, ils étaient escortés à l'IVS, puis conduits au tribunal.
31. Le Gouvernement indique que le requérant a été transporté entre la maison d'arrêt et l'IVS les 18 et 31 mai, les 9 et 25 juin, le 21 juillet et le 7 août 2007. Les trajets auraient duré en moyenne 3 h 30. Le Gouvernement précise que, au cours de ces trajets, le requérant était d'abord conduit jusqu'à la gare ferroviaire dans des fourgons spécialisés pour le transfert de détenus et prévus pour transporter vingt et une personnes, de type GAZ-�3307-AZ. Excepté cette indication, le Gouvernement n'a pas fourni d'éléments sur les caractéristiques de ces fourgons, notamment quant à leur superficie. Il n'a pas non plus indiqué le nombre de personnes transportées en même temps que le requérant les jours de transfèrement de ce dernier.
32. Le Gouvernement ajoute que, une fois arrivé à la gare, le requérant était ensuite placé dans des wagons spécialisés pour le transport de détenus. Il déclare que, conformément à la réglementation en la matière (Instruction sur le fonctionnement du service de convois du Ministère de l'exécution des peines du 24 mai 2006, paragraphe 166), les grands compartiments étaient prévus pour le transport de douze personnes et les petits compartiments pour le transport de cinq personnes, sans toutefois fournir d'informations sur les caractéristiques des wagons, notamment quant à la superficie des compartiments. En outre, il indique que le nombre de détenus transportés avec le requérant était de onze le 18 mai 2007, de trois le 31 mai 2007, de sept le 9 juin 2007, de onze le 25 juin 2007, de deux le 21 juillet 2007 et de douze le 7 août 2007.
C. L'annulation de la décision du 16 août 2007 en sa partie relative au maintien en détention provisoire du requérant et l'action en indemnisation pour détention illégale intentée par ce dernier
33. À une date non spécifiée dans le dossier, le requérant contesta, par la voie du recours en révision, la décision du tribunal du 16 août 2007 en sa partie portant sur son maintien en détention provisoire, alléguant qu'elle était illégale. Il reprochait au tribunal de s'être prononcé sur la mesure litigieuse en son absence et en celle de son avocat, et de ne pas avoir dûment motivé sa décision.
34. Le 19 décembre 2008, à l'issue d'une instance en révision, le présidium de la cour régionale de Perm cassa la décision du 16 août 2007 en sa partie concernant le maintien du requérant en détention provisoire (paragraphe 13 ci-dessus). Il indiqua que cette décision était illégale en la partie susmentionnée au motif qu'elle avait été rendue en l'absence du requérant et de son avocat. Il ne se prononça pas sur la question de savoir si la décision litigieuse avait été dûment motivée.
35. Au mois de novembre 2009, le requérant saisit la justice d'une action en dédommagement du préjudice moral qu'il estimait avoir subi en raison de l'illégalité, alléguée par lui, de sa détention pendant la période allant du 16 août au 8 novembre 2007, date à laquelle sa condamnation était devenue définitive. Il demandait la somme de 1 000 000 roubles russes (RUB) à titre de dédommagement.
36. Le 17 septembre 2010, le tribunal de l'arrondissement Sverdlovski de la ville de Perm accueillit partiellement son action. Ayant égard à la décision du présidium de la cour régionale de Perm du 19 décembre 2008, ce tribunal jugea que le requérant avait été privé de sa liberté en violation de la législation nationale, et qu'il avait droit à une compensation en vertu des articles 1 070 et 1 100 du code civil russe ainsi qu'en vertu de l'article 5 § 5 de la Convention. Il estima cependant que la période de la détention illégale de l'intéressé avait débuté le 28 août 2007, date à laquelle avait expiré le délai d'un mois indiqué dans la décision du tribunal de la ville de Berezniki du 24 juillet 2007. En ce qui concernait la fin de la période de la détention illégale du requérant, il considéra qu'elle devait être établie au jour du prononcé du jugement de condamnation de l'intéressé en première instance, c'est-à-dire au 21 septembre 2007, au motif que ledit jugement indiquait que la détention provisoire du requérant devait être maintenue, le cas échéant, jusqu'à l'issue de l'examen de l'affaire pénale en appel. Diminuant le montant du dédommagement du préjudice moral à 10 000 RUB, le tribunal de l'arrondissement Sverdlovski prit en considération, entre autres, le fait que la période de la détention litigieuse avait été incluse dans le calcul de la durée totale de la peine infligée à l'intéressé par le jugement du 21 septembre 2007.
37. Il ressort des pièces du dossier dont dispose la Cour que la décision du tribunal de l'arrondissement Sverdlovski du 17 septembre 2010 a été annulée et que l'affaire a été renvoyée devant la même juridiction pour un nouvel examen au fond.
38. Le 28 février 2011, le tribunal de l'arrondissement Sverdlovski de la ville de Perm se prononça à nouveau sur l'action du requérant par une décision au contenu en substance identique à celui de la décision du 17 septembre 2010. La Cour ne dispose pas d'informations sur le point de savoir si cette décision a fait l'objet d'un examen par l'instance d'appel.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION, PRIS SEUL ET COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
39. Le requérant allègue que ses conditions de détention à la maison d'arrêt no IZ-59/3 de la ville de Kizel et à l'IVS de la ville de Berezniki ainsi que ses conditions de transport entre ces établissements ont constitué un traitement inhumain et dégradant. Il se plaint de ne pas avoir disposé de voies de recours effectives à cet égard. Il invoque l'article 3 de la Convention, pris seul et combiné avec l'article 13 de la Convention. Ces deux dispositions sont ainsi libellées en leurs parties pertinentes en l'espèce :
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Thèses des parties
40. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne les conditions de détention du requérant, estimant que celui-ci aurait pu introduire une plainte auprès de l'administration pénitentiaire, une plainte devant le procureur ou un recours au civil en dédommagement du préjudice moral allégué. À titre subsidiaire, se référant à sa version des faits (paragraphes 25-�26, 28-�29 et 31-�32 ci-�dessus), il soutient que les conditions de détention et de transport litigieuses n'étaient pas constitutives de mauvais traitements.
41. Le requérant maintient ses griefs.
B. Appréciation de la Cour
1. Sur la violation alléguée de l'article 3 de la Convention
a) Sur la recevabilité
42. Eu égard à ses conclusions dans l'arrêt Ananyev et autres c. Russie (nos 42525/07 et 60800/08, §§ 100-�119, 10 janvier 2012), la Cour estime que le Gouvernement n'a pas démontré l'existence d'un recours interne que le requérant aurait été tenu d'exercer avant de lui soumettre sa requête. Elle rejette donc l'exception du Gouvernement.
43. Constatant par ailleurs que le grief tiré de l'article 3 de la Convention ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, elle le déclare recevable.
b) Sur le fond
44. La Cour rappelle avoir déjà conclu dans de nombreuses affaires à la violation de l'article 3 de la Convention à raison des conditions de détention dans des maisons d'arrêt (voir, par exemple, Dudchenko c. Russie, no 37717/05, §§ 116-�123, 7 novembre 2017, Vyatkin c. Russie, no 18813/06, §§ 36-�44, 11 avril 2013, Mayzit c. Russie, no 63378/00, §§ 34-�43, 20 janvier 2005, Ananyev et autres, précité, §§ 160-�166, Zentsov et autres c. Russie, no 35297/05, §§ 38-45, 23 octobre 2012, et Kolunov c. Russie, no 26436/05, §§ 30-38, 9 octobre 2012), ainsi que dans des centres de détention provisoire (voir, par exemple, Idalov c. Russie (no 2), no 41858/08, §§ 105-�109, 13 décembre 2016, Sergeyev c. Russie, no 41090/05, §§ 48-�51, 6 octobre 2015, Shkarupa c. Russie, no36461/05, §§ 54-�57, 15 janvier 2015, et Shishkov c. Russie, no 26746/05, §§ 89-�94, 20 février 2014), et à raison des conditions de transport de détenus (voir, par exemple, en ce qui concerne le transport dans des fourgons, Radzhab Magomedov c. Russie, no 20933/08, §§ 59-�62, 20 décembre 2016, Korkin c. Russie, no 48416/09, §§ 70-�75, 12 novembre 2015, et M.S. c. Russie, no 8589/08, §§ 71-�77, 10 juillet 2014, et, en ce qui concerne le transport dans des wagons, Dudchenko, précité, §§ 126-�132, et les arrêts qui y sont cités).
45. En l'occurrence, eu égard aux éléments dont elle dispose, la Cour estime que le Gouvernement n'a mis en avant aucun élément de fait ou de droit à même de la convaincre de parvenir à une conclusion différente en l'espèce.
46. Elle observe notamment, en ce qui concerne la description des conditions de détention du requérant, que, s'agissant de celles ayant régné à la maison d'arrêt no IZ-59/3 (paragraphe 25-26 ci-�dessus), le Gouvernement n'a pas soumis d'originaux des registres des détenus pour les périodes concernées (voir, a contrario, Radzhab Magomedov, précité, §§ 48-�49) et que, s'agissant de celles ayant prévalu à l'IVS (paragraphe 28-29 ci-dessus), il a présenté des extraits des registres des détenus incomplets (voir, dans ce sens, Dudchenko, précité, § 120).
47. Quant aux autres éléments soumis par le Gouvernement, la Cour estime qu'ils ne peuvent compenser l'absence des registres en question (Ananyev et autres, précité, § 128). Le caractère peu fiable des diverses attestations fournies par le Gouvernement à l'appui de ses allégations est illustré par leur incohérence quant aux dates de la détention du requérant. À titre d'exemple, il ressort des extraits des registres des personnes détenues à l'IVS que le requérant y était placé du 2 au 6 août 2007 alors que cette période ne figure pas parmi celles mentionnées par le Gouvernement sur la base des attestations relatives à la détention de l'intéressé tant à la maison d'arrêt qu'à l'IVS (paragraphes 25 et 28 ci-dessus). Par ailleurs, deux périodes alléguées de la détention du requérant à la maison d'arrêt et à l'IVS se chevauchent, à savoir celle du 26 septembre au 16 novembre 2007 (à la maison d'arrêt) et celle du 24 septembre au 1er octobre 2007 (à l'IVS).
48. En ce qui concerne la description des conditions de transport du requérant (paragraphe 31-�32 ci-dessus), la Cour relève que le Gouvernement n'a pas fourni d'extraits des feuilles de route contenant les données relatives au nombre de personnes placées dans les fourgons et les wagons utilisés pour le transport de l'intéressé (voir, dans le même sens, Yaroslav Belousov c. Russie, nos 2653/13 et 60980/14, § 109, 4 octobre 2016) et qu'il n'a pas non plus soumis de données relatives à la superficie des compartiments de ces fourgons et wagons (voir, dans le même sens, Dudchenko, précité, § 129).
49. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le Gouvernement ne s'est pas acquitté de la charge de la preuve lui incombant et qu'il n'a pas réfuté de façon convaincante les allégations du requérant selon lesquelles celui-ci a été détenu et transporté dans des conditions contraires à l'article 3 de la Convention (paragraphes 24, 27 et 30 ci-dessus).
50. Eu égard à sa large jurisprudence en la matière (paragraphe 44 ci-�dessus) et à ses conclusions quant au bien-fondé des allégations du requérant (paragraphe 49 ci-dessus), la Cour considère que les conditions de détention de ce dernier à la maison d'arrêt no IZ-59/3 de la ville de Kizel et à l'IVS de la ville de Berezniki ainsi que les conditions de son transport entre ces établissements ont constitué un traitement inhumain et dégradant. Partant, il y a eu violation de l'article 3 de la Convention.
2. Sur la violation alléguée de l'article 13 de la Convention
a) Sur la recevabilité
51. Constatant que le grief tiré de l'article 13 de la Convention n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
b) Sur le fond
52. Eu égard à ses conclusions au paragraphe 50 ci-dessus quant à la violation de l'article 3 de la Convention à raison des conditions de détention et de transport du requérant, la Cour estime que ce grief est « défendable » (Ananyev et autres, précité, § 93).
53. La Cour rappelle que, dans son arrêt Ananyev et autres (précité), elle a conclu que le système juridique russe n'offrait pas de voies de recours internes effectives pour faire valoir un grief relatif aux conditions de détention dans des maisons d'arrêt (§§ 100-�119). Elle est par ailleurs parvenue à la même conclusion s'agissant de griefs relatifs, d'une part, aux conditions de détention dans un centre de détention temporaire (Shkarupa, précité, § 60) et, d'autre part, aux conditions de transport de détenus (M.S. c. Russie, précité, §§ 80-�86). En l'occurrence, la Cour estime que le Gouvernement n'a mis en avant aucun élément de fait ou de droit à même de la convaincre d'aboutir à une conclusion différente en l'espèce.
54. Partant, il y a eu violation de l'article 13 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 DE LA CONVENTION
55. Le requérant se plaint que la décision du 16 août 2007 portant sur son maintien en détention provisoire ait été adoptée en son absence et en celle de son avocat. Il se plaint également que cette décision ait été insusceptible d'appel, se fondant en cela sur la mention apposée sur la copie soumise par lui à la Cour selon laquelle la décision litigieuse était « devenue définitive » le jour de son adoption. Il estime en outre que la décision du présidium de la cour régionale de Perm du 19 décembre 2008 n'a pas remédié aux violations de l'article 5 de la Convention précédemment dénoncées au sujet de la décision rendue le 16 août 2007, et ce alors qu'elle aurait mis au jour l'illégalité de son maintien en détention à partir de cette dernière date. Le requérant invoque l'article 5 §§ 1 c) et 4 et l'article 6 de la Convention.
56. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime qu'il convient d'examiner les questions soulevées sous l'angle du seul article 5 §§ 1 et 4 de la Convention, ainsi libellé en ses parties pertinentes en l'espèce :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
(...) »
A. Thèses des parties
57. Citant l'arrêt Mooren c. Allemagne [GC] (no 11364/03, §§ 74-�75, 9 juillet 2009), le Gouvernement indique que tout défaut constaté dans une ordonnance de placement en détention ne rend pas la détention elle-même irrégulière aux fins de l'article 5 § 1. Il estime que la détention du requérant du 16 août au 27 août 2007 était régulière au motif qu'elle était couverte par la décision du tribunal de la ville de Berezniki du 24 juillet 2007, non contestée en appel par l'intéressé (paragraphe 11 ci-dessus). Le Gouvernement admet que la détention du requérant du 28 août au 21 septembre 2007 n'était pas « régulière » au sens de l'article 5 § 1 de la Convention. Il indique toutefois que le requérant a pu saisir la justice d'une action en dédommagement du préjudice qu'il estimait avoir subi du fait de sa détention illégale et de la violation de son droit de comparution personnelle devant le juge. Il se réfère dans ce contexte à la décision du tribunal de l'arrondissement Sverdlovski de la ville de Perm du 17 septembre 2010 par laquelle le requérant s'est vu octroyer 10 000 RUB (paragraphe 36 ci-�dessus).
58. Le Gouvernement indique ensuite que la question relative à la légalité de la détention du requérant n'a pas été examinée par le tribunal de la ville de Berezniki lors de l'audience du 27 août 2007. Or, selon lui, il était loisible au requérant et à son avocat de soulever cette question devant la cour régionale dans le cadre de l'appel interlocutoire formé par ce dernier pour se plaindre de son remplacement (paragraphe 21 ci-dessus), ce dont ils se seraient abstenus.
59. Enfin, le Gouvernement reconnaît que la décision du 16 août 2007 n'était pas conforme à la législation interne et qu'elle était contraire à l'article 5 § 4 de la Convention en raison de son adoption en l'absence du requérant et de son avocat.
60. Le requérant maintient ses griefs. Il ajoute en outre que la référence à la décision du tribunal de l'arrondissement Sverdlovski de la ville de Perm du 17 septembre 2010 n'est pas pertinente au motif que celle-�ci a été annulée et remplacée par la décision du 28 février 2011 (paragraphe 38 ci-�dessus). Il estime qu'il n'a pas perdu sa qualité de victime des violations alléguées de l'article 5 §§ 1 et 4 de la Convention eu égard au montant du dédommagement octroyé par les juridictions internes, qu'il qualifie de faible.
B. Appréciation de la Cour
1. S'agissant du grief tiré de l'article 5 § 1 de la Convention
a) Sur la recevabilité
61. En ce qui concerne la détention du requérant du 16 au 27 août 2007, la Cour relève qu'elle a été autorisée par la décision du 24 juillet 2007, dont la validité n'a pas été remise en question (paragraphe 11 ci-�dessus). Elle estime donc, à l'instar des juridictions internes, que la détention de l'intéressé pendant cette période était « régulière » au sens de l'article 5 § 1 de la Convention (Yevgeniy Bogdanov c. Russie, no 22405/04, § 112, 26 février 2015). Il s'ensuit que la partie du grief concernant la régularité de la détention du requérant du 16 au 27 août 2007 est manifestement mal fondée et qu'elle doit être rejetée, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
62. S'agissant enfin de la détention du requérant du 28 août au 21 septembre 2007, la Cour souligne que, conformément à l'article 35 § 1 de la Convention, elle est compétente pour examiner un grief relatif à la légalité d'une période de détention si celui-ci a été introduit dans les six mois suivant l'adoption de la décision interne définitive relative à la période en question. En l'espèce, elle note que, par une décision du 19 décembre 2008, le présidium de la cour régionale de Perm a annulé la décision du 16 août 2007 en sa partie concernant le maintien du requérant en détention (paragraphe 34 ci-dessus). Elle note par ailleurs que la légalité de la détention du requérant du 28 août au 21 septembre 2007 a fait l'objet d'un examen par le tribunal de l'arrondissement Sverdlovski de la ville de Perm, qui s'est prononcé le 28 février 2011 (paragraphe 38 ci-�dessus). Les décisions du 19 décembre 2008 et du 28 février 2011 ont été rendues bien après la date de l'introduction par le requérant de sa requête devant la Cour, à savoir le 31 mars 2008, requête dans laquelle l'intéressé a soulevé ses griefs tirés de l'article 5 § 1 de la Convention. La Cour est donc compétente pour examiner, à la lumière de l'article 5 § 1 de la Convention, la légalité de la détention du requérant du 28 août au 21 septembre 2007.
63. S'agissant de la détention du requérant du 21 septembre au 8 novembre 2007, la Cour note que le 21 septembre 2007 l'intéressé a été reconnu coupable et condamné à une peine d'emprisonnement. La détention du requérant à partir de cette dernière date était donc régie par l'article 5 § 1 a) même si la condamnation n'était pas encore définitive conformément à la législation interne (Stollenwerk c. Allemagne, no 8844/12, § 35, 7 septembre 2017). Rien ne démontre que la détention du requérant à partir du 21 septembre 2007 était arbitraire ou que le tribunal n'avait pas la compétence pour prononcer la condamnation. Il s'ensuit que la partie du grief concernant la régularité de la détention du requérant du 21 septembre au 8 novembre 2007 est manifestement mal fondée et qu'elle doit être rejetée, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
64. La Cour relève que le Gouvernement, tout en concédant que la détention du requérant du 28 août au 21 septembre 2007 n'a pas été « régulière », semble sous-entendre que l'intéressé a perdu sa qualité de victime quant au grief qu'il tire de l'article 5 § 1 de la Convention compte tenu du dédommagement qui lui a été octroyé à ce titre par les juridictions internes (paragraphe 57 ci-�dessus).
65. La Cour réaffirme qu'une décision ou une mesure favorable à la partie requérante ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 82, CEDH 2012). Il appartient donc à la Cour de vérifier, d'une part, s'il y a eu reconnaissance par les autorités nationales, au moins en substance, d'une violation d'un droit protégé par la Convention et, d'autre part, si le redressement peut être considéré comme approprié et suffisant. En l'espèce, la Cour constate que les juridictions internes ont octroyé 10 000 RUB (soit environ 250 euros (EUR)) au requérant, ayant considéré que la détention de ce dernier du 28 août au 21 septembre 2007 (soit une privation de liberté de vingt-quatre jours au total) n'était couverte par aucune décision judiciaire. Elle note que les tribunaux se sont explicitement référés à l'article 5 de la Convention dans ce contexte, ayant reconnu que la détention du requérant avait été irrégulière. Elle estime cependant que le montant octroyé au requérant au niveau interne n'est pas comparable à ceux qu'elle octroie habituellement à titre de dommage moral dans des situations similaires (voir, à titre d'exemple, les arrêts Roman Petrov c. Russie, no 37311/08, § 66, 15 décembre 2015, et Makarskiy c. Russie [comité], no 41333/14, § 19, 9 janvier 2018, dans lesquels la Cour a octroyé respectivement 20 000 EUR et 7 500 EUR). Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que le montant octroyé au requérant n'est pas suffisant pour constituer un dédommagement adéquat et que l'intéressé peut continuer à se prétendre victime de la violation de l'article 5 § 1 de la Convention en ce qui concerne la période de détention du 28 août au 21 septembre 2007. Il s'ensuit que l'exception d'irrecevabilité soulevée par le Gouvernement relativement à la perte de la qualité de victime du requérant ne saurait être retenue.
66. Constatant que le grief relatif à la légalité de la détention du requérant du 28 août au 21 septembre 2007 n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
b) Sur le fond
67. La Cour constate que tant les juridictions internes (paragraphe 38 ci-�dessus) que le Gouvernement (paragraphe 59 ci-�dessus) ont admis que la détention du requérant du 28 août au 21 septembre 2007 n'avait pas été autorisée par une décision judiciaire. Eu égard à ses conclusions relatives à la conservation par le requérant de sa qualité de victime (paragraphe 65 ci-�dessus), la Cour estime à son tour que la détention de l'intéressé pendant la période comprise entre le 28 août et le 21 septembre 2007 n'était pas « régulière » au sens de l'article 5 § 1 de la Convention. Partant, il y a eu violation de cette disposition.
2. S'agissant du grief tiré de l'article 5 § 4 de la Convention
a) Sur la recevabilité
68. La Cour considère que le requérant a conservé sa qualité de victime en ce qui concerne le grief tiré de l'article 5 § 4 de la Convention et elle renvoie sur ce point à ses conclusions au paragraphe 65 ci-�dessus.
69. Constatant par ailleurs que le grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
b) Sur le fond
70. La Cour note que tant les instances nationales (paragraphes 34 et 38 ci-dessus) que le Gouvernement (paragraphe 59 ci-dessus) ont reconnu qu'il y avait eu violation de l'article 5 § 4 de la Convention à raison de l'absence du requérant et de son avocat lors de l'adoption de la décision du 16 août 2007 portant sur le maintien en détention provisoire de l'intéressé. Elle ne voit aucune raison de parvenir à une conclusion différente.
71. Partant, il y a eu violation de l'article 5 § 4 de la Convention à cet égard.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
72. Le requérant se plaint également de plusieurs aspects de la procédure pénale dirigée à son encontre, qu'il qualifie d'inéquitable. Il invoque l'article 6 de la Convention, ainsi libellé en ses parties pertinentes en l'espèce :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
(...)
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ;
(...) »
A. Thèses des parties
73. Le requérant se plaint d'avoir été condamné en l'absence d'éléments solides et sur la base de preuves obtenues dans le cadre d'une opération policière qu'il qualifie de « provocation ». En effet, à ses dires, la commission de l'infraction dont il a été reconnu coupable (complicité de trafic de stupéfiants) a été provoquée par la police dans le cadre d'une opération policière de « livraison contrôlée » au cours de laquelle N. a acheté des stupéfiants à son frère. Le requérant allègue que cette opération a été conduite en dehors de tout contrôle judiciaire et que N. a échappé aux poursuites en raison de sa coopération avec la police. Il soutient en outre que le procureur a requalifié les faits incriminés juste avant la fin de l'audience au mépris des garanties du procès équitable consacrées par l'article 6 § 3 a) et b) de la Convention. Il dénonce aussi le remplacement de son conseil, Me Ch., et critique l'assistance fournie par l'avocate B. en ce qu'elle aurait été ineffective.
74. Le Gouvernement, qui indique que le requérant n'a pas soulevé devant l'instance d'appel de grief relatif à la « provocation », excipe du non-�épuisement des voies de recours internes.
75. À titre subsidiaire, le Gouvernement réfute l'existence d'une provocation policière. À cet égard, il expose que le requérant ne conteste pas que, lors de son arrestation, le 27 mars 2007, la police avait saisi sur lui 1,74 gramme d'héroïne destinée -� d'après l'intéressé -� à son usage personnel. Or, selon le Gouvernement, la possession de plus de 1,5 gramme d'héroïne est per se une infraction punissable par une peine allant jusqu'à dix ans d'emprisonnement. Le Gouvernement en conclut que l'ouverture de l'enquête pénale à l'encontre du requérant n'a pas été précédée d'une quelconque « provocation ».
76. S'agissant de la requalification des faits incriminés lors des plaidoiries, le Gouvernement indique que le requérant avait la possibilité de demander au tribunal de reprendre l'examen de l'affaire sur le fond conformément à l'article 294 du code de procédure pénale (CPP) s'il estimait que ladite requalification lui était préjudiciable et qu'il avait besoin de temps supplémentaire pour préparer sa défense. Or l'intéressé n'aurait formulé aucune demande à cet égard.
77. Enfin, le Gouvernement indique que le remplacement de l'avocat Ch. était conforme aux règles de la procédure pénale et que la défense du requérant a été assurée par la suite par l'avocate B., choisie par l'intéressé. Selon le Gouvernement, le requérant ne s'est plaint de la qualité de l'assistance juridique fournie par cette avocate ni devant le tribunal de première instance ni devant l'instance d'appel.
B. Appréciation de la Cour
1. S'agissant de la provocation
78. La Cour note que les positions des parties divergent quant à la question de savoir si le requérant a soulevé le grief tiré d'une provocation policière d'une manière appropriée devant les juridictions de première instance et d'appel. Elle estime cependant qu'il n'est pas nécessaire de trancher cette question, ce grief étant manifestement mal fondé pour les raisons exposées ci-après.
79. La Cour note qu'en l'espèce, dans son témoignage devant le tribunal, le requérant a nié toute implication dans la vente de drogues à N. le 27 mars 2007 (paragraphe 18 ci-dessus). La ligne de défense choisie par le requérant au procès excluait donc la possibilité de démontrer que l'acte incriminé, à savoir la vente de drogues à N. le 27 mars 2007, était un acte extraordinaire qui ne se serait pas produit s'il n'avait pas été provoqué par la police (Bagaryan et autres c. Russie (déc.) [comité], nos 3343/06, 28655/09, 25350/10 et 45639/10, 12 novembre 2013). Par ailleurs, la Cour relève que, dans ses déclarations, N. a indiqué avoir régulièrement acheté des drogues au requérant et à son frère avant l'opération policière du 27 mars 2007. Or le requérant n'a pas contesté les déclarations de N. sur ce point (voir, a contrario, Lagutin et autres c. Russie, nos 6228/09 et 4 autres, §§ 104-�105, 24 avril 2014).
80. Il s'ensuit que cette partie du grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention est manifestement mal fondée et qu'elle doit être rejetée, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
2. S'agissant de la requalification des faits
81. La Cour rappelle que l'article 6 § 3 a) de la Convention reconnaît à l'accusé le droit d'être informé non seulement de la cause de l'accusation, c'est-à-dire des faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l'accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits, et ce d'une manière détaillée. La portée de cette disposition doit notamment s'apprécier à la lumière du droit plus général à un procès équitable que garantit le paragraphe 1 de l'article 6 de la Convention. En matière pénale, une information précise et complète des charges pesant contre un accusé, et donc la qualification juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre, est une condition essentielle de l'équité de la procédure. Les dispositions de l'article 6 § 3 a) n'imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l'accusé doit être informé de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui. Enfin, il existe un lien entre les alinéas a) et b) de l'article 6 § 3, et le droit à être informé de la nature et de la cause de l'accusation doit être envisagé à la lumière du droit pour l'accusé de préparer sa défense (Pélissier et Sassi c. France [GC], no25444/94, §§ 52-�54, CEDH 1999-�II).
82. La Cour note en l'espèce que, lors des plaidoiries, le procureur a requalifié les faits reprochés au requérant, estimant qu'ils devaient être qualifiés non d'« actes préparatoires » à l'infraction de vente de stupéfiants, mais de « tentative » d'infraction. Elle note dans ce contexte que ce cas de figure diffère des cas dans lesquels la requalification des faits avait eu lieu lors du prononcé du jugement, privant ainsi l'accusé du temps nécessaire à la préparation de sa défense (voir, dans ce sens, Abramyan c. Russie, no 10709/02, § 36 in fine, 9 octobre 2008). La Cour note ensuite, à l'instar du Gouvernement, que le requérant n'a pas demandé au tribunal la réouverture de l'affaire aux fins d'un nouvel examen au fond, ce qui lui aurait permis de contester cette requalification, et qu'il ne s'est pas opposé d'une quelconque manière à cette requalification ni devant le tribunal de première instance (voir, a contrario, Abramyan, précité, § 38 in fine) ni devant l'instance d'appel (voir, a contrario, Seliverstov c. Russie, no 19692/02, § 22, 25 septembre 2008). Eu égard à ces éléments, la Cour estime que le requérant disposait du temps nécessaire et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense au sens de l'article 6 § 3 a) et b) de la Convention, mais qu'il ne s'en est pas prévalu devant les juridictions internes.
83. Il s'ensuit que cette partie du grief tiré de l'article 6 §§ 1 et 3 a) et b) de la Convention est manifestement mal fondée et qu'elle doit être rejetée, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
3. S'agissant de l'effectivité de l'assistance juridique
84. La Cour note en l'espèce que l'avocat Ch., commis d'office au requérant lors de l'investigation préliminaire, a été remplacé au début du procès pénal (paragraphe 16 ci-dessus). Elle estime, contrairement au requérant, que les raisons retenues par les juridictions internes pour décider le remplacement de Me Ch. étaient pertinentes et suffisantes (voir, dans ce sens, Jemeļjanovs c. Lettonie, no 37364/05, §§ 79-�82, 6 octobre 2016).
85. La Cour rappelle qu'il découle de l'indépendance du barreau par rapport à l'État que la conduite de la défense appartient pour l'essentiel à l'accusé et à son avocat, que celui-ci soit commis au titre de l'aide judiciaire ou rétribué par son client. L'article 6 § 3 c) n'oblige les autorités nationales compétentes à intervenir que si la carence de l'avocat d'office apparaît manifeste ou si elles en sont informées suffisamment d'une quelque autre manière (Vamvakas c. Grèce (no 2), no 2870/11, § 36, 9 avril 2015). En outre, la tâche de la Cour est de rechercher si, au vu de la procédure dans son ensemble, les droits de la défense s'en sont trouvés « lésés » au point de nuire globalement à l'équité du procès (Dvorski c. Croatie [GC], no 25703/11, § 81, CEDH 2015).
86. La Cour relève en l'espèce que, après le remplacement de l'avocat commis d'office, le requérant a retenu Me B. en tant qu'avocate de son choix et que cette dernière a assuré sa défense devant le tribunal de première instance ainsi que devant l'instance d'appel. Aucun élément du dossier soumis à la Cour ne démontre que le requérant ait exprimé le souhait de remplacer Me B. par un autre conseil en raison d'une ineffectivité de son assistance ou que l'assistance de Me B. ait révélé des carences telles que les juridictions nationales devaient agir de leur propre initiative pour garantir l'effectivité de la représentation de l'intéressé (voir, à titre d'exemple, Sannino c. Italie, no 30961/03, §§ 47-�53, CEDH 2006-�VI).
87. Il s'ensuit que cette partie du grief tiré de l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention est manifestement mal fondée et qu'elle doit être rejetée, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
4. S'agissant des autres griefs tirés de l'article 6 §§ 1 et 2 de la Convention
88. Le requérant a soulevé d'autres griefs relatifs à l'équité de la procédure pénale dirigée à son encontre.
89. Compte tenu de l'ensemble des éléments dont elle dispose et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour estime que ces griefs ne révèlent pas de violations de l'article 6 §§ 1 et 2 de la Convention. Il s'ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et qu'ils doivent être rejetés, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
90. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
91. Le requérant réclame 300 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'il dit avoir subi.
92. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter cette demande, qu'il qualifie d'infondée et d'excessive.
93. La Cour considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 10 000 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
94. Le requérant n'a formulé aucune demande au titre des frais et dépens. La Cour estime donc qu'il n'y a pas lieu de se prononcer sur ce point.
C. Intérêts moratoires
95. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l'article 3 de la Convention, pris seul et combiné avec l'article 13 de la Convention, et de l'article 5 §§ 1 et 4 de la Convention relativement à la légalité de la détention du requérant du 28 août au 21 septembre 2007 ainsi qu'à l'adoption de la décision du 16 août 2007 en l'absence de l'intéressé et de son avocat, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention, pris seul et combiné avec l'article 13 de la Convention ;
3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention à raison de la détention du requérant du 28 août au 21 septembre 2007 ;
4. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 4 de la Convention à raison de l'adoption de la décision du 16 août 2007 en l'absence du requérant et de son avocat ;
5. Dit
a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme, à convertir dans la monnaie de l'État défendeur, au taux applicable à la date du règlement, pour dommage moral ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 juillet 2018, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Fatoş AracıBranko Lubarda
Greffière adjointePrésident