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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> LEOTSAKOS v. GREECE - 30958/13 (Judgment : Article 8 - Right to respect for private and family life : First Section) French Text [2018] ECHR 792 (04 October 2018)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/792.html
Cite as: CE:ECHR:2018:1004JUD003095813, [2018] ECHR 792, ECLI:CE:ECHR:2018:1004JUD003095813

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PREMIÈRE SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE LEOTSAKOS c. GRÈCE

 

(Requête no 30958/13)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

 

 

STRASBOURG

 

4 octobre 2018

 

 

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Leotsakos c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Kristina Pardalos, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,
Armen Harutyunyan,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 septembre 2018,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE



1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 30958/13) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Petros Leotsakos (« le requérant »), a saisi la Cour le 30 avril 2013 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).



2. Le requérant a été représenté par Me H. Mylonas, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. K. Georghiadis, assesseur au Conseil juridique de l'État, et Mme A. Dimitrakopoulou, auditrice au Conseil juridique de l'État.



3. Le requérant allègue une violation des articles 6 § 1 (égalité des armes) et 8 de la Convention.



4. Le 30 mars 2017, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE



5. Le requérant est né en 1951 et réside à Athènes.



6. Le requérant exerce la profession d'avocat depuis 1976. Le 19 juillet 2010, il loua de nouveaux locaux pour son cabinet au troisième étage de l'immeuble situé dans le quartier de Kallithea. Le contrat de location, qui précisait en sa deuxième page que le local sera utilisé comme cabinet d'avocat, fut déposé au Trésor public le 20 juillet 2010. Une plaque portant l'indication « cabinet d'avocat de Petros Leotsakos » était fixée sur la porte du cabinet. Dans sa déclaration annuelle pour 2011 au barreau du Pirée, faite le 1er mars 2011, le requérant indiquait cette adresse.



7. Le 14 juillet 2010, la Direction de la sécurité de l'Attique (sousdirection de la lutte contre le crime organisé) soumit au procureur près le tribunal correctionnel d'Athènes des éléments relatifs à l'activité d'une organisation criminelle composée de plusieurs personnes de nationalité grecque et étrangère. Le procureur informa à son tour le procureur près la Cour de cassation, qui engagea une enquête préliminaire. Dans le cadre de cette enquête menée par le procureur près la Cour de cassation lui-même, ce dernier demanda au procureur adjoint près la cour d'appel d'Athènes, I.D., d'enquêter sur la commission par l'organisation criminelle en question d'infractions d'une gravité particulière, telles que blanchiment d'argent, corruption de magistrats, constitution d'une organisation criminelle et plusieurs autres infractions.



8. Le 23 septembre 2010, le procureur I.D. envoya à la Direction de la sécurité de l'Attique l'ordre de perquisition suivant :

« Sur le fondement de la décision no 2940/29-7-2010 du procureur près la Cour de cassation, nous effectuons une enquête pour vérifier si des infractions criminelles ont été commises, notamment celle de constitution d'une organisation criminelle (article 187 du code pénal) par S.G. et I.G. ainsi que par d'autres personnes liées à eux et agissant de pair avec eux.

Au vu des éléments rassemblés jusqu'à présent et afin de ne pas risquer de perdre des éléments de preuve déterminants, nous ordonnons des perquisitions, en application des articles 253-259 du code de procédure pénale, aux domiciles et aux bureaux sis dans les rues suivantes :

1. (...)

4. [l'adresse exacte de l'immeuble]

(...)

En outre, si vous l'estimez nécessaire, effectuez des fouilles corporelles des personnes qui se trouveront dans ces domiciles et bureaux.

Dans tous les cas, saisissez tout objet ou document qui s'y trouve et qui, à votre avis, a un lien avec l'affaire sous examen, et rédigez les rapports y relatifs que vous nous soumettrez par la suite dans les meilleurs délais (...) »



9. Le 24 septembre 2010, sans que le requérant en eût été informé, une perquisition fut menée dans son cabinet. Elle dura douze jours (soit jusqu'au 4 octobre 2010). Elle fut menée par un officier de police accompagné d'un procureur adjoint. Une voisine n'ayant pas de connaissances juridiques y assista comme témoin.



10. Les autorités confisquèrent des ordinateurs et des centaines des documents - dont des dossiers des clients relatifs à des procédures judiciaires et des documents de nature fiscale -�, qui furent énumérés dans douze rapports de saisie d'un total de 372 pages.



11. Une autre perquisition eut lieu aussi au domicile privé du requérant, en présence de l'épouse de celui-ci.



12. Le procureur I.D. poursuivit l'enquête jusqu'au mois de mars 2012.



13. En mai 2012, il engagea des poursuites contre certaines personnes, dont le requérant.



14. Le 5 juin 2012, le requérant saisit la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Athènes, demandant que la perquisition et la saisie fussent déclarées illégales et que les objets et documents saisis lui fussent restitués. Il se plaignait que la procédure prévue par l'article 262 § 3 du code de procédure pénale qui visait à protéger le secret professionnel n'avait pas été respectée car la fouille avait eu lieu en son absence. En outre, il n'avait pas été convoqué pour y assister et n'avait pas pu se prévaloir du principe de la protection du secret professionnel.



15. Le procureur I.D. fut désigné comme procureur chargé du dossier. Dans sa proposition à la chambre d'accusation, il préconisa le rejet du recours du requérant.



16. Le procureur souligna que la perquisition litigieuse n'avait pas eu lieu dans un cabinet d'avocat, comme le soutenait de façon trompeuse le requérant, et que, par conséquent, les dispositions du code de procédure pénale relatives à la protection du secret professionnel n'étaient pas applicables. Il relevait que le requérant avait déclaré son cabinet au barreau du Pirée le 1er mars 2011, soit postérieurement à la fouille. Il notait qu'il ressortait des documents saisis que le requérant déclarait aussi d'autres adresses comme siège de son cabinet, alors qu'un avocat était obligé, de par la loi, de fixer son cabinet dans le lieu du barreau dont il est membre.



17. Le procureur souligna aussi que la perquisition avait eu lieu légalement au cours de l'enquête préliminaire et non au cours de l'instruction préparatoire ou de l'instruction principale. Lors des perquisitions effectuées aux domiciles et aux locaux professionnels de tous les accusés, un grand nombre d'éléments de preuve fut découvert et confisqué. D'après le procureur, ces éléments constituaient des indices suffisants de nature à établir l'existence d'une organisation criminelle et la commission d'un grand nombre d'infractions de nature criminelle pour lesquelles des poursuites avaient été engagées. Un tel résultat aurait été impossible sans la collecte de tous ces éléments qui étaient déterminants et devaient faire partie du dossier car ils étaient très utiles pour l'examen de l'affaire par le procureur instructeur.



18. Le procureur affirma qu'aucun autre acte d'instruction n'avait eu lieu, à part la perquisition et la saisie des documents effectués dans les locaux du requérant. Compte tenu de l'urgence, l'adoption d'une décision de la chambre d'accusation de la cour d'appel antérieurement ou postérieurement à la perquisition n'était pas nécessaire. Pour le procureur, l'absence du requérant lors de la perquisition n'affectait pas la légalité de celle-ci car la présence d'un procureur et d'un voisin du requérant comme témoin avait été assurée.



19. Le 2 novembre 2012, la chambre d'accusation rejeta le recours comme mal fondé (décision no 2564/2012). Dans sa décision, elle déclara entériner en entier la proposition d'I.D. en invoquant la nécessité d'éviter des répétitions inutiles.



20. Le 6 novembre 2012, le requérant demanda au procureur près la Cour de cassation de se pourvoir dans l'intérêt de la loi contre la décision précitée. Le 7 novembre 2012, le procureur rejeta la demande du requérant. Il écrivit sur le texte même du pourvoi qu'il n'y avait pas lieu de se pourvoir car la décision de la chambre d'accusation était suffisamment motivée et répondait correctement aux questions de fait et de droit soulevés par le requérant.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS



21. Le droit et la pratique internes pertinents en l'espèce figurent dans l'arrêt Modestou c. Grèce (no 51693/13, §§ 16-24, 16 mars 2017).



22. En outre, l'article 49 § 3 du décret no 3026/1954 portant code des avocats, tel qu'il était en vigueur à l'époque des faits, disposait :

« La perquisition au domicile ou au cabinet d'un avocat, en application des articles 253 et suivants du code de procédure pénale, ainsi que les fouilles corporelles et la saisie des documents en sa possession, en application des articles 261 et suivant du même code, sont interdites, lorsque l'avocat est le fondé de pouvoir ou le représentant de l'accusé. »



23. L'article 39 § 1 de la loi no 4194/2013, amendant le code des avocats, prévoit :

Interdiction de perquisition et de saisie

« Il est interdit de procéder à une perquisition pour rechercher de documents ou d'autres éléments de preuve ou de supports électroniques de stockage de ceux-ci, pour la période pendant laquelle ceux-ci se trouvent à la possession de l'avocat et relatifs à une affaire dont il a la charge. »

EN DROIT

I. SUR L'EXCEPTION PRELIMINAIRE DU GOUVERNEMENT



24. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour non-�épuisement des voies de recours internes : lorsqu'il a saisi le procureur près la Cour de cassation, le requérant a omis de soulever ses griefs au regard des articles 6 et 8 de la Convention. Le requérant a invoqué comme unique moyen de cassation le défaut de motivation suffisante (article 139 du code de procédure pénale) alors qu'il aurait dû invoquer la nullité absolue (article 484 du même code) consistant en la violation de ses droits garantis par la Convention.



25. Le requérant soutient que la saisine du procureur près la Cour de cassation ne constitue pas en l'espèce un recours à épuiser.



26. La Cour rappelle que dans le cadre de l'article 35 § 1, un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d'obtenir réparation des violations qu'il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues. La Cour a aussi considéré qu'une voie de recours qui n'est pas directement accessible au requérant et qui dépend pour être exercée du pouvoir discrétionnaire d'un intermédiaire n'est pas un recours effectif au sens de l'article 35 § 1 de la Convention (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, §§ 121-�122, CEDH 2010).



27. La Cour note que pour se pourvoir en cassation contre la décision de la chambre d'accusation, le requérant devait s'adresser au procureur près la Cour de cassation et lui demander de se pourvoir dans l'intérêt de la loi (article 483 du code de procédure pénale). Le code de procédure pénale ne prévoit pas la possibilité pour une partie à la procédure de se pourvoir directement en cassation. Or, le procureur près la Cour de cassation peut rejeter cette demande de manière très succincte, comme il l'a fait en l'espèce (paragraphe 20 ci-dessus). Aucune obligation de motivation particulière ne ressort du droit interne pertinent, puisque la réponse du procureur à la demande de la partie à la procédure n'est pas formulée comme une « ordonnance » au sens des articles 138 et 139 du code de procédure pénale (Gorou c. Grèce (no 2) [GC], no 12686/03, § 40, CEDH 2009).



28. La Cour estime par conséquent que le recours du requérant devant le procureur près la Cour de cassation n'était en tout état de cause pas effectif. Il convient donc de rejeter l'exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement.



29. Constatant que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION



30. Le requérant se plaint des conditions dans lesquelles s'est effectuée la perquisition de son cabinet d'avocat. Il allègue une violation de l'article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-�être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

A. Arguments des parties

1. Le requérant



31. Le requérant se prévaut de la jurisprudence de la Cour en matière de perquisition de domicile et notamment de cabinets d'avocats, ainsi que de l'arrêt Modestou c. Grèce précité (dont il invite la Cour à appliquer les paragraphes 42-54 en l'espèce). Il soutient aussi que, en l'espèce, la méconnaissance selon lui du droit interne par les autorités, le contenu de l'ordre de perquisition et les modalités de réalisation de celle-ci s'analysent en neuf violations de l'article 8 de la Convention, qu'il argumente comme suit :

-� non-respect de certaines dispositions du droit interne, notamment les articles 253 et 262 du code de procédure pénale ;

-� absence de caractère spécifique du mandat qui concernait quinze domiciles ou bureaux ;

-� absence de caractère spécifique du mandat, car il n'était pas motivé et ne précisait pas les chefs d'accusation ;

-� caractère vague et général de l'objet de la perquisition ;

-� déroulement de la perquisition et saisie par la police de tout ce qu'elle a trouvé dans le cabinet ;

-� absence, lors de la perquisition, de témoins ayant des connaissances juridiques ;

-� répercussions de la perquisition sur la réputation du requérant et violation du secret professionnel.

2. le Gouvernement



32. Le Gouvernement soutient que la perquisition ne constituait pas une ingérence dans le droit protégé par l'article 8 car la législation nationale prévoyait cette mesure dans le cadre de l'enquête préliminaire. En outre, la perquisition poursuivait un but légitime consistant en la découverte des éléments de preuve de la participation du requérant à une organisation criminelle et donc la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales.



33. Le Gouvernement soutient aussi que la perquisition a été effectuée non pas dans un cabinet d'avocat mais dans un appartement et ceci pour les raisons suivantes. Le requérant avait sous loué ce cabinet par un autre avocat qui avait soutenu que le contrat de location portait une fausse signature. Il a fait la déclaration requise au barreau de Pirée le 1er mars 2011, soit après la perquisition. Le cabinet était situé à Kallithea qui est un quartier situé hors des limites de la juridiction du barreau de Pirée dont le requérant était membre. Par conséquent, l'application des dispositions du code de procédure pénale relatives à la protection du secret professionnel ne s'appliquaient pas et, compte tenu de l'urgence de la situation, les autorités de police n'avaient pas à rechercher le requérant et à l'informer avant le début de la perquisition. L'interdiction de perquisitionner dans un cabinet d'avocat et de confisquer des documents, énoncée dans le code des avocats, ne vise que les situations dans lesquels l'avocat est le représentant de l'accusé et non celle où l'avocat lui-même est soupçonné d'avoir commis une infraction.



34. Le Gouvernement précise que l'ordre du procureur se référait aux articles 187 (organisation criminelle) du code pénal et 253-259 (investigations) du code de procédure pénale et invitait les autorités de police à procéder à la saisie de tout document ayant un lien avec l'affaire sous investigation. La loi n'exigeait pas une motivation plus détaillée. Le but de ces investigations à un stade si précoce de l'enquête était de rassembler des éléments de preuve inconnus jusqu'alors et qui ne pouvaient pas être visés dans l'ordre susmentionné.



35. Enfin, le Gouvernement soutient que la légalité de la perquisition a été examinée par une chambre d'accusation qui n'avait aucun lien avec l'affaire et non par le procureur qui était chargé de l'enquête préliminaire. Le droit interne grec a établi le principe de « l'indivisibilité du parquet », ce qui signifie que chaque procureur agit comme représentant du parquet, sans considération de la personne qui apparaît derrière chaque mesure d'instruction effectuée. Par ailleurs, le procureur est indépendant tant du pouvoir exécutif que des parties à la procédure. Or, en l'espèce, c'est la chambre d'accusation qui s'est prononcée sur le recours du requérant. Ce faisant, elle s'est fondée sur la proposition du procureur mais n'elle était pas liée par celle-ci.

B. Appréciation de la Cour

1. Principes généraux



36. La Cour rappelle avoir tenu la fouille opérée au cabinet d'un avocat pour une immixtion dans la « vie privée » et la « correspondance » et, éventuellement, le domicile, au sens plus large qu'implique le terme français par rapport au texte anglais qui emploie le terme « home » (Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, §§ 29-33, série A no 251-B ; Tamosius c. Royaume-Uni (déc.), no 62002/00, CEDH 2002-VIII ; Wieser et Bicos Beteiligungen GmbH c. Autriche, no 74336/01, § 42, CEDH 2007 ; Iliya Stefanov c. Bulgarie, no 65755/01/01, § 34, 22 mai 2008 ; voir aussi Sallinen et autres c. Finlande, no 50882/99, § 71, 27 septembre 2005, qui confirme que la fouille des locaux professionnels d'un avocat porte également atteinte à son droit au respect de son « domicile »).



37. S'agissant en particulier des visites domiciliaires et des saisies, la Cour relève que, dans des affaires comparables, elle a recherché si la législation et la pratique internes offraient des garanties adéquates et suffisantes contre les abus et l'arbitraire (voir, entre autres, Miailhe c. France (no 1), 25 février 1993, § 37, série A no 256-�C, Funke c. France, 25 février 1993, § 56, série A no 256-�A, Crémieux c. France, 25 février 1993, § 39, série A no 256-�B, Société Colas Est et autres, précité, § 48, Wieser et Bicos Beteiligungen GmbH, précité, § 57, et Robathin, précité, § 44). La Cour note également que figure parmi ces garanties l'existence d'un « contrôle efficace » des mesures attentatoires à l'article 8 de la Convention (Lambert c. France, 24 août 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998-�V).



38. La Cour réitère que les poursuites contre les membres des professions juridiques touchent au cœur même du système de la Convention (Elçi et autres c. Turquie, no 23145/93 et 25091/94, § 669, 13 novembre 2003). Tout empiètement sur le secret professionnel peut se répercuter sur la bonne administration de la justice et, partant, sur les droits garantis par l'article 6 (Niemietz, précité, § 37). Par conséquent les fouilles des locaux des avocats doivent faire l'objet d'un examen très strict.



39. La Cout doit d'abord examiner la façon dont la perquisition a été menée. Elle doit aussi examiner si d'observateurs indépendants étaient présents lors de la fouille et ont participé de manière effective à celle-ci afin d'assurer que des documents couverts par le secret professionnel ne soient enlevés. La Cour doit enfin prendre en considération l'étendue des répercussions possibles sur le travail et la réputation de la personne visée par la perquisition (Camenzind c. Suisse, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-�VIII, § 45 ; Buck c. Allemagne, no 41604/98, § 45, CEDH 2005-�IV; Smirnov c. Russie, no 71362/01, § 44, CEDH 2007 ; Wieser and Bicos Beteiligungen GmbH, précité, § 57 ; Iliya Stefanov, précité, § 38 ; Aleksanyan c. Russie, no 46468/06, § 214, 22 décembre 2008 ; Kolesnichenko c. Russie, no 19856/04, § 31, 9 avril 2009 ; Golovan c. Ukraine, n o41716/06 , § 62, 5 juillet 2012).



40. Plus particulièrement, en ce qui concerne la présence d'observateurs indépendants lors de la fouille d'un cabinet d'avocat, la Cour a considéré qu'un tel observateur doit de surcroît avoir des qualifications juridiques afin de participer effectivement à la procédure et être investi du pouvoir d'empêcher toute ingérence éventuelle au secret professionnel de l'avocat dont le cabinet fait l'objet de la fouille (Golovan, précité, § 63, et la jurisprudence citée).

2. Application des principes en l'espèce



41. La Cour tient d'emblée pour établi que la perquisition litigieuse a eu lieu dans le local professionnel du requérant, les exigences plus strictes de la jurisprudence de la Cour relatives aux perquisitions dans les cabinets d'avocats devant donc s'appliquer en l'espèce. À cet égard, la Cour note que le mandat de perquisition du 23 septembre 2010 indiquait comme adresse du requérant celle où celui-ci venait de louer des bureaux, le 19 juillet 2010, pour les utiliser comme son cabinet, utilisation expressément mentionnée dans le contrat de location qui était déposé auprès des autorités fiscales. Par ailleurs, une plaque portant l'indication « cabinet d'avocat de Petros Leotsakos » était fixée sur la porte du cabinet (paragraphe 6 ci-dessus). Le fait mentionné par le procureur dans sa proposition à la chambre d'accusation que le requérant disposait d'autres adresses professionnelles ne pouvait être connu des policiers à la date de la perquisition, car, comme l'admettait le procureur dans sa proposition, ces adresses seraient indiquées dans les documents saisis lors de la perquisition (paragraphe 16 ci-dessus). Enfin, il convient d'admettre que le domicile privé du requérant était bien distinct du domicile professionnel ainsi qu'il ressort du fait que le premier a aussi fait l'objet d'une autre perquisition par la police (paragraphe 11 cidessus).



42. À cet égard, la Cour rappelle que dès lors que les perquisitions ou les visites domiciliaires visent le domicile ou le cabinet d'un avocat exerçant régulièrement sa profession, à titre principal en qualité d'avocat inscrit à un barreau, elles doivent impérativement être assorties de « garanties spéciales de procédure » (Xavier Da Silveira c. France, no 43757/05, § 41, 21 janvier 2010, et la jurisprudence citée). Or, en l'espèce, la qualité d'avocat du requérant était connue des autorités.



43. La Cour estime que la fouille et la saisie de documents et d'ordinateurs, y compris de données électroniques, appartenant au requérant s'analysent en une ingérence dans le droit de celui-ci au respect de son « domicile » et de sa « correspondance » au sens de l'article 8 (Niemietz, précité, § 32, en ce qui concerne la correspondance se trouvant au cabinet d'un avocat, et Sallinen et autres, précité, § 71, en ce qui concerne la saisie des disquettes informatiques d'un avocat). Pareille ingérence enfreint l'article 8, sauf si elle satisfait aux conditions du paragraphe 2 de cette disposition : elle doit être prévue par la loi, poursuivre un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique.



44. La Cour estime d'emblée que l'ingérence litigieuse était « prévue par la loi ». Compte tenu de la similitude de la situation avec celle dans l'arrêt Modestou précitée, la Cour renvoie à son analyse sur ce point aux paragraphes pertinents de cet arrêt (§§ 33-38).



45. La Cour observe par ailleurs que la perquisition et la saisie opérées en l'espèce ont été ordonnées dans le cadre d'une procédure pénale ouverte pour constater la commission par une organisation criminelle de plusieurs infractions de nature criminelle. Elles poursuivaient donc un but légitime, celui de la prévention des infractions pénales.



46. Pour déterminer si ces mesures étaient « nécessaires dans une société démocratique », la Cour doit examiner si la législation et la pratique internes offraient des garanties adéquates et suffisantes contre les abus et l'arbitraire et comment ces garanties ont joué en l'espèce.



47. La Cour note d'abord que la perquisition litigieuse a été effectuée en application du même mandat que celui que la Cour a eu à examiner dans l'arrêt Modestou précité.



48. Dans cet arrêt, la Cour a souligné qu'une perquisition effectuée au stade de l'enquête préliminaire doit s'entourer des garanties adéquates et suffisantes afin d'éviter qu'elle ne serve à fournir aux autorités de police des éléments compromettants sur des personnes qui n'ont pas encore été identifiées comme étant suspectes d'avoir commis une infraction (ibid. § 44).



49. Le mandat de perquisition du procureur était rédigé dans des termes généraux (paragraphe 8 ci-dessus et paragraphe 46 de l'arrêt Modestou précité). Dans de tels cas, et en particulier, comme en l'espèce, lorsque la législation nationale ne prévoit pas de contrôle judiciaire ex ante factum sur la légalité et la nécessité de cette mesure d'instruction, il devrait exister d'autres garanties, notamment sur le plan de l'exécution du mandat, de nature à contrebalancer les imperfections liées à l'émission et au contenu du mandat de perquisition. La législation interne grecque ne prévoit pas un tel contrôle ex ante (ibid. § 48).



50. En premier lieu, la perquisition opérée en l'espèce s'est accompagnée de certaines garanties de procédure. Elle a ainsi été ordonnée par le procureur près la cour d'appel, qui a émis un mandat de perquisition et a délégué cette tâche à la Direction de la police. En plus, la perquisition litigieuse a été menée par un officier de police accompagné d'un procureur adjoint.



51. Toutefois, la Cour constate que le requérant n'était présent à aucun moment de la perquisition, laquelle s'est étalée sur douze jours (du 24 septembre au 4 octobre 2010). Le dossier ne permet pas de savoir si les enquêteurs ont tenté d'informer le requérant de leur présence ou de leur action, alors que le code de procédure pénale fait obligation à celui qui mène la perquisition d'inviter l'occupant des lieux à être présent. À supposer même que les autorités aient voulu obtenir un effet de surprise en évitant de prévenir à l'avance le requérant, rien ne les empêchait, afin de se conformer à la loi, de chercher à prendre contact avec lui au cours de la période pendant laquelle la perquisition en question s'est déroulée.



52. Les autorités confisquèrent des ordinateurs et des centaines de documents - dont des dossiers des clients relatifs à des procédures judiciaires et des documents de nature fiscale -�, qui furent énumérés dans douze rapports de saisie d'un total de 372 pages. La présence d'une voisine, en tant que témoin indépendant, ne saurait être considérée comme une garantie suffisante car celle-ci n'avait pas de connaissances juridiques et était incapable de repérer des documents qui concernaient des affaires de clients du requérant et qui étaient couverts par le secret professionnel.



53. Enfin, la Cour réitère qu'il n'existait pas de contrôle judiciaire ex post factum immédiat (Modestou, précité, § 52). En effet, la perquisition a abouti à la saisie d'ordinateurs et de centaines de documents dont il n'a jamais été élucidé si tous avaient un rapport direct avec l'infraction sous examen.



54. La chambre d'accusation de la cour d'appel, saisie par le requérant, après avoir conclu que la perquisition avait eu lieu dans un local qui ne pouvait pas être assimilé à un cabinet d'avocat, a consacré la plus grande partie de sa décision à la question de savoir s'il était possible de procéder à une perquisition et à une saisie dans le cadre d'une enquête préliminaire. Elle ne s'est pas prononcée sur la manière dont le mandat de perquisition était rédigée ni sur la question de savoir si la saisie de tous les documents et de tous les ordinateurs du requérant était nécessaires pour l'enquête des infractions dont il s'agissait. Par ailleurs, la Cour note que la totalité des objets saisis se trouve depuis la date de la saisie aux mains des autorités et que le requérant n'a toujours pas accès à ceux-ci.



55. Par ailleurs, la Cour note qu'en l'espèce, une seule et même personne, le procureur I.D., a mené l'enquête préliminaire à l'encontre du requérant et a émis le mandat de perquisition et de saisie à l'encontre de celui-ci. Par la suite, lorsque le requérant a contesté la légalité de ces mesures devant la chambre d'accusation, le même procureur a été chargé du dossier et a fait une proposition à la chambre d'accusation, laquelle l'a entérinée de manière laconique en souscrivant à toutes les conclusions du procureur.



56. Il ne fait pas de doute qu'aux yeux du requérant, le fait que la personne qui a commis, selon ce dernier, une illégalité soit la même que celle qui donne une opinion sur le bien-fondé de cette même illégalité alléguée, peut apparaître problématique du point de vue de l'équité de la procédure engagée. Cela d'autant plus que le procureur fait sa proposition à la chambre d'accusation et que celle-ci décide sans entendre l'intéressé, ce qui n'est pas prévu par le droit interne.



57. Dans ces conditions, la Cour conclut que les défauts de la procédure suivie en l'espèce étaient tels que la fouille et la saisie effectuées dans le cabinet d'avocat du requérant ne peuvent pas être considérées comme raisonnablement proportionnées à la poursuite des buts légitimes visés compte tenu de l'intérêt de la société démocratique à assurer le respect du domicile.



58. Il y a donc eu violation de l'article 8 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION



59. Le requérant se plaint aussi que le procureur qui a émis le mandat de perquisition s'est aussi prononcé sur le recours contestant la légalité de la perquisition. Il allègue à cet égard une violation du principe de l'égalité des armes, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention, dont le passage pertinent se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale (...) »



60. Eu égard à ses conclusions aux paragraphes 57-58 ci-dessus, la Cour n'estime pas nécessaire d'examiner le grief du requérant tiré de l'article 6 § 1 de la Convention.

IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION



61. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage



62. Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'il estime avoir subi.



63. Le Gouvernement soutient qu'un constat de violation constituerait une satisfaction suffisante en l'espèce. En outre, le montant réclamé par le requérant serait excessif et injustifié eu égard à la jurisprudence de la Cour.



64. La Cour considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 2 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens



65. Le requérant demande également 2 034 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.



66. Le Gouvernement estime que le montant réclamé est excessif.



67. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, compte tenu des documents dont elle dispose, notamment les factures présentées par l'avocat du requérant, et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme réclamée et l'accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires



68. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

 

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ;

 

3. Dit qu'il ne s'impose pas de statuer sur le grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention ;

 

4. Dit

a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;

ii. 2 034 EUR (deux mille trente-quatre euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d'impôt, pour frais et dépens ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 octobre 2018, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Abel CamposKristina Pardalos
GreffierPrésidente