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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ALGUL AND OTHERS v. TURKEY - 59864/12 (Judgment : Article 2 - Right to life : Second Section) French Text [2019] ECHR 113 (05 February 2019) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/113.html Cite as: CE:ECHR:2019:0205JUD005986412, ECLI:CE:ECHR:2019:0205JUD005986412, [2019] ECHR 113 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ALGÜL ET AUTRES c. TURQUIE
(Requête n o 59864/12)
ARRÊT
STRASBOURG
5 février 2019
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Algül et autres c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Robert Spano,
président,
Paul Lemmens,
Işıl Karakaş,
Valeriu Griţco,
Jon Fridrik Kjølbro,
Ivana Jelić,
Darian Pavli,
juges,
et de Hasan Bakırcı,
greffier adjoint de section
,
PROCÉDURE
1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (n o 59864/12) dirigée contre la République de Turquie et dont sept ressortissants de cet État, MM. İlyas Algül, Cebrail Algül, Cem Algül, Mikail Algül et M mes Zülal Algül, Zeynep Avcı et Ayşe Çiçek (« les requérants »), ont saisi la Cour le 16 juillet 2012 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). 2. Les requérants ont été représentés par M es M. Görgeç et A. Görgeç, avocats exerçant à Malatya. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent. 3. Les requérants alléguaient en particulier que le décès d'Erol Algül avait emporté violation du volet procédural de l'article 2 de la Convention. 4. Le 16 janvier 2017, la requête a été communiquée au Gouvernement.EN FAIT
5. Les requérants sont nés respectivement en 1959, en 1994, en 1996, en 1987, en 1964, en 1984 et en 1988 et résident à Malatya. 6. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. 7. Le 28 septembre 2005, vers 19 h 15, le proche des requérants, Erol Algül, qui effectuait son service militaire obligatoire à Şanlıurfa, fut retrouvé blessé sous les décombres du poste de garde qui s'était effondré sur lui alors qu'il montait la garde. 8. Il succomba à ses blessures à l'hôpital public de Şanlıurfa. 9. Le parquet militaire fut immédiatement informé des événements et une enquête pénale fut ouverte d'office.A. Les mesures d'instruction
10. Le procès-verbal du constat effectué sur les lieux indique qu'il manquait deux morceaux de bois dans la structure du poste de garde et que celui-ci s'était complètement effondré. 11. Les deux soldats qui avaient découvert Erol Algül, O.K. et M.R., déclarèrent que celui-ci se trouvait sous les décombres du poste de garde qui s'était effondré et qu'ils l'avaient aidé à en sortir. 12. Huit autres soldats furent également entendus. Ils déclarèrent qu'Erol Algül avait des difficultés financières et d'autres soucis personnels, qu'il avait dit à plusieurs reprises qu'il en avait assez de faire son service militaire, qu'il s'ennuyait et qu'il voulait rentrer chez lui. Ils ajoutèrent que l'intéressé avait aussi dit qu'il allait soit déserter, soit se suicider, soit demander un congé pour se changer les idées mais que, de toute façon, il ne continuerait pas son service militaire. 13. Les soldats S.A., Ş.Ö., H.A., Z.B. indiquèrent avoir vu deux soldats non loin du lieu des événements vers 19 h 30 mais qu'ils n'avaient pas été en mesure de les identifier parce qu'il faisait nuit. Ces deux soldats ne purent être identifiés lors de l'instruction. 14. À son arrivée à l'hôpital, le procureur militaire fit pratiquer, sous sa supervision, un examen externe et une autopsie de la dépouille. Le médecin légiste fit les constatations suivantes :« Le corps mesure 1,73 mètre ; il ne présente aucune blessure causée par un objet tranchant ou une arme à feu ; il n'y a aucune lésion au niveau de la tête ; il n'y a pas de lésion traumatique au niveau du thorax ni des poumons ; il y a une zone ecchymotique et une érosion de 10 x 15 centimètres au niveau de l'abdomen et une zone ecchymotique et une érosion de 5 x 4 centimètres au niveau du dos ; la paroi thoracique et l'abdomen sont remplis de sang (environ 200 millilitres) ; il y a une déchirure sur la partie gauche du cou et une autre avec un hématome de 2 centimètres sur le mésocôlon ; il y a une ecchymose et une éraflure superficielle de 1 x 2 centimètres sur le gland du pénis. Le décès a été causé par un traumatisme thoracique et abdominal ayant provoqué une hémorragie interne. »
15. Le procureur militaire saisit la direction régionale de la météorologie nationale de Şanlıurfa afin de s'informer de la vitesse du vent le 28 septembre 2005 entre 17 h 00 et 19 h 30. Il apprit que, dans la tranche horaire concernée, la vitesse du vent n'avait pas dépassé 33 km/h ce jour-là. 16. Selon un rapport administratif du 1 er octobre 2005, il était impossible que le poste de garde se fût écroulé tout seul. 17. D'après un rapport administratif du 13 octobre 2005, le poste de garde avait été déplacé de son emplacement d'origine à l'aide d'un morceau de bois qui aurait fait partie de sa structure. 18. Une expertise fut ordonnée par le procureur militaire pour connaître les circonstances de l'effondrement du poste de garde en cause. Dans leur rapport, les deux experts, ingénieurs en bâtiment, exposèrent notamment ce qui suit :« Il n'y a pas de trace de choc extérieur sur la structure du poste de garde militaire. Le vent était faible et il n'y a eu aucune secousse sismique dans la région le jour de l'incident. Le poste de garde pesait 440 kilogrammes. Deux morceaux de bois, l'un mesurant 2 x 12 x 25 centimètres et l'autre 4 x 6,5 x 87 centimètres, ont été trouvés près du poste de garde. Ils sont apparemment identiques aux matériaux utilisés dans la construction du poste de garde et ils sont en tout cas recouverts de la même peinture. Ils ont probablement servi de levier pour faire basculer le poste de garde qui a bougé de 40 centimètres par rapport à son emplacement d'origine. Une personne seule aurait pu le faire mais il est plus probable que ceci a été fait par plusieurs personnes qui ont d'abord déséquilibré la structure à l'aide d'un levier, puis l'ont poussée et enfin l'ont fait tomber à terre. Selon les informations fournies par l'administration, le poste de garde avait été placé sur un sol en béton à l'aide d'un engin et n'avait pas fait l'objet de travaux par la suite. Il n'y avait pas d'ancrage entre le béton et la structure du poste de garde militaire. S'il y avait eu un ancrage entre les deux, il aurait été beaucoup plus difficile de faire tomber [la structure] à terre. »
19. Une autre expertise fut ordonnée par le procureur militaire auprès d'un médecin spécialiste en pathologie afin de déterminer si les blessures constatées sur le corps d'Erol Algül étaient cohérentes avec un écroulement du poste de garde sur l'intéressé pendant qu'il montait la garde à l'intérieur. Les passages pertinents en l'espèce de ce rapport d'expertise se lisent comme suit :« Les traces d'ecchymose et d'éraflure relevées sur le pénis du défunt étaient certainement liées au fait qu'il était resté coincé sous les décombres à la suite de l'effondrement du poste de garde.
En ce qui concerne la présence de sang dans la paroi thoracique et dans l'abdomen, celle-ci était probablement liée à la grande pression subie par l'abdomen qui avait poussé le diaphragme vers le haut, ce qui avait causé une diminution du volume des poumons, laquelle avait elle-même entraîné une hémorragie interne. À cet égard, il convient d'observer que les côtes n'étaient pas cassées et que les poumons ne présentaient pas de lésion.
S'agissant de la déchirure au niveau du mésocôlon, elle pouvait avoir été causée par un choc violent. Il est également à noter que le poste de garde pesait environ 450 kilogrammes et que les témoins ont affirmé qu'Erol Algül était sorti des décombres en rampant. Il est probable que la déchirure avait été causée à ce moment-là sous l'effet de la pression du poste de garde sur son corps.
Compte tenu de l'ensemble des éléments du dossier, j'estime que le poste de garde ne s'est pas écroulé d'un seul coup.
Cela dit, à supposer que l'on accepte cette thèse, il convient de faire les observations suivantes :
1) le corps du défunt aurait dû présenter des éraflures, des ecchymoses, des saignements et des déchirures beaucoup plus prononcés ;
2) ces lésions auraient d'abord dû être causées à la partie supérieure du corps puis aux parties inférieures ;
3) des déchirures et des saignements musculaires marqués auraient dû être observés ;
4) des fractures des os déplacées et non déplacées auraient dû être constatées ;
5) des lésions visibles du foie, de la rate et des autres organes internes auraient dû être présentes ;
6) des traces de traumatisme au niveau de la tête auraient dû être observées.
Les circonstances de la cause font donc plutôt penser que l'effondrement du poste de garde militaire sur l'intéressé a été provoqué de manière intentionnelle et progressive.
Le rapport d'autopsie indique la présence de sang dans l'abdomen. Il faut comprendre qu'il y avait 1,5 litre de sang dans cette partie du corps. Une telle quantité est potentiellement mortelle. Le temps nécessaire pour que l'abdomen se remplisse d'autant de sang est en moyenne de vingt à trente minutes. D'ailleurs, les déclarations des témoins selon lesquelles Erol Algül était conscient mais avait eu un léger malaise en sortant des décombres, avait ensuite perdu connaissance dans l'ambulance et était décédé à son arrivée à l'hôpital confortent cette hypothèse.
La déchirure du mésocôlon démontre que les 450 kilogrammes du poste de garde avaient créé une compression sur le corps de l'appelé. Il n'y a pas d'éléments permettant de dire que [celui-ci] a reçu ce poids de face. Les lésions démontrent que l'appelé a reçu ce poids directement sur le dos. »
B. La compétence du parquet militaire
20. Le 31 octobre 2008, le parquet militaire de Diyarbakır (« le parquet militaire ») se déclara incompétent et transmit, le 3 novembre 2008, le dossier de l'enquête pénale au procureur de la République de Şanlıurfa. 21. Le 10 février 2009, le procureur de la République de Şanlıurfa se déclara également incompétent et renvoya le dossier au parquet militaire. 22. Le 6 mai 2009, le parquet militaire se déclara de nouveau incompétent et renvoya le dossier au procureur de la République de Şanlıurfa. 23. Les requérants s'opposèrent à cette décision auprès du tribunal militaire de Diyarbakır (« le tribunal militaire »). 24. À une date non précisée, mais postérieure à 2009, leur opposition fut accueillie et le parquet militaire fut finalement désigné comme étant l'organe juridiquement compétent pour instruire l'affaire.C. L'ordonnance de non-lieu
25. Le 2 juillet 2012, le procureur militaire de Diyarbakır (« le procureur militaire ») rendit une ordonnance de non-lieu au motif que l'enquête pénale n'avait pas permis de déterminer qui était responsable des événements en cause. 26. Les requérants formèrent opposition contre cette ordonnance de non-lieu, alléguant que plusieurs zones d'ombre subsistaient quant aux circonstances du décès d'Erol Algül. 27. Le 17 août 2012, le tribunal militaire fit droit à l'opposition des requérants et ordonna au parquet de procéder à un complément d'instruction. Il estima notamment qu'il fallait établir les circonstances des événements et déterminer s'il s'agissait ou non d'un accident. 28. Le 6 août 2015, le procureur militaire mit un terme aux investigations et renvoya, le 7 août 2015, le dossier au tribunal militaire, accompagné d'un rapport relatif au complément d'instruction demandé dans lequel il présentait les mesures prises et répondait aux insuffisances relevées par ledit tribunal. 29. À la lumière de l'ensemble des éléments recueillis, le procureur militaire parvint aux conclusions suivantes : - Erol Algül avait probablement fait basculer le poste de garde sur lui de manière intentionnelle avec l'aide d'un camarade ; - l'intéressé avait agi de la sorte dans l'intention de se blesser et de terminer plus rapidement son service militaire ; - l'appelé O.K. avait été suspecté mais l'instruction avait permis d'acquérir la certitude qu'il ne connaissait pas Erol Algül et qu'il n'y avait donc aucun élément dans le dossier justifiant sa mise en examen. 30. Le 13 août 2015, le tribunal militaire rejeta l'opposition des requérants.D. Le recours en indemnisation devant la Haute Cour administrative militaire
31. Le 1 er juillet 2014, les requérants, par l'intermédiaire de leur avocat, formèrent un recours de plein contentieux devant la Haute Cour administrative militaire tendant à l'obtention d'une indemnité pécuniaire en raison du décès de leur proche Erol Algül. 32. Cette procédure demeure pendante devant les juridictions nationales.EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 2 DE LA CONVENTION
33. Les requérants allèguent que les circonstances de la cause ont emporté violation de l'article 2 de la Convention sous son volet procédural et de l'article 13 de la Convention. 34. Le Gouvernement combat cette thèse. 35. La Cour rappelle que, en vertu du principe jura novit curia , elle n'est pas tenue par les moyens de droit avancés par les requérants en vertu de la Convention et de ses Protocoles, et elle peut décider de la qualification juridique à donner aux faits d'un grief en examinant celui-ci sur le terrain d'articles ou de dispositions de la Convention autres que ceux invoqués par les requérants ( Radomilja et autres c. Croatie [GC], n os 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018). En l'espèce, elle estime qu'il convient d'examiner les griefs des requérants sous l'angle du seul article 2 de la Convention.36. L'article 2 de la Convention est ainsi libellé en sa partie pertinente en l'espèce :
« Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. »
A. Sur la recevabilité
37. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il indique à cet égard que la procédure est pendante devant les juridictions nationales et que les requérants ont désormais la possibilité d'introduire un recours individuel devant la Cour constitutionnelle. 38. S'agissant du recours individuel devant la Cour Constitutionnelle, la Cour rappelle que le respect de la condition d'épuisement des voies de recours internes s'apprécie en règle générale à la date d'introduction de la requête devant elle ( Valada Matos das Neves c. Portugal , n o 73798/13, § 102, 29 octobre 2015) et note que, en l'espèce, la requête a été introduite le 16 juillet 2012, c'est-à-dire avant le 23 septembre 2012, date de l'instauration du recours individuel devant la Cour constitutionnelle. 39. La Cour ne distingue en l'occurrence aucune circonstance justifiant qu'elle adopte une autre approche. 40. En outre, elle rappelle avoir déjà rejeté une exception similaire dans une affaire où, comme en l'espèce, la procédure était encore pendante devant les juridictions nationales à la date d'instauration du recours susmentionné ( Öztünç c. Turquie , n o 14777/08, §§ 50-61, 9 février 2016, et Nihat Soylu c. Turquie , n o 48532/11, 11 décembre 2018). 41. Par conséquent, elle rejette cette branche de l'exception du Gouvernement. 42. En ce qui concerne la procédure en indemnisation devant les juridictions de fond, l'exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement est étroitement liée à la substance des griefs des requérants tirés de l'article 2 de la Convention et qu'elle doit donc être jointe au fond. La Cour relève en outre que ces griefs ne se heurtent à aucun autre motif d'irrecevabilité. Elle les déclare donc recevables.B. Sur le fond
43. Les requérants se plaignent que les circonstances dans lesquelles s'est produit le décès de leur proche n'ont pas été clairement élucidées. 44. Le Gouvernement combat la thèse des requérants, soutenant qu'elle est dénuée de tout fondement. Il indique que l'enquête pénale a permis de déterminer la cause du décès d'Erol Algül. Il estime que les circonstances de l'espèce ne révèlent aucun manquement de la part des autorités à l'obligation procédurale que fait peser sur elles l'article 2 de la Convention. 45. Les requérants n'ont pas répondu aux observations du Gouvernement dans le délai qui leur était imparti. 46. La Cour rappelle que les requêtes dont elle a été saisie dans le domaine du service militaire obligatoire avaient trait à des événements qui étaient souvent survenus dans une zone placée sous le contrôle exclusif des autorités ou des agents de l'État ou bien dans des locaux plus ou moins inaccessibles au public, où les protagonistes étaient réputés être les seuls susceptibles, d'une part, de connaître le déroulement exact des faits et, d'autre part, d'avoir accès aux informations propres à confirmer ou à réfuter les allégations formulées à leur endroit par les victimes ; aussi la jurisprudence de la Cour en la matière commande-t-elle, dans des situations déterminées, une application rigoureuse de l'obligation de mener une enquête officielle, de nature pénale, répondant aux critères minimums d'effectivité ( Mustafa Tunç et Fecire Tunç c. Turquie , n o 24014/05, §§ 169-182, 25 juin 2013). 47. Pareille obligation s'impose notamment si le décès d'un appelé paraît objectivement « suspect ». C'est le cas lorsque la thèse de l'homicide est, eu égard aux faits, au moins défendable, ou qu'il n'est pas établi d'emblée et de manière claire que la mort a résulté d'un accident ou d'un autre acte involontaire ( Mustafa Tunç et Fecire Tunç , précité, §§ 130-133). 48. La Cour estime que, dans les circonstances de l'espèce, une enquête officielle, de nature pénale, répondant aux critères minimums d'effectivité s'imposait. 49. Il convient d'observer en premier lieu que l'incident ayant conduit au décès d'Erol Algül lors de l'accomplissement de son service militaire obligatoire a eu lieu le 28 septembre 2005, que le parquet militaire a été immédiatement prévenu et que les premières mesures d'enquête ont été prises rapidement. Cependant, la Cour constate que le parquet militaire n'a pris aucune décision, qu'il s'est déclaré incompétent plus de trois ans après les faits et qu'il a envoyé le dossier au parquet de Şanlıurfa. Elle note que le parquet de Şanlıurfa a également estimé qu'il n'était pas compétent pour instruire l'affaire et que cette situation a duré jusqu'en 2009, date à laquelle le parquet militaire a finalement été désigné comme étant l'organe juridiquement compétent pour instruire l'affaire (paragraphe 24 ci-dessus). Elle relève que les autorités nationales judiciaires ont donc mis environ quatre ans pour prendre une décision sur la question de leur compétence. Le 2 juillet 2012, soit presque sept ans après le décès du proche des requérants, le parquet militaire a clôturé les investigations et a rendu une ordonnance de non-lieu. Le 17 août 2012, faisant droit aux contestations des requérants, le tribunal militaire a ordonné un complément d'instruction. Le parquet a rendu son rapport le 7 août 2015, après avoir effectué les actes complémentaires d'instruction. Le 13 août 2015, le tribunal militaire a rejeté l'opposition des requérants (paragraphe 30 ci-dessus). L'enquête pénale a donc duré près de dix ans. Or la Cour rappelle que, s'il peut arriver que des obstacles ou des difficultés empêchent une enquête de progresser dans une situation particulière, il reste que la prompte réaction des autorités est capitale pour maintenir la confiance du public et son adhésion à l'état de droit, et pour prévenir toute apparence de tolérance d'actes illégaux ou de collusion dans leur perpétration ( Šilih c. Slovénie [GC], n o 71463/01, § 196, 9 avril 2009). En l'occurrence, la Cour ne peut que constater que les investigations en cause n'ont pas été menées avec la célérité requise et que la durée de la procédure pénale ne satisfait aucunement à l'exigence d'un examen prompt et sans retard inutile de l'affaire. 50. Il convient d'observer en second lieu que ce retard a eu des conséquences préjudiciables pour l'effectivité de l'enquête. En effet, lorsque, le 17 août 2012, le tribunal militaire a ordonné un complément d'instruction, un délai de presque sept ans s'était écoulé depuis la survenance des faits. Il était par conséquent pratiquement impossible de combler les insuffisances relevées par le tribunal militaire. Les autorités n'étaient donc plus en mesure de rectifier d'éventuelles erreurs. 51. La Cour relève également que, dans le cadre du recours en indemnisation intenté par les requérants devant la Haute Cour administrative militaire, la question s'est posée de savoir si les autorités militaires avaient une responsabilité dans le décès d'Erol Algül. Cette question n'a toujours pas trouvé de réponse car cette procédure est pendante devant les tribunaux internes depuis plus de quatre ans. Il n'apparaît pas, eu égard aux éléments du dossier, qu'une telle durée soit justifiée par les circonstances de la cause. À cet égard, la Cour rappelle qu'il appartient à l'État d'agencer son système judiciaire de manière à permettre à ses tribunaux de répondre aux exigences de la Convention, notamment celles consacrées par les obligations découlant de son article 2 de la Convention. 52. Ces éléments suffisent en eux-mêmes pour permettre à la Cour de conclure que les procédures menées en droit interne ont été défaillantes. Les autorités nationales n'ont pas traité la cause des requérants liée au décès de leur proche avec le niveau de diligence requis par l'article 2 de la Convention. En conséquence, la Cour rejette l'exception préliminaire du Gouvernement relative au non-épuisement des voies de recours internes et conclut à la violation de cette disposition sous son volet procédural.II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
53. Aux termes de l'article 41 de la Convention,« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
54. Les requérants n'ont présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Rejette l'exception de non-épuisement des voies de recours internes devant la Cour Constitutionnelle ;
2. Joint au fond l'exception de non-épuisement des voies de recours internes devant les juridictions de fond, et la rejette ;
3. Déclare la requête recevable ;
4. Dit qu'il y a eu violation du volet procédural de l'article 2 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 février 2019, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Hasan Bakırcı
Robert Spano
Greffier adjoint
Président