GUIMON v. FRANCE - 48798/14 (Judgment : No Article 8 - Right to respect for private and family life : Fifth Section) French Text [2019] ECHR 291 (11 April 2019)


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European Court of Human Rights


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/291.html
Cite as: CE:ECHR:2019:0411JUD004879814, [2019] ECHR 291, ECLI:CE:ECHR:2019:0411JUD004879814

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CINQUIÈME SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE GUIMON c. FRANCE

 

(Requête n o 48798/14)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

 

STRASBOURG

 

11 avril 2019

 

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Guimon c. France,

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
André Potocki,
Síofra O'Leary,
Mārtiņš Mits,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Lәtif Hüseynov,
Lado Chanturia, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section ,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 mars 2019,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (n o 48798/14) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet État, M me Laurence Guimon (« la requérante »), a saisi la Cour le 2 juillet 2014 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par M e M. P. Basurco, avocat exerçant à Saint-Jean-de-Luz. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.

3. La requérante, qui était détenue, allègue que le rejet par les autorités judiciaires de sa demande visant à obtenir une autorisation de sortir sous escorte pour se rendre au funérarium, afin de se recueillir sur la dépouille de son père, porte atteinte à ses droits garantis par l'article 8 de la Convention.

4. Le 18 octobre 2017, la requête a été notifiée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. La requérante est née en 1969.

6. À l'époque des faits, elle était détenue au centre pénitentiaire de Rennes. Depuis le 1 er mars 2016, elle bénéficie d'une mesure de libération conditionnelle.

7. Le 24 janvier 2003, la requérante fut placée en détention provisoire dans le cadre de plusieurs procédures pénales.

8. Par la suite, elle fut condamnée à trois reprises, principalement pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, recel de biens obtenus par extorsion en bande organisée, détention et transport d'armes, de substance ou engin explosif, détention et usage de faux documents administratifs, en relation avec une entreprise terroriste.

9. Elle fut condamnée le 26 avril 2006 par le tribunal correctionnel de Paris à huit ans d'emprisonnement ainsi que, le 29 novembre 2006 par la cour d'assises de Paris spécialement composée, à dix-sept ans de réclusion criminelle assortis d'une période de sûreté des deux tiers, et le 17 décembre 2008 par la même cour d'assises, à dix-sept ans de réclusion criminelle, la dernière condamnation se confondant avec la précédente.

10. Par un arrêt du 21 juin 2011, le président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris ordonna la confusion partielle, à hauteur de cinq ans, de la peine d'emprisonnement de huit ans avec la peine de réclusion criminelle de dix-sept ans prononcée par l'arrêt de la cour d'assises du 29 novembre 2006.

11. Le 21 janvier 2014, l'avocat de la requérante déposa auprès du vice-président chargé de l'application des peines, compétent en matière de terrorisme auprès du tribunal de grande instance de Paris, une demande de sortie sous escorte, pour que la requérante puisse se rendre au chevet de son père, décédé le même jour dans une clinique de Bayonne. Il exposait que depuis le transfert, en 2009, de la requérante à Roanne, puis à Rennes, son père n'avait pu lui rendre visite, en raison de ses problèmes de santé. Il ajoutait que la requérante était très attachée à son père et qu'il était primordial pour elle de pouvoir se recueillir une dernière fois auprès de lui, en présence de sa mère, sa sœur, sa fille et son frère.

12. Par un courrier du même jour, l'avocat de la requérante précisa que celle-ci était atteinte de la maladie de Crohn, maladie inflammatoire intestinale et chronique, qui nécessitait de se rendre régulièrement aux toilettes. Il joignait un document des services funéraires, selon lequel la mise en bière était fixée au 22 janvier et les obsèques au lundi 27 janvier 2014.

13. Le 22 janvier 2014, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris émit un avis défavorable à la demande de la requérante. Il considéra notamment que :

« (...) les condamnations multiples de [la requérante] ne favorisent pas cette permission de sortir sous escorte qui doit être renforcée. Par ailleurs, au regard du milieu familial, le frère, la sœur de l'intéressée qui évoluent dans la mouvance basque, un risque d'évasion n'est pas à exclure, et ce malgré les circonstances à savoir le décès du père. »

14. Par une ordonnance du même jour, le vice-président chargé de l'application des peines compétent en matière de terrorisme rejeta la demande d'autorisation de sortie sous escorte de la requérante. Il jugea ce qui suit :

« (...) si le décès de M. J.X.G., père de [la requérante] survenu le 21 janvier 2014 est constitutif d'un motif exceptionnel pouvant justifier une mesure d'autorisation de sortie sous escorte au sens de l'article 723-6 du code de procédure pénale, cette demande doit également s'apprécier au regard, d'une part, de la personnalité de l'intéressée et, d'autre part, des risques d'évasion.

Il convient à ce titre de relever que [la requérante], membre active de l'ETA jusqu'à son arrestation en 2003, avait été condamnée à plusieurs reprises pour de multiples faits entrant dans le champ d'application de l'article 706-16 du code de procédure pénale visant des actes de terrorisme, ces condamnations démontrant un ancrage manifeste et durable dans la mouvance basque et les actions terroristes.

[La requérante] a en outre toujours refusé de se soumettre à des mesures d'expertises psychiatriques ou psychologiques dans le cadre des procédures la concernant, de sorte que le juge de l'application des peines ne dispose aujourd'hui d'aucun élément tangible sur sa personnalité et son éventuelle dangerosité, même s'il est constant que l'intéressée se comporte correctement en détention.

Par ailleurs au regard d'une date de fin de peine encore éloignée (17 juin 2019), de l'appartenance de [la requérante] à un mouvement terroriste particulièrement organisé et des soutiens extérieurs dont elle pourrait bénéficier dans ce cadre, les risques d'évasion dans le cadre d'une autorisation de sortie sous escorte pour se rendre dans la région de Bayonne ne peuvent être écartés.

Enfin, l'éloignement géographique entre le centre pénitentiaire de Rennes et Bayonne, ainsi que l'affection chronique dont souffre [la requérante] (maladie de Crohn nécessitant de se rendre très régulièrement aux toilettes selon le certificat médical du Dr. L. B.) rendent particulièrement problématique sur le plan technique et dans des conditions de sécurité suffisantes, l'acheminement de la condamnée auprès du corps de son père dans un délai au demeurant très contraint.

(...) »

15. Le 23 janvier 2014, la requérante interjeta appel de cette décision. Elle fit valoir que les faits à l'origine de ses condamnations avaient été commis durant sa période de clandestinité et qu'elle avait bénéficié de la confusion des deux peines de dix-sept ans de réclusion criminelle et de la confusion partielle de la peine de huit ans, à concurrence de cinq ans. Elle ajouta qu'elle était incarcérée depuis onze ans et que son comportement en détention était correct, qu'aucun incident n'était intervenu pouvant laisser craindre un risque d'évasion et qu'elle pourrait prétendre à une libération conditionnelle le 24 mai 2014, ce qui rendait également peu crédible le risque d'évasion allégué. Elle donna l'exemple d'une codétenue à Rennes qui, en mai 2013, avait été transférée à Saint-Jean-de-Luz pour assister aux obsèques de son fils. Elle indiqua que sa demande consistait uniquement à se rendre au chevet de son père au funérarium, ainsi qu'à prendre dans ses bras sa mère et sa fille. Elle mentionna que la crémation de son père avait été repoussée au 27 janvier 2014 pour laisser le temps à l'administration pénitentiaire d'organiser sa sortie. La requérante souligna par ailleurs que ses problèmes de santé n'avaient jamais constitué un obstacle à ses transferts de la région parisienne à Bordeaux, de Bordeaux à Roanne et de Roanne à Rennes, ajoutant qu'elle s'était engagée à ce que ses problèmes de santé n'entravent pas sa sortie, ayant décidé de ne pas s'alimenter durant le trajet, ce qui démontrait l'importance pour elle de se trouver auprès de sa famille en ce moment douloureux.

16. Par une ordonnance du 24 janvier 2014, la conseillère à la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris confirma l'ordonnance du 22 janvier 2014. Elle considéra notamment ce qui suit :

« Nonobstant la condamnation de [la requérante] pour des faits de terrorisme et son appartenance à l'organisation indépendantiste ETA, qu'elle revendiquait encore, l'autorisation ainsi sollicitée apparaît parfaitement justifiée sur le plan humain en un moment particulièrement douloureux pour elle, [la requérante] n'ayant pu rencontrer son père depuis 2009 en raison de son transfert au centre pénitentiaire de Rennes et de la maladie de celui-ci et souhaitant légitimement pouvoir revoir le corps de celui-ci une dernière fois avec sa famille à la levée du corps, avant la cérémonie de crémation.

Toutefois le risque de trouble à l'ordre public résultant du retour, dans des conditions émotionnellement difficiles, ne serait-ce que quelques heures, d'une condamnée activiste basque au pays basque, où elle bénéficiait de nombreux soutiens, ne peut être éludé.

Ce risque implique impérativement une surveillance particulière de la part des autorités chargées de l'escorte et responsables du bon déroulement de ce déplacement avec la mise en place d'un dispositif de sécurité conséquent, et ce d'autant qu'un aller-retour dans la journée n'était pas envisageable en raison de l'éloignement du lieu d'incarcération et qu'il est nécessaire de prévoir un départ le dimanche avec un écrou pour la nuit à la maison d'arrêt de Gradignan afin que la condamnée puisse se présenter avant 11 heures à Bayonne, heure prévue pour la levée de corps.

Or après consultation des services de gendarmerie compétents auprès desquels la cour a pris attache dès sa saisine ce vendredi 24 janvier, l'organisation d'une telle escorte est matériellement impossible dans un délai aussi court eu égard à leurs contraintes matérielles et humaines.

Dans ces conditions, la cour ne peut que prendre acte de cette impossibilité et confirmer la décision entreprise. »

17. La requérante fit une demande d'aide juridictionnelle pour se pourvoir en cassation contre cette décision.

18. Par une décision du 27 mars 2014, le bureau d'aide juridictionnelle de la Cour de cassation rejeta la demande, en estimant qu'aucun moyen de cassation sérieux ne pouvait être relevé contre la décision attaquée.

19. La requérante forma un recours contre cette décision. Elle invoqua l'article 8 de la Convention, en soulignant le fait que la présidente de la chambre d'application des peines avait considéré la demande parfaitement justifiée sur le plan humain et que l'atteinte à son droit fondamental avait été motivée par de simples considérations matérielles. Elle contesta ces dernières, rappelant qu'elle n'était pas une détenue particulièrement surveillée, ne nécessitant donc pas d'escorte renforcée, et qu'elle se trouvait à quatre mois de la possibilité de solliciter une libération conditionnelle. Elle ajouta enfin qu'elle ne pouvait pas être tenue pour responsable de sa détention dans un établissement situé à des centaines de kilomètres de son domicile, raison pour laquelle son père n'avait pu lui rendre visite.

20. Par une ordonnance du 29 avril 2014, le conseiller à la Cour de cassation délégué par le premier président rejeta le recours. Il rappela que la Cour de cassation n'exerçait pas son contrôle sur l'appréciation des faits et des éléments de preuve par les juges du fond, ajoutant qu'il n'apparaissait pas, au vu de l'examen des pièces de la procédure, qu'un moyen sérieux de cassation fondé sur la non-conformité de la décision attaquée aux règles de droit puisse être relevé.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

21. En matière d'exécution des peines, concernant un condamné pour actes de terrorisme et infractions connexes, le juge de l'application des peines du tribunal de grande instance de Paris, le tribunal de l'application des peines de Paris et la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris sont seuls compétents, quel que soit le lieu de détention ou de résidence du condamné. En cas d'urgence, le juge de l'application des peines compétent en matière de terrorisme prend les ordonnances relatives, notamment, aux autorisations de sortie sous escorte, sans les avis du juge de l'application des peines territorialement compétent et de la commission de l'application des peines. Ces ordonnances peuvent être attaquées par voie de l'appel, dans le délai de vingt-quatre heures suivant leur notification. Les ordonnances et arrêts relatifs, notamment, aux autorisations de sortie sous escorte, peuvent faire, dans les cinq jours de leur notification, l'objet d'un pourvoi en cassation qui n'est pas suspensif.

22. Les condamnés à une peine de prison qui sont en cours d'exécution de la période de sûreté assortissant leur peine ne peuvent pas bénéficier de permissions de sortie sans escorte. Seules des autorisations de sortie sous escorte peuvent leur être accordées à titre exceptionnel.

23. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale (CPP) en vigueur au moment des faits sont les suivantes :

Article 706-16

« Les actes de terrorisme incriminés par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal, ainsi que les infractions connexes sont poursuivis, instruits et jugés selon les règles du présent code sous réserve des dispositions du présent titre. (...) »

Article 706-22-1

« Par dérogation aux dispositions de l'article 712-10, sont seuls compétents le juge de l'application des peines du tribunal de grande instance de Paris, le tribunal de l'application des peines de Paris et la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris pour prendre les décisions concernant les personnes condamnées pour une infraction entrant dans le champ d'application de l'article 706-16, quel que soit le lieu de détention ou de résidence du condamné.

Ces décisions sont prises après avis du juge de l'application des peines compétent en application de l'article 712-10. (...) »

Article 712-5

« Sauf en cas d'urgence, les ordonnances concernant les réductions de peine, les autorisations de sorties sous escortes et les permissions de sortir sont prises après avis de la commission de l'application des peines. (...) »

Article 712-11

« Les décisions du juge de l'application des peines et du tribunal de l'application des peines peuvent être attaquées par la voie de l'appel par le condamné, par le procureur de la République et par le procureur général, à compter de leur notification :

1 o Dans le délai de vingt-quatre heures s'agissant des ordonnances mentionnées aux articles 712-5 et 712-8 (...) »

Article 712-12

« L'appel des ordonnances mentionnées aux articles 712-5 et 712-8 est porté devant le président de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel, qui statue par ordonnance motivée au vu des observations écrites du ministère public et de celles du condamné ou de son avocat. »

Article 712-15

« Les ordonnances et arrêts mentionnés aux articles 712-12 et 712-13 peuvent faire, dans les cinq jours de leur notification, l'objet d'un pourvoi en cassation qui n'est pas suspensif. »

Article 723-3

« La permission de sortir autorise un condamné à s'absenter d'un établissement pénitentiaire pendant une période de temps déterminée qui s'impute sur la durée de la peine en cours d'exécution.

Elle a pour objet de préparer la réinsertion professionnelle ou sociale du condamné, de maintenir ses liens familiaux ou de lui permettre d'accomplir une obligation exigeant sa présence. »

Article 723-6

« Tout condamné peut, dans les conditions de l'article 712-5, obtenir, à titre exceptionnel, une autorisation de sortie sous escorte. »

Article D49-79

« En cas d'urgence, le juge de l'application des peines de Paris peut statuer sans l'avis du juge de l'application des peines compétent en application de l'article 712-10. »

Article D142-1

« Les conditions de délai prévues aux articles D. 143 à D. 146 ne sont applicables que si le condamné n'est pas en cours d'exécution de la période de sûreté. »

Article D144

« À l'occasion de la maladie grave ou du décès d'un membre de leur famille proche, une permission de sortir d'une durée maximale de trois jours peut être accordée, d'une part aux condamnés à une peine privative de liberté inférieure ou égale à cinq ans, et, d'autre part, aux condamnés à une peine privative de liberté supérieure à cinq ans, lorsqu'ils ont exécuté la moitié de leur peine. »

Article D145

« Des permissions de sortir d'une durée maximale de trois jours peuvent être accordées en vue du maintien des liens familiaux ou de la préparation de la réinsertion sociale, aux condamnés qui ont exécuté la moitié de leur peine et qui n'ont plus à subir qu'un temps de détention inférieur à trois ans. (...) »

Article D146

« Les condamnés incarcérés dans les centres de détention peuvent bénéficier des permissions de sortir prévues à l'article D. 145, lorsqu'ils ont exécuté le tiers de leur peine. »

Article D425

« En application des dispositions de l'article 723-3 relatives aux permissions de sortir, et dans les conditions fixées à l'article D. 144, les condamnés peuvent être autorisés à se rendre auprès d'un membre de leur proche famille gravement malade ou décédé. »

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

24. La requérante se plaint du refus des autorités judiciaires de l'autoriser à sortir sous escorte de la prison pour se rendre au funérarium, afin de se recueillir sur la dépouille de son père. Elle invoque l'article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

A. Sur la recevabilité

25. Constatant que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

26. La requérante considère tout d'abord que les dispositions de l'article 723-6 du CPP ne sont pas suffisamment prévisibles, en ce qu'elles ne lui permettaient pas de connaître les motifs pouvant lui être opposés pour refuser une autorisation de sortie sous escorte.

27. Elle fait ensuite valoir que le refus des autorités judiciaires de l'autoriser à sortir de prison sous escorte pour se rendre au funérarium ne poursuivait pas de but légitime et n'était ni justifié ni nécessaire dans une société démocratique. Selon elle, son déplacement sous escorte au pays basque ne risquait pas de créer un trouble à l'ordre public, puisque l'organisation ETA avait arrêté la lutte armée depuis le mois d'octobre 2011. Elle ajoute qu'il n'y avait pas davantage de risque d'évasion, puisqu'elle avait exécuté la majeure partie de sa peine de prison et qu'elle était en droit de solliciter sa libération conditionnelle quatre mois après le décès de son père, soit le 24 mai 2014. Elle précise que son état physique et psychologique, en raison de sa maladie et du décès de son père, ne permettait pas de justifier un quelconque risque d'évasion.

28. La requérante conteste en outre l'argument du Gouvernement selon lequel l'organisation d'une escorte n'était pas matériellement possible. Elle indique que sa famille avait fait en sorte de retarder la crémation de son père six jours après le décès de celui-ci, afin de permettre aux autorités de s'organiser. Par ailleurs, elle sollicitait uniquement de pouvoir se rendre au funérarium, et non au crématorium. Elle ajoute que son état de santé n'avait pas constitué un obstacle lors de ses transferts pénitentiaires. En particulier le dernier transfert du centre pénitentiaire de Roanne à celui de Rennes n'avait pas nécessité de mesure particulière alors que le temps de trajet, d'environ six heures, était comparable à celui qu'elle aurait réalisé pour se rendre au funérarium de Bayonne.

29. Elle ajoute qu'elle n'avait pas revu son père depuis quatre années, en raison de l'état de santé de celui-ci qui l'empêchait de se rendre sur son lieu de détention éloigné et qu'elle a dû attendre le 12 avril 2014 pour voir sa sœur, sa mère et sa fille, soit près de trois mois après le décès de son père.

30. Le Gouvernement ne conteste pas que le refus des autorités judiciaires d'autoriser la requérante à sortir de prison sous escorte pour se rendre aux obsèques de son père constitue une ingérence dans son droit au respect de sa vie familiale.

31. Il considère toutefois que cette ingérence était prévue par la loi. Il rappelle tout d'abord que selon le droit interne applicable, la requérante ne pouvait pas prétendre à une permission de sortie sans escorte, puisqu'à la date de sa demande elle exécutait la période de sûreté qui assortissait sa peine. Il indique ensuite que, selon les dispositions de l'article 723-6 du CPP, une autorisation de sortie sous escorte ne constitue pas un droit et que c'est à titre exceptionnel qu'un condamné peut l'obtenir. Il ajoute que les fondements de ce type de mesures sont essentiellement humanitaires et qu'il était en conséquence suffisamment prévisible qu'un refus puisse être opposé à la requérante pour des motifs d'ordre public.

32. Il fait valoir que l'ingérence poursuivait des buts légitimes, à savoir la sûreté publique, ainsi que la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales.

33. Il soutient que le refus opposé à la requérante était nécessaire dans une société démocratique, qu'il répondait à un besoin social impérieux, à savoir prévenir les risques d'évasion et de troubles à l'ordre public et, enfin, qu'il était proportionné aux buts poursuivis. Il précise que le profil pénal de la requérante, condamnée pour des actes de terrorisme, qui continuait de revendiquer son appartenance à l'organisation ETA et dont la fin de peine était éloignée (le 17 juin 2019), témoignait d'un risque sérieux d'évasion. Il estime que ce risque n'était pas atténué par la fin de la lutte armée de l'organisation ETA. Selon lui, les risques de troubles à l'ordre public étaient élevés en raison du lieu et du contexte des obsèques du père de la requérante. Elles devaient en effet se dérouler à Bayonne, en pays basque, lieu d'activité de l'organisation ETA. De plus, le frère et la sœur de la requérante, identifiés comme évoluant eux-mêmes dans la mouvance basque, devaient être présents. Selon le Gouvernement, les risques élevés de troubles à l'ordre public et d'évasion impliquaient une escorte renforcée qu'il n'était pas matériellement possible de mettre en place, compte tenu du délai imparti et de l'éloignement géographique. Il ajoute que la surveillance d'un détenu par une escorte lors d'une autorisation de sortie est plus lourde que lors d'un transfèrement d'une prison à une autre (à l'occasion duquel le détenu ne sort pas dans un lieu ouvert public).

34. Il considère que les juridictions internes ont mis en balance le droit au respect de la vie familiale de la requérante, en reconnaissant la justification de la demande de la requérante sur le plan humain en un moment douloureux, avec les contraintes de sécurité.

35. Il ajoute que, contrairement aux cas d'espèce des affaires Lind c. Russie (n o 25664/05, 6 décembre 2007) et Płoski c. Pologne (n o 26761/95, 12 novembre 2002), aucune mesure alternative à une sortie sous escorte ne pouvait être proposée à la requérante.

36. Il précise que l'administration pénitentiaire a veillé au maintien des liens familiaux de la requérante, qui a bénéficié des visites des membres de sa famille et a pu correspondre, notamment par téléphone, avec son père lorsque l'état de santé de celui-ci ne lui permettait plus de faire de longs trajets pour se rendre au centre de détention. Il produit la liste des personnes qui ont rendu visite à la requérante au parloir du centre pénitentiaire entre le 16 novembre 2013 et le 16 novembre 2014, ainsi que le recensement des périodes que la requérante a passé avec les membres de sa famille ou avec son ami au sein d'une unité de vie familiale.

2. Appréciation de la Cour

37. La Cour rappelle que la détention, comme toute autre mesure privative de liberté, entraîne par nature une restriction à la vie privée et familiale de l'intéressé. Il est cependant essentiel au respect de la vie familiale que l'administration pénitentiaire autorise le détenu et l'aide au besoin à maintenir le contact avec sa famille proche ( Messina c. Italie (n o 2) , n o 25498/94, § 61, CEDH 2000-X, et Khoroshenko c. Russie [GC], n o 41418/04, § 106, CEDH 2015).

38. La Cour rappelle en même temps qu'un certain contrôle des contacts des détenus avec le monde extérieur est recommandé et qu'il ne se heurte pas en soi à la Convention ( Schemkamper c. France , n o 75833/01, § 30, 18 octobre 2005). En outre, le droit de bénéficier d'autorisations de sortie n'est pas garanti en tant que tel par la Convention ( Marincola et Sestito c. Italie (déc.), n o 42662/98, 25 novembre 1999, Kanalas c. Roumanie , n o 20323/14, § 66, 6 décembre 2016, et Vonica c. Roumanie , [comité ] n o 78344/14, § 68, 28 février 2017). En effet, l'article 8 de la Convention ne garantit pas aux personnes détenues un droit de sortie et la Cour a observé à maintes reprises que la mise en place d'un système d'autorisation n'est pas critiquable en soi (voir, entre autres, Sannino c. Italie (déc.), n o 72639/01, 3 mai 2005).

39. Il n'est pas contesté en l'espèce que le refus opposé à la requérante de l'autoriser à sortir de prison sous escorte pour se rendre au funérarium et se recueillir sur la dépouille de son père constitue une ingérence dans son droit au respect de sa vie familiale garanti par l'article 8 de la Convention ( Płoski c. Pologne , n o 26761/95, § 32, 12 novembre 2002, et Kanalas , précité, § 54, 6 décembre 2016).

40. Pareille ingérence n'enfreint pas la Convention, si elle est prévue par la loi, vise au moins un but légitime au regard du paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention et peut passer pour une mesure nécessaire dans une société démocratique ( Płoski , précité, § 30).

41. La Cour relève que le refus d'autorisation de sortie sous escorte en cause était prévue par la loi, à savoir l'article 723-6 du CPP, et que les questions des risques d'évasion et de troubles à l'ordre public sont inhérentes à la sortie temporaire, prévue à titre exceptionnelle, avec ou sans escorte, d'un détenu condamné. Sauf en cas d'urgence, la décision concernant une demande d'autorisation de sortie sous escorte est prise après avis de la commission de l'application des peines. La Cour estime que les motifs possibles de refus qui pouvaient être opposés à un condamné, telle la requérante, étaient suffisamment prévisibles.

42. Elle considère en outre que l'ingérence, qui avait pour but de prévenir les risques d'évasion et de troubles à l'ordre public, visait à garantir la sûreté publique, la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales ( Kanalas , précité, § 57).

43. Il reste à savoir si la décision en question était « nécessaire dans une société démocratique ».

44. La Cour rappelle que pour préciser les obligations que les États contractants assument en vertu de l'article 8 de la Convention en la matière, il faut avoir égard aux exigences normales et raisonnables de l'emprisonnement et à l'étendue de la marge d'appréciation à réserver en conséquence aux autorités nationales lorsqu'elles réglementent les contacts d'un détenu avec sa famille ( Lavents c. Lettonie , n o 58442/00, § 141, 28 novembre 2002). Il appartient à l'État de démontrer que les restrictions inhérentes aux droits et libertés du détenu sont néanmoins nécessaires dans une société démocratique et qu'elles se fondent sur un besoin social impérieux ( Płoski , précité, § 35).

45. La Cour relève qu'en l'espèce les autorités judiciaires, tant en première instance qu'en appel, ont examiné avec diligence la demande de la requérante et ont jugé que le décès du père de la requérante constituait un motif exceptionnel pouvant justifier une autorisation de sortie sous escorte. La conseillère à la chambre de l'application des peines a en outre pris en compte le fait que la requérante n'avait pas revu son père depuis 2009 pour considérer que sa demande se justifiait sur le plan humain.

46. Elle note que les autorités ont toutefois rejeté la demande de la requérante en raison, d'une part, de son profil pénal, puisqu'elle purgeait plusieurs peines de prison pour des actes de terrorisme et continuait de revendiquer son appartenance à l'organisation ETA, et, d'autre part, de l'impossibilité de mettre en place une escorte renforcée dans le délai imparti.

47. La Cour est consciente que les sorties sous escorte causent des problèmes de nature financière et logistique ( Płoski , précité, § 37, et Kubiak c. Pologne , n o 2900/11, § 26, 21 avril 2015). Elle constate que les autorités nationales ont dûment examiné le profil de la requérante, la gravité des crimes commis, punis par une lourde peine privative de liberté, le contexte de la sortie à organiser, les éléments factuels, notamment la distance géographique de près de 650 km, pour considérer que l'escorte devait être particulièrement renforcée. La Cour note que la requérante a présenté promptement sa demande d'autorisation de sortie, laissant un délai de six jours aux autorités pour organiser une escorte. Toutefois, elle ne voit aucun élément permettant de remettre en cause l'analyse du Gouvernement selon lequel le délai imparti, une fois l'autorisation de sortie sous escorte définitivement accordée, était insuffisant pour organiser une escorte composée d'agents spécialisés pour le transfert et la surveillance d'une condamnée pour des faits de terrorisme, avec un repérage des lieux préalable.

48. La Cour constate qu'aucune alternative à une sortie sous escorte ne pouvait être envisagée dans les circonstances de l'espèce pour satisfaire la demande de la requérante (voir, a contrario , Kanalas , précité, § 64, avec d'autres références).

49. Elle note que la requérante n'avait pas revu son père depuis 2009, mais elle avait bénéficié régulièrement de visites de la part des membres de sa famille et d'amis, comme le soutient le Gouvernement (voir paragraphe 36 ci-dessus).

50. Partant, la Cour considère que les autorités judiciaires ont procédé à une mise en balance des intérêts en jeu, à savoir, d'une part, le droit de la requérante au respect de sa vie familiale, et, d'autre part, la sûreté publique, la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales (voir, a contrario , Kanalas , précité, § 65). Elle considère que l'État défendeur n'a pas dépassé la marge d'appréciation dont il jouit dans ce domaine.

51. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que, dans les circonstances de l'espèce, le refus opposé à la requérante de sortir de prison sous escorte, pour se rendre au funérarium et se recueillir sur la dépouille de son père, n'était pas disproportionné aux buts légitimes poursuivis.

52. Dès lors, il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

 

2. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 avril 2019, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

              Claudia Westerdiek Angelika Nußberger
Greffière Présidente


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